Protestantisme haïtien : entre conversion et sécularisation

4 Règles de conduite dans les Églises pentecôtistes et l’expansion du pentecôtisme dans le champ religieux haïtien : le cas de l’Église de Dieu de la Prophétie de Mithon de Léôgane

Louis-Jacksonne Lucien

Louis-Jacksonne Lucien est sociologue. Il est membre du Groupe de Recherche sur les Imaginaires Politiques en Amérique Latine (GRIPAL) de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) et de l’Université d’État d’Haïti (UEH).

Introduction

Depuis des décennies, à partir d’un discours social[1], dans lequel la société se juge « en absence de moralité », une expression de « notre naufrage collectif »[2], différents secteurs interpellent les institutions sociales, pour mettre fin à cette situation, jugée comme une descente déshonorante. C’est particulièrement aux institutions religieuses que l’appel est lancé avec plus d’insistance, car, aux yeux de la majorité, elles se doivent de perpétuer un ordre normatif (acceptable), en régulant les conduites de vie dans la collectivité. En fait, la religion, en tant que système de croyances particulières, détermine un rapport particulier au monde et impose ce rapport aux adeptes.

Toutefois, certains courants laissent à leurs fidèles la pleine responsabilité de leur conduite de vie. Les églises pentecôtistes, quant à elles, élaborent des codes éthiques très rigoureux et tendent à déterminer toute la gestion de la conduite de vie des fidèles[3]. En effet, pour les pentecôtistes, « […] la société dans laquelle vit le croyant est en perdition […]. En conséquence, le croyant doit se placer en retrait du « monde » » (André Corten, 1999 : 168). Ainsi, « […] il faut choisir entre Jésus et le monde » (André Corten, 1999 : 168). Le pentecôtisme construit « une éthique négative qui trouve son fondement dans la prohibition » (Jesús Garcia-Ruiz, 2006 : 6).

Il arrive que des mises sous sanction donnent lieu à des tensions à l’intérieur de l’église et que certains adhérents abandonnent définitivement l’assemblée, après avoir été sanctionnés par les responsables. Comment expliquer cependant que les sanctions fassent toujours partie de la vie de la communauté religieuse? Comment comprendre l’accord, la « soumission » de la majorité des fidèles dans ce rapport de pouvoir à l’intérieur de l’église, entre eux et les dirigeants? Malgré cette réalité, ce courant religieux serait en constante progression en Haïti (André Corten, 2001 : 93; 2014 : 126). En ce sens, comment expliquer l’expansion du pentecôtisme, en dépit de cette réalité interne qui le fragiliserait par rapport aux autres institutions religieuses chrétiennes qui, elles, laissent davantage de liberté à leurs adeptes et n’appliquent pas de sanctions, compte tenu qu’elles créent entre elles un espace concurrentiel[4]

Dans cet article, nous questionnerons, dans un premier temps, les stratégies mises en place par les églises pentecôtistes afin de gérer la conduite de vie de leurs fidèles à partir de l’établissement de règles de conduite et l’institutionnalisation des sanctions qu’encourent les adeptes en cas d’infraction à une règle. Dans un second temps, nous tenterons d’étudier ces stratégies en relation avec la dynamique actuelle du champ religieux haïtien marqué par un recul de l’église catholique et une expansion considérable de différents courants protestants, notamment les églises pentecôtistes, depuis la fin des années 1980.

Les analyses de cet article se basent sur des données recueillies lors d’une recherche de terrain réalisée durant les mois de février et mars 2016 à Léogâne. Les données ont été collectées à partir d’une méthodologie composite alliant des méthodes qualitatives et quantitatives. Nous avons élaboré une grille d’entretien en vue de réaliser une vingtaine d’entretiens semi-dirigés avec des fidèles de l’Église de Dieu de la Prophétie de Mithon de Léogâne[5]. Ces entretiens devaient permettre de saisir les représentations que se faisaient les fidèles de la réalité interne de l’église, en lien avec l’existence des règles de conduites et des sanctions, leurs représentations du pasteur, des autres institutions religieuses et leur histoire de vie. Deux questionnaires ont aussi été élaborés pour interviewer des laïcs-profanes[6] et des chrétiens non pentecôtistes, dans la région léogânaise, de manière à prendre en compte leur point de vue sur le champ religieux en général et sur le comportement du chrétien idéal en particulier. Enfin, nous avons aussi pratiqué l’observation directe dans toute la région léogânaise, notre cadre sociogéographique de recherche.

La première partie de ce travail passe en revue différents travaux sur la question de l’expansion du mouvement pentecôtiste en Haïti. La seconde partie tente d’analyser le processus sociologique à partir duquel la situation interne, autrement dit l’acceptation des sanctions par la majorité des adeptes, trouve sa légitimité. D’autre part, nous présentons le contexte d’évolution du champ religieux en Haïti, ses logiques, ses enjeux, sa structure, afin de mieux saisir comment le jeu de la concurrence entre les institutions religieuses penche en faveur des églises pentecôtistes en pleine expansion.

De la question des règles de conduite et de l’expansion du pentecôtisme en Haïti

Dans différentes études effectuées sur le pentecôtisme[7], les chercheurs ont souvent mentionné « ses formes cultuelles foisonnantes et sa croyance en la guérison divine » (Véronique Boyer, 2005), « sa forte capacité d’adaptation avec les représentations, imaginaires locales », « les normes éthiques universelles que ces croyances permettent de créer […] » (Jean-Paul Willaime, 1999; Véronique Boyer, 2005), le « rigorisme du mouvement », « le système normatif créé par le pentecôtisme » (Chiarella Mattern, 2008 : 10)[8]. En fait, « […] ses membres disposent de peu d’autonomie vis-à-vis de la hiérarchie des Églises » (Boyer, 2005). Mais cette réalité et les situations qui en découleraient n’auraient pas touché fondamentalement la curiosité des chercheurs d’ici et d’ailleurs. Nous n’avons pas, en tout cas, trouvé jusqu’ici des travaux qui les auraient ciblés fondamentalement.

La croissance du mouvement a généré une vaste littérature. Pour Haïti, c’est particulièrement en se penchant sur la gestion de la difficile situation socio-économique par différentes catégories sociales, qu’il conviendrait de chercher les raisons de la transformation du champ religieux haïtien depuis les années 1980, selon François Houtart et Anselme Rémy (2000 : 170). Par ailleurs, ajoute Laënnec Hurbon (2001 : 234), « le pentecôtisme vient rencontrer l’individu dans sa condition de dénuement, [où il] fonctionne apparemment comme un désaffilié […] ».

