27 Samir Jhosua X.

Katherine Thibodeau-Durand

Samir Jhosua X. est originaire de la ville de Barranquilla, en Colombie. Il est né en 1993 et est arrivé au Québec en 2001. Aujourd’hui âgé de 23 ans, il étudie à l’Université Laval en droit. Son immigration fut parsemée d’embûches, ce qui rend son histoire particulièrement touchante et inspirante.

Un départ bousculé… et bousculant!

Samir avait sept ans lorsque ses parents, ses deux sœurs et lui furent forcé-e-s de quitter leur pays natal, la Colombie.

Quand nous avons quitté la Colombie pour aller vivre au Canada, j’étais un peu trop jeune pour en comprendre les raisons. Ce n’est que plus tard que mes parents nous ont raconté les événements afin que nous comprenions les raisons de notre immigration forcée.

Ses deux parents étaient avocats. Témoin d’une scène traumatisante, ils durent quitter la ville pour assurer leur protection. Les autorités colombiennes avaient promis à son père qu’ils les aideraient à obtenir les papiers nécessaires pour déménager. Le processus pour mettre les choses en ordre et donner le temps à son père de fournir son témoignage a duré environ un an. Pendant cette année, ils ont dû quitter leur ville d’origine, Barranquilla, pour aller vivre à Bogotá. Ni Samir ni ses sœurs n’allaient à l’école, car ils ne pouvaient pas sortir seuls de leur maison temporaire. Des professeurs venaient leur enseigner à la maison. Tout ce qu’ils faisaient, ils devaient le faire en étant accompagnés d’au moins deux gardes du corps.

Durant cette année, à Bogotá, je me rappelle que mon père et moi aimions aller courir ou jouer au basketball tôt le matin. Mon père, qui avait vécu toute sa vie dans une ville où il fait 30°C à longueur d’année, trouvait un peu frisquets les 10°C de Bogotá. Pour cette raison, il portait une sorte de cagoule pour se couvrir du froid. Un jour, un autre homme qui jouait au basketball le matin avec la même tuque que mon père s’est fait tirer, ce qui m’a effrayé… Après cet incident, nous avons bien sûr encore changé de demeure, mais la sécurité a été renforcée. Par exemple, il y avait deux hommes à côté de notre porte, 24 heures sur 24. Le Noël que nous avons passé là-bas était le premier sans le reste de notre grande famille. Ce n’est qu’en juillet que nous avons eu les papiers pour pouvoir entrer au Canada.

Finalement, les autorités décidèrent qu’il serait plus souhaitable pour toute la famille de Samir de quitter le pays pour s’installer loin de la Colombie. Les autorités voyaient cela comme un privilège pour toute la famille puisque leur avenir en Colombie n’était guère prometteur à l’époque.

Une arrivée tout en douceur

Le premier choix de ses parents était d’aller aux États-Unis, mais les exigences étaient beaucoup plus élevées et la paperasse aussi. Si immigrer aux États-Unis s’avérait complexe, sortir du pays devenait une urgence. Ils se sont donc rapidement tournés vers le Québec, leur deuxième choix. À leur arrivée, aucun des cinq membres de la famille ne parlait français. Grâce aux cours de francisation offerts à l’école, Samir et ses deux sœurs réussirent à parler la langue après seulement six mois. Toutefois, Samir relate que, même si sa mère peut aujourd’hui rédiger un texte de mille mots sans aucune faute de français, elle conservera toujours son accent espagnol puisqu’elle a appris le français très tard dans sa vie. « C’est ce qui fait tout son charme! », affirme Samir avec tendresse.

Un organisme fut d’une très grande aide pour eux, Le Mieux-Être des immigrants, qui leur permit de se trouver un logement, de s’inscrire à l’école et de trouver du boulot à ses parents.

