22 Raynell X.

Camille Boudreau

Voyager porte un coup de grâce au préjugé, au fanatisme et à l’étroitesse de l’esprit  − Mark Twain

Le fait que je sois présentement en train de vous parler dans une autre langue que la mienne est extraordinaire. Je trouve cela si enrichissant.

De Barranquilla à Bogotá

Originaire du nord de la Colombie, où il fait beau et chaud, Raynell a fait ses études en génie informatique dans la ville de Barranquilla, une cité moderne et prospère. Avec sa conjointe, il prit un jour la décision d’emménager dans la ville de Bogotá, la capitale du pays, pour chercher une opportunité de travail. Pour lui, c’était le moment idéal, car ils étaient tous deux jeunes, ambitieux et n’avaient pas d’engagement qui les retenait à Barranquilla. Ils souhaitaient ainsi tenter leur chance et faire le grand saut dans le monde professionnel.

Arrivé à Bogotá, Raynell qualifia cette nouvelle aventure comme étant de l’immigration à petite échelle puisque les différentes régions de la Colombie présentent des différences culturelles et géographiques majeures. Il expliqua aussi que les conditions de travail étaient plutôt difficiles à Bogotá et que les horaires de travail étaient énormes. Dans la capitale, il était normal de travailler jusqu’à tard dans la soirée.

Travaillant en consultation, Raynell se construisit alors un bon portfolio professionnel en informatique. Durant sa première année de travail, il eut l’opportunité de voyager dans plusieurs villes en plus d’acquérir un bon réseau de contacts. Or, tout ce succès dans son domaine de travail l’amenait à avoir de moins en moins de temps à consacrer à sa douce moitié. Les choses devaient changer…

La décision

Dans le passé, alors qu’il était à l’université, Raynell avait d’abord l’idée de poursuivre ses études en Allemagne, mais son cœur en avait décidé autrement : il tomba amoureux. Le projet allemand fut mis de côté. Toutefois, sa femme avait elle aussi l’idée de tenter l’aventure dans un autre pays, dans une langue différente, pour faire sa spécialisation en médecine.

Un jour, Raynell entendit parler de conférences données à Bogotá sur le Québec. Plusieurs journaux locaux en faisaient aussi la promotion, ce qui piqua la curiosité de Raynell. Il en parla à sa femme et tous deux se firent tranquillement à l’idée de partir pour le Québec.

J’avais la perception que les Québécois-es étaient très ouvert-e-s à recevoir des immigrant-e-s. Je tenais à ce que nous allions où nous étions les bienvenus.

Raynell inscrivit alors sa conjointe et lui-même dans le programme d’immigrant-e-s économiques, dans lequel les demandeurs et demandeuses sont sélectionné-e-s en fonction de leur capacité à subvenir à leurs besoins grâce à leur profession. Le couple fut accepté. Raynell avait déjà commencé à apprendre le français et le fait qu’ils étaient un couple marié pesait beaucoup dans la balance. Toutes les chances étaient de leur côté.

Malgré leur acceptation dans le programme, cela leur prit deux ans pour prendre leur décision. Après tout, ils étaient très bien à Bogotà, ils avaient tous deux des emplois, Raynell était apprécié par son patron et ses collègues. Cependant, un événement fit changer les choses. Un jour, Raynell faillit se faire voler lorsqu’il marchait dans la rue et ce moment l’amena à réfléchir à son avenir et à celui qu’il désirait pour ses enfants. Bien sûr, il cherchait la quiétude et la sécurité. Il ne voulait pas d’un environnement où sa famille vivrait constamment dans la peur.

Je me suis dit : non, on s’en va.

Pourquoi la ville de Québec?

Raynell cherchait, en quelque sorte, à être dépaysé. Pour le jeune couple, s’établir dans la ville de Montréal était l’option facile : ils y connaissaient déjà des gens, on y parle anglais. C’est en réfléchissant plus profondément que Raynell s’est rendu compte qu’il y avait plus d’opportunités à Québec.

Ici [à Québec], on ne connaissait personne, c’était en quelque sorte excitant. J’ai tendance à chercher les risques! Et puis, si je n’avais pas bénéficié d’une immersion totale, je n’aurais jamais réussi à parler français.