Les analyses des statistiques[9] disponibles feraient du pentecôtisme la troisième religion du pays (André Corten, 2014 : 8-9). Corten parle même d’une « pentecôtisation de la société » (2001 : 91). Selon lui, « le prosélytisme tellement fort dans le pentecôtisme […] se colle à la réalité de son expansion continue […] » (Corten, 2001 : 101). En effet, pour certains, « […] le principal dénominateur commun entre les pentecôtistes semble être le prosélytisme qui fait de chaque « croyant » un évangélisateur, un militant qui doit propager sa foi » (Regina Noaves, 1999 : 127).

Selon Laënnec Hurbon, « pour comprendre l’importance du succès actuel du type de protestantisme que représente le pentecôtisme en Haïti, il faut se référer à la position qu’occupe le catholicisme dans l’histoire et la culture du pays » (Hurbon, 2001 : 230). De plus, avec la propagation de l’imaginaire persécutif des forces du mal, « […] la maladie ouvre la première brèche chez l’individu pour le mettre sur l’orbite du pentecôtisme » (Hurbon, 2001 : 234). Enfin, continue-t-il, « […] l’individu ne se sent guère dépaysé [parce qu’]à l’intérieur des assemblées pentecôtistes, […] les réunions sont faites de chants, de danses sous forme de transes de l’Esprit saint, d’expression de rêves, de témoignages individuels » (Hurbon, 2010).

Fritz Fontus (2001 : 90-94) énumère, quant à lui, pas moins de six[10] facteurs qui contribueraient à la croissance du protestantisme en général en Haïti. Pour Gérald Guiteau, le succès du pentecôtisme « […] s’explique par la réponse qu’il apporte au malheur de ces gens qui vivent dans la peur et la crainte […] du vodou. Les églises pentecôtistes offrent à ces derniers la possibilité de vaincre […] les forces sataniques, les mauvais sorts, les persécutions, etc. » (Guiteau, 2003 : 126).

Ces travaux recensés sont très intéressants. Toutefois, nous les estimons insuffisants. Sans prétention de penser pouvoir épuiser un débat qui n’en serait qu’à ses débuts et sans rejeter complètement ces précédentes propositions, nous pensons pouvoir néanmoins apporter notre modeste contribution, en présentant une autre orientation de recherche que ces dernières semblent négliger.

Selon nos observations, les églises de tous les courants du protestantisme s’éparpillent dans tous les coins et recoins du pays et développent toutes, chez leurs croyants, une très forte culture prosélyte. Ce constat nous permet de relativiser, de nuancer les thèses du prosélytisme des pentecôtistes et de leur proximité avec les populations défavorisées. En effet, la quasi-totalité des courants protestants constituerait toute une « famille spirituelle », étant donnés leur rôle dans le quotidien du croyant / chrétien haïtien et la structure des relations instituées entre les croyants par l’institution (notamment le nouveau mouvement religieux des Témoins de Jéhovah[11]). Par ailleurs, le simple fait que les pentecôtistes dominent l’espace public, comme le relève Hurbon (2001 : 230), ne suffirait pas pour autant à expliquer leur expansion. D’autant plus qu’une telle affirmation n’est appuyée par aucune analyse approfondie sur la manière dont cette occupation (religieuse) particulière de l’espace public déterminerait les perceptions, les appréciations, les pratiques quotidiennes d’une catégorie importante de croyants, et par là, les orienterait vers ce courant (particulier) sur le marché religieux.

De plus, affirmer que le pentecôtisme serait aussi en expansion, parce qu’il se serait approprié certains éléments du vodou[12] (Hurbon, 2001: 239; 2010) ne serait-il pas, dans une double mesure, assez réducteur? D’une part, cette affirmation réduirait la culture, tout le socle expressif de l’émotion populaire au vodou, d’autre part, elle homogénéiserait les individus issus des classes populaires, en les assimilant à d’anciens pratiquants du vodou ou à des passionnés particuliers de la danse, de la transe de l’Esprit, des témoignages individuels et des rêves. En ce sens, produire de manière mécanique et dans une logique purement théorique[13] une telle correspondance, de notre point de vue, est un peu arbitraire. En d’autres termes, c’est une affirmation qu’on qualifierait relativement d’insoutenable, c’est-à-dire difficilement défendable.

Par ailleurs, il faut revenir sur les raisons, facteurs et pistes mis de l’avant, pour analyser le prosélytisme qui ne peut être considéré ici comme n’importe quel type de communication[14] (Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, 1970 : 34). Ces travaux traitent secondairement ou, du moins, font totalement l’économie du fait que dans l’espace social global, les religions créent, entre elles, un espace concurrentiel[15] relativement autonome. De plus, la concurrence vise d’abord la quête des âmes des laïcs-profanes, des Hommes de la religion ou d’un Homme religieux (Charles-Poisset Romain, 1989 : 259)[16]. Dans l’étude des religions, ici du pentecôtisme, nous pensons qu’il faudrait non seulement s’intéresser au discours du sujet déjà converti / pratiquant, mais aussi, au discours du sujet laïc-profane, Homme de la religion ou Homme religieux non pentecôtiste, pour tenter d’expliquer la plus grande réceptivité de la prédication du pentecôtisme dans la population haïtienne, particulièrement dans les couches populaires, jusque-là sa principale clientèle.

La structuration dualiste monde païen / monde chrétien

Bien que la vie religieuse soit objectivement circonscrite dans le cadre global de la vie humaine, la structuration dualiste monde chrétien/monde païen serait de notre point de vue le soubassement symbolique du contexte religieux national. Pour être plus clair, elle serait l’idéologie religieuse dominante, soit un ensemble de schèmes constitué suivant la logique que « le chrétien est dans le monde, mais sans être du monde, c’est-à-dire que le monde le comprend, mais qu’il n’appartient pas au monde ». Selon ce principe de vision et de division, il n’y a rien de significatif à l’extérieur de la vie chrétienne, sinon que mensonge, désespoir, misère, maladie, souffrance, etc. De ce fait, « n’est véritablement chrétien que celui qui s’abstient au maximum du monde, c’est-à-dire du monde païen ». En conséquence, il y a la vie païenne qui serait sous la domination de Satan et le monde chrétien qui vit dans la grâce, de la grâce et pour la grâce, enfin la paix qui ne peut être vécue que dans la consécration totale de la vie à Dieu.

C’est là le socle symbolique de la dynamique du champ, dans le sens que c’est à partir de cette structuration que la majorité des dirigeants des institutions religieuses se jugent, donc tendent à définir les doctrines et légitimer (ou pas) les autres dirigeants. Cette vision structurante des relations internes au champ, selon laquelle les institutions représentent la conduite de vie la plus légitime du chrétien, détermine non seulement le regard de tous les adhérents, mais aussi celui des laïcs-profanes. En effet, pour la grande majorité des individus interviewés dans le cadre de notre enquête, « [le chrétien] doit mener une vie à part, dans le sens qu’il doit être un modèle, il doit pouvoir aider les autres à la repentance, il ne doit pas s’habiller n’importe comment, il ne devrait pas porter de décolleté (…) les programmes mondains ne sont pas pour lui, etc. ».

