Introduction. Regards indisciplinés sur les injustices épistémiques
Baptiste Godrie, Marie Dos Santos et Simon Lemaire
Cette introduction questionne les conditions de possibilité d’ouverture d’un dialogue interdisciplinaire et intersectoriel sur les injustices épistémiques. Interdisciplinaire, tout d’abord, puisque les contributions réunies dans ce volume proviennent de disciplines telles que la philosophie, la sociologie, l’histoire, l’anthropologie, le travail social, le droit, la géographie, les sciences de l’éducation et les études urbaines. Intersectoriel, ensuite, puisque les contributions visent à susciter le dialogue entre des acteurs et actrices de différents secteurs – notamment associatif et universitaire – de la société. Enfin, elle met l’accent sur le « dialogue » puisque les contributions de cet ouvrage ont été rassemblées dans les suites d’un colloque que les responsables de cet ouvrage ont co-organisé à l’Université de Namur les 7 et 8 février 2019 sur le thème des injustices épistémiques. L’évaluation des textes a été conçue de manière ouverte et participative, comme une étape clé du processus éditorial, propice à la mise en discussion des idées entre différents publics. Les participants et participantes au colloque étaient soit des personnes évoluant dans le milieu universitaire (étudiant-e-s, chercheurs et chercheuses de carrière), soit des personnes appartenant au milieu de l’intervention socio-sanitaire dans des fonctions de gestion/coordination/direction de services publics ou associatifs, et de membres d’équipes d’intervention sociale, soit, enfin, des personnes militantes pour les droits sociaux et contre la pauvreté, dont certaines se présentaient comme des expertes du vécu de la pauvreté. Pour alléger le propos, nous parlons dans la suite du texte d’universitaires de carrière, de praticiens et praticiennes de l’intervention et d’expert-e-s du vécu, ce qui n’a pas pour but de gommer la porosité de ces catégories (des universitaires de carrière ayant parfois été des praticien-ne-s de l’intervention sociale ou revendiquant le chapeau d’activiste, des personnes issues de la pratique ou expertes du vécu participant parfois à des recherches universitaires).
Cette introduction situe, dans un premier temps, les enjeux rencontrés dans l’organisation et le déroulement du colloque en lien avec la thématique des injustices épistémiques au cœur de l’événement et propose, dans un second temps, une réflexion sur le processus de publication de cet ouvrage dans les suites du colloque. Avant cela, nous proposons quelques remarques préliminaires sur le cadre conceptuel des injustices épistémiques mobilisé dans le cadre du colloque.
Mettre à l’épreuve un cadre conceptuel
Ce colloque est, à notre connaissance, le premier colloque francophone international organisé sur le thème des injustices épistémiques; thématique particulièrement conceptualisée en anglais ainsi qu’en espagnol et en portugais par des activistes et universitaires inscrit-e-s dans les courants féministes et décoloniaux, ainsi que dans les disciplines de la philosophie et de l’éthique (Fricker, 2007; Ngũgĩ, 2011; Anderson, 2012; Bohman, 2012; Smith, 2012; Medina, 2013; Dotson, 2014; Santos, 2014; Piron, Régulus et Dibounje Madiba, 2016; Visvanathan, 2016; Kidd, Medina et Pohlhaus, 2017; Piron, 2017). L’intention n’était pas de forcer ou d’imposer l’adoption d’un cadre théorique ou d’un langage donné, mais de voir ce que le concept d’injustices épistémiques permet de mieux comprendre des inégalités sociales vécues sur la base de critères tels que le genre, l’âge ou l’assignation à un groupe racisé à l’œuvre dans une multitude de sphères sociales (éducation, logement, intervention sociale et soins de santé, environnement, etc.) et de disciplines. Nous souhaitions de ce point de vue que ce colloque favorise un dialogue fructueux entre les différentes théorisations du concept d’« injustices épistémiques », les cadres théoriques et les expériences plurielles mobilisées par les participant-e-s, y compris par des personnes peu familières avec ces outils conceptuels.
Ce colloque visait également à décloisonner les registres discursifs en mêlant préoccupations scientifiques et politiques. En effet, il s’agissait, d’une part, de faire avancer notre compréhension collective des mécanismes qui sous-tendent la production des injustices épistémiques et, d’autre part, de débattre de pratiques visant à réduire ces injustices.
Plusieurs questions étaient au cœur des échanges : Comment repère-t-on des injustices qui, par définition, échappent aux modèles de pensées dominants? De quelle manière les personnes qui vivent ou sont témoins de ces injustices en parlent-elles? Qui avantagent-elles et désavantagent-elles, et dans quelles circonstances? Quelles sont les conceptualisations scientifiques en mesure d’en rendre compte? Qu’est-ce qui a trait spécifiquement à la connaissance dans ces injustices (par rapport à d’autres types d’injustices, économiques par exemple) et de quelle façon s’articulent-elles à d’autres hiérarchies et rapports de domination?
Les travaux féministes et décoloniaux qui alimentent les théorisations contemporaines des injustices épistémiques – et au coeur de plusieurs échanges durant le colloque – ouvrent de nouvelles pistes de compréhension par rapport aux travaux existants, par exemple sur le déni de reconnaissance et le mépris (Honneth, 2000 et 2006; Renault, 2004; Fraser, 2005), sur les inégalités en milieux scolaires et les pédagogies de l’humiliation (Bourdieu et Passeron, 1964; Freire, 1968; Rancière, 1987) ou encore sur les rapports de pouvoir dans les processus participatifs de recherche (Fals Borda et Rahman, 1991; Reason et Bradbury, 2001; Anadon, 2007; Hall et Tandon, 2017; Merçon, 2018; Chevalier et Buckles, 2019; Godrie et al., 2020).
Parce qu’il est encore peu utilisé dans le langage ordinaire et universitaire, et qu’il demeure relativement hermétique, le concept même d’injustices épistémiques a de quoi apparaitre paradoxal, comme l’ont reflété des personnes ayant participé à la préparation de l’évènement et durant le colloque. D’un côté, il semble contribuer à l’effet d’autorité propre au langage scientifique et à renforcer l’entre soi académique et, ce faisant, à créer des barrières au dialogue entre universitaires, praticien-ne-s de l’intervention et expert-e-s du vécu. De l’autre, il offre l’avantage d’attirer l’attention sur un type particulier d’injustices vécues par les personnes considérées comme des sujets connaissants, c’est-à-dire détenteurs, producteurs et transmetteurs de savoirs, et qui semble mal saisi, voire laissé dans l’ombre, par d’autres concepts comme « savoirs et pouvoirs ». De ce point de vue, penser avec et autour des injustices épistémiques permet de visibiliser des rapports sociaux inégalitaires qui étaient jusqu’alors tus, voire naturalisés, par des idées et des façons de penser dominantes, comme celles de méritocratie et de compétences/incompétences individuelles. Ces tensions, entre effets d’autorité du langage scientifique et in-visibilisation des rapports de pouvoir, étaient au cœur de nos échanges et se situent au cœur des contributions du présent ouvrage.
