20 Francisco X.
Alex Lapointe-Lemieux
C’est mieux le froid du Québec que le froid de la mort colombienne.
Sa vie colombienne
Francisco grandit sur une ferme à Mahates, une municipalité côtière située à une cinquantaine de kilomètres de la destination touristique de Carthagène. Se destinant à des études universitaires, il quitta sa ville natale et prit le chemin de la capitale. À la suite de sa graduation en médecine vétérinaire à l’Université nationale de Colombie, il fit son entrée sur le marché du travail.
Quelques années s’écoulèrent et volèrent au passage la santé de son père qui ne pouvait plus assurer le maintien adéquat de la ferme familiale. C’est pourquoi, quatre ans après avoir mis le pied dans la cour des grands, il fit volte-face et rentra à la maison. L’année 1984 marqua la fin de sa carrière vétérinaire, mais le début d’une nouvelle vie au sein de sa ville natale. Il accueillit sa prise en charge de la ferme familiale avec enthousiasme. S’il n’y avait pas de motivation financière derrière son choix, il estimait qu’« en Colombie, c’est plus payant d’être fermier que de pratiquer un autre métier ».
Après six ans auprès de ses parents, Francisco croisa le regard d’une femme de laquelle il ne pourrait plus se détourner. Son cousin travaillait à l’époque comme ingénieur pétrolier au Québec où il avait rencontré un couple. Leur fille étudiait en enseignement de l’anglais. L’amitié qui s’était forgée entre son cousin et ce couple amena ces derniers à proposer à leur fille, à la fin de ses études, d’aller séjourner en Colombie dans la famille installée à Carthagène, où elle pourrait potentiellement pratiquer sa profession. Elle partit avec joie et c’est avec tout autant de joie que, de fils en aiguilles, il la charma. De leur union, deux filles virent le jour, dont une au Québec.
Départ forcé
En 1989, il prit la décision de participer à la vie politique. Il se fit élire maire et, dès son entrée en fonction, il dut faire face au système de corruption déjà implanté. Francisco, décidé à ne rien céder, fut perçu comme une menace. La guérilla, qui avait l’habitude qu’on lui octroie des ordinateurs et des téléphones cellulaires grâce à l’argent de la municipalité, l’accusa de faire affaire avec les paramilitaires, alors que ceux-ci croyaient l’inverse. Rapidement, il se retrouva entre deux feux et les menaces se faisaient insistantes.
Heureusement, le gouvernement colombien offrait une protection complète aux personnes se lançant en politique pour la durée de leur mandat. Chose moins heureuse, il la retirait du moment que celui-ci se terminait. En 2003, voyant la fin de son mandat arriver, l’un de ses gardes du corps, devenu ami au cours des 14 dernières années, lui suggéra fortement de quitter le pays.
Il m’a dit que je serais vulnérable, que je me ferais sûrement tuer.
Connaissant bien l’ambassadeur du Canada en Colombie, Francisco et sa femme lui demandèrent des conseils. L’ambassadeur les référa à un agent d’immigration qui, lui, leur conseilla d’entrer directement au Canada comme touristes et d’ensuite demander le statut de résident permanent pour réunification familiale. Sa femme étant Québécoise, tout comme sa plus jeune fille, le processus serait assurément simplifié.
N’ayant pas d’autres options, la famille quitta la Colombie pour Québec. Francisco, de peur d’être attaqué, avait demandé une protection jusqu’à l’aéroport.
Arrivée au Québec
L’arrivée dans la Vieille Capitale fut rude. Le thermomètre affichait -35 °C. Il se rappelle, comme si c’était hier, avec quelle brutalité le froid transperçait ses os. Il trouva chaleur dans la demeure familiale de sa femme. Cette dernière trouva rapidement un emploi, tandis qu’il entamait des cours de français à l’Université Laval à ses frais, étant donné qu’il n’était pas résident permanent. Toutefois, il dut retourner travailler pour renflouer leur compte bancaire. Il dégota un emploi chez un maraîcher.
