21 Vers une réalité élargie. Se situer entre savoirs et expériences: trouver sa voix propre et l’inter-relier

Mélodie Faury

« Think we must! » Voici le cri de Virginia Woolf dans le texte Trois Guinées (1938) – et repris collectivement dans les Faiseuses d’histoire (Despret et Stengers, 2011), dans lequel l’autrice nous mettait déjà en garde sur l’expérience d’être une femme à l’université. D’être assignée comme femme à l’université. J’aurais peut-être dû la lire plus tôt. Mais ses écrits ne se seraient pas, alors, accrochés à ma peau et à mon oreille. L’écho de sa voix m’aide à présent à revenir à la mienne et à reprendre contact avec mon expérience vécue, à la mettre en mots.

Dans ce texte, c’est de cette expérience que je pars pour amorcer l’élaboration d’une formulation de la manière dont je suis venue à certaines places dans l’université et de la manière dont les situations dans lesquelles je suis prise ou ai été prise fondent et transforment des manières de regarder, d’être au contact avec différentes dimensions du réel, qui pourraient rester des points aveugles s’il n’y avait pas l’épreuve de la friction, du frottement et de la gêne, entre ce qui est de l’ordre du penser et du sentir, entre ce qui est conceptualisé et ce qui est éprouvé. Je souhaite partager avec vous, autant que possible un témoignage de l’expérience vécue et subjective de la perte de contact avec son expérience et de la silenciation – où ce qui est perçu par le corps, les frottements éprouvés ne trouvent pas de mots pour s’exprimer : ni les siens ni ceux des autres – vers la réappropriation d’une voix propre, d’une voix différente (Gilligan,1982), qui trouve un langage pour dire un réel ancré et situé qui résonne avec d’autres expériences vécues, et met au jour des trames de vécus collectifs. L’expérience s’exprime dans un geste individuel qui consiste en fait à rejoindre le collectif par la nécessité d’exprimer « ce qui ne trouve pas sa voix », « ce qui ne peut se dire seule face à l’ordre des choses », « ce qui n’existe pas socialement tant que plusieurs voix et expériences ne se sont pas rejointes » pour déployer l’ampleur systémique de situations apparemment distinctes[1].

La reprise de contact avec son expérience vécue (Laugier, 2007) de chercheuse peut dès lors constituer le prémisse d’une profonde transformation épistémologique – que la réflexivité ne suffit pas à initier si elle ne nous relie qu’à nous-mêmes[2] – et par là-même être à la source de nouvelles connaissances scientifiques, de nouvelles pratiques collectives et plus fondamentalement, de nouvelles façons d’être au monde – délaissant toute prétention à l’objectivité et à la neutralité pour déployer la vitalité des savoirs situés, reliés, ancrés (Zitouni, 2017).

Je m’inspire, d’une part, de l’exercice d’auto-socioanalyse (Ernaux, 2003; Eribon, 2009) ou de l’autobiographie raisonnée (Draperie, 2016), comme les déploient, par exemple, les pratiques d’éducation populaire en mêlant et démêlant « petite histoire » (parcours individuel) et « grande Histoire » (événements collectifs), en me focalisant ici sur la question de ma socialisation primaire et secondaire à l’objectivisme et à la neutralité, me préparant à entrer « en Science » (comme système, comme institution, comme rapports de pouvoir, comme pratiques professionnelles, etc.), puis sur les environnements et supports nécessaires à la déconstruction de ces normes, projections pré-construites, voire idéaux ou utopies.

D’autre part, je choisis d’hériter des pratiques féministes consistant à se raconter les expériences vécues afin d’essayer de saisir comment cette manière de « venir à la recherche et à l’université », qui a situé une première manière d’entrer en relation avec « la Science », est déstabilisée par l’expérience vécue d’un quotidien dissonant. L’épreuve des frictions amène à reconsidérer les normes, les valeurs, les représentations qui importent, au-delà des socialisations premières. Ce chemin critique est impossible sans nouvelles alliances.

L’un des enjeux principaux de cette manière de se raconter à d’autres est de percevoir à l’œuvre, au cœur de la multitude des histoires individuelles, des logiques normatives et de pouvoir, des mutations institutionnelles, politiques et idéologiques qui dépassent largement l’individu et sa situation individuelle, mais qui l’impactent chaque jour, dans son corps et dans son esprit, dans l’ordinaire, voire dans l’infra-ordinaire (Dupont, 2014; Laval, 2003; Readings, 2013, Pignarre et Stengers, 2005).

