11 Leslie X.

Catherine Héon

C’est à Valparaiso, une magnifique ville du centre du Chili, que Leslie vint au monde. Il y grandit paisiblement avec sa famille jusqu’à l’âge de 15 ans. Signifiant la « vallée du paradis », cette ville fut plutôt l’enfer dans lequel son inimaginable aventure débuta.

Leslie le Québécois

Cela fait maintenant 40 ans que Leslie X. vit au Québec. Âgé de 70 ans aujourd’hui, il a passé plus de la moitié de sa vie ici. Il est le père de trois garçons d’une première union et beau-père de deux filles qu’il considère comme ses propres filles. Retraité depuis trois ans et demi, Leslie profite du temps qu’il a devant lui pour être avec sa famille au Québec, voyager au Chili et s’adonner à l’écriture.

Il y a près de 70 ans de cela, au Chili

C’est dans un quartier ouvrier de cette jolie ville dans les collines qu’est Valparaiso que Leslie fût élevé par ses parents qui étaient tous deux professeur-e. Ceux-ci étaient soucieux et soucieuse d’offrir à leurs quatre enfants la meilleure éducation possible. L’ouverture d’esprit était, entre autres, l’une des valeurs qui était prônée dans la maison. Leur vie était active et le quartier, très vivant. Les gens se saluaient dans la rue et il était facile de connaître les goûts musicaux de ses voisin-e-s par la musique qui émanait des maisons. De façon générale, Leslie et sa famille vivaient bien. Lorsqu’il atteignit l’âge de 15 ans, il déménagea à Santiago pour y poursuivre ses études alors que sa famille déménagea à Vinâ Del Mar, qui signifie « vignoble de la mer » en espagnol. C’est au cours de ses années d’études à Santiago que commença l’effroyable descente aux enfers.

1973, le coup d’État militaire

À l’époque, le président de la République du Chili élu par le peuple était Salvador Allende, un président socialiste. Son gouvernement tentait de mettre en place un État socialiste de façon légale et sans utiliser la violence avec le soutien de l’Unité populaire, une coalition des partis de la gauche. Le mandat de Allende, qui avait débuté en 1970, prit fin brutalement en 1973 à la suite d’un coup d’État militaire orchestré par les commandants en chef de trois armées et le chef de la police, et dirigé par le général d’armée Augusto Pinochet. Le président Allende se suicida et ce fut alors le début de la dictature militaire du général Pinochet. Ce dernier fut au pouvoir 17 longues années, soit jusqu’en 1990. Au fil de son régime, les droits de l’homme furent bafoués à maintes reprises, ce qui força une masse de Chilien-ne-s à se réfugier ailleurs.

Alors qu’il n’avait pas terminé son année scolaire, des militaires arrêtèrent Leslie X. pour avoir travaillé sur la candidature de l’ex-président socialiste Salvador Allende et pour son opposition au régime politique de Pinochet. Une amie l’avait dénoncé. On l’envoya alors dans un camp de concentration où, contrairement à une prison où le détenu conserve certains droits comme le droit à un procès, il fut dépossédé de l’intégralité de ses droits fondamentaux.

Leslie fût détenu pendant un an et passa par trois camps de concentration dans lesquels il fut cruellement torturé. L’une des cellules dans lesquelles il était captif ne faisait que trois pas de long par quatre pas de large. Leslie n’avait plus aucun droit, aucune protection et aucun contact avec sa famille. Dans cette période sombre de la vie du jeune chilien, son seul espoir était que quelqu’un ait la volonté de le libérer.

Après une année complète en captivité, Leslie fut finalement libéré. En revanche, sortir de sa cellule ne lui procura pas complètement le sentiment d’être libre. Il savait qu’il était surveillé par les autorités. On surveillait avec qui il avait des contacts et s’il protégeait ou cachait des individus recherchés. De plus, Leslie ne savait plus à qui faire confiance après s’être fait trahir par un membre de son entourage. La solution se dessina naturellement : il devait demander le statut de réfugié pour sa propre sécurité et celle de sa famille.

