5 Ana Helena X.

Sarah Massicotte

Ana Helena X. naquit au Brésil dans une petite ville du nom d’Amparo, près de São Paulo. Passionnée par les cultures étrangères, Ana souhaitait vivre de nouvelles expériences en quittant son pays natal pour étudier à l’étranger. Le Québec a visiblement su la charmer puisqu’elle y habite maintenant depuis trois ans et demi.

Les raisons de son départ

Ana Helena, âgée de 16 ans, avait un chemin bien tracé devant elle au Brésil. Elle avait été acceptée dans une très bonne université. Son parcours allait de bon train et s’enchaînait sans trop de difficulté. C’est alors qu’elle prit la décision de quitter son pays natal pour un vent de changement. C’est en septembre 2012 qu’Ana Helena, âgée de 17 ans, déménagea au Québec en tant qu’étudiante étrangère grâce au programme d’échange Rotary d’une durée de neuf mois. Elle choisit le Québec parce que cette province lui offrait la possibilité de vivre une expérience différente : apprendre une quatrième langue, alors qu’elle connaissait déjà le portugais, l’espagnol et l’anglais. De par son climat très contrasté, le Québec lui permettait d’être déstabilisée et de découvrir un mode de vie différent du sien.

Le premier contact avec le Québec

À son arrivée au Québec, Ana se retrouva dans une province qu’elle imaginait un peu différemment au départ. Habitant dans une famille d’accueil installée dans la banlieue de Charlesbourg, l’environnement lui apparut très américanisé à première vue. Ce constat fut un choc pour elle puisqu’elle n’avait pas envie de faire son échange aux États-Unis ou dans un pays similaire. Elle s’est alors concentrée sur son objectif de départ, soit de vivre quelque chose de différent de ce qu’elle connaissait. Le contexte dans lequel elle a déménagé lui a permis de s’intégrer plus facilement à ce nouvel environnement et à cette aventure qui débutait. En effet, le programme d’échange auquel elle participait lui a permis de s’appuyer sur des personnes-ressources qui l’ont aidée à se repérer. À l’école, entre autres, les premiers contacts se sont faits assez facilement et les ami-e-s également.

Les gens étaient très ouverts lorsque je suis arrivée, je me suis fait beaucoup d’ami-e-s dès le début. Parce que j’étais différente, les gens étaient intéressés. Quand je dis que je viens d’ailleurs, ils portent un intérêt, ils me posent des questions. Les gens étaient assez accueillants, beaucoup plus que dans beaucoup d’autres pays.

Toutefois, au fil des semaines, elle s’est aperçue que les relations qu’elle avait créées n’étaient pas des relations profondes comme celles qu’elle avait au Brésil et sur lesquelles elle pouvait compter.

Je me suis rendu compte que ces gens-là ne me considéraient pas comme quelqu’un qui faisait partie de leur groupe. Je ne sais pas si c’était la communication qui était trop difficile, car je ne parlais pas français au départ, mais j’avais comme l’impression que les gens en général ne me connaissaient pas vraiment. Ils avaient une vision floue de moi, parce que je n’arrivais pas à bien communiquer en français.

En effet, Ana avait l’impression que son entourage n’arrivait pas à saisir qui elle était vraiment et, inversement, elle n’arrivait pas à bien cerner les gens avec qui elle entrait en relation. Elle sentait qu’elle vivait les interactions en surface, sans arriver à aller au fond des choses.

Habituellement, après avoir passé une ou deux heures avec une personne, on peut saisir un peu le type de personne dont il s’agit. Mais moi, je n’arrivais pas à faire ça.

Ana eut même l’impression, par moment, que les gens tentaient de tirer avantage du fait qu’elle ne comprenait pas tout ce qui se passait autour d’elle.

Bien que son arrivée ne fut pas tout à fait comme elle l’avait imaginée, Ana fut impressionnée positivement par certains aspects du Québec, dont le changement des saisons. Au Brésil, on peut remarquer un changement de température, l’hiver est légèrement plus sec et froid, mais, au Québec, Ana avait l’impression d’arriver dans un nouvel endroit à chaque changement de saison, à cause du décor qui se modifiait énormément au cours d’une année. La neige, les couleurs d’automne et l’arrivée du printemps et de l’été ont su la charmer. Elle a également remarqué une valeur québécoise forte qu’elle a particulièrement appréciée : l’honnêteté. Elle dit avoir remarqué qu’en général, les Québécois-es se soucient de la société, ont une bonne conscience de ce qui est bien ou mal, et respectent majoritairement ce qui est convenu comme étant bien.

