51 Stefano X.

Marc-Antoine Robichaud

Stefano X. est un jeune homme de 24 ans que j’ai le plaisir de connaître depuis maintenant cinq ans. Ce dernier fait partie de mon cercle d’ami-e-s proches et nous avons tous deux complété le même diplôme d’études collégiales au Cégep Garneau. Désormais, Stefano poursuit des études supérieures à l’Université Laval. Stefano s’avère une personne qui, malgré son âge, a déjà beaucoup de vécu. Jeune, il a dû quitter son pays d’origine, le Pérou, pour faire de Québec sa ville d’adoption.

Un long parcours : de Lima à Québec

Stefano naquit le 9 juin 1993 à Lima, la capitale du Pérou. Son épopée commença réellement lorsqu’il eut neuf ans. À cette époque, la famille Valle Casay disposait de tout ce dont une famille peut rêver : elle avait une grande maison de trois étages, une femme de ménage, un cuisinier personnel, un chauffeur privé, de belles voitures, etc. Elle faisait partie de la minorité riche du Pérou. Malheureusement, sa mère jugea en 2002 que le temps était venu pour elle et son fils Stefano de quitter le Pérou. Cette décision fut, sans contredit, déchirante puisque Stefano se trouva séparé du reste de sa famille, loin de son père, de sa sœur, de son frère, des autres membres de sa famille immédiate ainsi que de ses ami-e-s. C’est seulement en 2007 que Stefano retourna pour une première fois au Pérou. Ce fut l’unique fois qu’il revit son père, puisque ce dernier décéda en juillet 2016, soit quelques mois avant le second voyage de Stefano au Pérou.

Plusieurs facteurs motivèrent la décision de sa mère de partir du Pérou. Avant tout, le régime présidentiel en place semait la terreur. Le président était corrompu et se lavait les mains des actions déplorables des forces policières et militaires. Corruption et rébellion : le pays était devenu victime de nombreux actes terroristes ainsi que de plusieurs attaques sur les civil-e-s. La population vivait avec un sentiment de peur et le Pérou était en chute économique, politique et sociale. Elle ne faisait vraiment que travailler pour survivre. D’ailleurs, la famille X. était visée à l’époque puisqu’elle disposait de beaucoup d’argent. Des terroristes n’auraient pas hésité à les kidnapper et à demander une rançon pour financer leurs activités. Elle était donc en danger. De plus, la relation entre ses parents se dégradait : ils ont divorcé peu de temps avant le départ de Stefano et de sa mère. Sa mère voulait le mieux pour son plus jeune fils. Elle voulait qu’il ait accès à une bonne éducation, à un emploi gratifiant et à un mode de vie sain, dans un pays où l’économie et la sécurité est grandissante. L’avenir de Stefano n’était donc plus au Pérou.

Stefano commença son périple en avion avec sa mère avec seulement un seul bagage pour deux personnes, en direction de Burlington, aux États-Unis. À leur arrivée aux États-Unis, ils prirent place dans un autobus qui les a menés jusqu’aux frontières canadiennes, où ils durent attendre quelques jours avant de recevoir la validation de leur demande. Sa mère avait déjà complété tous les documents requis avant leur arrivée. Cette étape du périple s’avéra tout un choc pour Stefano. À un si jeune âge, il n’était pas en mesure de saisir ce qui se passait vraiment. Après leur passage aux frontières canadiennes, ils furent dirigés directement au YMCA de Montréal. Stefano et sa mère vécurent deux semaines à Montréal et souhaitèrent rapidement s’établir ailleurs puisque le coût de la vie y était trop cher et qu’ils ne connaissaient personne. Heureusement, une amie de sa mère résidait à Québec depuis déjà quelques années et les y accueillit à leur arrivée en août 2002. Cette amie leur montra comment agir et comment évoluer dans la société québécoise.

Une intégration difficile

Leur langue première était bien sûr l’espagnol, mais sa mère maîtrisait aussi l’anglais. Par contre, Stefano comprenait très peu de choses à cause de la barrière de langue. Tous deux avaient de la difficulté à communiquer. Les premiers mois furent particulièrement difficiles; ils devaient parfois utiliser le langage des signes pour être compris. Ils durent rapidement apprendre la langue française en s’inscrivant à des cours de francisation. Dès son arrivée à l’école, Stefano fut rapidement encadré par l’établissement pour l’aider dans son apprentissage du français, en particulier pour les mots et les chiffres. Les coutumes, les valeurs et l’habillement étaient aussi aux antipodes du Pérou. Ils durent s’habituer, abandonner ce qu’ils connaissaient et s’imprégner de ce qui caractérise le Québec. La socialisation était aussi difficile puisqu’ils ne savaient pas comment interagir avec les gens. Heureusement, ils bénéficièrent de l’aide précieuse d’une église de Québec qui les aida à se trouver un appartement, des meubles, etc.