Réussir à dire l’expérience vécue, par-delà la silenciation, c’est parfois la condition de la survie, physique et mentale, par l’activation d’autres possibles et notamment par l’appel à la vitalité de la révolte face aux violences ordinaires et aux rapports de domination de « l’ordre social ». En s’ancrant dans l’expérience ordinaire, l’éphémère, les silences, les voix, les dits, non-dits et indicibles, le langage des corps et la texture des êtres, il devient possible d’explorer des formes de l’écriture et de la parole qui déprotègent et reconnaissent la fragilité en même temps qu’elles s’inscrivent dans le désir et la puissance collective, au-delà des « alternatives infernales »[3] qui nous sont opposées. Trouver les mots et les espaces pour dire l’expérience vécue située – tâche difficile, parfois risquée et éprouvante –, c’est alors dépasser les injustices épistémiques qui structurent nos métiers (Fricker, 2007), élaborer de nouveaux savoirs et renouer avec une puissance politique collective qui nomme ce qu’il importe de considérer dans nos pratiques et nos relations (Macé, 2016, 2019; Porcher et Despret, 2007).

Les épistémologies du standpoint visent à reconnaître que le lieu depuis lequel on produit des savoirs est en partie subi et hérité (on est « mises en situation »). Il ne s’agit pas de relativiser les points de vue, mais de se ressaisir activement et collectivement des identités sociales depuis lesquelles on parle, pour revendiquer un « positionnement actif » à partir d’un « être positionné » qui est partiellement subi (Puig de la Bellacasa, 2012a, 171).

Traverser les sciences : la fin de la neutralité

Ce que je voudrais ici vous raconter, ce sont les différents moments de mon parcours à partir desquels j’ai remis en cause la neutralité des valeurs en science, la neutralité politique de la science et l’idéologie de l’objectivité (Stengers, 1997; Brière, Lieutenant-Gosselin et Piron, 2019). Mais avant cela, il faudrait pouvoir comprendre la manière dont une socialisation première forte, primaire (enfance et parcours scolaire notamment) et secondaire (à l’âge adulte), a conditionné un rapport initial aux sciences, et notamment à l’idéologie de leur objectivité et de leur neutralité.

J’interprète aujourd’hui ce parcours comme la recherche – en mouvement perpétuel – d’une posture épistémologique ancrée, située et reliée, qui puisse mettre en résonance l’élaboration de savoirs inhérente à la recherche, avec une expérience vécue et ressentie par le corps de la pratique quotidienne de la recherche, mais aussi avec le sens de la pratique professionnelle comme contribution à des agencements désirables (au sens de Deleuze, 1977), autrement dit à des mondes désirables (Starhawk, 2019), sans que cette posture n’entretienne des frictions, des dissonances cognitives et sensorielles. Au moment où j’écris, je suis enseignante titulaire de l’Université de Strasbourg, en tant que PRAG (professeure agrégée des universités), et j’enseigne en études de sciences, en biologie, en géologie, je forme aux sciences ouvertes et j’exerce une charge de mission sciences-société auprès de la vice-présidence Sciences en société. Je n’ai pas de temps disponible pour la recherche sur mon temps de travail rémunéré.

Des études en biologie moléculaire et cellulaire (2003-2008)

J’ai commencé par m’inscrire dans la lignée paternelle (père, grand-père et au-delà même arrière-grand-père), encouragée en cela tant par ma mère que mon père, respectivement enseignant-e-s dans le secondaire en mathématiques et dans le supérieur en physique. Ce que cette lignée déploie et prescrit était en accord, dans les années 1980-90, avec ce qui était renforcé socialement comme étant désirable, valorisant et donc qui devaient m’offrir une sécurité matérielle, liée notamment au statut de fonctionnaire : un parcours scolaire scientifique (filière S) dès le lycée général, puis des études supérieures – faites dans des conditions socio-professionnelles privilégiées. Les critères de la « réussite », tant familiale que sociale, était en phase et ma socialisation première m’amena à suivre des études me formant à la recherche en biologie moléculaire et cellulaire, tierce voie pacifique entre la physique et les mathématiques. Mes pratiques liées aux sciences étaient ainsi placées à distance de la société et de ses enjeux. Elles m’inscrivaient dans des dispositifs dont les valeurs m’étaient littéralement familières, ne créant ainsi a priori aucun conflit ni de normes – avec l’institution ni de loyautés – avec le milieu familial. J’étais préparée à faire corps.