Définissant le comportement du chrétien modèle, ils sont 15, soit 75 % des chrétiens non pentecôtistes interrogés dans cette enquête menée à Léogâne, à faire référence à la manière de traiter son corps, de se vêtir en s’abstenant des pratiques païennes, etc. Pour les laïcs-profanes, ils sont 14, soit 70 %, à mettre en exergue le fait que ce chrétien modèle devrait se tenir en retrait du monde. En effet, tous les chrétiens non pentecôtistes interrogés dans cette enquête, soit 20 personnes, soutiennent que le chrétien devrait s’abstenir de fumer. Pour neuf d’entre eux, soit 45 % des répondants, il devrait s’abstenir totalement de boire de l’alcool et pour 13 d’entre eux, soit 65 %, d’aller admirer les bandes de rara ou de carnaval. Pour six d’entre eux, soit 30 %, une chrétienne ne devrait pas porter de pantalon, pour 15 d’entre eux, soit 75 %, elle ne devrait pas porter non plus de faux cheveux (alonj, greffes, etc.). Les laïcs-profanes, quant à eux, affirment tous que le chrétien devrait s’abstenir totalement de fumer. Ils sont 13, soit 65 %, à penser que le chrétien devrait s’abstenir totalement de boire de l’alcool. Six, soit 30 %, soutiennent qu’une chrétienne ne devrait pas porter de pantalon, et pour 13 d’entre eux, soit 65 %, qu’elle ne devrait pas porter non plus de faux cheveux. Enfin dix d’entre eux, soit 50 %, soutiennent qu’il ne devrait pas du tout aller assister à des activités culturelles comme le carnaval ou le rara. Par ailleurs, ils sont quatre, soit 20 %, à répondre que c’est parce qu’ils n’arrivent pas encore à se passer de certaines de ces choses qu’ils n’ont pas encore décidé de se convertir.

Cette vision est aussi un déterminant de la mise en place et de l’acceptation des mesures contraignantes dans la gestion de la conduite de vie des croyants. En effet, 70 % des chrétiens non pentecôtistes jugent acceptable l’établissement de sanctions dans les églises; ils sont 60 % des laïcs-profanes à penser la même chose. Par ailleurs, 90 % de ces derniers jugent normal, dans le sens d’acceptable, que les églises contrôlent leurs membres, en leur dictant ce qu’ils peuvent faire ou pas, dans le cadre de la conduite de leur vie.

Prime éducation et intériorisation d’arbitraires culturels

L’acceptation des exigences entourant la vie du croyant, particulièrement dans le cas du pentecôtisme, découlant des rapports de pouvoir, donc de domination entre les dirigeants et les laïcs, ne saurait être possible que parce que ces derniers ont été socialisés à partir des mêmes habitus. En raison de l’éducation, plus spécifiquement de l’éducation familiale de la majorité de la population haïtienne, s’imposent les arbitraires culturels qu’elle légitime. En effet, « l’espace habité – et au premier chef la maison – est le lieu privilégié de l’objectivation des schèmes générateurs et, par l’intermédiaire des divisions et des hiérarchies qu’il établit entre les choses, entre les personnes et entre les pratiques, ce système de classement fait chose, inculque et renforce continûment les principes du classement de l’arbitraire culturel » (Pierre Bourdieu, 1980 : 129).

Comme nous pouvons l’interpréter à partir des données recueillies sur le terrain, la prime éducation se fait, en Haïti, fondamentalement sur fond de maltraitances : 73,68 % des adeptes interviewés ont été battus dans leur enfance et pour 78,9 % d’entre eux, un bon enfant se définit, avant tout, par le fait qu’il est très obéissant envers ses parents. C’est cet arbitraire culturel, ce rapport arbitraire de domination parent/enfant, plus âgé/moins âgé que la famille haïtienne inculque aux enfants, particulièrement dans les milieux populaires.

En conséquence, selon un principe universel (Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, 1970 : 24), tous les arbitraires que produisent ces rapports familiaux sont intériorisés par les différents individus les ayant subis. Ainsi, il devient naturel pour l’enfant lui-même qu’il soit battu. C’est ce qui a conduit un adepte de l’Église de Dieu de la Prophétie de Mithon de Léogâne à prononcer ces propos au sujet de son éducation familiale :

S’il arrive que tu désobéisses [plusieurs fois], mon cher, tu seras battu (sévèrement). Mais, à ce moment-là, je pensais que c’était un mal, mais je finis par comprendre que c’était un bien malgré tout, lorsqu’on te battait […]. J’ai grandi, je finis par comprendre que ce n’était pas un mal […].

Ces dispositions sont transposées dans les rapports à l’intérieur de l’église. Nous avons par exemple le cas de Fritz[17], membre de l’Église de Dieu de la Prophétie de Mithon de Léogâne, qui nous a conté sa propre histoire, pour nous expliquer l’attitude que devrait avoir tout enfant envers ses parents et toute autre personne plus âgée que lui. En fait, il aurait accepté d’être battu par son père, en présence de ses enfants, de sa femme, de sa belle-mère et des voisins, parce qu’il avait simplement passé trois jours sans aller saluer son père qui ne vivait pas avec lui, alors qu’il s’était déjà marié et vivait dans sa propre maison. Plus loin, au sujet de l’existence des sanctions à l’église, Fritz s’exprime ainsi :

Éliminer les sanctions à l’église, ce serait faire de même que l’État haïtien qui décide de bannir le fait qu’un enfant soit battu à l’école. L’Haïtien est quelqu’un d’exceptionnel, en ce sens, ils ont tout le temps besoin d’un commandeur, donc il faut avoir quelqu’un armé d’un bâton pour les conduire […].

Tous ces faits relatés sont l’expression même du pouvoir d’une violence symbolique (Pierre Bourdieu, 2003 : 245-246), fruit des arbitraires sociaux intériorisés dans les rapports familiaux et transposés dans les rapports à l’intérieur de l’église.

L’analogie famille / église : réactivation des intériorisées, extériorisation des dispositions

La régularité de certaines pratiques peut certes correspondre aux dispositions données d’un groupe, parce que « [l’habitus] est au fondement d’une collusio implicite entre tous les agents qui sont le produit de conditions et de conditionnements semblables » (Pierre Bourdieu, 2003 : 209), mais cette correspondance ne pourrait être constatée qu’à partir de la conjoncture qui les réactive, ici l’église.

