48 Victor X.

Rosalie Forget-Giguère

Voici l’histoire de Victor X., un réfugié politique, président honoraire de la Casa latino-américaine. Ce professeur paraguayen, récemment marié, quitta son pays sans sa conjointe à cause d’une très grande répression; un choix difficile qui le mena à la découverte d’un nouveau pays, à l’apprentissage d’une nouvelle langue et au partage des cultures.

Un départ soudain du Paraguay

M. X. vécut dans la capitale du Paraguay, Asunción, jusqu’en 1976. Il était alors professeur d’histoire, de géographie et d’économie. En 1976, il quitta précipitamment le pays. La situation politique du Paraguay était effectivement très difficile. Alors dirigé par le dictateur Alfredo Stroessner, le pays fit face à une période où les droits des citoyen-ne-s étaient brimés. La liberté d’expression n’était pas respectée, il n’y avait pas de justice sociale et plusieurs groupes, particulièrement les jeunes, subissaient beaucoup d’oppression. On s’attaquait aux étudiant-e-s, particulièrement à ceux et à celles qui ne partageaient pas la vision du dictateur.

Face au climat de plus en plus tendu, Victor X. fut obligé, comme plus d’un million d’autres Paraguayen-ne-s avant lui, de fuir son pays. Il s’installa d’abord en Argentine. Au fil des ans, la situation politique en Argentine empira aussi. Sa femme l’ayant rejoint à Buenos Aires, la famille X. décida de déménager au Québec en 1978, avec un bébé de quelques mois.

L’arrivée au Québec

M. X., sa femme et leur bébé arrivèrent à Montréal le 25 juin 1978.

À mon arrivée, je ne comprenais pas pourquoi la ville était aussi calme, en comparaison des villes latino-américaines, véritables salles de concert à ciel ouvert où retentissaient coups de klaxon, musique et vrombissement de moteurs.

Ils entrèrent au pays en obtenant le statut de réfugié politique. La situation politique et économique au Paraguay et en Amérique du Sud était telle que des millions de citoyen-ne-s cherchaient refuge dans les pays européens et nord-américains. La famille X. choisit de s’installer au Québec pour plusieurs raisons, même si elle ne parlait pas un mot de français. Un ami du Paraguay avait immigré au Québec et leur en avait dit de bons mots. M. X. savait qu’il n’y serait pas trop dépaysé puisque la culture québécoise a des affinités avec la culture latine, tout en demeurant, à certains égards, assez différente.

Aussi, la ville de Québec semblait être un très bon endroit pour fonder véritablement leur famille. Pour ce faire comprendre à leur arrivée, M. X. et sa femme durent utiliser beaucoup de gestes, ce qui était à la fois source d’hilarité et pratique pour communiquer. Au fil des années, ils apprirent le français.

À leur arrivée à l’aéroport, un groupe les attendait. Il s’agissait d’un organisme d’accueil pour les immigrant-e-s latino-américain-e-s. Des interprètes parlant l’espagnol étaient présent-e-s pour faciliter l’arrivée des réfugié-e-s. La famille ne possédait ni passeports ou ni documents officiels, seulement un document de la Croix-Rouge leur permettant de voyager pour fuir la situation politique précaire de leur pays. C’est à son arrivée qu’il comprit la vision que les Québécois-es avaient envers les immigrant-e-s. Un policier présent à l’aéroport lui dit : « Vaya con Dios », « Que Dieu soit avec vous ». Cette expression était utilisée en Amérique du Sud à cette époque. Elle était normalement utilisée pour souhaiter du bien à quelqu’un de proche. Il fut grandement touché et ému par cette marque attentionnée de respect, surtout de la part d’un policier, chose impensable avec les policiers des dictatures du Sud! Ce fut un accueil positif auquel il ne s’attendait pas.

En 1981, il obtint sa nationalité canadienne. La même année, il s’inscrivit à l’Université Laval en anthropologie où il dut recommencer son baccalauréat, même s’il avait fait cinq années d’études en économie au Paraguay et au Chili. Il obtint son diplôme de premier cycle ainsi que celui de maîtrise, et il fit quatre années d’études au doctorat. Il eut droit à plusieurs bourses au mérite, sans lesquelles il n’aurait pu continuer ses études avec une famille de quatre enfants.

Les différences frappantes

Au début, l’élément qui fut le plus difficile pour lui était d’être loin de sa famille. En Amérique du Sud, les familles élargies sont très proches et il perdit cette proximité en immigrant au Québec, non seulement à cause de la situation géographique, mais aussi parce que la culture tendait plus vers l’individualisme. Lorsqu’il vivait au Paraguay, il vivait proche de ses parents, même s’il avait fondé sa famille, et ses tantes et oncles venaient en visite sans préavis. Ce fut un changement pour lui et, entre autres, il ne comprenait pas pourquoi il devait appeler ses ami-e-s québécois-es avant de les visiter. D’année en année, il remplaça le manque de la famille nombreuse par les ami-e-s. Il tissa des liens avec d’autres Latino-Américain-e-s, mais aussi avec des Québécois-es. Pour lui, le partage des cultures est très important et il trouve que, sur ce point, les Québécois-es sont curieux, curieuses et ouvert-e-s aux autres cultures. Par exemple, les principaux et principales client-e-s de l’entreprise de fabrication de mets latino-américains faits maison que lui et sa femme avaient créée à la fin des années 1980 étaient des Québécois-es. Monsieur X. constate qu’entre les Québécois-es et les Latino-Américain-e-s, il y a une affinité culturelle qui trouve ses racines dans le partage d’une même matrice civilisationnelle latine et judéo-chrétienne, mais avec des expressions culturelles distinctes.