Si vous devez donner 3,50 $ pour le bus, vous allez donner 3,50 $ pour le bus. Chez moi, je ne sais pas si c’est à cause de la différence sociale ou de la pauvreté, mais les gens se soucient moins de l’environnement ou de la société. Vous êtes plus conscients des autres : tenir la porte à quelqu’un, ne pas jeter des déchets dans la rue. En général, vous faites ce qui est bien pour la société.

Les perceptions des Québécois-es en ce qui concerne l’Amérique du Sud

En général, selon ce qu’Ana a pu noter des perceptions québécoises concernant l’Amérique latine, les gens ont une vision globale qui n’est pas complètement fausse, mais pas complètement véridique non plus. Les Québécois-es connaissent l’Amérique Latine comme une région où la danse est très présente, où les gens ont une joie de vivre marquée. On parle aussi beaucoup de l’Amérique latine pour son côté un peu plus dangereux ce qui augmente la crainte de visiter ces pays. De ce qu’Ana raconte, c’est effectivement un peu plus dangereux dû à une pauvreté plus prononcée, mais ce n’est pas si dangereux que cela, ce n’est pas pour cette raison qu’elle a quitté son pays. Dans l’ensemble, les Québécois-es connaissent l’Amérique du Sud, mais ils et elles ne sont pas très informées à propos des caractéristiques de chacun des pays qui la composent. Celles et ceux-ci ne connaissent pas réellement ces pays.

C’est rare que les gens savent qu’on parle portugais au Brésil, ils pensent qu’on parle espagnol. Et pourtant, c’est le 5e plus gros pays au monde. Ça m’a quand même étonnée, ça.

L’une des premières questions qu’Ana s’est faite poser à son arrivée était quant à savoir pourquoi sa peau n’était pas plus foncée. Les gens pensaient que les habitants de l’Amérique du Sud étaient nécessairement très foncés, mais ce n’est pas tout à fait le cas. Les gens ne sont généralement pas au courant que le Brésil est un pays ayant un fort mélange culturel. Dans le passé, il y eut une concentration de personnes à la peau noire au nord du Brésil, lorsque des esclaves venus d’Afrique y ont été conduit. Il y eut donc des mélanges de cultures et on retrouve maintenant beaucoup de gens métissés. Il y a énormément de personnes européennes, notamment d’origine hollandaise et allemande, qui sont venues au Brésil après la Deuxième Guerre mondiale. Dans certaines villes, la concentration allemande est si forte que tout est écrit en allemand et en portugais. Il y a également beaucoup de personnes libanaises venues à la suite de la guerre civile, comme son grand-père, et de personnes d’origine italienne, principalement dans la région d’où elle vient. On y retrouve aussi la plus grosse concentration de population d’origine japonaise en dehors de l’archipel nippon, ayant immigrée après la Première Guerre mondiale.

Les relations sociales difficiles

Avec le temps, ses relations sociales s’améliorèrent, en même temps que son français, ce qui a beaucoup aidé à la situation. Toutefois, certaines différences culturelles marquantes entre le Brésil et le Québec font en sorte que ces relations n’ont rien de comparable aux relations qu’elle entretenait chez elle.

Au départ, je m’en rendais plus ou moins compte à cause de la barrière linguistique, mais par la suite, je me suis rendue compte que les gens sont différents. Même aujourd’hui, parfois, j’oublie qu’il y a une différence de culture et tout à coup ça me frappe, les gens sont vraiment différents de chez moi.

L’une des choses qui l’a particulièrement marquée, c’est notre manière d’interagir, qui est beaucoup plus froide qu’au Brésil. En effet, les Québécois-es lui ont semblé inconfortables avec les sujets plus intimes, avec les confidences émotionnelles ou lorsque quelqu’un parle trop de lui-même. Comme si ces aspects avaient une connotation négative. Au Brésil, lorsqu’une personne décide de se confier, c’est une grande preuve de confiance et c’est très flatteur pour la personne qui l’écoute. Elle a également remarqué que le Canada était un pays où les gens, dans leurs relations sociales, sont individualistes, se souciant de leurs problèmes et de leur quête du bonheur avant de penser aux autres. Au Brésil, les gens sont très proches les uns des autres et le partage est une valeur plus forte qu’au Québec. De ce qu’Ana raconte, lorsque des gens entrent dans ta maison au Brésil, tu les invites automatiquement à s’asseoir, à manger avec toi. Au Québec, les gens sont soucieux de ne pas déranger l’autre. Ils et elles ne veulent pas rester à manger chez quelqu’un, car cela signifie prendre de sa nourriture, donc de son argent. Au Brésil, ce n’est pas un souci, même pour les plus pauvres. Cela va de soi, ces personnes partagent ce qu’elles possèdent avec celles invitées. Selon Ana, ce caractère très individualiste de notre société serait probablement la raison pour laquelle les gens se séparent et divorcent davantage qu’au Brésil. Les gens sont en quête de leur bonheur personnel et cela les rend un peu moins soucieux des autres. Ils et elles vont abandonner plus facilement une relation qui ne fonctionne pas, par exemple.