Non seulement la famille est « […] une institution qui occupe une position privilégiée par rapport à la religion […], [où diverses] analogies étroites unissent l’institution familiale et l’institution religieuse […] » (Carrier Hervé, s.j, et Émile Pin, 1967 : 38), mais les rapports religieux sont eux aussi articulés explicitement sur le mode des rapports familiaux. Ainsi, dix adeptes de la communauté, soit 52,63 % des personnes interviewées, perçoivent le pasteur comme un père pour l’assemblée. En effet, nous a dit une adepte : « […] moi, je suis à l’église depuis des années, mais je n’ai jamais été mise sous sanction, parce que je sais ce que je pouvais faire et ce que je ne devais pas faire. Je savais que je devais être respectueuse comme je l’étais chez mes parents […] ». Et pour un autre : « Un pasteur […] est notre père, parce que si nous laissons notre maison pour venir à l’église, de la même manière que nos parents ont des conseils pour nous, l’église est une autre famille […] ».

Ainsi, les dirigeants de l’église n’ont rien à prouver pour légitimer leur propre vision aux yeux des adeptes. Certes, ils ne sont que quatre, soit 21,05 % des adeptes interviewés, à faire référence aux rapports familiaux, pour juger acceptables les sanctions à l’église. Mais, alors qu’ils affirment, pour la plupart, que l’église ne peut pas fonctionner sans sanction, ils ne sont que sept, soit 36,84 %, à avoir une représentation négative des églises qui ne sanctionneraient pas leurs membres. Donc, ce n’est pas dû au fait qu’ils trouvent d’autres raisons pour légitimer les sanctions, qu’ils n’ont pas en tête leurs rapports familiaux, les arbitraires et visions du monde qu’inculquent ces rapports, sinon, ils seraient plus nombreux à être amers envers les institutions où il n’existe pas de sanctions.

 Définitivement, ce sont à partir de ces trois points traités  (la structuration dualiste monde païen / monde chrétien; le rapport de la prime éducation avec l’intériorisation d’arbitraires culturels et l’analogie famille / église qui réactive les dispositions des agents) que les relations de transaction se retrouvent favorables à ces courants. Les adeptes et leurs dirigeants ont été socialisés à partir des mêmes types d’arbitraires familiaux. Et vu qu’il existe une puissante analogie entre la famille et l’église pour les croyants, ces arbitraires ont été transposés à l’intérieur de l’église à travers l’établissement des règles de conduites et des sanctions. Ce qui favorise la réactivation des dispositions acquises antérieurement par ces individus, donc assure la soumission d’une majorité dans leur rapport avec les dirigeants. Maintenant, qu’en est-il de la situation concrète du champ lui-même, des rapports de concurrence?

Le champ religieux haïtien : logiques, enjeux et structure

Dans la dynamique du champ religieux, le capital religieux investi par les institutions en vue d’inculquer aux laïcs un habitus religieux, résulte, d’une part, de la relation objective existant entre la demande et l’offre religieuses, d’autre part, cet ensemble est déterminé, commandé par les stratégies[18] (Pierre Bourdieu, 1971 : 318-319) mises en place par les institutions avec, comme enjeu, le monopole du pouvoir religieux. C’est dans ce sens que nous interprétons les points de vue des différentes catégories de personnes interviewées sur leur représentation du chrétien idéal, qui nous informent notamment de l’habitus religieux qu’elles ont intériorisé. Nous tentons par ailleurs de voir le rapport entre la demande et l’offre religieuses en Haïti et, enfin, nous évaluons  comment la position des différentes institutions, notamment celle des églises pentecôtistes, détermine ce rapport.

Les réponses des différentes catégories de personnes interviewées au sujet de leurs représentations de la conduite de vie idéale du chrétien et des choses auxquelles il devrait s’abstenir, sont l’expression de l’idéologie religieuse, de la logique dualiste monde païen / monde chrétien présentée précédemment. Pour toutes les catégories d’individus interrogées dans le cadre de cette enquête, il est fondamental que les pratiques et les manières de vivre des populations de ces deux mondes, monde païen / monde chrétien, soient différentes.

La possibilité de transmettre cet habitus dépend notamment de la relation objective entre la demande religieuse globale et les offres religieuses produites sur le marché des biens de salut. Dans une approche de sociologie fonctionnelle (Henri Desroche, 1967 : 5)[19], la nature de la demande religieuse, elle, serait déterminée par le jugement général qu’aurait la société d’elle-même et la religion serait un reflet de ce regard. Or, nous avons bien vu, au début, que la société haïtienne, en s’interrogeant sur elle-même, se voyait « en absence de moralité ». De ce fait, la fonction de la religion ne pourrait être qu’une fonction de différenciation, de contestation et, à la fin, de protestation sur certains points. En ce sens, la nature de cette demande religieuse détermine aussi l’offre religieuse la plus légitime, c’est-à-dire que seuls les courants religieux qui réussiront à produire ou qui produisent déjà la doctrine équivalente, gagneront le respect de la plupart des croyants et des potentiels clients.

À partir des statistiques disponibles, le champ religieux serait dominé par l’Église catholique. Viendraient ensuite les différents courants protestants puis enfin le vodou. Ces constats forment le contexte dans lequel s’établissent des règles de conduite contraignantes dans certains courants, les interprétations des discours et les représentations que les pentecôtistes se font d’eux-mêmes et des autres institutions religieuses.

Nécessité de se singulariser, de se distinguer

La position des différentes institutions est l’un des points essentiels pour comprendre la logique d’un champ religieux (Pierre Bourdieu, 2013 : 27) et sa dynamique (Pierre Bourdieu, 1971 : 326), ici, qui s’exprime depuis la fin des années 1980, avec le recul de l’Église catholique et l’expansion des églises dites « rigoristes ». Comment expliquer l’expansion de ces courants subie par l’Église catholique qui a eu pendant des décennies le monopole du pouvoir religieux en Haïti? À ce sujet, il convient de saisir que « […] la conservation du monopole d’un pouvoir symbolique tel que l’autorité religieuse dépend de l’aptitude de l’institution qui le détient à faire reconnaître à ceux qui en sont exclus la légitimité de leur exclusion […] » (Pierre Bourdieu, 1971 : 322). De ce fait, le monopole de l’autorité du pouvoir religieux est un enjeu même de la lutte.

Notre hypothèse est que l’Église catholique, afin de se maintenir depuis des décennies comme la première Église en Haïti, aurait fait des concessions vis-à-vis d’une certaine catégorie de laïcs : par exemple, la célébration de la messe en langue créole, l’introduction du tambour (instrument central du vodou) ou d’autres instruments de la culture populaire dans le culte, mais aussi le fait même de n’être pas du tout exigeante comme d’autres. Autrement dit, dans sa volonté de se montrer ouverte et proche de toutes les catégories sociales haïtiennes, de manière à se valoriser, l’Église catholique aurait cessé de se singulariser. Ainsi, aux yeux de la majorité de la population, être catholique ne revient plus à cesser d’être un vodouisant, si bien que se convertir véritablement pour la majorité des haïtiens est synonyme d’être protestant. Du coup, pour le laïc-profane qui ne se sent pas exclu totalement de l’Église catholique, cette dernière perd à ses yeux de sa légitimité.