Une expérimentation guidée par une volonté de cohérence sur la forme et le fond
Ce colloque s’est tenu sous l’impulsion du Groupe de travail 21 Diversité des savoirs de l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF) qui souhaitait organiser une manifestation scientifique atypique en associant des personnes qui ne sont pas des universitaires de carrière à la réflexion sur les connaissances produites et à leur production dans le cas des recherches participatives présentées dans le colloque.
Nourris par nos parcours respectifs et nos réflexions, nous avions envie de ne pas reproduire un colloque clivant les personnes du « grand public », d’un côté, et les personnes « expertes », de l’autre, ou de reproduire un monologue académique. Nous souhaitions expérimenter la création d’un colloque scientifique marqué par une place importante accordée au dialogue entre les membres du public, peu importe leur statut et degré de familiarité avec les recherches universitaires.
Ce type d’expérience peut en effet se révéler insatisfaisant, voire frustrant, si le format n’est pas adapté et que les personnes du public se sentent spectatrices des échanges, que leur rôle se limite à demander des clarifications et à poser des questions, ou qu’elles sentent que leurs interventions ne sont pas légitimes et bien accueillies. Les universitaires de carrière, qui sont habitué-e-s aux colloques entre pair-e-s, peuvent quant à eux et elles regretter, dans ce type d’évènement, que leurs échanges soient parasités par des interventions qu’ils et elles peuvent juger hors propos ou anecdotiques.
Pour éviter certains de ces écueils, nous avons expérimenté plusieurs dispositifs pour favoriser la participation et le dialogue. En amont du colloque, l’appel à communications a fait l’objet de relectures multiples de la part de praticien-e-s de l’intervention dont les propositions ont permis d’obtenir une version finale permettant une plus grande accessibilité et appropriation de la thématique par les publics non spécialistes. Une collègue universitaire en a également proposé une version Facile à lire et à comprendre (FALC) pour en augmenter son accessibilité. En outre, les membres du comité scientifique étaient paritaires hommes-femmes et universitaires-milieux de pratique, tout comme les duos de président-e-s des ateliers dans lesquels les participant-e-s présentaient leur communication. Les participant-e-s étaient également informé-e-s de la nature de l’espace auquel elles et ils allaient contribuer : un colloque où elles et iles peuvent présenter une communication quel que soit leur statut et où leur contribution allait être pleinement sollicitée lors des temps d’échange en sous-groupes et plénières.
Mû-e-s par la volonté d’éviter que notre rencontre soit le vecteur d’une trop grande série d’injustices, nous avons dû anticiper certaines des barrières risquant de cloisonner l’espace que nous souhaitions ouvrir. Rendre ces journées accessibles à des universitaires de carrière venant des Suds, des praticien-ne-s et expert-e-s du vécu du Nord ne disposant pas forcément d’aides financières permettant d’effectuer le déplacement implique une marge de manœuvre budgétaire. Grâce au soutien financier et logistique de l’institut Transitions, nous avons pu proposer un évènement gratuit et organiser un concours de bourses de voyage pour les personnes effectuant un déplacement de loin et ne disposant pas de financement par ailleurs. Voilà donc déjà l’un des premiers moments où peuvent se nouer les silences de toute une série de publics : dans la possibilité matérielle qui leur est donnée, ou non, de rejoindre des espaces où faire entendre leurs voix. Nous réalisons que l’aide fournie n’est pas suffisante pour garantir l’idéal inclusif véhiculé par les concepts au cœur du projet que nous avons mis en place. Mais cela aura néanmoins été une ressource inestimable dans notre tentative d’y aspirer.
Afin que l’espace physique favorise la rencontre, nous avons opté – pour les plénières qui se déroulaient durant les deux matinées du colloque – pour une salle avec des tables rondes au détriment d’un amphithéâtre qui réduit les possibilités d’échanges entre personnes du public et amplifie la distance entre les personnes dans la salle et celles sur la scène. Malgré un programme bien rempli, nous avons favorisé la tenue d’activités informelles de type 5 à 7 la veille du colloque, puis lors des soirées du colloque favorisant la poursuite des discussions dans une atmosphère conviviale et le développement de liens de collaboration au-delà de l’évènement.
Au final, le colloque a ressemblé en moyenne 90 personnes le matin et 120 en après-midi chacune des deux journées. Ces personnes provenaient de 11 pays (Belgique, Canada, Côte d’Ivoire, Espagne, France, Haïti, Maroc, Mexique, Pays-Bas, Sénégal et Suisse). La présence d’un noyau important de personnes qui ne s’identifient pas comme universitaires de carrière et comme étudiant-e-s a pu être possible en raison de nos réseaux nationaux dans les milieux des associations et des institutions publiques. Le présent ouvrage conserve une diversité importante du point de vue de l’origine des personnes contributrices (Belgique, Canada, Espagne, France, Maroc, Mexique, Sénégal et Suisse) et de leur statut, avec 21 contributions de la part de 54 personnes, dont un tiers d’entre elles co-écrites avec des personnes impliquées dans les initiatives et recherches participatives évoquées.
Malgré cela, nous sommes conscient-e-s du fait que le choix d’organiser un colloque universitaire produit des effets d’exclusion non négligeables de personnes qui ne se sentent pas à leur place dans de tels espaces, dans certains cas parce qu’elles y ont déjà été invisibilisées ou que leur présence a déjà été instrumentalisée, et dans d’autres cas parce que le format minuté des communications scientifiques et le jargon peut leur sembler trop contraignant et étranger[1]. Également, plusieurs des idées initialement envisagées, et qui auraient permis d’offrir d’autres modalités de dialogue entre les participant-e-s – dont une soirée de théâtre forum sur les injustices épistémiques animée par des professionnel-le-s du théâtre; des séances de projection de documentaires et l’exposition d’affiches d’étudiant-e-s de l’Université de Namur ayant réalisé leurs projets de classe en lien avec la thématique du colloque –, ont été mises de côté par manque de temps ou de contacts pour organiser ces activités sur place.
Tensions persistantes
En dépit de notre intention de contribuer à une certaine cohérence entre la thématique des injustices épistémiques et le format du colloque, plusieurs situations démontrent les tensions inhérentes à ce type d’exercice. En voici plusieurs exemples.
Jeudi 7 février 2019, il est neuf heures du matin : au terme d’une année de préparation, le colloque sur les injustices épistémiques démarre dans le chaleureux grenier de l’Arsenal, un bâtiment patrimonial du campus de l’Université de Namur bâti à la fin du XVIIe siècle.
