25 Eliecer X.

Lydia Forgues

Monsieur X., père d’une fille et d’un garçon, est originaire de la ville de Cali, située au sud-ouest de la Colombie. Arrivé au Québec il y a 16 ans et maintenant âgé de 42 ans, son parcours d’intégration dans la société québécoise est marqué par un positivité remarquable, source d’inspiration.

Vie colombienne

Les tensions politiques colombiennes marquèrent son enfance. Elles lui enlevèrent son père qui fut assassiné par un groupe armé. Ainsi, il vécut la quasi-totalité de son enfance seul avec sa mère. Elle lui transmit ses valeurs les plus profondes, celles qui l’ont suivi toute sa vie : la force, le respect et le courage.

Dès son jeune âge, il se démarqua par la qualité de ses performances scolaires. Meilleur étudiant de son école secondaire, il choisit de poursuivre ses études en agroécologie et de se spécialiser en gestion locale de l’agriculture biologique. Cette passion lui est venue alors qu’il reprit l’entreprise agricole de son grand-père au jeune âge de 14 ans.

Lorsqu’il vivait en Colombie, il était une personne extrêmement impliquée dans sa communauté. Organisateur communautaire et activiste dans le milieu agricole, ses actions visaient principalement le développement des quartiers ruraux de manière durable et équitable. Ainsi, il créa une coopérative faisant la production et le commerce de lait et de café biologique et équitable. Il participa également à l’élaboration d’un nouveau parti politique. Ses idées majeures furent le développement social, l’égalité, la justice et surtout le respect de l’environnement. C’est en raison de ses implications sociales et politiques que les groupes paramilitaires l’identifièrent, à tort, comme faisant partie du groupe ennemi : la guérilla. Il fut alors menacé de mort, immédiatement après la naissance de sa première fille. Ayant déjà perdu de nombreux et nombreuses ami-e-s et proches en raison du conflit armé colombien, il ressentit immédiatement le besoin de protéger sa famille et fut forcé de quitter le pays.

Arrivée au Québec

C’est le désir de voir grandir sa famille et ses enfants qui le poussa à quitter la Colombie. Comme il aime le dire, «le Canada aura été [sa] terre de paix». Il arriva à Montréal au printemps 2001 et aperçu pour la première fois la neige québécoise. Il désirait initialement s’établir dans la grande métropole, mais le bureau d’immigration canadienne l’obligea à s’établir à Jonquière, au SaguenayLac-Saint-Jean. Il quitta Montréal en autobus et traversa le parc des Laurentides. Dès son arrivée dans la ville, il s’empressa de louer un appartement. Son premier désir fut de créer des liens avec les Québécois-es. Ainsi, son premier contact fut avec ses voisin-e-s, un couple retraité d’une cinquantaine d’années avec qui il tissa rapidement des liens, facilitant son intégration.

Normalement, le processus de francisation débute quelques mois après l’arrivée au Québec. Cependant, en raison de soucis administratifs, il commença ses premiers cours de langue française huit mois après son arrivée au Québec. Puisque son but était alors d’intégrer le marché du travail le plus rapidement possible, ce délai ralentit son intégration et la rendit plus difficile. Une fois le processus enclenché, il put occuper quelques emplois variés : serveur, caissier au métro, bûcheron et même préposé à l’entretien ménager. Après avoir appris la langue française, il voulut entreprendre des études universitaires au Québec. Il entama un baccalauréat en sciences politiques et obtint, en raison de son excellente performance scolaire, une bourse pour continuer ses études à l’étranger : en Colombie! Il revint au Québec et poursuivit sa maîtrise jusqu’en 2010.

Une fois ses études complétées, il occupa plusieurs emplois, notamment professeur d’espagnol à l’Université du Québec à Chicoutimi. Monsieur X. était également très impliqué socialement, notamment dans de nombreux organismes luttant pour la cause féministe, contre la pauvreté et pour le développement international.

Tombé en amour avec le Québec, il encouragea plusieurs membres de sa famille à venir au Canada. Celles et ceux-ci immigrèrent dans la ville de Québec raison pour laquelle il choisit de s’y installer, lui aussi. Il y avait, de plus, davantage d’emplois et il lui fut facile d’y trouver du travail. Il y habite maintenant depuis dix ans et travaille dans un laboratoire pharmaceutique.

Intégration à la société québécoise

Dès que monsieur X. apprit qu’il avait officiellement obtenu son statut de citoyen canadien, il se «dit qu’il était Québécois» et qu’il allait faire tout ce qui était en son pouvoir pour réellement s’intégrer à la société québécoise.