L’arrivée

Raynell et sa conjointe sont arrivés à Québec le 3 avril 2011.

Nous sommes arrivés avec notre français moyen, mais au moins, on se complétait : ma femme avait une très bonne oreille, elle comprenait bien, et moi je parlais mieux.

Ils ont d’abord séjourné à l’hôtel, mais cela devenait de plus en plus coûteux. Le couple s’est alors mis à la recherche d’un logement, mais c’était plutôt difficile puisque aucun des deux n’avait un historique de crédit au Québec. Ils devinrent finalement locataires d’un humble 3 ½ à Limoilou.

C’était un choc pour Raynell, car le couple bénéficiait d’un certain confort en Colombie. C’était un peu comme repartir à zéro. Tous deux devaient d’abord faire des cours de francisation et ce ne fut pas toujours facile pour Raynell.

Quelques mois après son arrivée, Raynell se fit embaucher chez Syntell, une entreprise informatique se spécialisant en intelligence d’affaires. Spécialisé avec un certain logiciel, il s’attendait à trouver plus rapidement un travail; or, seulement trois entreprises de Québec utilisaient ce logiciel. Syntell n’était pas une de ces trois entreprises.

J’ai eu de la chance. Syntell m’a embauché avec les connaissances et les compétences que j’avais, et c’est très précieux, j’en suis reconnaissant. Ça m’a donné l’opportunité de travailler avec d’autres types d’outils informatiques.

Pendant que Raynell travaillait, sa femme étudiait. Raynell appuya sa conjointe tout au long du processus d’adaptation et aussi lorsqu’elle étudiait jour et nuit pour les examens de médecine afin d’obtenir ses équivalences. Elle devait absolument passer ces examens si elle voulait travailler dans un hôpital de Québec.

Je lui disais souvent : concentre-toi sur tes études, je vais m’occuper du reste.

Et maintenant?

Ils ont un petit garçon qu’ils chérissent énormément. Raynell travaille désormais dans une entreprise de la Rive-Sud. Sa femme fait sa résidence en médecine.

Raynell apprécie le Québec et il est très reconnaissant de tout ce que cette expérience a pu lui apporter; ça se voit dans ses yeux et son sourire. Selon lui, malgré quelques groupes extrémistes, on retrouve peu de racisme au Québec.

Même en Colombie, il y avait du racisme.

Raynell apprécie également la chaleur des Québécois-es et trouve que celles et ceux-ci savent bien faire l’équilibre entre le travail et leur vie personnelle.

Il ne trouve pas non plus que les Québécois-es ont une mauvaise perception de l’Amérique latine. Il concède que certain-e-s associent l’Amérique latine aux vacances, mais il trouve cela plutôt drôle.

Il ne faut pas le prendre trop personnel. Certain-e-s associent la Colombie au narcotrafic, mais on voit cela de moins en moins. Les gens ne font pas ça pour être méchants.

Son message pour ceux et celles qui veulent s’établir au Québec

Il ne faut pas trop attendre avant de prendre sa décision, sinon les difficultés pour trouver un travail et épargner pour sa retraite seront plus grandes. Il faut aussi bien établir ses objectifs d’immigration, il faut que ça soit clair. Il faut aussi être conscient des sacrifices qu’il faut faire. Que cherches-tu? Un endroit plus sécuritaire, un endroit pour tes enfants, un endroit pour gagner de l’argent? Si la volonté est présente, tu peux faire tout ce que tu veux.

Son message pour les Québécois-es qui craignent l’immigration

Les inquiétudes proviennent de la peur de l’inconnu. L’immigration apporte de la richesse à la société et les valeurs provenant d’autrui apportent de la diversité. La différence enrichie. Au fond, nous sommes tous et toutes les mêmes, nous avons tous les mêmes bonheurs et les mêmes peurs. Nous avons plus de choses qui nous rapprochent entre êtres humains que de choses qui nous éloignent. Aussi, il ne faut pas généraliser. Oui, nous avons tous une tendance à vouloir tout simplifier, mais il faut lutter contre ça.

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