Pourtant, je n’adhérais pas à l’idée qui voulait que l’éthique ou les relations avec la société « ne fasse pas partie de nos questions » en tant que biologistes. En quelque sorte, une part (ou des lignes) en moi refusait l’idée que l’on pouvait être neutre, en tant que sujet, mais également en tant que communauté (« les biologistes »), du point de vue de ce que l’on était en train de faire dans nos métiers et de son impact dans la société. J’ai quitté temporairement le domaine de la biologie moléculaire et cellulaire à la fin de mon Master (année de césure en 2006-2007) en grande partie à cause de ce problème-là.

Je n’en étais pas encore arrivée à ce moment-là à l’idée que la manière dont les professionnel-le-s de la recherche s’organisent pour produire de la connaissance et que les régimes de savoirs conditionnent le « produit » même. Mais par la lecture de La vie de laboratoire (Latour et Woolgar, 1979) et l’écoute d’intervenant-e-s dans notre Master comme Bernadette Bensaude-Vincent, Isabelle Stengers, Michel Morange et Susan Georges, je touchais du doigt la dimension sociale du sujet connaissant et la dimension politique de toute activité de connaissance (Latour, 1991; Stengers, 1997). Quelque chose dans leurs voix, leurs mots, leurs parcours, leurs rapports aux sciences « résonnait », sans que je n’aie eu à l’époque la possibilité de nommer de quoi il s’agissait. Elles et ils venaient à nous, étudiant-e-s en biologie, avec d’autres mondes possibles, éveillant chez moi un désir de connaître et d’être au contact de ces autres possibles. J’étais interpellée, troublée. J’ai alors commencé à diversifier mes lectures et à trouver d’autres langages qui me parlaient – à partir notamment des quelques stages effectués en laboratoires – pour dire ce que sont et font les sciences, et qui différaient notamment de celui de la majorité de mes enseignant-e-s.

S’inscrire dans le champ des études de sciences ou STS (2008-2012)

Je me suis engagée en 2008 dans une thèse en sciences humaines et sociales (SHS), une fois mes études de biologie finalisées, et grâce à la rencontre d’enseignant-e-s, puis d’une directrice qui entendaient et parfois reconnaissaient tant les frictions que le trouble, et m’ouvraient alors des passages ou des espaces pour lui permettre de trouver sa forme. Il s’agissait pour moi d’emblée de me relier autrement à mes ancien-ne-s camarades de promotion, engagé-e-s dans des doctorats en biologie, pour comprendre les raisons de leur choix de parcours et leur expérience vécue, en tant cette fois que jeune chercheuse en SHS, et afin de poursuivre ainsi le geste réflexif amorcé par mon départ, comme un pas de côté. J’ai cherché dans le même temps des espaces d’interdisciplinarité pour mettre à l’épreuve ce fameux rapport « à la Science » par la multitude des sens que ce terme peut recouvrir.

La découverte des STS (Science et Technology Studies) ou « études de sciences » m’a donné l’espace pour poursuivre mes questionnements sur « ce que signifie être biologiste », et affermir ma vision de la pratique de recherche comme une pratique non neutre. Les études de sciences sont constituées par un ensemble de travaux pluridisciplinaires, qui prennent les sciences comme objet d’étude : les sciences entendues comme pratiques, comme institutions, comme histoires, comme acteurs et actrices, comme politiques aussi, comme financements, etc. A priori, l’on peut penser qu’il s’agit d’une pratique de recherche où l’on est nécessairement réflexif, dans la mesure où nous sommes à la fois pris dans le fonctionnement des sciences et que nous prenons les sciences comme objet de recherche. A priori. Car ce n’est en fait pas toujours le cas, ni individuellement ni collectivement.