Après un mot de bienvenue, nous – les personnes responsables de l’organisation et de la direction du présent ouvrage collectif – proposons une activité brise-glace au public. Chaque personne est invitée à se présenter pendant quelques minutes avec un-e de leur voisin-e qu’elle ne connait pas encore, puis à participer à un tour de table général dans lequel elle nomme leur nom et leur domaine d’activité. Nous avions pris soin d’indiquer que les personnes pouvaient, lors de ce tour de table, se présenter avec différents « chapeaux », c’est-à-dire avec plusieurs identités, par exemple, « intervenante sociale et militante », tout en conseillant de porter attention aux effets de cet exercice de présentation sur leurs propres jugements de crédibilité ou de manque de crédibilité vis-à-vis des autres participant-e-s.
Dans l’après-midi et durant la soirée de cette première journée, à l’occasion d’échanges informels, des personnes nous ont fait part du malaise qu’elles avaient ressenti durant cette activité brise-glace. Parmi les points de vue exprimés, certaines personnes soulignaient qu’un tel tour de table contribuait à ancrer des « inégalités de positions » et de crédibilité associées à ces positions sociales. En témoignait, selon elles, le fait que des personnes s’étaient présentées comme des « non-universitaires », ce qui leur apparaissait comme une présentation négative ou dévalorisante pour elles, au lieu de se présenter avec une identité positive. En lien avec cette impression d’« identité négative », une participante nous a rappelé que le formulaire standardisé de la plateforme de congrès universitaires utilisée pour soumettre une proposition de communication lors du congrès contenait plusieurs champs tels que « affiliation universitaire » « laboratoire, groupe ou équipe de recherche de rattachement » qu’elle n’avait pas pu remplir alors que, dans le même temps, aucun autre champ ne lui permettait de valoriser son inscription professionnelle associative.
Un autre exercice brise-glace en plénière consistait à nommer un mot en résonance avec la thématique du colloque. « Crédibilité », « militantisme », « inégalités des savoirs », « paroles et pouvoirs », « je ne sais pas quoi dire », « curiosité » sont quelques-unes des réponses qui se font alors entendre lors du tour de table. Certaines personnes ont mentionné avoir ressenti de la pression à dire le « bon » mot ou un terme « intelligent » en lien avec les injustices épistémiques, ce qu’elles considéraient comme une entrée en matière ne donnant pas tout à fait confiance dans l’espace de dialogue que nous essayions d’instaurer.
Autre temps fort du colloque en lien avec les injustices épistémiques : le premier panel de la première journée. Après un propos inaugural sur les injustices épistémiques lancé par un duo chercheur universitaire et expert du vécu en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le panel consacré à la thématique Genre et injustices épistémiques qui a suivi était uniquement composé d’universitaires de carrière. Malgré un travail préparatoire réalisé en amont avec les présentatrices pour expliciter les visées du colloque et l’importance d’avoir un propos accessible à des non-spécialistes, les présentations sont demeurées à un niveau relativement abstrait et technique de l’avis de plusieurs personnes présentes qui ont relevé la difficulté de saisir les concepts tels que « épistémologies féministes », « épistémologies du Sud », « black feminist thought », « intersectionnalité » ou encore « sujet universel blanc ». Plusieurs d’entre elles nous ont confié avoir trouvé ce panel trop ardu sur le plan théorique considérant l’accent mis sur le dialogue entre l’université et les milieux de pratique. Un tel niveau d’abstraction – justifiable et légitime lorsqu’on se retrouve entre spécialistes des concepts – semble dans ce cas avoir nui à ce qu’une partie des personnes puisse se relier aux expériences et réalités des injustices épistémiques en milieu de travail analysées dans les prises de parole. Malgré cela, des personnes ont beaucoup apprécié le temps d’échange en sous-groupes non mixtes (avec la possibilité de rejoindre l’un des trois groupes de personnes s’identifiant à des femmes, à des hommes ou à des personnes non genrées) à la suite des prises de parole des panélistes; expérience inédite pour beaucoup d’entre elles.
Notre ambition initiale était qu’une femme impliquée dans le mouvement féministe belge fasse partie de ce panel, mais nous avons dû y renoncer après une série de refus pour des raisons de manque de temps ou parce que les personnes identifiées ne se sentaient pas assez « compétentes ». Les études féministes et le concept d’injustices épistémiques analysent précisément les positions minoritaires des femmes dans les arènes publiques, soit qu’elles se reconnaissent moins d’expertise que les hommes à engagement militant, expérience professionnelle ou diplôme comparables, soit que leur parole y soit plus souvent dévalorisée. La délégitimation de leur propre savoir ou la crainte d’être décrédibilisée au sein d’espaces où les rapports de pouvoir leur sont défavorables conduisent de nombreuses femmes à refuser plus souvent les invitations à prendre la parole que les hommes, comme ce fut en partie le cas ici. Leurs refus peuvent aussi s’expliquer parce que le dédommagement financier proposé aux panélistes couvrait uniquement le transport et le repas (et non une journée de travail) dans un contexte où la participation des personnes n’était pas toujours compatible avec leur activité professionnelle ou encore par la difficulté à apprécier si le colloque proposait un espace sécuritaire d’échange.
Les moments conviviaux nous ont permis d’avoir un retour en temps réel sur le déroulement du colloque et d’y apporter des changements. Plusieurs des commentaires évoqués précédemment lors de la première journée nous ont conduits à bouleverser l’ordre du jour de la seconde journée. Au lieu de débuter directement avec un atelier, nous avons initié la session avec un temps d’échange afin que le public puisse partager son ressenti et ses analyses de la veille, ce qui a contribué à enrichir les réflexions sur les injustices épistémiques et les modalités de dialogue entre les différent-e-s participant-e-s. Par exemple, à propos du tour de table inaugural, une personne a proposé que les participant-e-s ne nomment pas leur profession pour ne pas créer de hiérarchies, ce qui a suscité des réactions de la part d’autres personnes qui ont relevé que nommer sa profession contribuait à situer sa perspective et que de ne pas le faire ne faisait pas disparaitre les rapports de pouvoir pour autant. D’autres personnes ont proposé des alternatives comme le fait de passer par des catégories standardisées non dévalorisantes élaborées, en amont de l’évènement, d’un commun accord avec les personnes (par exemple, « personnes impliquées en tant que bénévoles dans une association » plutôt que « personnes usagères des services ») et de rappeler aux personnes qu’elles peuvent ne pas s’auto-identifier.
Sur un autre sujet, des universitaires de carrière ont partagé avoir ressenti, de la part des personnes responsables de l’organisation et de certain-e-s participant-e-s, un parti pris pour les personnes des milieux d’intervention et pour les expert-e-s du vécu, ce qui les a amenées à ressentir un « malaise » à s’afficher et prendre la parole en tant qu’universitaires. L’insistance des personnes organisatrices à mettre de côté le jargon universitaire les questionnait sur la valeur de leur apport spécifique et l’utilité/l’inutilité de certains concepts pour dialoguer avec des non-universitaires de carrière : jusqu’à quel point leurs présentations devaient-elles simplifier, voire expurger, les références bibliographiques, leurs cadres théoriques et approches méthodologiques ou encore les concepts complexes pour aller à l’essentiel? Jusqu’à quel point, ainsi transformées, les présentations restaient-elles « scientifiques »? Sans régler ces questions, les débats ont fait ressortir l’importance de ne pas homogénéiser le discours sur les injustices épistémiques et de préserver une diversité de constructions conceptuelles et discursives sur les enjeux de savoirs et les rapports de pouvoir.