C’est ici que je paie des taxes, que je travaille, que je vis ma vie et que je mets des efforts, alors je suis Québécois.

Automatiquement, il a porté un souci particulier aux actions qu’il pouvait poser par lui-même afin de faciliter son intégration. Ambitieux, il fit alors un effort particulier de bien comprendre les enjeux de la société québécoise. Pour lui, la clé du vivre-ensemble est de faire la distinction entre l’espace privé et l’espace public. C’est une démarche qu’il suit depuis son arrivée au Québec. À la maison, il vit à la manière colombienne. On y parle espagnol, on y mange des plats d’origine colombienne et on y écoute de la musique colombienne. Cependant, lorsqu’il agit en public, il s’assure de bien respecter les coutumes des Québécois-es. Pour lui, les immigrant-e-s ont beaucoup à apporter à la société québécoise, mais celles et ceux-ci doivent porter une attention particulière à respecter la manière dont vivent les Québécois-es.

Au début, ça n’a vraiment pas été facile, en fait tout était difficile.

L’habillement, la nourriture, les coutumes, tout était si différent de la Colombie. Cependant, ce qu’il trouva le plus difficile est d’apprendre la langue française correctement. Particulièrement la syntaxe, tant à l’écrit qu’à l’oral. Cette difficulté lui rendit l’accès à l’emploi plus difficile en raison de la méfiance des employeur-e-s. C’est dans cette méfiance systématique qu’il ressentit le plus de racisme.

Il faut que les Québécois-es comprennent que les gens sont compétents, même s’ils ne s’expriment pas parfaitement en français.

Avoir une formation universitaire, mais être contraint à exercer des emplois «de base» fut une grande source de frustration pour lui. Cependant, au fil du temps, il réussit à se bâtir une bonne réputation auprès de son cercle social, puis obtenir de meilleurs emplois grâce à ses références.

On parle souvent de marché caché de l’emploi à Québec, bien c’est encore plus présent lorsqu’on est immigrant-e.

Certaines valeurs véhiculées par la société lui sont chères. L’importance des programmes sociaux, de l’égalité hommefemme, de la justice dans l’emploi, de l’entraide, de la solidarité, de l’égalité et surtout de la sécurité, lui fit aimer le Québec. Également, plusieurs aspects de la société québécoise ressemblaient énormément à ceux de la Colombie, notamment l’importance du travail et la valeur accordée à l’agriculture.

Toutefois, l’individualisme et la montée des idéologies de droites sont les aspects de la société québécoise qu’il apprécie le moins.

Dans un autre ordre d’idées, les aspects de la vie colombienne qui lui manque le plus sont les fruits frais, la musique et la chaleur du soleil.

Les perceptions des Québécois-es en ce qui concerne l’Amérique du Sud

Selon lui, les Québécois-es perçoivent malheureusement mal l’Amérique latine. Ils et elles la voient comme étant un endroit prisé pour le tourisme sexuel ou comme étant un endroit où on trouve la meilleure cocaïne du monde. Pourtant, «les Colombien-ne-s produisent la drogue, mais ce ne sont pas eux qui la consomme».

Certain-e-s Québécois-es croient que le développement économique de la Colombie est si déficient que les Colombien-ne-s n’ont pas de voitures et qu’ils et elles travaillent la terre à l’aide de charrettes. Également, peu de Québécois-es sont conscient-e-s que 30 000 Latino-Américain-e-s viennent au Canada chaque été pour cueillir les aliments qui se retrouvent dans leurs assiettes chaque jour.

Recommandations

Selon lui, «l’éducation est un outil très puissant». Il considère dommage que certain-e-s Québécois-es ne perçoivent pas les aspects positifs de l’immigration. Pour lui, l’immigration est un excellent moyen de revitaliser l’économie et de pallier de nombreux problèmes sociétaux tels que le taux de natalité très bas et la pyramide des âges inversée. Ainsi, mieux éduquer les Québécois-es permettrait de défaire la méfiance et les préjugés que certain-e-s ont envers les immigrant-e-s. Il considère également que d’encadrer la vie en société devant la loi, et ce, sans préjugé serait une excellente option pour faciliter la vie mutuelle entre toutes les nationalités qui résident à Québec.

Paysage rural de la cordillère des Andes en Colombie où monsieur X. a travaillé en agro-écologie. Crédit : Eliecer X.

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