Globalement, ce terrain allait être exploité par les églises pentecôtistes comme nouveaux entrants – par rapport à l’histoire de l’implantation récente de leurs différents courants en Haïti, particulièrement la vague des années 1960 et 1970 (Gérald Guiteau, 2003) – dans le champ (Pierre Bourdieu, 1991 : 24)[20].

La nécessité de se différencier est fondamentale, non seulement pour l’institution à travers sa doctrine (Pierre Bourdieu, 1971 : 32)[21], mais cette différenciation doit aussi être constatée dans la conduite de vie exigée des adeptes. C’est ainsi que dans l’imaginaire populaire haïtien, le pentecôtisme est rattaché à l’interdiction de porter des bijoux, des faux cheveux, etc. Mais, objectivement, pourquoi se différencier? Selon les pentecôtistes interviewés, d’abord parce que c’est l’expression même de leur foi en tant que chrétien, mais aussi pour mériter le respect des païens, comme ils nous l’ont clairement affirmé :

[…] Dans notre manière d’être, nous ne portons pas de bijoux, nos oreilles ne sont pas percées, nous ne portons pas de pantalon, nous sommes tellement belles dans notre simplicité … Cela me fait du bien, dès que j’arrive quelque part, on m’identifie en tant que chrétienne [et on lui demande, dit-elle] « […] tu es pentecôtiste? » […] On me demande quelle est mon assemblée et lorsque je dis que c’est la Prophétie, les gens sont toujours prêts à me féliciter.

[…] Nous sommes des servantes et serviteurs de Dieu, nous devons être différents. Différents dans quel sens? […] Tu es une servante de Dieu, tu n’as pas besoin de le crier sur tous les toits … Non, immédiatement que tu arrives quelque part, ils peuvent déjà faire la différence, le monde païen peut déjà faire la différence parce que tu arrives, tu ne prononces pas un mot, mais d’autres personnes parlent à ta place, c’est une belle chose, je pense que cela fait plaisir à Dieu, c’est pourquoi j’aime l’Église de Dieu de la Prophétie.

[…] Le monde païen […] celui qui n’est pas serviteur, qui n’est pas une servante de Dieu porte des bijoux, elles portent ce qu’elles veulent et si moi qui suis chrétienne je les porte aussi, nous ne sommes plus différentes, il n’y aurait plus de différence… Mais les gens doivent pouvoir le témoigner pour toi, immédiatement que nous arrivons quelque part … Le monde doit pouvoir faire la différence.

Voilà un ensemble de propos exprimant leur souci de distinction et le besoin qu’ils ont de se sentir respectés par les païens. Ainsi, pour huit d’entre eux, soit 42,10 % des pentecôtistes interviewés, les sanctions sont nécessaires à l’église, de manière à ce que leurs assemblées soient respectées par les païens qui les observent. À ce sujet, rapportons ces propos de deux membres de l’Église de Dieu de la Prophétie, s’exprimant sur la pertinence de la sanction à l’église :

Ce serait un peu laid qu’un membre de l’église qui aujourd’hui en pleine rue fait un scandale en insultant d’autres personnes, etc., demain le comité de l’église l’appelle et il dit qu’il est conscient et après, peut-être le même jour, plus tard ou le lendemain […] on observe cette personne, micro en main à l’église, dans la même zone pour prêcher l’évangile. Comment est-ce que les gens [les païens, les passants] vont voir ça? […] Cette personne sera un agent qui portera les gens à parler mal de l’évangile à mon avis.

[…] [Tu as reconnu certes ta culpabilité], tu as tout avoué clairement, [mais] tu prends une pause pour les gens [les païens, les individus extérieurs à l’église], il y a des gens, des païens qui nous écoutent et qui nous observent, pour qu’ils ne disent pas du mal de l’église par rapport à ce [que tu as fait] tu prends une pause.

Cela démontre clairement la volonté explicite des pentecôtistes à répandre une bonne image d’eux-mêmes, à tenter de gagner le respect des individus extérieurs, de par leur comportement, la gestion de leur conduite de vie, le sens des exigences qu’ils s’imposent jusque dans leur tenue vestimentaire, leur apparence. Cela représente clairement de leur part un ensemble de stratégies d’investissement symboliques (Patrice Bonnewitz, 1998 : 57)[22].

Ainsi, 95 % des chrétiens non pentecôtistes interrogés (soit 19 personnes), affirment avoir un grand respect pour le souci de rigueur des pentecôtistes dans leur comportement. Ils sont 17, soit 85 %, à soutenir que le comportement des pentecôtistes est celui du vrai chrétien. Il y en a même trois qui, en raison de cela, ont répondu positivement à l’idée de quitter leur assemblée pour rejoindre une église pentecôtiste, mais ils sont aussi 16, soit 80 %, à répondre que ce n’est pas une raison suffisante. Les laïcs-profanes sont, quant à eux, 75 % (soit 15 personnes) à avoir du respect pour le souci de rigueur des pentecôtistes dans leur conduite de vie. Ils sont 14, soit 70 %, à penser que leur comportement correspond à celui du vrai chrétien. Enfin ils sont 13, soit 65 %, à penser que ces assemblées seraient les églises à fréquenter pour sauver leur âme.

Il faut souligner que, tout en propageant une excellente représentation d’eux-mêmes, consciemment ou pas, comme stratégie (Pierre Bourdieu et Pierre Lamaison, 1985 : 4)[23], les pentecôtistes développent par ailleurs des représentations très négatives de l’Église catholique, tout particulièrement, la plaçant sur la même ligne que le vodou. En effet, 18 d’entre eux, soit 94,73 % du groupe interrogé, ont une représentation négative de l’Église catholique. Pour neuf d’entre eux, soit 47,36 %, elle ferait même partie des églises qui enseigneraient de fausses doctrines. Un membre de l’Église de Dieu de la Prophétie de Mithon de Léogâne décrit l’Église catholique en ces termes :

[…] Si l’on parle de l’Église catholique sur ce qu’on pense d’une manière générale, l’Église catholique est guidée par le pape qui prétend affirmer qu’il serait le représentant de Dieu sur la terre en quelque sorte, mais tout le monde sait que les papes sont des représentants physiques de Satan sur la terre. Et à l’intérieur, il y a quelque chose de simple, il y a [lien] entre l’Église catholique et […] les affaires de Satan. Lorsque quelqu’un vient […] d’être initié comme « Kanzo », (grade dans la hiérarchie du vodou), dans un péristyle (temple vodou), on lui demande de faire un pèlerinage, on ne lui demande jamais d’entrer dans une église protestante, il rentre dans une église catholique, aux pieds des saints. Si lorsque la personne vient d’être « Kanzo », ce qu’on accepte tous comme une action satanique, diabolique, si quelque chose de diabolique te guide dans une église et ces églises sont des églises catholiques, c’est parce qu’il y a quelque chose de commun entre les églises catholiques et les gens sous les temples de Satan. Pour dire qu’il y a deux camps, soit quelqu’un est chrétien, soit qu’il est dans le camp de Satan le diable. Chaque église catholique […] a un esprit qui marche avec elle […].

