18 Pedro Nel X.
Maeva Hiron
La vie n’est pas ce que l’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient – Gabriel Garcia Marquez
Pedro Nel grandit à Bogotá, la capitale de la Colombie, grande métropole d’Amérique latine marquée par le tourisme, le modernisme et le climat fort en tensions sociales. Pedro Nel, aujourd’hui agé de 46 ans, décida, il y a 16 ans, de quitter cette vie pour le grand froid québécois.
Une enfance en Colombie
Mon enfance à Bogotá, c’était le fun, j’ai beaucoup aimé, j’ai encore des amis que j’ai depuis que j’ai dix ans, on ne se voit pas souvent, mais on s’écrit beaucoup.
Pedro Nel garde un souvenir d’une enfance joyeuse, remplie d’amour et d’amitié. Avec sa famille, il déménageait beaucoup, ils partaient dans une ville, puis revenaient à Bogotá. Il adorait partir en vacances, c’était toujours au même endroit, au sud de la Colombie, à Neiva, d’où est originaire sa mère.
C’est en grandissant qu’on change, que l’implication politique prend un autre sens, tout change. Puis, arrivé à 30 ans, j’ai dû quitter la Colombie, j’y étais obligé, je ne voulais pas, partir en exil, c’est mourir. Tu laisses tout, tu abandonnes tes amis, tes souvenirs, ta famille, ton projet de vie.
L’arrivée à Québec
Le Canada n’était pas son choix de prédilection. Il demanda l’asile politique en Suisse, en Espagne et, enfin, au Canada. C’est ce pays qui accepta en premier sa demande, après environ trois mois, ce qui était plutôt rapide selon lui. Il n’a pas choisi d’habiter au Québec; les services d’immigration l’affectèrent directement au Québec pour répondre à des normes de quotas par province. Heureusement, il avait des ami-e-s qui habitaient dans la région de Québec.
Pedro Nel atterrit pendant une tempête de neige. Il faisait froid et, pour lui, c’était un spectacle incroyable. Il quittait Bogotá sous le soleil et de douces températures de début d’été pour affronter l’inconnu et le fameux froid canadien.
À ce moment, j’ai eu l’impression qu’on me coupait le souffle.
Il est difficile de se faire à l’idée qu’on vient de quitter son pays et qu’on arrive dans un nouveau pays dont on ne connaît ni la langue ni la culture. Cela faisait beaucoup de nouveautés pour Pedro Nel : une nouvelle vie, un nouveau climat, un recommencement à zéro. Sa première nuit, Pedro Nel s’en souvient encore.
J’ai dormi à l’aéroport Dorval, à Montréal. Je n’ai pas vraiment dormi, j’ai pensé et réfléchi à ce que j’allais faire.
À son arrivée à Québec, Pedro Nel multiplia les petits boulots, tantôt en faisant la plonge dans des restaurants, tantôt en ramassant des patates et des pommes, tantôt comme professeur de danse latine à l’Université Laval; Pedro Nel appelle ça des métiers pour survivre.
Le choix de partir
En partant de Colombie, je suis mort. En arrivant au Québec, je suis né.
Pedro Nel partit de la Colombie avec un bagage important, mais en laissa une partie entre les deux frontières pour pouvoir revivre et tout recommencer.
Je ne tiens pas ce boulet qu’est le conflit colombien, je regarde vers l’avenir, qu’est-ce que je peux faire pour construire la nouvelle Colombie.
Pedro Nel reste très attaché à son pays d’origine. Il en garde ses plus beaux souvenirs, ses plus grandes joies, mais aussi les pires.
Passionné de politique, il s’impliqua très vite dans le parti de gauche, celui de l’opposition du gouvernement. Pedro Nel, suivi deux ans plus tard par ses parents, s’exila au Canada après que ses frères aient été assassinés. Partir, Pedro Nel n’en avait pas envie. Il avait 30 ans. Il avait construit sa vie, mais il dut partir puisque c’était une question de vie ou de mort.