J’étais tout petit, je n’avais que huit ans… Pour moi, ce n’était rien de grave : j’étais avec mes parents et mes sœurs, c’est tout ce qui comptait. J’étais un peu triste de perdre mes ami-e-s de Colombie, mais à mes yeux, à cet âge, c’était environ comme changer d’école…

Un quotidien semblable au nôtre

Aujourd’hui, la vie de Samir ne diffère guère de celle d’un-e Québécois-e d’origine : il a travaillé quatre ans dans un McDonald’s. C’est d’ailleurs dans ce cadre de travail que nous nous sommes rencontrés et qu’est née une solide amitié. Les années ont passé et il fut engagé au Apple Store, où il travaille encore aujourd’hui. Il affirme se plaire beaucoup dans ce nouvel emploi. Du côté de ses relations sociales, ses ami-e-s sont principalement des Québécois-es, mais son meilleur ami est un Colombien qu’il a rencontré au primaire, lors de son arrivée dans la province. ¡Las fiestas con ellos son las mejoras! (traduction libre : les partys avec eux sont les meilleurs!), s’exclame Samir avec un rire sincère. À l’heure actuelle, il termine son baccalauréat en droit à l’Université Laval. Il est retourné quelques fois en Colombie dans les dix dernières années, principalement pour assister à des mariages dans sa famille.

Son point de vue sur le Québec

Dans ma tête, je suis plus Québécois que Colombien. Je suis arrivé si jeune, alors ce sont vos valeurs, vos principes qui m’ont forgé, au fond. Je comprends et partage donc toutes les valeurs des Québécois-es.

Selon Samir, les habitant-e-s de Québec perçoivent l’Amérique latine d’une manière plutôt positive. À ses yeux, c’est l’ethnie la moins méprisée dans la province. Par exemple, les Syrien-ne-s seront davantage discriminé-e-s, craint-e-s par les baby-boomers, en raison d’actes scandaleux et médiatisés commis par certain-e-s. Samir affirme n’avoir jamais été victime de racisme ou de discrimination directe, ni à l’école ni au travail, que ce soit en rapport avec son accent, son ethnie ou sa couleur de peau.

Toutefois, une sorte de discrimination qu’il perçoit est celle des employeur-e-s : lorsqu’il va porter un curriculum vitae, il lui est arrivé à l’occasion de voir sa candidature déchirée dans les secondes qui suivent, lorsque l’employeur-e voit son nom et son visage. « Je ne m’en fais pas trop avec ça… De toute façon, s’il est raciste, je n’aurais certainement pas voulu travailler avec cette personne », affirme Samir de manière détachée. Aussi, les blagues les plus récurrentes concernant son pays d’origine sont certainement celles sur la drogue.

Les gens pensent qu’on ne fait que ça, là-bas : de la bonne cocaïne. Les mêmes blagues reviennent sans cesse, mais bon, ça les fait rire, alors je ris avec eux. Il y a un fond de vérité, tout de même, ça ne me dérange pas.

Selon Samir, le Québec est l’endroit « number one » pour immigrer.

Vous avez tellement de ressources, d’organismes et d’aide communautaire; c’est comme si chaque problème possible avait un programme spécialement conçu pour y remédier!

À ses yeux, Québec est une ville bien organisée, les rues sont propres, la région est tranquille et sécuritaire; il n’y a donc aucune préoccupation à avoir.

Ici, tu peux sortir te balader à 3 heures du matin avec ton iPod dans les mains, pour prendre l’air et profiter du calme de la ville. En Colombie, c’est impensable : trois personnes vont tenter de te piller ou te tuer avant même que tu ne sois sorti de ta rue.

Selon lui, Québec fait beaucoup d’efforts pour s’ouvrir au monde entier et cet effort est palpable; les gens sont compréhensifs envers autrui et cette empathie se transforme en générosité envers ceux et celles dans le besoin. Aussi, Samir met l’accent sur le filet social très développé du Québec. Par exemple, l’assurance maladie dépasse largement ce que les Colombien-ne-s ne pourraient même espérer. Par exemple, à sa naissance, Samir fut atteint d’une myopie très élevée qui l’a presque rendu aveugle. Grâce à nos soins de santé, il a pu obtenir l’opération qui lui redonna 50 % de sa vision. L’autre 50 % fut corrigé grâce à des lentilles professionnelles. Aujourd’hui, avec ses lunettes, Samir a une vision qui se rapproche de la norme, ce qu’il n’aurait jamais pu espérer en Colombie.

Au final, Samir adore sa vie au Québec. Il affirme qu’il ne retournerait pas en arrière pour changer les événements.

Je ne suis pas le même homme que si j’étais resté en Colombie, mais je crois que ce n’est que pour le mieux. Je suis reconnaissant de la tournure de mon parcours.

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