En quittant le Pérou pour venir se réfugier au Québec, ils avaient tous deux perdu beaucoup et devaient faire des choses auxquelles ils n’étaient pas accoutumés. Sa mère allait devoir désormais accomplir des tâches qu’elle n’avait pas à faire au Pérou, telles la cuisine et le ménage. Non seulement leur style de vie avait drastiquement changé, mais ils devaient recommencer à zéro et se donner corps et âme dans toutes les sphères de leur vie. La dure réalité frappa sa mère lorsqu’elle apprit que son diplôme d’études du Pérou n’était pas reconnu au Québec. La jeune mère immigrante et réfugiée, désormais monoparentale, devait donc effectuer un retour aux études pour espérer occuper un poste qui lui permettrait d’avoir un salaire décent leur permettant de vivre en toute quiétude.

Des différences culturelles frappantes

Ils furent grandement choqués à leur arrivée par le faible niveau de croyance religieuse au Québec. Au Pérou, dans leur culture, il était pratique courante d’aller à l’église chaque dimanche. Lorsqu’ils se présentèrent pour une première fois à l’église, ils furent estomaqués de la voir presque vide. Ils comprirent rapidement que la population québécoise pratiquait peu la religion et qu’elle était moins croyante que les membres de leur communauté. De plus, une autre différence frappante fut bien sûr le système politique, eux qui avaient vécu sous un régime présidentiel corrompu. Dans un autre ordre d’idées, les coutumes alimentaires étaient aussi différentes. Au Pérou, ce n’était pas des épiceries, mais plutôt de grands marchés publics où les agriculteurs,  agricultrices, les cultivateurs, cultivatrices et les producteurs, productrices de biens alimentaires se rassemblaient. Les produits disponibles n’étaient pas les mêmes. Ils durent adapter leur alimentation en fonction des aliments disponibles à Québec. Le choc de température fut aussi très important. Au Pérou, il fait très chaud et le pays se situe tout près de la ligne équatoriale. Tandis qu’au Québec, les températures sont rapidement changeantes et en fonction de quatre saisons bien distinctes.

Que dire aux immigrant-e-s et à la population québécoise?

Je leur dirais qu’il ne faut pas hésiter à contacter les ressources qui sont mises à leur disposition. En arrivant au Québec, à la recherche d’un meilleur endroit pour vivre, ils recommencent à zéro. Les centres d’accueil sont là pour les aider, pour leur donner une chance de survivre dans l’inconnu. Ils doivent être prêts à changer du tout au tout.

Les immigrant-e-s ne sont pas là pour vous voler ou pour vous manquer de respect. Ils ne changeront pas vos habitudes ni vos coutumes. Au contraire, ils ont besoin de vous. Aidezles! Ils vont être reconnaissants envers vous. Ils vont vouloir apprendre vos coutumes, vos valeurs, vos pratiques alimentaires, etc. Il ne faut pas voir les immigrants comme des ennemis, mais bien les accueillir comme des amis. Ils ont besoin d’un refuge et de se sentir accueillis.

Davantage Québécois que Péruvien

Désormais âgé de 24 ans, Stefano peut repenser à son histoire et se dire que ce fut la bonne décision. Il approuve la décision que sa mère a prise. Bien qu’à l’époque il était déçu, il est en mesure de comprendre que son avenir n’était pas au Pérou. Sa mère et lui trouvèrent au Québec ce qu’ils recherchaient. Stefano termine des études supérieures, il a un emploi dans son domaine, il a son propre logement, sa propre voiture, une amoureuse et il a une meilleure qualité de vie en général. Résultat : il se considère aujourd’hui davantage comme un Québécois qu’un Péruvien.

Le Pérou est derrière moi. Ce n’est plus mon chez-moi. J’appartiens davantage au Québec qu’au Pérou.

Plaza de armas. Source : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d4/Lima%2C_Peru_-_Plaza_de_Armas_06.jpg

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