Ce moment de méta-réflexivité portant à la fois sur le déroulement du colloque et sa thématique, et permettant d’interroger plus largement le caractère inclusif/exclusif des manifestations scientifiques, a été apprécié par bon nombre de personnes. Plusieurs d’entre elles ont noté une amélioration de l’atmosphère de la seconde journée et une plus grande écoute et inclusion de la diversité des voix exprimées, ce qui témoigne de l’importance de créer un colloque en mouvement, comprenant des espaces où évoquer les tensions et un horaire flexible permettant une certaine redéfinition des activités en cours de route. Cela ne signifie pas – nous nous en doutons – que la totalité des insatisfactions vécues par les personnes ayant pris part à l’événement organisé à l’Université de Namur ait pu être exprimée. Le manque de temps ou, précisément, parce que l’espace n’était pas suffisamment inclusif, a sans doute empêché certaines personnes qui ne s’y sentaient pas assez à l’aise de prendre la parole.
Cependant, ces ajustements – et la satisfaction affichée par des participant-e-s – nous permettent de tirer trois enseignements : premièrement, la volonté d’ouvrir des colloques à des non-universitaires de carrière afin qu’ils et elles y aient une place à part entière doit s’accompagner de transformations dans les manières d’organiser des manifestations scientifiques; deuxièmement, les changements et ajustements apportés au déroulement du colloque, pour favoriser un espace plus sécuritaire, n’ont pas à être intégralement pensés en amont de l’évènement. Ils peuvent être pensés en continu dans un dialogue avec les personnes présentes dont les réactions peuvent être vues comme des révélateurs de rapports de pouvoir à déconstruire collectivement; et, troisièmement, la capacité de chaque personne à exprimer son malaise et ses réflexions dépend de l’établissement d’une confiance et d’un respect qui est le fruit d’un travail relationnel en amont et durant le colloque. Nous pensons que les échanges courriels et les appels téléphoniques de préparation et de suivi de l’évènement avec les participant-e-s, ainsi que les interactions interindividuelles informelles et les échanges collectifs entre les participant-e-s et les personnes organisatrices durant le colloque ont joué un rôle clé à cet égard.
Évaluation croisée et ouverte
Le processus évaluatif mis en oeuvre dans le cadre de ce projet éditorial s’inspire de celui mis en œuvre par Laurence Brière, Mélissa Lieutenant-Gosselin et Florence Piron dans l’ouvrage Et si la recherche scientifique ne pouvait pas être neutre? qu’elles ont codirigé aux Éditions science et bien commun en 2019.
En amont du colloque, les propositions de communication ont été évaluées par des duos de personnes universitaires et praticiennes avec une grille qui avantageait les communications écrites dans des termes accessibles au grand public, et présentées avec les personnes concernées par les recherches.
Dans les suites du colloque, nous avons souhaité faire de l’étape d’évaluation des contributions de cet ouvrage une occasion de prolonger le dialogue en soumettant chacun des textes au regard croisé de duos d’universitaires de carrière et de praticien-ne-s. Pour former ces duos de personnes évaluatrices, nous avons invité des participant-e-s du colloque (incluant des personnes n’ayant pas soumis de proposition de chapitre) à évaluer une contribution selon leur domaine de recherche ou de pratique[2]. Nous adressons des remerciements chaleureux à ces personnes pour leur disponibilité et le soin qu’elles ont pris à réaliser ce travail. Il s’agit de : Ana Marques, Francis Silvente, Benoît Eyraud, Carine Magen, Isabelle Maillard, Charlotte Doubovetzky, Agnès d’Arripe, Sabine Henry, Mélodie Faury, Laetitia Schweitzer, Claire Heijboer, Sylvain Pianese, Natasia Hamarat, Lola, Michel Streith, François Aubry, Alexandra Mathieu, Paula Durán, David Laumet, Jean-Nicolas Ouellet, Elena Pont, Claire Rommelare, Céline Letailleur, Annamaria Colombo, Jacques Moriau, Louis Rolland, Emmanuelle Bernheim, Laïty Ndiaye, Marion Carrel, Manuel Gonçalves, Anne Petiau et Olivier Vangoethem.
Une autre dimension du processus de publication des contributions est que nous désirions considérer toutes sortes de propositions sans mettre de côté celles qui ne franchiraient pas la barre d’un processus traditionnel d’évaluation scientifique par les pair-e-s. Nous avons choisi d’accompagner les auteurs et les autrices de manière à ce que leur proposition réponde aux commentaires soulevés par les évaluateurs et évaluatrices. Cette façon de faire rejoint plusieurs constats dressés sur l’évaluation classique qui motive de plus en plus de revues à expérimenter des formes ouvertes d’évaluation :
Puisque l’évaluation classique ne permet pas d’empêcher les erreurs ou les canulars dans les publications ni de contourner les effets de conflits d’intérêts dans la mesure où l’anonymat n’est souvent que de principe, il convient de la prendre pour ce qu’elle devrait être : une manière d’améliorer des textes de manière collaborative et d’orienter qualitativement des comités de rédactions. (Bordier, 2016, en ligne)
Les personnes pouvaient proposer l’un des trois formats suivants : une réflexion sur le colloque en format libre, les actes de leur communication ou un chapitre soumis à l’évaluation scientifique ouverte, plus volumineux et approfondi que les actes des communications. Finalement, les contributions reçues furent essentiellement des chapitres.
Considérant qu’il s’agissait d’une première expérience d’évaluation pour les personnes des milieux de pratique, la grille d’évaluation des contributions proposait aux personnes évaluatrices une série de questions de manière à guider leur lecture et leur évaluation des textes, et ciblait les recommandations à formuler autour d’enjeux bien définis (voir à ce sujet l’annexe « Formulaire d’évaluation des contributions »). Cette évaluation concernait, en premier lieu, des aspects classiques de l’évaluation par les pair-e-s (intérêt, originalité, rigueur, validité de la contribution sur la thématique des injustices épistémiques, utilisation judicieuse des références bibliographiques), et portait, en second lieu, sur d’autres dimensions traditionnellement négligées dans l’évaluation scientifique par les pair-e-s. Parmi ces éléments de discussion, la grille proposait d’identifier le jargon ou les discours d’initié-e-s à clarifier dans les textes (critère de l’accessibilité et de clarté), mais aussi de pointer toute formule péremptoire ou dogmatique de manière à ouvrir plutôt qu’à fermer de nouvelles pistes de réflexion (critère du dialogisme).
