9 Emilia X.

Alice-Ann Busque

Emilia X. n’avait d’autre choix que de fuir. C’est au Québec qu’elle est arrivée, sans le choisir. En contrepartie, elle s’y est bien intégrée et le Québec l’a bien adoptée!

Vie au Chili

Emilia est originaire de Santiago, la capitale du Chili. À l’époque, la jeune femme était coordonnatrice d’un projet universitaire de formation culturelle et politique implanté dans le quartier populaire de Barrancas. Tout en poursuivant ses études, Emilia X. était aussi impliquée dans sa communauté et n’hésitait pas à militer pour les causes qui lui tenaient à cœur, c’est-à-dire une société juste et équitable pour tous et toutes.

Il faut se rappeler que le Chili avait élu démocratiquement, en septembre 1970, une coalition de partis progressistes de gauche réunis sous la bannière de l’Unité populaire avec, à sa tête, Salvador Allende. Ce fut une période qu’elle qualifie de « porteuse d’espoir pour le Chili ».

Départ du Chili

Le 11 septembre 1973, le gouvernement socialiste du président Salvador Allende fut renversé par le commandant en chef de l’armée chilienne, Augusto Pinochet. Une dictature militaire s’installa, forçant plusieurs milliers de Chilien-ne-s à quitter le pays. Fuyant la torture et la mort qui attendaient les militant-e-s s’opposant au régime de Pinochet, madame X., son conjoint et sa fille quittèrent le Chili en laissant derrière eux tout ce qu’ils possédaient.

Arrivée au Québec

Madame X., qui avait 24 ans, arriva à Québec le 18 décembre 1974. La famille se retrouva dans un édifice de la Gare maritime transformé en dortoir pour les familles réfugiées. Son premier objectif était de quitter le plus rapidement cet endroit afin de trouver un logement près d’une école pour sa fille.

C’est donc dans le Québec des années 70, dans une «période extrêmement intéressante au niveau politique et social» qu’elle s’installa dans le quartier Limoilou. L’accueil fut chaleureux. À cette époque, nous raconte-t-elle, plusieurs Québécois-es suivaient la situation politique au Chili et connaissaient donc la réalité des réfugié-e-s politiques chilien-ne-s nouvellement arrivé-e-s. Voilà pourquoi le peuple québécois accueillait alors les nouveaux et nouvelles arrivant-e-s de façon aussi chaleureuse. « On ne parlait pas la même langue, mais on parlait le même langage politique », se souvient-elle, faisant référence aux politiques de centre gauche de plus en plus populaires auprès du gouvernement et des citoyen-ne-s québécois-es. Avec l’arrivée en grand nombre des réfugié-e-s politiques chilien-ne-s, le comité de solidarité Québec-Chili fut créé afin de leur venir en aide.

Intégration à la société québécoise

Après avoir déménagé dans le quartier Limoilou, où elle demeure encore aujourd’hui, elle commença des cours de français au Centre d’orientation et d’information pour les personnes immigrantes (COFI). Elle raconte que l’enseignante ne se contentait pas de leur enseigner une langue, mais qu’elle leur enseignait aussi plusieurs éléments de la culture québécoise. Elle leur faisait lire de la poésie, voir des pièces de théâtre et étudier l’histoire du Québec, tout cela, en français. C’est donc à travers ses cours de francisation que madame X. découvrit Gilles Vigneault et Gaston Miron, pour ne nommer qu’eux.

Elle ne se rappelle pas avoir eu de la difficulté avec le français. Animée par le besoin de raconter les réalités de son pays et dénoncer les atrocités qui s’y déroulaient, elle apprit rapidement le français, jusqu’à prendre la parole en public pour la première fois en 1976.

Après avoir été femme de chambre dans un hôtel, elle fut engagée comme éducatrice en garderie. Rapidement, elle s’impliqua comme militante syndicale. En effet, la garderie où elle travaillait devint la première garderie syndiquée au Québec. Elle participa aussi à la création du réseau des services de garde du Québec. Elle s’impliqua ensuite dans différents groupes et causes, comme le Bureau des prisonniers politiques du Chili, groupe qui organisa plusieurs activités et soirées d’information afin de dénoncer la situation au Chili.

Plus tard, elle s’impliqua dans différents groupes féministes, tels que Marie Géographie et la Fédération des femmes du Québec. Elle devint finalement la première femme immigrante élue comme vice-présidente du Conseil central de Québec Chaudière Appalaches de la CSN, responsable plus particulièrement de la formation, de la condition féminine et de la solidarité internationale. Emilia X. fut réélue, chaque trois ans, pendant 26 ans. Elle représenta le Conseil central dans les instances régionales de développement économique et social. Elle a été pendant sept ans au comité international de la Marche mondiale des femmes (MMF). Maintenant à la retraite, elle poursuit sa participation à la Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes, au Regroupement des groupes des femmes de la Capitale-Nationale, en plus de s’impliquer dans l’organisation de diverses activités et de conférences féministes.

Différences et recommandations

Des recommandations pour le Québec, elle en a plusieurs. Malgré le fait qu’elle ait vécu un accueil chaleureux et qu’elle se soit intégrée rapidement dans la société québécoise, la situation actuelle par rapport aux immigrant-e-s la laisse perplexe.

En 2017, alors que la commission Bouchard-Taylor battait son plein, elle obtint un droit de parole lors d’une séance de consultation de la commission. C’est après avoir entendu les interventions d’une partie des gens dans la salle qu’elle décida de laisser tomber l’intervention qu’elle avait préparée au départ. Aux « Faut qu’ils retournent chez eux, ils ne parlent même pas le français, ils ne connaissent même pas notre culture! » elle répondit : « Mon problème, c’est qu’il va manquer de place dans les avions parce qu’il va falloir que nous (les immigrants) on monte, mais aussi beaucoup de gens d’ici, des Québécois-es, parce que vous ne connaissez pas votre histoire, vous ne l’enseignez pas dans vos écoles ».

À son avis, le rapport de la commission contenait plusieurs recommandations intéressantes, mais les gouvernements successifs n’en ont adoptées que très peu. Selon elle, qui eut la chance de bien vivre son intégration dans la culture québécoise et de ne pas subir de racisme, la situation ne fait qu’empirer depuis les années de la commission. « Le manque de connaissance, l’ignorance et la manipulation de certains médias » enveniment la situation, selon elle. Elle admet que l’intégration était peut-être plus facile en tant que femme latino-américaine, considérant que son peuple partage avec les Québécois-es une langue latine et la même religion. De plus, la plupart des réfugié-e-s chilien-ne-s fuyaient leur pays à cause de leurs idées progressistes. Ils et elles arrivaient donc au Québec avec des idées politiques qui coïncidaient avec les idées dominantes de l’époque.

Aujourd’hui, nous sommes confronté-e-s à une nouvelle situation, loin des facilités qu’elle a connu en 1974. La situation de l’immigration est devenue un point chaud sur la planète et, par le fait même, au Canada et au Québec.

À nous de relever les nouveaux défis de l’immigration en tant que société, tout en favorisant nos valeurs de solidarité et d’égalité entre les hommes et les femmes.

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Barrio Pedro de Valdivia Norte. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/Santiago_de_Chile#/media/File:Barrio_Pedro_de_Valdivia_Norte.JPG

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