L’échange étudiant auquel Ana a participé pendant neuf mois au Québec ne fut qu’un préambule à tout ce qui allait se passer par la suite. Ana savait qu’elle souhaitait vivre à l’extérieur de son pays, non pas parce qu’elle n’aimait pas son pays natal ou parce qu’elle s’y sentait en danger, mais simplement car elle avait besoin de vivre autre chose, de sortir de sa zone de confort. Si son échange n’avait pas été concluant au Québec, elle serait allée dans un autre pays. Après son séjour, elle retourna au Brésil, mais décida de revenir vivre et étudier au Québec par la suite. Lorsqu’elle revint, ce fut beaucoup plus facile pour elle de s’adapter, puisqu’elle connaissait déjà la ville, elle y avait des ami-e-s et elle s’était adaptée au climat dont le froid rigoureux de l’hiver.

Aujourd’hui, cela fait trois ans et demi qu’Ana habite au Québec et elle a l’impression de s’être bien intégrée. Bien sûr, ce n’est pas toujours facile. À certains moments, les différences existantes entre elle et les Québécois-es refont surface. Il arrive alors que sa culture lui manque. Ce qui est difficile, selon elle, lorsqu’on habite dans un nouveau pays sans sa famille et ses ami-e-s de longue date, c’est qu’il n’existe pas de point d’appui stable. Les amitiés qui se sont développées au Québec sont trop récentes pour être considérées comme « pour la vie », des gens qui seront présents pour nous, peu importe le chemin que prennent nos vies respectives. Dans les périodes plus difficiles, ses ami-e-s et sa famille lui manquent terriblement, car elle ne pourra jamais, selon elle, retrouver ces mêmes relations fortes au Québec.

Heureusement, Ana n’a jamais été complètement seule depuis son arrivée, mais si cela devait se produire, elle dit que c’est important d’être préparée à affronter les difficultés et de toujours garder en tête la raison pour laquelle elle a décidé de déménager au Québec. Dernièrement, après s’être séparée d’une relation amoureuse qui datait de son arrivée au Québec, elle dit avoir remis en question le projet de rester. Cette personne représentait pour elle une certaine stabilité, un lien direct avec la société québécoise. Elle s’est alors retrouvée seule avec elle-même et dit avoir dû se questionner, se rappeler pourquoi elle était venue. Mais aujourd’hui, Ana se sent bien, elle a véritablement l’impression de s’être bien intégrée au sein de la société québécoise et se sent toujours heureuse d’y habiter.

Je vais à l’école ici, j’ai des ami-e-s, j’ai un très bon emploi. Dans mon ancien emploi, j’enseignais même l’histoire du Québec à des Québécois-es à la citadelle de Québec.

Elle s’est toutefois fait la promesse de conserver certains aspects de sa personnalité brésilienne, même si certaines de ces caractéristiques ne sont pas toujours en harmonie avec les coutumes québécoises, comme le fait de parler beaucoup de soi-même ou de ses sentiments. Cela fait partie intégrante d’elle-même et elle est bien déterminée à rester fidèle à cela.

J’essaie le plus possible de rester fidèle à certains aspects de ma culture aussi. Je trouve que c’est quelque chose de très important à faire. Je ne veux pas complètement me mêler aux Québécois-es, je ne veux pas complètement me faire assimiler. Je veux garder des aspects de mon identité.

Racisme et discrimination

Ana n’a jamais vraiment vécu de racisme à son égard. Mis à part son accent, Ana peut facilement avoir l’air d’une Québécoise. Elle a tout de même ressenti à certains moments que le fait qu’elle vienne d’ailleurs amenait des gens à l’exclure du groupe. Par exemple, lorsqu’elle travaillait à la citadelle de Québec, Ana avait pour tâche de faire la visite guidée aux visiteurs et visiteuses afin de leur expliquer certains faits sur l’histoire du Québec. Lorsque la visite se donnait en français, les groupes étaient souvent constitués de Québécois-es. Parmi eux et elles, un individu a porté des commentaires désobligeants à son égard en lui demandant pourquoi c’était elle qui avait cet emploi plutôt qu’une ou un Québécois-e. Au lieu d’être enchanté à l’idée qu’une étrangère ait un intérêt marqué pour la culture québécoise, il s’est montré fâché que l’emploi n’ait pas été donné à une ou un vrai-e Québécois-e.