Les autres critères étaient l’emploi de l’écriture inclusive (ou épicène) afin d’éviter toute discrimination sexiste et tout risque d’invisibilisation des femmes dans l’écriture, et la vigilance particulière à porter aux références bibliographiques de manière à inclure des travaux réalisés par des femmes autant que par des hommes, et dans les pays du Nord et autant que les pays du Sud[3]. Ce mode d’évaluation s’inscrit ainsi en adéquation avec les valeurs de la science ouverte qui favorise la contribution des non scientifiques de carrière à la recherche et repose sur la transparence et le dialogue international entre les savoirs.
Cette lecture croisée université/milieux de pratique devait également conduire à une discussion autour de la responsabilité sociale des auteurs et autrices, et des enseignements tirés de leurs travaux sur la société ou certains groupes sociaux, rejoignant ainsi la préoccupation pour l’action transversale à la problématique du colloque (critère de réflexivité et de responsabilité sociale). L’explicitation des différentes formes d’engagement (social, politique, économique, etc.) était encouragée afin de situer le regard des auteurs et autrices et le contexte de production de leurs savoirs, tout comme le dialogue entre les savoirs (théoriques et pratiques, et universitaires, d’intervention et de vie) au sein de leurs travaux. Une dernière section à la fin de la grille invitant à poursuivre le débat avait pour vocation d’être ouverte, c’est-à-dire publiée avec les contributions. Ce processus s’est conclu par une relecture finale par les responsables de l’ouvrage pour faciliter les renvois entre les textes et demander des développements au besoin pour qu’ils s’inscrivent plus harmonieusement dans l’économie générale de l’ouvrage.
L’ensemble des personnes ayant participé à ce processus d’évaluation a joué le jeu : les retours souvent enthousiastes et curieux ont conduit à des échanges nourris et productifs, permettant parfois des retours de plusieurs pages aux personnes ayant soumis des textes comme en témoignent les extraits qui suivent. Dans certains cas, les personnes ont signé leur évaluation, ce qui a contribué à susciter des échanges directs avec les auteurs et autrices[4]. Une personne relève que ce processus a contribué à nourrir sa réflexion sur l’intérêt et l’objectif d’une évaluation, ainsi que ses attentes en matière d’évaluation de ses propres textes : « Cela va sans dire, j’ai lu et commenté comme j’aurais voulu qu’on lise et commente mon texte, mais ce n’est que mon point de vue, à prendre ou à ignorer par les auteures en fonction de ce qu’il leur semble pertinent. »
Ces doubles regards ont souvent permis d’accompagner les auteurs et autrices dans l’explicitation des concepts mobilisés. Les invitations à « traduire des concepts complexes en des énoncés simples, d’en dévoiler le sens et de les rendre intelligibles et accessibles au plus grand nombre », comme le nomme une évaluatrice, ont contribué à déjouer le piège d’une réflexion sur les « injustices épistémiques » trop abstraites ou théoriques. Sur l’utilisation du concept d’injustices épistémiques, une autre personne s’interroge :
Ce concept, révélateur du jargon utilisé dans les sciences sociales, est peu appropriable. Son inconvénient majeur est de reproduire ce qu’il cherche à décrire voire à décrier. Car il contribue à réintroduire une hiérarchie entre différents types de savoirs (« scientifiques » et « expérientiels »), alors même que la reconnaissance des savoirs d’expérience (longtemps négligés) est l’un des enjeux qu’il soulève.
Dans une perspective de partage, un participant offre une réflexion sur sa lecture située du texte pour souligner les échos produits entre le texte et son expérience de pair-aidant :
Je suis ce que l’on peut appeler un travailleur pair (dénomination différente en Belgique : expert du vécu) et je ne travaille pas dans le milieu médical, mais dans les administrations de l’État et je vais comme dit dans le texte apporter de la « lucidité subversive ». Les problèmes décrits dans ce texte sont identiques aux difficultés rencontrées dans ma fonction aussi. Et souvent on demande la légitimité de cette fonction au titre d’«expert». Ma réponse dans ce cas-là reprend le lien vers la source du problème. J’explique alors que j’ai transformé mon expérience en un outil et que le recul que j’ai sur mon passé est assez conséquent. Je sublime mon expérience pour en faire une expertise.
D’autres évaluations ont proposé aux auteurs et autrices de réfléchir aux effets de la lutte contre les injustices épistémiques : « Je me suis interrogé, au long de ce texte, sur les effets des dispositifs mis en place afin de lutter contre les injustices épistémiques que subissent les personnes : empowerment? Horizontalisation progressive de la relation patient médecin? Transfert de la question médicale à la question sociale? »
Les demandes de clarification de concepts s’accompagnent souvent également – notamment de la part de personnes extérieures au milieu universitaire – de propositions de positionnement plus franc des auteurs et autrices, notamment lorsqu’ils et elles sont des universitaires de carrière : « Il y a un enjeu et donc une perspective politique à son analyse. Je pense qu’elle aurait droit de citer de manière plus visible, mais j’imagine que c’est délicat quand on est tenu à une certaine neutralité scientifique. » Ces discussions sur le positionnement des chercheurs et chercheuses renvoient aux tensions fondamentales entre production scientifique et demandes des milieux de pratique de traduction des travaux de recherche pour mieux guider l’action, proposer des recommandations ou produire des données plus opérationnelles : « C’est la raison pour laquelle le lecteur aimerait en savoir plus sur les changements et les ajustements des méthodes et des outils que ce type de démarche implique pour la recherche, sur le processus de travail engagé et sur les apprentissages croisés entre chercheurs et citoyens. » D’autres commentaires prolongent les réflexions à ce sujet tels que :
Plus généralement, cet écrit nous interroge sur le monde de la recherche et la co-construction de connaissances scientifiques avec la société civile. Les langages, les enjeux et les objectifs peuvent être très différents, rendant ainsi complexes chaque collaboration et l’atteinte de résultats scientifiquement mobilisables.
L’importance de l’animation, du cadre et de la temporalité sont des éléments qui sont intéressants et donneront matière à réflexion à des personnes qui voudraient expérimenter des participations de ce type.
La mise en œuvre de ce processus d’évaluation peut sembler complexe de prime abord, mais elle devient vite aussi familière et facile à mettre en œuvre qu’une évaluation traditionnelle par les pair-e-s. Un des obstacles à sa mise en œuvre est de trouver des personnes des milieux de pratique intéressées à y participer et, surtout, disponibles. Trouver du temps est difficile pour tout le monde, mais dans le cas des universitaires, l’évaluation est une activité qui trouve souvent sa place dans leur description de tâches et elle est envisagée comme une contribution à la vitalité de la communauté scientifique. Pour les personnes des milieux de pratique, en revanche, une telle activité ne s’inscrit nulle part dans leur description de tâches ou leur CV, et n’est pas souvent reconnue par leur organisation. Malgré ces difficultés, nous pensons qu’il est important et même nécessaire de poursuivre l’expérimentation de processus d’évaluation alternatifs à l’évaluation classique par les pair-e-s favorisant une plus grande pertinence sociale des résultats communiqués, identifiant davantage les retombées du point de vue de l’action et améliorant l’accessibilité des propos. Si cette expérience d’évaluation ouverte contribue de notre point de vue à la réduction de certaines injustices épistémiques à l’œuvre dans le processus éditorial, le lien entre processus d’évaluation scientifique et injustices épistémiques nous apparait quant à lui comme un nouveau champ de recherche à défricher.