Par ailleurs, ils ne visent pas seulement l’Église catholique comme l’Église qui détiendrait le monopole de l’autorité du pouvoir religieux jusque-là, mais aussi tous les autres courants ou « sectes » indépendantes. Pour abonder dans ce sens, rapportons les propos suivants tenus par un membre de l’Église :

On [les dirigeants] parle toujours des Adventistes, des Témoins de Jéhovah, comme des religions que je pourrais dire de fausses doctrines. Ce sont surtout ces Églises, pour nous de la Prophétie, qu’on nous dit qui ont de faux enseignements, on nous demande toujours d’éviter de les visiter.

En ce sens, les Témoins de Jéhovah, les Adventistes, l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, les Disciples, les Full Gospel, les Églises de l’Armée céleste, etc., seraient des « sectes » qui enseigneraient de fausses doctrines à leurs yeux.

Les milieux populaires haïtiens et le pentecôtisme

Étant donné que, « pour qu’un champ marche, il faut qu’il y ait des enjeux et des gens prêts à jouer le jeu, dotés de l’habitus impliquant la connaissance et reconnaissance des lois immanentes du jeu, des enjeux, etc. » (Pierre Bourdieu, [1984] 2002 : 114), selon nous, toute cette dynamique ne se perpétue que parce que ces églises qui tendent vers cette gestion rigoureuse de la conduite de vie de leurs membres, trouvent une majorité d’individus dans la société haïtienne, prête à jouer le jeu, une majorité ayant l’illusio, c’est-à-dire, prête à se prendre au jeu, à s’investir (Pierre Bourdieu, [1984] 2002 : 34-35)[24]. C’est ce que les milieux populaires haïtiens offrent à ces églises. Dans la commune de Léogâne, les églises pentecôtistes seraient au moins une centaine : alors qu’elles sont moins d’une dizaine à s’établir au centre-ville de Léogâne, elles pullulent dans les sections communales reculées.

D’un côté, les milieux populaires, avec le plus fort taux de parents analphabètes, sont dominés par une éducation familiale sur fond de maltraitance. De l’autre, dans ces mêmes milieux populaires, les individus sont déjà objectivement exclus de la société globale. C’est pourquoi le discours pentecôtiste de retrait du monde et le respect de règles de conduites leur interdisant certaines pratiques mondaines (bijoux, maquillage, sortir en club, etc.) qu’ils ne peuvent de toute façon s’offrir, les séduisent facilement. Ainsi, cette gestion religieuse de leur conduite de vie rejoint-elle parfaitement les limites objectives et les aspirations subjectives de ces individus (Pierre Bourdieu, 1971 : 314)[25].  Ce sont, en partie, ces logiques assez déterminantes, de notre point de vue, qu’il faudrait toujours tenter de mettre à jour, au-delà du simple fait de mentionner la proximité des églises pentecôtistes avec les milieux ruraux et populaires.

Selon nous ici, il convient de prendre en compte aussi ces facteurs, pour expliquer l’expansion du pentecôtisme, notamment dans les milieux populaires haïtiens, dans les quartiers pauvres des principales villes du pays et l’espace rural. Partant de là, ces églises gagneraient en prestige, en respect aux yeux des laïcs, dans le sens que « […] le capital symbolique est un crédit, mais au sens le plus large du terme, […] que la croyance du groupe peut seule accorder à ceux qui lui donnent le plus de garanties matérielles et symboliques […] »  (Bourdieu, 1980 : 203-204); donc, de ce fait aussi, les relations de concurrence leur sont favorables. Ce sont, en somme, les différentes raisons à partir desquelles nous estimons que les églises pentecôtistes ou toute autre institution « rigoriste » sont en pleine expansion en Haïti depuis la fin des années 1980. Et cela, sans prétendre rejeter purement et simplement les autres pistes mentionnées par d’autres travaux.

Conclusion

Partant de différentes observations sociologiques réalisées au sein d’un courant pentecôtiste particulier, cette recherche a tenté, avant tout, de présenter une autre forme d’analyse de la dynamique religieuse en Haïti à partir du concept de champ. En effet, en traitant l’état de la recherche sur la question, nous avons constaté que les principaux travaux sur le sujet faisaient totalement l’économie du fait que les différentes institutions religieuses constituent, par le fait même de leur pluralité, un espace social concurrentiel, soit un champ social particulier, qui donne lieu à des luttes, des stratégies, des enjeux communs et des intérêts divergents. Par ailleurs, la question religieuse étant l’affaire de tous, on doit tenter de comprendre les motivations qui poussent un laïc-profane, c’est-à-dire un croyant non adhérent, à s’allier à telle ou telle institution donnée. C’est ce qui a été au fondement même de la démarche adoptée ici, en se donnant pour objectif d’interroger, dans notre collecte de données, tant les pentecôtistes que les différents autres types de croyants chrétiens, particulièrement les croyants qui seraient immédiatement exclus, en un certain sens, du champ, autrement dit les laïcs-profanes.

Dans leur quête d’une conduite de vie rigoureuse, les pentecôtistes finissent par bénéficier d’une image positive auprès des chrétiens non pentecôtistes, autant que des laïcs-profanes. Tout cela contribuerait à leur expansion dans le champ religieux haïtien, dans le sens que les relations de transaction et les relations de concurrence leurs deviennent favorables.

Cependant, nous devons avouer que cette recherche contient plusieurs limites. Elle ne pouvait notamment pas cerner toute la problématique de l’expansion du pentecôtisme en Haïti. De ce fait, il reste encore beaucoup à faire, à dire sur le sujet. Disons que le pentecôtisme est surtout trop hétérogène, pour pouvoir prétendre expliquer son expansion en interrogeant spécifiquement la réalité d’une seule de ses dénominations et sur un seul angle. De plus, dans le cadre de cette recherche, nous n’avons ciblé qu’une église d’une seule dénomination. En fait, objectivement, toute volonté d’arriver à formuler une seule explication sur l’expansion de l’ensemble du mouvement pentecôtiste ne serait qu’une chimère qui ne ferait, d’une façon ou d’une autre, que violer la diversité du pentecôtisme, en prétendant la circonscrire dans le mot « pentecôtiste » des chercheurs. Ce mouvement est lui-même tout un monde dans l’univers du protestantisme, en ce sens, nous ne pouvons fournir dans le cadre d’une seule recherche que des explications pour un certain type de courant de ce vaste mouvement religieux. Toutefois, notre travail ne perd en rien de sa nécessité, dans le sens que cette gestion de la conduite de vie, avec l’établissement de règles et de sanctions, est l’une des spécificités des églises pentecôtistes classiques haïtiennes.