Bien que Pedro retourne parfois en Colombie, il ne souhaite pas y vivre de nouveau. Pour le moment, il veut rester avec sa famille.
Son parcours universitaire : une implication politique
Lorsqu’il arriva à Québec, Pedro Nel s’orienta vers une maîtrise en communication à l’Université Laval, en travaillant en parallèle. Il dut apprendre assez rapidement la langue française et se familiariser avec la culture québécoise. Pour lui, l’apprentissage de la langue française était le premier pas vers l’intégration dans sa nouvelle société.
Très vite, il a repris son implication politique à Québec. Il s’est impliqué au sein de plusieurs associations latino-américaines. Il est aussi devenu bénévole dans l’association des fêtes de la Nouvelle-France, ce qui lui a permis de connaître les origines de la culture québécoise et a contribué à son intégration. Sa maîtrise lui a ouvert des portes, il a continué son parcours politique en devenant le directeur général de l’organisme Projets Bourlamaque qui vient en aide aux personnes démunies de la Haute-Ville de Québec. Aussi, dans le cadre de l’organisme Forum International des Victimes Colombiennes, il donne des ateliers dans plusieurs pays sur le rôle du théâtre et du cinéma dans la construction de la mémoire collective après le conflit.
Pour Pedro Nel, s’impliquer dans la politique du Québec est une façon de continuer le projet de vie qu’il envisageait en Colombie : « la politique, c’est ma passion ». C’est une façon pour lui de garder un lien avec sa vie d’avant.
Une histoire culturelle à transmettre
À son arrivée au Québec, il n’y avait pas beaucoup d’immigré-e-s colombien-ne-s. Il y avait principalement une communauté française et des immigré-e-s kosovar-e-s et bosniaques. Il dut faire face à des préjugés.
Tu viens d’où? De Colombie… Ah, la coca!
Au début, ça énervait Pedro Nel de voir son pays toujours associé à Pablo Escobar et à la drogue. Puis, il décida de laisser tomber. Il n’était pas là pour se fâcher, mais pour vivre. Il se résolut à ignorer tous ces préjugés. Il ne voulait plus que les conflits de son pays, que la drogue ou même que l’affaire Ingrid Betancourt le définissent. Pour Pedro, il y a des héros et des héroïnes, en Colombie, qui luttent tous les jours et c’est l’image qu’il veut renvoyer de son pays.
Il veut donc transmettre à ses enfants l’histoire de son pays et qu’ils sachent d’où ils viennent : ils sont un mélange de la culture québécoise et colombienne.
Pedro Nel se bat pour la mémoire des victimes, pour redorer l’image culturelle de la Colombie. Il participe d’ailleurs tous les ans au Forum International des Victimes colombiennes.
Pour lui, il y a un élément similaire entre la Colombie et le Québec : la solidarité. Les gens sont très solidaires entre eux et sont très chaleureux. Selon lui, les Québécois-es ont plus de lien avec l’Amérique latine qu’avec les États-Unis et le reste du Canada : « l’amitié est énorme ici, on tisse des liens très forts avec l’amitié ».
Le problème de xénophobie
Un jour, j’étais avec un ami en voiture et un conducteur, un peu trop pressé, nous a doublés et s’est arrêté devant nous. Je descends la vitre de la voiture, puis il me dit « maudit Asiatique, retourne en Afrique ». J’ai fait « wouah, c’est une insulte ça? » Avec mon ami, on n’arrêtait pas de rire. Je n’ai rien d’africain, je n’ai rien d’asiatique. Tu as un problème de géographie, mon gars.
Il remarque une différence entre les Canadien-ne-s anglophones, qui s’intéressent à l’histoire de la personne, à son parcours et à la manière dont elle se situe par rapport à la société, et les Canadien-ne-s francophones, qui s’intéressent aux origines de la personne.
Je suis Québécois, Canadien, puis Colombien.