Structure de l’ouvrage et aperçu des thématiques des chapitres
Partie I. Les injustices épistémiques entre déni de reconnaissance, production de l’ignorance et lucidité subversive
Les contributions de cette première partie dissèquent les mécanismes de production des injustices épistémiques, notamment au sein des institutions publiques et dans les dispositifs participatifs. Ces injustices s’expriment de plusieurs manières, allant du déni de reconnaissance des savoirs, à la mise à l’écart de certains savoirs, dans des formes passives et actives de production de l’ignorance. Face à ces situations, les contributions explorent les résistances épistémiques et la lucidité subversive mise en œuvre par différents groupes sociaux.
Une forme d’injustice épistémique en contexte institutionnel : le cas des préposées aux bénéficiaires dans les organisations gériatriques au Québec
François Aubry et Flavie Lemay analysent une forme spécifique d’injustice épistémique subie par les préposées aux bénéficiaires dans les organisations gériatriques du Québec, fondée sur l’absence de reconnaissance de leurs savoirs informels. Un des ressorts de cette injustice est la moindre valeur accordée aux activités du soin comparativement aux actes médicaux dans les organisations au fonctionnement hiérarchisé. Dans le cas des préposées, les savoirs informels développés pour prendre soin des résident-e-s sont naturalisés par les responsables des organisations, c’est-à-dire considérés comme un attribut naturel de leur activité de préposées, ce qui contribue à nier leur valeur. Leur contribution soulève l’importance des espaces de discussion collectifs sur ce qu’est le travail de préposée comme condition nécessaire pour le développement et la reconnaissance de leurs savoirs.
Trouble dans la hiérarchie ordinaire des savoirs. Paradoxes du travail pair
La contribution de Laëtitia Schweitzer aborde les paradoxes vécus par les travailleurs et travailleuses pair-e-s dans les équipes professionnelles dans le champ médicosocial. S’appuyant autant sur la littérature que sur son expérience de chargée de mission pour la plateforme de développement du travail pair en région Auvergne-Rhône-Alpes, elle décortique les obstacles auxquels ces personnes font face dans la reconnaissance de leurs savoirs. Parmi ceux-ci figurent la ténacité des stigmates associés à leurs postures expérientielles – pourtant au cœur de la légitimité de leur insertion dans le monde professionnel – et la psychologisation de leur posture par leurs collègues, en faisant de leur vulnérabilité présumée la cause de leurs réussites et de leurs échecs.
Entre désir de symétrie et production de l’ignorance en santé mentale : le cas des services d’intervention à domicile et dans les milieux de vie
Claire Heijboer, Hervé Moisan et Anne Petiau analysent les différents formatages de la parole et des savoirs des personnes usagères par le biais des pratiques professionnelles et des logiques organisationnelles à l’œuvre dans le champ de la santé mentale comme autant de facteurs nuisant à la prétendue symétrisation des relations entre usagers, usagères et intervenant-e-s. Ces formatages prennent les formes suivantes : l’intériorisation par les personnes usagères de leur situation de disqualification épistémique, les multiples épreuves du doute dans leurs interactions, le manque d’espaces d’émergence et de formalisation des discours et des savoirs de ces personnes conduisant à des lacunes herméneutiques ainsi que le caractère préétabli de certaines réponses institutionnelles aux demandes. Ces expériences conduisent les autrices et l’auteur à évoquer les disqualifications épistémiques comme des formes de production ou de maintien de l’ignorance des personnes usagères.
Faire place à l’indignation. Réduire les inégalités communicationnelles dans un processus de planification urbaine montréalais
Maxime Boucher nous plonge dans une enquête réalisée au cœur des processus de planification urbaine de quartier à Montréal. En s’inspirant des récents travaux ethnographiques sur les espaces participatifs et délibératifs, il s’attache à mettre en évidence les difficultés à atteindre l’idéal participatif par la mise en évidence d’inégalités communicationnelles. Son enquête soulève l’enjeu de la prise en compte des formes de communication qui échappent à la discussion formelle et procédurale des réunions publiques et souligne le caractère éprouvant de la prise de parole notamment de la part des participant-e-s marginalisé-e-s.
Travail pair versus travail social : quelle légitimité de la mètis face aux savoirs académiques?
Sylvain Pianese possède à la fois un parcours de pair-aidant et d’assistant avec une formation en travail social. Ancré dans son expérience de chargé de mission pour la plateforme de développement du travail pair en région Auvergne-Rhône-Alpes, son texte analyse les résistances du travail social à reconnaitre le travail pair comme une source de savoirs spécifiques dérivés de l’expérience de vie – une mètis – et légitimes pour l’accompagnement et les soins des personnes.
Partager le monopole des savoirs dans l’usage de drogues. Le cas des junkies au Maroc
La contribution d’Abdellah Es-Souadi illustre, dans le cas du Maroc, la manière dont le discours médical sur l’usage des drogues injectables peut contribuer à enfermer les personnes dans une identité de personnes malades (qui peut être préférée à celle de personnes délinquantes), à passer sous silence leur voix et à marginaliser les savoirs qu’elles détiennent à propos de l’usage des drogues et de la réduction des risques. Même si beaucoup reste à faire, les évolutions récentes en matière de politiques des drogues au Maroc semblent accorder une place plus importante à la voix de personnes utilisatrices de drogues injectables et à les reconnaitre comme détentrices légitimes de savoirs et des actrices à part entière des politiques publiques dans ce domaine.
Avantage versus injustice épistémiques : stratégies d’empowerment dans la réhabilitation éducative et professionnelle des femmes paraplégiques
Dans une perspective intersectionnelle, Elena Pont analyse les parcours éducatif et professionnel des femmes devenues paraplégiques à l’aune du handicap et du genre en Suisse. Elle montre que leur embauche – qui repose sur l’attribution d’un double avantage épistémique dont ces femmes sont censées « naturellement » disposer du fait d’être femmes et dites handicapées – masque en réalité les connaissances formelles et l’expérience acquise, ainsi que les inégalités épistémiques vécues par les femmes paraplégiques au cours de leurs trajectoires éducatives et professionnelles. Elle suggère qu’une stratégie d’empowerment de ces femmes pourrait consister à leur expliciter l’instrumentalité du modèle éducatif et professionnel qu’elle met en lumière.