En plongeant dans les STS, j’ai exploré une multitude de travaux convergents vers l’idée de la non neutralité de la science, et élaborés depuis des décennies (Felt, Fouché, Miller et Smith-Doerr, 2017). Pour entendre et percevoir cela, il « suffisait » de ne plus être autosuffisant-e en tant que scientifique, en l’occurrence en tant que biologiste, et de s’ouvrir à une certaine critique des sciences qui pointent notamment leur construction historique, mais aussi leur caractère situé.

Faire face à l’absence de poste et de légitimité professionnelle (2012)

Autre expérience vécue importante : l’absence de place, l’absence de postes, l’absence d’endroits pour venir travailler. Restons très pragmatiques : quand vous n’avez pas de bourse de thèse, de post-doctorat ou de poste de recherche, vous ne pouvez pas développer la perspective qui vous importe. Certains points de vue, certaines voix, certaines manières d’être en contact avec les sujets de recherche n’arrivent ainsi pas à exister tout simplement par l’absence « de crédits » : de moyens financiers et de légitimité (au regard de certaines valeurs qui guident la pratique scientifique et la gouvernance de la recherche) qui leur sont accordés. Nous arrivons ici à la question de la matérialité de la recherche, à ses conditions d’existence, aux manières dont s’opère matériellement la pression de sélection sur les différentes perspectives portées par les chercheurs et chercheuses, sur leurs différentes manières de se situer. Ainsi, certaines voix précieuses sont effacées (partiellement ou totalement) par la fatigue et la résistance qui s’use à vouloir les maintenir coûte que coûte face à des oppositions – qui sont en fait la plupart du temps passives : de l’inertie ou de l’absence de soutien. Ce mécanisme systémique est celui de la résistance à la modification de l’ordre des choses et pose des questions cruciales en termes de mobilisation collective nécessaire : par exemple, comment élaborer une science inspirée des perspectives décoloniales, féministes et subalternes dans un contexte néolibéral et productiviste? Ce contexte est celui d’une concurrence qui s’accroit face à des ressources limitées, des rythmes qui s’accélèrent, où l’on égrène les épuisements professionnels et où la précarisation de la recherche fragilise toute prise de risque et toute position critique. Dans un tel contexte, la connaissance est produite seulement par ceux et celles qui ont la possibilité (le privilège, la chance) d’entrer, puis de rester au sein de l’université. Les espaces hors université sont le plus souvent très concrètement dépourvus de moyens (sans parler de la délégitimation qui peut s’opérer à partir de la « recherche instituée », c’est-à-dire à partir des normes au pouvoir).

Devenir femme à l’université (2012-2018)

Ce que je vois que vous ne voyez pas, et tout ce que je ne vois pas

Ce qui me touche et qui ne vous touche pas et tout ce qui ne me touche pas

Ce que je dis et ce que je ne dis pas et tout ce que je voudrais dire sans le pouvoir

Parlé-je avec ma propre voix ou « au nom de la science »? 

Malgré les bouleversements épistémologiques majeurs induits par mon passage de la biologie moléculaire vers les STS, je n’en étais pas encore arrivée à l’idée que le fait d’être une femme, et/ou une occidentale et/ou encore appartenant à une classe sociale me donnant le privilège des études supérieures et/ou valide et/ou reliée au trauma colonial par la postmémoire et/ou hétérosexuelle, etc. constituait en soi un environnement et des agencements à l’origine de la construction d’un point de vue et une manière d’être en contact avec le monde, d’être reliée, ancrée, située.

Au moment de la prise d’un poste de direction à l’Université, ce qui m’est arrivé et qui a eu lieu pour se déployer, c’est « tout simplement » l’expérience de la subalternisation en tant que femme qui m’a permis de constater que le point de vue dominant et privilégié depuis lequel je parlais et je regardais le monde jusqu’à présent n’était pas une manière de me relier et de m’ancrer qui me permettait d’avoir une vision la plus diversifiée possible et la plus juste possible de la réalité. Il s’agit d’un point de vue qui cache les autres. Un point de vue dominant qui en recouvre d’autres. Un point de vue dominant qui se découvre tout en même temps dominé.