Processus d’élimination

L’idée de devoir s’exiler de son pays d’origine était sans doute très angoissante, mais cela était rendu nécessaire. Même si Leslie cherchait d’abord la sécurité, il évalua les différentes options qui s’offraient à lui. Au préalable, il rejeta l’option d’aller aux États-Unis, sachant que le pays avait soutenu le coup d’État. Ensuite, bien que plusieurs Chilien-ne-s s’exilèrent en France, Leslie ne souhaitait pas faire de même et il était hors de question d’aller dans un autre pays d’Amérique latine comme l’Argentine, le Brésil ou le Pérou, également sous une dictature, et ce, par peur d’être continuellement traqué. Par ailleurs, les emplois offerts dans ces pays ne pouvaient satisfaire que les besoins de base de sa famille. Leslie voulait quant à lui profiter de ce nouveau départ pour offrir une meilleure vie à son épouse et à ses enfants. Il choisit donc le Canada, par élimination. Il se présenta à l’ambassade canadienne et, après une année complète de démarches, il arriva au Québec au mois de décembre 1977.

Décembre 1977, arrivée au Québec

Avant son arrivée au Québec, on décrivit à Leslie la province sous son plus mauvais jour. Il était convaincu que c’était pour tester sa détermination à y immigrer. Heureusement pour lui, il parlait déjà un peu l’anglais et le français, ce qui facilita l’adaptation. En revanche, le froid du mois de décembre contrastait avec la chaleur du Chili qui était en pleine saison estivale. Leslie et sa famille furent pris en charge, amenés dans un commerce pour se procurer des vêtements d’hiver, puis hébergés dans un hôtel. En sortant de l’hôtel, une joie intense s’empara de lui lorsqu’il réalisa qu’il n’y avait ni policiers ni militaires dans les rues. Ce fut pour lui la preuve qu’il était enfin libre.

On l’envoya rapidement à Chicoutimi pour y amorcer un programme de francisation. À son arrivée, il fut pris d’un sentiment d’euphorie en voyant la neige tomber comme de la ouate. Il y passa 15 ans.

Après avoir suivi le programme de francisation pendant six mois, Leslie ne trouvait pas d’emploi et a donc eu recours à l’aide sociale pendant une courte période. Puis, il entama un cours subventionné de commis comptable et dénicha un emploi dans le domaine. Comme il n’y avait pas une très grande communauté latino-américaine à Chicoutimi, Leslie devait continuellement communiquer avec des Québécois-es, ce qui a grandement aidé son intégration. Il tissa de belles amitiés et ne fut jamais victime de discrimination. Certain-e-s Québécois-es lui faisaient des blagues sur son accent, mais il prenait toujours cela avec beaucoup d’autodérision. De façon générale, il fut très satisfait de l’accueil des Québécois-es et garde encore aujourd’hui de très beaux souvenirs de son arrivée au Québec.

Du changement

Pour Leslie, s’il y a bien une période qui fut aussi sombre que son emprisonnement, c’est certainement son divorce avec son épouse et mère de ses trois garçons. Il décrit cet événement difficile comme la pire expérience qu’il ait dû affronter au cours de sa vie.

Demeurant toujours à Chicoutimi, Leslie fit alors un cours intensif en informatique qui lui permit de dénicher un emploi pour le gouvernement, dans la capitale. Il déménagea alors à Québec pour commencer sa toute nouvelle carrière. Pour garder le moral après son douloureux divorce, il s’investissait complètement dans le travail, ce qui lui permit d’oublier momentanément ses problèmes personnels.

Aujourd’hui, à Québec

Maintenant à la retraite, Leslie habite toujours la belle ville de Québec avec son épouse. Les deux filles de cette dernière ont quitté le nid familial, ce qui a libéré deux chambres dans la maison. Le couple loue à présent ces deux chambres à des étudiant-e-s étrangers qui viennent au Québec poursuivre leurs études. Ils se réjouissent de les accueillir dans leur ville, dans leur maison et même de les intégrer dans leurs activités familiales. Pour se rappeler du passage de tous et toutes les étudiant-e-s étrangers, le couple fait confectionner des petits drapeaux des pays d’origine de chacun afin de les exposer fièrement dans la maison.

D’après lui, il est évident que l’ignorance subsiste à Québec. Il y a des Québécois-es qui associent systématiquement l’Amérique latine à des vacances dans un tout-inclus, alors que d’autres se demandent si le Chili se situe en Europe. Par contre, cela ne change rien à son amour pour la ville, amour qu’il a toujours voulu transmettre à ses enfants. Il demeure reconnaissant de vivre ainsi en sécurité et continue de penser que le Québec est un paradis. Quant au Chili, son pays d’origine, il garde en mémoire la période sombre qu’il a dû y traverser. Encore aujourd’hui, 40 ans après les événements, il lui arrive de faire des cauchemars. Heureusement, son état de choc post-traumatique n’enlève rien à son amour pour le Chili et il compte bien continuer d’y voyager.

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