Pour parfaire son français avec lequel il avait de la difficulté, il se rendit au Mieux-être des immigrant-e-s à Sainte-Foy. C’est en revenant du centre qu’il fit une rencontre marquante. Constatant qu’il parlait espagnol, un Colombien l’aborda dans la rue. Voulant l’aider, il lui donna le numéro de téléphone d’un autre Colombien qui organisait un groupe de formation en production porcine. Il l’appela le lendemain. À ce moment–là, il n’avait toujours pas la résidence permanente requise pour participer à la formation, mais l’homme au bout du fil lui dit qu’il n’y aurait pas de problème et qu’il allait s’arranger. Le professeur accepta de le recevoir dans sa classe.
Le processus d’obtention de la résidence permanente fut très court vu le motif clamé par Francisco : réunification familiale. En six mois, on lui octroya sa résidence. Si bien qu’à la fin de la formation, il put faire son entrée sur le marché du travail directement sans devoir attendre après de longs processus légaux comme c’est le cas pour beaucoup d’immigrant-e-s.
Quatorze ans plus tard
Il travaille dans un centre d’insémination porcine depuis 14 ans. Ses filles ont fait des études universitaires au Québec. Et tout comme beaucoup de Québécois-es, il déteste l’hiver.
Ici, certains ont hâte à l’hiver pour faire de la motoneige, pour aller patiner. Moi, j’ai hâte à l’hiver pour aller en Colombie.
Cela ne l’empêche pas d’adorer vivre ici où il retrouve sécurité et tranquillité. Les meurtres y sont rares. Pour lui, la possibilité de laisser sa maison sans surveillance est un luxe qui n’a pas de prix.
Une des valeurs québécoises qui le réjouit et qui fait changement de son pays d’origine est la ponctualité. « Les Québécois-es arrivent à l’heure », affirme-t-il. La notion du temps est différente pour les deux peuples. Il raconte qu’il ne mixte plus ses ami-e-s colombien-ne-s et québécois-es lorsqu’il organise un souper de peur de toujours faire attendre ces derniers et dernières.
Or, tout n’est pas parfait. Après plus d’une décennie passée ici, il considère que le plus gros problème du Québec demeure l’hiver et son froid qui s’immiscent jusque dans la personnalité des gens. Il a été marqué par la froideur des gens et par la manière dont ils sont indifférents aux autres. Quand il s’assoit dans l’autobus, personne ne le salue. À son emploi, les gens quittent la porcherie sans se saluer.
Personne ne se salue vraiment. On doit absolument connaître la personne pour la saluer.
Cette absence de salutation et de chaleur humaine est à l’opposé de l’attitude des Colombien-ne-s.
Il remarque cette froideur dans nos traditions, malgré le fait qu’elle soit similaire aux leurs. Il considère que la manière d’aborder Noël et la Saint-Jean-Baptiste, par exemple, est plus sobre au Québec, notamment parce qu’on fait fi de la danse.
Ici, les gens ne dansent pas vraiment.
En Colombie, on danse la plupart du temps. Ce caractère festif des événements traditionnels lui manque.
Il considère toutefois que les Québécois-es sont des personnes accueillantes et que, contrairement à la pensée populaire, ils et elles ne sont pas racistes. Certain-e-s de ses voisin-e-s l’ont invité à venir souper ou à utiliser sa piscine. Depuis son arrivée, il dit avoir été victime de racisme une seule fois, par une collègue de travail qui refusait, entre autres, de le saluer et le croyait illettré. Il a perçu cet événement avant tout comme de la méconnaissance, mais a quand même été affecté par la situation. Toutefois, il considère avoir vécu davantage de racisme à Bogotá qu’au Québec. La capitale colombienne est connue pour attirer les personnes huppées, inversement aux villes côtières où le travail manuel est valorisé. Si bien qu’en Colombie centrale, les villes côtières sont perçues négativement. Il se rappelle qu’une fille qu’il avait fréquentée durant ses études était gênée de la présenter à ses parents parce qu’il venait de la côte.
Non, les Québécois-es ne sont pas racistes.