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  1. « Le discours social : tout ce qui se dit et s’écrit dans un état de société; tout ce qui s’imprime, tout ce qui se parle publiquement ou se représente aujourd’hui dans les médias électroniques. Tout ce qui se narre et argumente […] » (André Corten, 2001 : 24).
  2. « […] "une déviance morale" mise à jour par toutes sortes de pratiques (particulièrement sexuelles), expressions pour l’ensemble de "notre naufrage collectif" » (Sic). Voir Aly Acacia. 2015. « L’amour : une opportunité d’affaires à Port-au-Prince? », Le Nouvelliste, lundi 17 et mardi 18 août, no 39533, p. 2. L’absence de toute base de moralité est si présente dans la société qu’un parti politique, apparemment sans origine confessionnelle, inscrivait dans ses missions « le rétablissement des valeurs morales » lors des campagnes électorales de 2015. Voir Le Nouvelliste du samedi 18 et dimanche 19 avril 2015, no 39451, p. 17.
  3. Nous relevons les points suivants des principes de l’Église de Dieu de la Prophétie : « Tout membre de l’Église impliqué dans des scandales publics doit être mis sous sanction; aucun membre de l’Église de Dieu de la Prophétie n’a le droit de visiter une autre Église sans avertir d’avance les responsables; le comité de l’Église n’acceptera pas que deux jeunes qui ne sont pas encore préparés aient une relation amoureuse; le comité de l’Église ne tolèrera pas que des membres de l’Église fondent une relation amoureuse avec une personne non convertie; un membre de l’Église qui laisse l’Église en plein déroulement d’une réunion d’affaire ou d’une réunion de membres pour rentrer chez lui sera mis sous sanction; un membre de l’Église qui s’absente à une réunion et qu’on surprend dans des jeux de divertissements sera sous sanction » (principes consignés dans la charte disciplinaire de l’Église).
  4. ? Dans une dynamique de restructuration d’un champ religieux, les relations de transaction ainsi que les relations de concurrence, exprimeraient une situation globalement favorable aux courants religieux en expansion. [] Les relations de transaction* qui s'établissent sur la base d'intérêts différents entre les spécialistes et les laïcs et les relations de concurrence* qui opposent les différents spécialistes à l'intérieur du champ religieux constituent le principe de la dynamique du champ religieux et, par-là, des transformations de l'idéologie religieuse (souligné par l’auteur*) (Pierre Bourdieu, 1971 : 313).
  5. Une ville haïtienne, située à une trentaine de kilomètres de la capitale (Port-au-Prince).
  6. Par « laïc-profane nous désignons ici, l’Haïtien ordinaire qui n’est affilié à aucune institution religieuse et qu’on serait tenter de prendre pour un « athée ». En fait, il s'agirait du non pratiquant, mais qui observe et produit des jugements sur les religions, leurs pratiques et la conduite des fidèles de chacune d’elles et c’est souvent de ces jugements que nous pourrions tenter de comprendre la distance qu’il aurait maintenu jusque là, mais aussi ce qui pourrait le motiver à devenir pratiquant dans telle ou telle autre institution ».
  7. Certains diront peut-être que notre revue de littérature comporte des auteurs qui n’auraient pas effectué au préalable des enquêtes empiriques rigoureuses pour étayer leurs affirmations sur l’expansion du pentecôtisme, ou ceux qui les ont plus ou moins effectuées, les auraient faites depuis trop longtemps. Ce point s’est révélé très délicat pour notre propre travail, cependant, conscient que « l’état actuel des connaissances constitue […] la première contrainte de la recherche scientifique, dans la mesure où l’on accepte que la science procède en grande partie d’un raffinement, d’une amélioration du savoir organisé […] » (Benoît Gauthier, 2009 : 34), on a fait le choix malgré tout de les citer au lieu de tout bonnement faire fi de leur existence comme écrits sur le fait religieux pentecôtiste en Haïti.
  8. « […] prônant une lecture littérale de la Bible, les fidèles sont soumis à un système normatif nouveau qui leur dicte une éthique de vie, basée sur les interdits de la Bible. Ces interdits fonctionnent comme des lois et constituent un système de règles qui tend à gérer la communauté toute entière ».
  9. « À la lumière du recensement de 2003, selon l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI), le pentecôtisme est la troisième religion en Haïti. La religion catholique romaine est prédominante avec 54,7 % de la population de l’ensemble du pays. Les baptistes et les pentecôtistes représentent respectivement 15,4 % et 7,9 % de la population ».
  10. Les six facteurs seraient : « […] la conviction communiquée à chaque croyant par son Église qu’il doit partager sa foi avec ceux qui l’entourent; […] l’ouverture d’annexes par la plupart des Églises dans les villes et dans les régions environnantes. Ces annexes aidèrent à apporter le message aux gens là où ils se trouvaient; Les missionnaires américains introduisent […] plus de vie dans nos Églises. Les missionnaires américains apportèrent avec eux l’enthousiasme et la joie; Les services de réveil que, sous l’influence de ces missionnaires, les Églises prirent l’habitude d’organiser périodiquement contribuèrent également à l’expansion de l’Évangile dans le pays; Un dernier facteur […] L’utilisation du créole dans les cultes; […] la rupture totale avec le vodou que les Églises protestantes réclament de leurs adeptes ».
  11. Dans le nouveau mouvement religieux des Témoins de Jéhovah, par exemple, presque chaque « témoin » (comme il se nomme) ou aspirant, aurait un père ou une mère spirituelle qui serait une personne un peu plus âgée, comme un tuteur auquel les plus jeunes seraient affiliés, de manière à les conseiller, pour les aider à vivre le plus conformément possible leur croyance. Loin de nous l’idée de prendre ce principe pour une réalité effective dans la vie des « témoins », toutefois, nous voulions simplement souligner que d’autres courants religieux - et pas seulement le pentecôtisme - institueraient directement des mécanismes pouvant conduire à construire une vie religieuse partagée (intime) entre différents adeptes (information récoltée à partir d’échanges personnels avec des Témoins).
  12. Nous reconnaissons le fait que, dans une certaine mesure, les croyances du vodou n’ont jamais pu être déracinées, elles ont continué à servir de matrice d’interprétation de tous les événements de la vie quotidienne pour une bonne partie de la population. Mais est-ce que cela nous permettrait pour autant de réduire l’ensemble des gens issus des classes populaires à d’anciens pratiquants ou passionnés du vodou? Ne serait-ce pas comme affirmer que le vodou aurait été la religion de tous ces individus au cours de toute leur existence et qu’ils n’auraient jamais fréquenté d’autres espaces, d’autres groupes sociaux étrangers au vodou où la culture ni non plus les imaginaires vodouesques ne pénètreraient?
