3 Vanessa X.
Karine Brouillette
Vanessa X., née dans la ville montagneuse de La Paz en Bolivie, vit au Québec depuis 49 ans avec son époux. Elle est une mère comblée de trois enfants et la grand-mère choyée de cinq petits-enfants.
Avant de venir au Québec
Elle vécut une enfance heureuse en Bolivie auprès de sa famille. Elle venait de faire ses études en travail social et elle avait travaillé chez les Pères Oblats canadiens qui avaient une agence de services sociaux dans sa paroisse. Son futur époux était missionnaire avec les prêtres et c’est là qu’ils se connurent. Son époux est originaire de Québec et souhaitait revenir au pays pour se marier. Au moment de quitter la Bolivie, elle parlait très peu le français.
L’arrivée à Québec
Le premier mois après son arrivée, elle fut émerveillée par la neige. Elle voulait même sortir durant les tempêtes. Elle reçut un accueil chaleureux de la famille de son fiancé ainsi que des amitiés que le couple avait nouées grâce aux Oblats. Ils se marièrent peu de temps après leur arrivée. Au départ, la difficulté majeure était la langue, car elle ne parlait pas français. La deuxième année, elle eut son premier enfant. Lorsqu’elle était enceinte, elle reçut l’agréable visite d’un voisin latino-américain qui lui offrit une poussette. Par la suite, ils déménagèrent à Rimouski pour le travail de son mari. Là-bas, elle suivit un cours de français. C’est avec ce cours ainsi qu’en lisant beaucoup et en interagissant avec la famille de son mari qu’elle apprit le français. Dès qu’ils arrivèrent à Rimouski, elle alla à la paroisse et s’inscrivit à l’Association Féminine d’Éducation et d’action Sociale (AFEAS). Elle milita pour cette organisation pendant 12 ans. En plus de tisser des liens avec des femmes du voisinage, elle rencontra un prêtre qui donnait des cours à l’Université de Rimouski. Il leur proposa d’assister au cours de préparation au mariage gratuitement. En contrepartie, Vanessa et son mari l’aidèrent à préparer ses cours. Ils restèrent cinq ans à Rimouski, puis déménagèrent à Chicoutimi et y restèrent trois ans. Elle enseigna au collégial en travail social. Le couple était amené à déménager souvent pour le travail de son mari. Finalement, le couple s’établit à Québec où Vanessa, avec d’autres femmes, fonda le Centre des femmes de l’Amérique latine de Québec. Le centre, qui a plus de 37 ans d’existence aujourd’hui, accueille les femmes d’Amérique latine et de Québec dans le but de mieux les intégrer et de maintenir leur culture. Il permet aussi de rire et de pleurer en espagnol. Elle fit également un retour à l’école en complétant une maîtrise en travail social à l’Université Laval.
Choc culturel
Un des premiers chocs culturels qu’elle vécut concerna la nourriture. Peu de temps après son arrivée, elle remarqua bien vite qu’il n’y avait pas de riz (excepté du riz précuit) dans les épiceries. À l’époque, elle parla immédiatement au gérant de l’épicerie, car elle ne comprenait pas où était le riz. Elle et son mari allaient fréquemment à Montréal afin de se procurer des denrées de l’Amérique latine, car il y avait une plus grande diversité de produits alimentaires à Montréal qu’à Québec. Les fruits de son pays lui manquaient beaucoup. En effet, à cette époque, peu de fruits exotiques y étaient exportés.
Le deuxième choc fut le regard de la société québécoise sur l’allaitement. Au moment où elle eut sa première fille, l’allaitement avait perdu en popularité. Les infirmières voulaient qu’elle donne le biberon à son bébé, mais comme elle ne parlait pas bien français et ne comprenait pas pour quelles raisons des gens voudraient l’empêcher d’allaiter, elle était persuadée qu’elle allait mourir et que son lait était nocif pour le bébé. Finalement, son mari intervint et lui expliqua la situation. Ils insistèrent pour qu’elle puisse allaiter son bébé. Dans le même ordre d’idée, un jour qu’elle rendait visite aux tantes de son mari et qu’elle s’apprêtait à allaiter, comme elle l’aurait fait dans son pays, les tantes l’ont isolée dans une chambre parce que c’était mal vu d’allaiter en public. En ce qui concerne les valeurs familiales, dans son pays, les familles « élargies » sont extrêmement liées, contrairement au Québec.
Discrimination
Avant son arrivée, elle n’était pas inquiète en ce qui a trait à la discrimination. Une fois au Québec, elle ne sentit pas que les autres la rejetaient. Quand elle travaillait, personne ne la voyait comme une immigrante, mais plus comme une professionnelle à part entière. Elle pense toutefois que le niveau de scolarité peut avoir un impact sur la vision des gens. À une occasion, alors qu’elle habitait à Chicoutimi, elle vécut de la discrimination. Vanessa avait postulé pour un poste de remplacement pour lequel elle était parfaitement compétente, mais l’emploi fut offert à une Québécoise. Comme justification, l’employeur lui dit qu’il ne l’avait pas prise, car une Québécoise postulait et que, selon toute logique, le poste lui revenait prioritairement. Outre cet événement, elle trouve que les gens furent plutôt accueillants et gentils. Par contre, elle trouve déplorable que les seules fois où les immigrant-e-s sont visibles à la télévision ce soit en mal. Les médias montrent les révolutions, la guerre qui sévit, la drogue et la pauvreté, mais on ne parle jamais des universités, des prix Nobel qu’ils et elles remportent, etc.
Recommandations aux personnes qui arrivent au Québec
Elle propose aux femmes des pays concernés de venir au Centre des femmes d’Amérique latine. Il s’agit d’un bon endroit pour se faire des amies et connaître des gens qui sont déjà établis au Québec.
Il y a des éléments positifs et négatifs dans les deux pays, mais la clé est de prendre les bonnes valeurs du Québec et d’importer les bonnes valeurs de son pays.
Elle veut que les gens prennent la peine de profiter du Québec plutôt que de seulement s’ennuyer de leur pays. Selon elle, il faut s’estimer chanceux et chanceuse d’être au Québec.
C’est le paradis. Il n’y a pas de révolution, pas de tsunami, tu peux sortir dehors le soir en sécurité, il y a très peu de violence, contrairement à bien d’autres pays.
Vie actuelle à Québec
De toute cette expérience, elle affirme que la chose la plus difficile fut de quitter sa famille. Pourtant, elle ne regrette rien. Elle est toujours en contact avec sa famille et ses ami-e-s d’enfance. Chaque été, ils et elles se retrouvent, que ce soit au Québec ou en Bolivie. Elle s’est, de plus, construit un cercle d’ami-e-s fidèles au Québec. Elle fait aujourd’hui du bénévolat à la radio tous les samedis matin. La musique a une grande importance pour elle. Malgré son âge avancé, elle adore danser avec ses ami-e-s, particulièrement pour fêter la nouvelle année.
Vanessa a passé plus de temps au Québec qu’en Bolivie. Même si elle adore le Québec, elle n’oublie pas ses origines et souhaite faire connaître la culture latino à travers le Centre des femmes d’Amérique latine afin que les Québécois-es réalisent tous les bons côtés de cette culture.