Décrédibilisation du discours militant et droits des personnes handicapées
Claire Rommelaere et Charlotte Vyt étudient la décrédibilisation du discours militant dans le champ du handicap en s’appuyant sur le cas de l’interprétation de l’article 12 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées par le Comité des droits des personnes handicapées. En s’appuyant sur des travaux d’épistémologie, en particulier sur la question de l’objectivité scientifique, elles analysent le statut donné aux connaissances détenues par des « militant-e-s » et l’absence de débat entourant la position du Comité des droits des personnes handicapées comme une silenciation, c’est-à-dire une source significative d’injustice épistémique.
Partie II. Quelles écologies des savoirs pour favoriser la justice épistémique?
Les contributions de cette seconde partie envisagent les espaces dans lesquels des publics minoritaires sont susceptibles de faire entendre leur voix, de prendre la parole. Dans certains cas, les chapitres analysent les dialogues qui se jouent entre les savoirs et le type de justice épistémique auxquels ils peuvent donner lieu dans différentes disciplines, institutions et secteurs de la vie sociale, et au sein même des projets de recherche.
Entre sciences des sols et savoir-faire paysans : faire dialoguer les formes de connaissance pour améliorer de la santé des sols cultivés
Lola Richelle, Marjolein Visser et Nicolas Dendoncker soulèvent l’enjeu du dialogue entre différentes formes de connaissances issues des communautés paysannes et de la science agronomique, dans un contexte où celles-ci entretiennent des rapports de force historiques avec l’essor de l’industrialisation de l’agriculture. Leur texte relate une expérience de recherche collaborative visant la conception et l’utilisation d’une méthode qualitative d’évaluation de la santé des sols cultivés qui soit à la fois pertinente pour les agriculteurs et les agricultrices autant que pour les scientifiques. Ce travail implique notamment d’admettre la possibilité de co-existence de plusieurs régimes de vérité, à l’encontre de l’idée de monoculture des savoirs scientifiques occidentaux.
Accès à la justice et injustices épistémiques : état des lieux, obstacles et possibles
Dans leur contribution, Alexandra Bahary Dionne et Emmanuelle Bernheim clarifient les liens entre l’accès à la justice des personnes et les injustices épistémiques qu’elles peuvent vivre au sein des services juridiques et des tribunaux. Selon elles, si l’accès aux savoirs juridiques semble être l’un des préalables à la participation des personnes au sein des institutions de justice, cette participation doit aussi s’appuyer sur la reconnaissance de leurs savoirs expérientiels par la communauté juridique elle-même. Leur contribution se termine ainsi par un double appel, d’une part, à l’ouverture des savoirs juridiques à la pluralité des savoirs expérientiels détenus par les personnes qui cheminent au sein des institutions de justice et, d’autre part, à l’élargissement de l’analyse des obstacles épistémiques rencontrés par les groupes dominés à la manière dont certains groupes dominants restent ignorants de ces réalités.
De la disqualification à la prise en compte de parole des personnes dites handicapées psychiques par les décideurs et décideuses publics : le défi de la recherche-action participative en santé mentale d’Advocacy France
Rejoignant des constats établis dans le chapitre 3 sur les injustices épistémiques vécues par les personnes dites handicapées psychiques, et sur des manquements relatifs à la prise en compte de leurs droits, le chapitre proposé par Isabelle Maillard, Annick Brion, Daniel Lesur et Philippe Kubon présente une recherche-action dans le champ de la santé mentale inspirée des fondements et pratiques de la pédagogie critique. Cette recherche-action visait à créer des espaces de rencontre entre des personnes membres de Groupes d’entraide mutuelle (GEM) et des responsables politiques et administratifs afin que les premières puissent faire entendre leur voix sur les injustices et discriminations qu’elles vivent, et que les secondes puissent expliquer leur métier ainsi que les contraintes professionnelles et institutionnelles auxquelles elles font face. Leur contribution présente à la fois le processus ayant permis aux membres des GEM de prendre part à la démarche et les effets qu’elle a eus sur les différentes personnes impliquées.
Boutique des Sciences et mise en saillance de résistances épistémiques. Une approche à partir de la parcelle SICOR à Grand-Lahou/Côte d’Ivoire
Irié Bi Vagbé Gethème présente une recherche effectuée dans le cadre de la Boutique des sciences qu’il a mise sur pied en Côte d’Ivoire. Cette recherche visait à prendre en compte les besoins exprimés par des communautés rurales en documentant les formes de résistance épistémique dans un conflit foncier les opposant à un groupe industriel privé. Son texte illustre la manière dont le processus de recherche peut contribuer à ouvrir des espaces de confrontation de systèmes cognitifs différents afin de faire émerger, en retour, de questions nouvelles ayant des retombées pour les communautés locales.
« Tiens, ça n’arrive pas qu’à moi! » Revalorisation identitaire individuelle et collective en atelier-théâtre
François Rinschbergh analyse, à propos d’un atelier-théâtre destiné à des jeunes d’un quartier populaire de Bruxelles, la portée et les limites du concept d’injustices épistémiques et de résistance à ces injustices. À un premier niveau, l’atelier peut être vu comme un espace de résistance contre des expériences de discrédit et de réduction à des catégories stéréotypées. Mais ce premier niveau d’analyse ne doit pas occulter ce qui se joue plus discrètement au sein de l’atelier-théâtre, à savoir une « infra-résistance » que l’auteur associe aux fonctions thérapeutique (ou réparatrice) et cathartique du théâtre.
Wood in Molenbeek : une recherche participative qui bouscule pratiques et praticien-ne-s
Le projet présenté par Maëlle Van der Linden, Lisa Auquier, Xavier Guilmin et Julie Hermesse nous invite à suivre les tensions qui surgissent aux différentes étapes d’un projet de co-création d’un atelier de récupération et de revalorisation du bois dans un quartier populaire de Bruxelles. Le chapitre jette un regard réflexif sur les déséquilibres présents entre partenaires et participant-e-s en raison de plusieurs enjeux tels que l’absence de rémunération des participant-e-s, la difficulté de les mobiliser sur des sujets spécialisés dans le domaine de la gestion des déchets du bois ou encore le manque d’identification des savoirs et compétences que ces personnes pouvaient apporter au projet. Leur chapitre soulève ainsi l’idée que le but de tels projets n’est pas d’atteindre l’« égalité homogène des rôles », mais bien, pour chacune des personnes, de contribuer à la hauteur de leurs ressources et compétences dans un processus de redéfinition constante des attentes, rôles et apports respectifs de chacune.
D’une injustice environnementale à une justice épistémique. Le cas de l’incinérateur de Marseille à l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions de Fos-sur-Mer
À la croisée de l’agroécologie et de la sociologie de l’environnement, Maud Hallin et Pierre Stassart interrogent les affinités entre justice épistémique et justice environnementale dans le cas d’une mobilisation citoyenne contre l’implantation d’un incinérateur et ayant conduit à la création de l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions. Leur chapitre contribue à alimenter la réflexion sur les voies de passage et les tensions entourant la création d’une écologie des savoirs sur les risques environnementaux et sanitaires dans un contexte marqué par les conflits et la perte de confiance du public envers les industries et administrations publiques.