Selon lui, les plus importantes différences auxquelles il fit face furent celles du climat et de la culture. Bien entendu, il lui fallut un moment pour s’habituer aux hivers québécois, mais les dissemblances culturelles prirent plus de temps à être décoder et à se faire siennes. En arrivant à Montréal, monsieur X. et sa femme furent surpris-e du fait que peu d’enfants jouaient dans les rues et qu’ils voyaient peu de femmes enceintes. Au Paraguay, les rues étaient bondées de familles et d’enfants.

La nouvelle réalité

Au fil des ans, il s’aperçut que ses habitudes et son identité changeait inconsciemment. Il nota qu’en immigrant, il s’ennuyait de sa vie au Paraguay et que, en même temps, plusieurs choses avaient changé dans sa vie à Québec : le rythme de la vie quotidienne, la vie familiale, la relation de couple, les relations avec les enfants et avec les ami-e-s, etc. Mais la vie dans son pays d’origine changeait aussi : le Paraguay qu’il avait laissé était plus un souvenir qu’une réalité…

Je suis devenu une sorte de « Québécoisyen… » (Québécois-Paraguayen)!

Il a été président de 2002 à 2005 et de 2012 à 2017 de la Confédération des associations latino-américaines (CASA), un organisme sans but lucratif qui facilite l’accueil d’immigrant-e-s originaires de l’Amérique latine au Québec et qui organise des activités culturelles pour les Québécois-es et les Latino-Américain-e-s. Il est père de quatre enfants, qui se sont marié-e-s avec des Québécois-es, et grand-père. Il s’est constitué une famille pour qui les relations se situent entre celles d’une famille d’ici et celles qu’il a connues en Amérique du Sud. Maintenant, sa vie sociale est composée d’amis-e- de différentes origines et présente un heureux mélange des valeurs québécoises et des valeurs sud-américaines. Par exemple, alors que ses enfants étaient plus jeunes, lorsqu’ils fêtaient leur anniversaire, il y avait plus d’une trentaine d’enfants à la maison, la moitié d’origine sud-américaine et l’autre moitié d’origine québécoise. Les voisin-e-s trouvaient bien spécial que des parents acceptent de recevoir autant d’enfants en même temps! Les parents des enfants étaient aussi invités, la tradition latino l’oblige! Vivre à Québec lui a également permis de découvrir des traditions et facettes d’autres cultures latinos : mets et mots mexicains, péruviens, chiliens, haïtiens, salvadoriens, colombiens et autres, ainsi que la très populaire piñata.

Les Québécois-es sont accueillant-e-s

Les Nord-Américain-e-s sont reconnu-e-s pour leur individualisme typique des sociétés industrialisées. Souvent, on les croit distant-e-s, mais monsieur X. trouve les Québécois-es faciles d’approche et très aimables. Selon lui, le Québec est ouvert sur les autres cultures. En général, il croit que les Québécois-es ont une vision positive des Latino-Américain-e-s. Plusieurs Québécois-es ont visité l’Amérique du Sud, que ce soit par simple intérêt touristique ou par souci de coopération internationale, ce qui leur permet de créer des liens avec les locaux. Une telle expérience comme coopérant leur permet de voir la réalité et de vivre la culture latino-américaine comme il ne pourrait jamais le faire au Québec. Elle permet aussi de mieux comprendre ce qui pousse certaines personnes à vouloir émigrer. Plusieurs Québécois-es s’interrogent sur le vivre-ensemble et l’immigration.

Mais il ne faut pas oublier, remarque monsieur X., que les territoires actuels de la ville de Québec ont été terre d’accueil également pour les premier-e-s Européen-ne-s qui sont venu-e-s en explorateurs et colonisateurs, comme Jacques Cartier, reçus et soignés par les Iroquois-es dans leur village Stadaconé. La ville de Québec a été longtemps la porte d’entrée au Canada et elle a été peuplée et façonnée par des gens de différentes origines qui cohabitaient tout en apportant leurs particularités culturelles. Le charme unique de notre ville vient justement de la richesse de son héritage, bâti sur le socle du patrimoine français.

Pour finir, monsieur X. fait la réflexion suivante :

D’abord, l’être humain en est un de migration. Parti du foyer primordial en Afrique, il peupla toute la surface de la Terre. En se disséminant, il diversifia sa langue et sa culture initiale, et il prit différents aspects pour s’adapter à son environnement d’enracinement, tout en restant membre de la même espèce humaine. Ensuite, c’est la rencontre ou le choc avec l’Autre : la convergence, le dialogue enrichit les partenaires; l’affrontement les affaiblit et peut les détruire. Dans le contexte local et global actuel d’interdépendance, nous faisons face à des défis spécifiques et mondiaux cruciaux pour notre présent et notre futur : bouleversement climatique, exclusion économique et sociale, détérioration démocratique et danger d’une conflagration mondiale. Tous ces risques sont graves et complexes et ils ne connaissent pas de frontières. En raison de leur nature, ils font appel autant aux connaissances qu’à la sagesse de chaque être humain et de chaque culture qui existe sur la Pachamama (Terre-Mère des Autochtones andin-e-s), pour ensemble relever ces défis, car notre destinée est commune, non pas dans la discorde. Le sens d’accueil des Québécois-es est la base pour bâtir un Québec inclusif et épanoui, enraciné dans son héritage et enrichi de l’apport pluriel des Québécois-es venu-e-s des quatre coins de la planète. Nous qui venons d’ailleurs, nous devons non seulement réclamer nos droits de citoyen-ne, mais surtout prendre nos responsabilités en nous impliquant dans la vie sociale, économique et communautaire de notre ville et de notre nouvelle patrie. Ensemble, nous serons tous et toutes gagnant-e-s!

Ruines des missions des jésuites, San Ignacio
Crédit : Ramiro Leandro – Trabajo propio. Source : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=12809430

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