Je n’avais pas encore connaissance de l’existence des travaux mobilisant notamment les épistémologies du point de vue (standpoint epistemologies), c’est-à-dire des épistémologies féministes (Haraway, 1988; Harding, 1993; Alcoff et Potter, 1993; Stengers et Despret, 2011; Dorlin et Rodriquez, 2012; Puig de la Bellacasa, 2012a; GenERe, 2018). Ce n’est pas cette partie des STS que j’ai rencontrée en premier, mais bien plutôt les travaux occupant le « centre » des STS (par des hommes blancs occidentaux). Et même si j’avais déjà entendu et lu Isabelle Stengers pendant mes études de biologie moléculaire et ensuite à nouveau, avec bonheur, pour l’air immense qu’elle apportait en philosophie des sciences, je n’apercevais pas encore l’ampleur de son point de vue et de sa critique. Je ne comprenais pas « d’où elle parle » car j’étais encore à des kilomètres, encore captive et somnambule du système universitaire capitaliste auquel je contribuais (Laval, 2003; Pignarre et Stengers, 2005; Readings, 2013; Stengers, 2013; Dupont, 2014).

C’est ce même déplacement qu’il m’a fallu faire au fil des années (et qui n’est évidemment pas fini, sans cesse renouvelé)– via mon appétence pour les mouvements réflexifs (Faury et Paveau, 2019), pour rejoindre ou simplement croiser le point de vue d’autres chercheurs et chercheuses dont la pensée suscite de bénéfiques pas de côté et tend des antidotes, parfois à la racine même de nos manières de penser, nous amenant à re-lire le monde et nos expériences dans le monde pour peu que nous ne campions pas dans nos certitudes et positions de confort.

L’expérience vécue, parfois, peut susciter des déplacements de focale similaires via des dissonances fortes (voire violentes – « on ne comprend pas sur le moment ce qui se joue », « on n’arrive pas à voir ce qui se passe dans la situation ») et un « réveil » quant à ce que l’on ne percevait pas initialement – ce à quoi on ne se rendait pas sensible, ou que l’on refusait de considérer, consciemment ou inconsciemment, mais qui soudain s’articule et devient présent, pleinement. Ce que l’on ne peut plus ne pas voir.

« Devenir femme à l’université » donc. Pourquoi pas avant? C’est là que se situe précisément la question des privilèges : jusque-là, j’avais eu le privilège de pouvoir me projeter dans des études et des débouchés professionnels, du fait de mon propre parcours, de ma classe sociale, de ma position géographique, de ma couleur de peau, et grâce aux luttes de générations de femmes qui m’ont précédée, de ne pas me poser la question de ce que cela fait d’être une femme au niveau professionnel – je veux parler d’« être une femme » en tant qu’assignation. Ce n’était pas encore une question. Je me sentais à ma place dans un monde éducatif qui me considérait comme une étudiante parmi d’autres étudiant-e-s. Et en soi, c’est déjà une victoire historique considérable.

C’est en prenant un poste de direction que je me suis retrouvée en situation d’être remise à ma place, d’être assignée à une place dont je n’avais pas perçu les frontières jusqu’alors. Ce qui ne signifiait pas que ces murs n’existaient pas avant : cela signifiait que jusqu’alors j’étais restée à la place que l’on estimait que je pouvais prendre. Tant que l’on ne sort pas des situations assignées, et que l’on se conforme, on ne perçoit pas les murs invisibles (ce qui explique à mon sens le fait que certaines femmes puissent ne pas s’allier au féminisme – « ne percevant pas le problème » ou ne pouvant faire face au problème; Dworkin, 2012). Et ces murs invisibles sont en brique et bien épais. Mais cela signifiait aussi rétrospectivement que j’avais eu la possibilité (le « luxe ») de fermer les yeux sur un continuum de violences ordinaires qui n’existaient pas seulement depuis que je prenais conscience de leur existence et qui existe pleinement pour une multitude d’autres.

Le moment où j’ai été fermement remise à ma place, c’est donc le moment où j’ai occupé une position semi-dominante (directrice de service, poste de cadre intermédiaire) dans une université à la gouvernance occidentale, patriarcale et majoritairement blanche. Position que l’on m’avait pourtant attribuée, mission que l’on m’avait pourtant confiée. Et soudain on me disait violemment et sourdement : « Non, mais attends un peu, tu n’es qu’une femme. Donc il va falloir te comporter de telle manière. Tu ne peux pas parler de telle manière. Et si nous le voulons, nous pouvons te faire disparaître, symboliquement. » Et la violence de l’expérience fait apparaître en même temps toutes les situations, passées et présentes, dans lesquelles la violence est ordinaire, invisible, indicible. Un continuum dont on retrouve les échos dans les témoignages de nos collègues quand ils sont écoutés et entendus, et parfois dans des récits, fictionnels ou réels qui nous parviennent, lorsqu’ils sont publiés.