Partie III. Réflexivités épistémiques. S’interrelier par l’écriture et la recherche
Cette partie propose des contributions de nature réflexive sur l’écriture et le processus de recherche. Les trois premières contributions font de l’acte d’écrire une épreuve de cohérence vis-à-vis des injustices épistémiques – moment d’accroissement des rapports de pouvoir ou d’horizontalisation possible des positions –, et proposent, pour certaines d’entre elles, un format hybride donnant une plus grande voix aux personnes co-autrices qui bouscule les codes des articles scientifiques. Les trois dernières contributions examinent des trajectoires individuelles et collectives et des projets de recherche au prisme de préoccupations éthiques, politiques et épistémologiques de manière à déconstruire les catégories de recherche et les processus d’intériorisation des relations de pouvoir.
Tous et toutes pareil-le-s, tous et toutes différent-e-s : changer les regards pour réduire les inégalités entre les savoirs
L’équipe de l’unité HADéPaS et des autoreprésentant-e-s membres de la section des usagers et usagères de Montigny-en-Gohelle, soit Boin Katia, Breuvière Rémy, d’Arripe Agnès, Desbonnet Laurence, Fleurent Dominique, Hannoy Jordan, Jasselette Fabrice, Lecocq Frédéric, Lequien Jacques, Céline Lefebvre, Rivière Nathalie et Routier Cédric, nous invitent à réfléchir aux injustices épistémiques vécues par les personnes vivant avec une déficience intellectuelle. Leur contribution interroge plus fondamentalement la rupture qu’il peut y avoir entre l’expérience vécue et les concepts scientifiques que ces derniers visent à comprendre, et qui peut renforcer le fossé entre les personnes « sachantes » et les personnes considérées comme « ignorantes » ou qui peuvent se sentir comme telles. Leur travail nous enjoint à expérimenter des formes d’écriture qui permettent à tout le monde d’exposer son point de vue sur les injustices épistémiques vécues.
Le Groupe de Recherche Action Sérieuse (GRAS), ou comment lutter contre les injustices épistémiques dans le champ du vieillissement
L’équipe du Groupe de Recherche Action Sérieuse (GRAS), composée de Jean-Vincent Le Borgne, Louis Moline, Salim Kheloufi, Brigitte Belle et Charlotte Doubovetzky, nous livre une réflexion sur la possibilité de créer un espace horizontal dans une pension de famille entre résident-e-s et professionnel-le-s de l’intervention, ainsi que leur point de vue sur la participation à une recherche-action et à un colloque scientifique. Leur texte présente les stratégies mises en place pour ouvrir un dialogue le plus horizontal possible. Le format même de la contribution proposée permet à chacune des personnes de faire entendre sa voix, dans un style faisant appel au dessin, et à une écriture à mi-chemin entre l’écrit et l’oral.
Quand l’analyse se fait à plusieurs voix. La co-autorialité dans une recherche-action dans le secteur de l’aide alimentaire
Lotte Damhuis et Alexia Serré décrivent les enjeux éthiques, épistémologiques et politiques entourant le processus de co-écriture dans une recherche-action réalisée à Bruxelles sur le droit à l’alimentation. L’équipe du projet a expérimenté différents formats d’écriture et de mobilisation des connaissances (rapports de recherche, capsules vidéos, présentations orales et portfolio) interrogeant ainsi les effets de visibilisation et d’invisibilisation qu’ils produisent des savoirs et des personnes qui les détiennent. Un des constats du projet est l’importance de multiplier les formats pour visibiliser les contributions de chacun-e et rejoindre différents publics.
Précarisation alimentaire à Barcelone et injustices épistémiques. Utilité sociale de la recherche et recours aux méthodologies participatives
Les dispositifs de recherche – à l’image des dispositifs d’assistance dans le champ de la précarité alimentaire – peuvent créer des silences et étouffer les voix, tout comme ils peuvent être des espaces de mutualisation des récits et des expériences, et de développement de résistances épistémiques. C’est la piste qu’explorent Paula Durán Monfort, Araceli Muñoz Garcia, Marta Llobet-Estany et Claudia Rocío Magaña González dans la recherche qu’elles ont réalisée à Barcelone auprès de familles monoparentales et migrantes, et des personnes aînées en situation de précarité alimentaire afin de mieux connaitre leur situation et les stratégies qu’elles développent pour y faire face. Les autrices rendent compte de leur positionnement éthique, politique et épistémologique ainsi que les ajustements de celui-ci en cours de recherche pour créer un espace partagé entre les participant-e-s à la recherche, permettant la déconstruction des catégories sociales et des processus d’intériorisation des relations de pouvoir.
L’ignorance située : un garde-fou pour ne pas (re)produire des injustices épistémiques
Olivia Vernay interroge, dans son texte, sa posture épistémique particulière : elle-même concernée pas le sujet qu’elle étudie, elle choisit toutefois de ne pas considérer son expérience de privation de liberté avant la majorité comme lui garantissant de ne pas reproduire certaines formes de violences, institutionnelles ou épistémiques, envers les personnes qu’elle souhaite inclure dans l’enquête. À travers la présentation de sa recherche doctorale portant sur les mesures de privation de liberté pour les personnes mineures en Suisse, elle souligne les points d’attention à respecter pour éviter de reproduire, malgré elle, des formes d’injustices épistémiques.
Vers une réalité élargie. Se situer entre savoirs et expériences : trouver sa voix propre et l’inter-relier
Mélodie Faury retrace sa trajectoire individuelle au travers des concepts et textes qui lui ont permis de « trouver sa voix propre ». Elle analyse les effets de silenciation et d’injustices épistémiques qui l’ont conduite à collectiviser ses expériences vécues et à interroger l’objectivisme et la neutralité des sciences. Dans cet « exercice d’auto-socioanalyse », l’autrice, formée à la recherche en biologie moléculaire et cellulaire, raconte son changement de voie professionnelle et académique et sa redirection vers une thèse en sciences humaines et sociales afin d’interroger la dimension politique des activités de connaissances. Au long de ses pérégrinations intellectuelles et académiques, elle nous invite à une expérience « réflexive inter-reliée » dans l’héritage des pratiques féministes et décoloniales.
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- À noter que chacune des communications était de 30 minutes, discussion incluse, soit déjà significativement plus que les 15 à 20 minutes des colloques universitaires. ↵
- Une seule proposition a été évaluée par deux universitaires; les personnes des milieux de pratiques envisagées ayant décliné par manque de temps. ↵
- Ce dernier critère est celui que les auteurs et autrices ont eu le plus de mal à respecter. ↵
- De fait, il était dans tous les cas relativement facile pour les contributrices et contributeurs de deviner l’identité des personnes qui évaluaient leur texte dans la mesure où elles étaient choisies parmi les participant-e-s du congrès ayant une expertise de recherche ou d’intervention proche du thème des contributions ou parce qu’elles partageaient des informations permettant de les identifier dans leurs commentaires. ↵