Pour moi, c’est quand même simple. Mis à part mon accent, je peux passer facilement pour quelqu’un qui vient d’ici. Tandis que d’autres qui sont pourtant nés ici vivent cette discrimination parce qu’ils ont l’air différents, même s’ils sont autant canadiens que les autres.

Concernant l’arrivée des immigrant-e-s qui inquiète certain-e-s Québécois-es, Ana tenait à rappeler que ces personnes, particulièrement les personnes réfugiées, n’ont pas eu la même chance que les citoyen-ne-s de la province du Québec de naître dans un pays en sécurité. 

Ces gens-là ne sont pas différents de vous. Ce sont des gens qui ont une famille, un emploi. Ce sont des gens intelligents qui ont une formation, qui ont vécu une vie normale comme vous. Mais, par un hasard de la vie, ils sont nés dans un pays en guerre et ils ne peuvent plus sortir de chez eux, aller au travail… Ils n’ont pas choisi de venir ici. C’est des humains comme vous, c’est juste que dans la loterie de la vie, ils ont de la malchance c’est tout. Ce n’est pas parce qu’ils ont eu cette malchance-là qu’ils méritent moins d’être humains, qu’ils méritent moins d’avoir une vie normale.

Elle n’est pas du tout d’accord avec le concept de frontières dans le monde. Selon elle, mis à part nos différences de culture, nous sommes loin d’être différent-e-s, nous sommes tous des êtres humains. Les Québécois-es, dit-elle, ne « devraient pas voir ça comme une menace, mais comme une opportunité. » Les immigrant-e-s doivent passer par un système d’immigration très rigoureux pour être admis-es au Canada; ces gens-là ne représentent aucun danger pour les Québécois-es.

Constat général

Même si certaines valeurs et caractéristiques de la société québécoise rejoignent un peu moins sa personne, Ana aime beaucoup le Québec.

Je sais que j’ai été très sévère sur ma perception des Québécois-es, mais la vérité c’est que j’adore les Québécois-es, j’adore le mélange des cultures. Vous avez une quête d’identité propre à vous, avec toute la question de l’indépendance, et je trouve cela très intéressant. Je trouve que vous avez une culture très particulière à vous, même si des fois vous la questionnez beaucoup. Moi, je vous le dis, vous en avez une.

Aux gens qui souhaiteraient comme elle emménager au Québec, Ana aimerait adresser quelques recommandations. Dans un premier temps, il faut être préparé au froid et au fait que, durant l’hiver, on ne voit pas beaucoup la lumière du jour. En effet, lorsque l’hiver approche, Ana a remarqué que le manque d’ensoleillement avait un impact direct sur son humeur. Elle dit que la majorité des personnes qu’elle connaît qui sont venues au Québec et qui ont décidé de ne pas rester ne s’attendaient pas à ce que ce soit si pire. Mais effectivement, il fait froid, c’est sombre, ce n’est pas facile et il faut être préparé à cela.

C’est quelque chose que j’ai traversé, mais ce n’est pas tout le monde qui passe bien à travers. Donc il faut se préparer au froid.

Ensuite, si l’objectif est d’emménager au Québec et d’y rester, Ana dit qu’il faut toujours se rappeler pour quelles raisons on fait cela et de ne pas dépendre des Québécois-es. Il faut être bien avec soi-même et être en mesure de dépendre uniquement de soi.

Surtout pour ceux qui déménagent parce qu’ils sont réfugiés, car ça peut être très très difficile de s’adapter à une nouvelle culture, à un nouveau pays, même après plusieurs années après avoir déménagé. Donc il faut toujours se rappeler la raison du pourquoi. Il ne faut jamais se décourager et jamais blâmer les pays pour de mauvaises choses qui arrivent. De mauvaises choses, ça peut arriver n’importe où et personne n’est vraiment complètement heureux n’importe où. Alors c’est simplement de se rappeler les raisons pour lesquelles tu as déménagé.

La famille d’Ana lui manque beaucoup, ce sont des relations irremplaçables. Elle rêve qu’un jour sa famille la rejoigne au Québec pour y vivre avec elle.

Ce serait comme si mes deux univers allaient fusionner.

En attendant que ce rêve se réalise, Ana retourne au Brésil une fois par année.

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Vue de la ville d’Amparo. Crédit : Ana Helena X.

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