Cette « révélation féministe » m’a permis de comprendre que moi-même j’exerçais des violences symboliques en tant que supérieure hiérarchique dans une équipe. Comme pour tout point aveugle, il est long et difficile de les circonscrire. Violence par la prise de parole, par le corps, par le rythme imposé. Atmosphères irrespirables. Cette prise de conscience des violences que l’on inflige dans les positions dominantes que l’on occupe socialement (collectif Mwasi, 2018), c’est aussi la prise de conscience des points de vue effacés, des points de vue invisibles et des paroles indicibles.

Donc je suis devenue femme, à l’université. « Grâce » à mes collègues, notamment masculins. C’est dans l’université que j’ai fait l’expérience du sexisme, un sexisme ordinaire, invisibilisé, qui ne dit pas son nom, mais omniprésent. Un sexisme qui peut assumer de remettre en cause le salaire affiché sous prétexte du genre.

Un sexisme qui s’installe dans les petites phrases et les situations humiliantes, qui m’a fait découvrir un certain vécu de la subalternisation, de manière explicite ou pernicieuse, qui dans tous les cas peut aboutir au sentiment d’illégitimité et à celui de ne pas être à sa place. Et lorsque nous sommes assigné-e-s à une place, cela peut nous faire perdre parfois la voix. Notre voix propre. Voix que l’on essaye tant bien que mal de retrouver, en trouvant la trame collective de nos expériences situées, notamment en se racontant nos histoires. Or, justement, devenir et être chercheuse, revient à mon sens à parcourir les explorations suivantes, au contact des travaux qui nous ont précédés, au contact de nos terrains, des concerné-e-s par nos questions et de nos collègues :

Trouver sa voix propre

Trouver ses mots

Trouver son regard, le situer

Trouver son tact, son contact, son toucher, des manières de se relier

Trouver son écoute, ses nœuds d’écoute[4]

D’où est-ce que je déploie ma perspective?

Comment je me situe?

Comment je choisis de regarder le monde / mon objet de connaissance?

Comment je choisis d’être au contact avec le monde / mon objet de connaissance?

Comment je m’engage de manière non innocente?

 

Cette prise de conscience m’a amenée à vouloir reprendre l’ensemble de mon travail de recherche doctorale, c’est-à-dire réaliser et travailler le mouvement réflexif individuel et collectif, en le concentrant cette fois-ci sur la refonte totale de mon épistémologie et en étant profondément convaincue (scientifiquement et politiquement) de l’importance de me situer, au-delà même de la question du point de vue et de la perspective : comment est-ce que je me relie à ce que je choisis comme sujet de recherche? Qu’est-ce que je fais importer dans cette manière de me relier et pourquoi? À partir de quels ancrages? De quels agencements? Car j’étais à présent convaincue, par l’esprit grâce aux lectures et par le corps grâce à l’expérience vécue, de l’absence de neutralité – réduite au rang d’idéologie – qui installe et maintient cependant des rapports de force, auto-déclarant ce « point de vue de nulle part » qui n’en est pas un (mais un regard masculin, blanc et occidental) et qui entretient l’absence de réflexivité – mais aussi une certaine forme « innocente » de réflexivité – comme moyen de maintenir l’ordre. Les plis des sciences en quête de scientificité par la maîtrise, la gestion, la neutralisation des biais, la prétention à l’objectivité et à la neutralité, entretiennent cette tentation du point de vue « de nulle part » et de l’innocence, comme le dit Haraway. Mais la recherche scientifique peut-elle être neutre[5]? La recherche scientifique peut-elle se prétendre hors du monde, détachée du monde? Et quels mondes, quels imaginaires et avec les voix de quels êtres se construisent les savoirs qui ne se savent pas situés?

L’œil cannibale et innocent. Il faut cesser de le considérer comme invisible; toute vision est encorporée. C’est ce qu’Haraway appelle le God’s Trick, le truc divin, de nulle part, omnipotent et omniscient. Haraway interprète cette histoire de l’œil comme une histoire perverse de prédation et de la domination sur les corps et la « nature » (une science raciste, militariste, colonialiste, capitaliste, sexiste). L’attitude de la prédation éloigne le sujet connaissant du réel afin de jouir d’un pouvoir sans entrave. La mise à distance crée la prédation et la désincarnation. (Grandjean et Alain Loute, 2019 : 213)

Perdre sa voix. La retrouver?