  13. Nous disons que le travail de Hurbon suit simplement une logique théorique, du fait que ses analyses ne font pas du tout suite à une enquête empirique datée, et ne serait au contraire que le simple fruit de son raisonnement et de son observation et, de plus, en dehors de tout partage de la pratique quotidienne réelle des individus des quartiers populaires du pays.
  14. La pratique "prosélytiste" - soit l’établissement d’un rapport de communication, de formation sur une théologie donnée, entre un pratiquant (un formateur, un émetteur) et un non pratiquant (un récepteur) - est une action à visée pédagogique et de ce fait, elle fait place, dans ses logiques, aux implications de toutes les actions pédagogiques, autant dans l’étude du fait éducatif que dans celle du fait religieux. Nous reprenons les propos suivants de Bourdieu et Passeron dans La Reproduction : « Contre le sens commun et nombre de théories savantes qui font de l’entendre (au sens de comprendre) la condition de l’écouter (au sens de prêter attention et accorder crédit), dans les situations réelles d’apprentissage (y compris celui de la langue), la reconnaissance de la légitimité de l’émission i.e. de l’AuP - [AuP : Autorité pédagogique] - de l’émetteur, conditionne la réception de l’information, et plus encore, l’accomplissement de l’action transformatrice capable de transformer cette information en formation. Donc, nous pouvons nous permettre d’affirmer que la propagation d’une théologie par une institution religieuse donnée ne peut être prise comme formation que si l’institution elle-même est crédible, donc légitime, aux yeux des récepteurs considérés.
  15. Un espace concurrentiel donc, apte à produire fondamentalement des effets de champ, en d’autres termes, que leurs discours se croisent, s’entrecroisent, se connectent, s’affrontent, se disputent et se bousculent, de plus, que c’est de ces interactions discursives qui qualifieraient péjorativement ou pas les pratiques cultuelles autant les conduites de vie ordinaires des adhérents des unes et des autres, que pourraient aussi prendre naissance et survivraient des jugements, des présupposés des pratiquants mais aussi des laïc-profanes pour s’orienter en définitif dans les différents lieux/institutions du champ.
  16. L’« Homme religieux est celui qui fréquente régulièrement les temples […] participe aux services ou cérémonies cultuels, en un mot c’est le pratiquant; par Homme de la religion, nous entendons le pratiquant ou le non pratiquant dont la mentalité a été structurée par une religion donnée. Cet Homme peut être éventuellement en révolte ouverte contre telle religion, mais il ne demeure pas moins vrai qu’il en garde un certain repli, que certains de ses schémas de discussion et de délibération éthique renvoient à ses références religieuses ».
  17. Les noms sont des emprunts pour l’explication, les entretiens ont été réalisés de manière anonyme.
  18. Stratégie, dans le sens bourdieusien du terme.
  19. « […] La religion est saisie essentiellement comme une fonction de la société opérant sur elle-même*. Dans une société s’affirmant*, se confirmant, s’attestant, une religion se manifeste comme une fonction d’intégration*, disons d’attestation*. Dans une société s’interrogeant* sur elle-même, se redistribuant ses complémentarités et ses antagonismes, la religion se manifeste comme une fonction de différenciation* et à la limite de contestation*. Dans une société se niant*, se refusant elle-même, la religion se manifeste comme une fonction de protestation*, de révolte voire de subversion. » (* Souligné par l’auteur) 
  20. « […] L’initiative du changement revient presque par définition aux nouveaux entrants, […] qui sont aussi les plus démunis de capital spécifique, et qui, dans un univers où exister c’est différer, c’est-à-dire occuper une position distincte et distinctive, n’existent que pour autant que, sans avoir besoin de le vouloir, ils parviennent à affirmer leur identité, c’est-à-dire leur différence, à la faire connaître et reconnaître ("se faire un nom"), en imposant des modes de pensée et d’expression nouveaux, en rupture avec les modes de pensée en vigueur, donc voués à déconcerter […]. »
  21. « C’est aussi le souci de définir l’originalité de la communauté par rapport aux doctrines concurrentes qui conduit à valoriser les signes distinctifs et les doctrines discriminantes, à la fois pour lutter contre l’indifférentisme et pour rendre difficile le passage à la religion concurrente. » 
  22. « […] [des] actions visant à conserver et à augmenter leur capital de reconnaissance. Il s’agit de stratégies dont l’objectif est de reproduire des schèmes de perception et d’appréciation les plus favorables à ses propriétés et de produire des actions susceptibles d’être appréciées favorablement selon ces catégories. »
  23. « Disposant d’un certain capital, dans un champ structuré par des règles et des enjeux, un agent adopte une stratégie pour en tirer le maximum de profit. Non point moyen de l’action, manœuvre ou plan, la stratégie apparaît comme un modèle de comportement, un mode d’action ou de conduite, une pratique qui a des effets bénéfiques, voire optimaux, conçus en terme de « profit », bref un acte finalisé : c’est ce qu’on fait dans le monde social présent dans sa relation avec le monde social futur, compte tenu du monde social passé; […] La stratégie se pose ainsi contre l’économisme, qui envisage, d’un côté, de par sa composante subjectiviste, un acteur rationnel orientant son action vers la recherche de l’optimum et une fin consciemment posée, et envisage, de l’autre côté, de par sa composante objectiviste, des causes économiques mécaniques : bref elle se conçoit à la fois comme une arme contre le finalisme et contre le mécanisme » (Alain Dewerpe, 1996 : 2-4).
  24. « L’investissement, c’est l’inclination à agir qui s’engendre dans la relation entre un espace de jeu proposant certains enjeux (ce que j’appelle un champ) et un système de dispositions ajusté à ce jeu (ce que j’appelle un habitus), sens du jeu et des enjeux qui implique à la fois l’inclination et l’aptitude à jouer le jeu, à prendre intérêt au jeu, à se prendre au jeu. »
  25. « […] le message religieux le plus capable de satisfaire l’intérêt religieux d’un groupe déterminé de laïcs, donc d’exercer sur lui l’effet proprement symbolique de mobilisation qui résulte du pouvoir d’absolutisation du relatif et de légitimation de l’arbitraire est celui qui lui apporte un (quasi) système de justification des propriétés qui lui sont objectivement attachées en tant qu’il occupe une position déterminée dans la structure sociale. » 

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