L’expérience de la perte

Ce que je veux re-dire, c’est que le fait de sortir de sa place, de se faire remettre à sa place, de prendre la conscience des places (Woolf, 1938; Spivak, 2009), peut amener à une forme de silenciation, à une forme d’objetisation, aussi, et que c’est un vécu de la violence ordinaire dans un système de pouvoir. Il s’agit me concernant du sexisme, mais celui-ci s’articule à d’autres formes de dominations (validisme et handiphobie, racisme, homophobie, stigmatisation des religions…), dans un système de pouvoir empreint d’un « ordre des choses » dans les dispositifs qui gouvernent les êtres et les discours (Foucault, 1971 et 1984) : les institutions scientifiques. Nous, chercheurs et chercheuses, enseignant-e-s, administratifs et administratives pouvons en être tous et toutes quotidiennement les « petites mains » (Pignarre et Stengers, 2005).

Lorsque l’on est concerné-e par la discrimination ou la subalternisation, et lorsque d’autres nous aident à voir que le problème est systémique et non personnel, nous pouvons commencer à percevoir l’organisation du dispositif, et ses effets infra-ordinaires (indicibles, invisibles, avec lesquels nous avions d’abord été en contact par l’expérience vécue et les ressentis, par le corps et parfois par la perte des mots). Voire même, par l’absence de mots préalables pour pouvoir le dire. À présent, je sais que cela fait partie de ce que l’on appelle les violences ou injustices épistémiques, c’est une injustice que l’on appelle « herméneutique » (Fricker, 2007), c’est-à-dire que l’on n’a pas les mots pour pouvoir dire ce que l’on est en train de vivre, et avant que nous les ayons, nous avons du mal à parler ou à reprendre la parole. Retrouver la parole, c’est réussir (grâce notamment au nous et à celles et ceux qui nous re-légitiment) à passer de l’objetisation et la silenciation à la re-sujettisation pour re-devenir sujet parlant.

De l’expérience au savoir issu de l’expérience : une voix différente

Pour redevenir sujet de mon expérience, pour reprendre contact avec elle, j’ai eu besoin d’écrire. Beaucoup. Longtemps. Entourée. Crue. Et de trouver des espaces « safe » pour parler de mon expérience, et trouver les mots. Un espace « safe » est, selon moi, un espace où une expérience peut se déployer, être partagée, trouver de l’écoute voire des résonances, sans être interrompue, sans être ridiculisée ou minimisée, sans être remise aussitôt en question, ou silenciée, sans que les réactions et retours laissent entendre que l’individu qui confie son expérience est le problème (pas assez résistant-e, pas assez adapté-e, pas assez fort-e, etc.). Un espace safe est un espace collectif dans lequel l’individu et son expérience comptent, et où son vécu ne sera pas objectivé par d’autres « qui sauraient mieux » que lui ou elle (tout en étant en dehors de la situation racontée et en dehors du corps qui raconte) ce qui a eu lieu.

Retrouver une voix, différente. Pour que l’indicible ne le reste pas, pour que l’invisibilisé laisse des traces matérielles et que je m’assure que mon expérience a bien existé, que je n’avais pas rêvé, que je n’étais pas « folle » ou « trop sensible ». Et pour que je reprenne contact avec ce qui m’importe.

Ainsi, la reprise de contact avec ma propre expérience, genrée, et la rencontre avec l’éthique du care (Gilligan, 1982), comme « critique et comme féminisme » (Laugier, 2011), avec la littérature et les épistémologies féministes constituent un bouleversement épistémologique et politique encore plus grand que celui qui avait été provoqué par mon passage de la biologie réductionniste aux sciences humaines. Cette confiance dans l’expérience en tant que savoirs me permet d’affirmer une perspective, une voix, un regard renouvelés sur mes objets d’étude et un contact différent avec mon terrain de recherche, en tant que sujet connaissant encore plus conscient de sa situation dans le monde. En l’occurrence en tant que femme, assignée, historiquement et socialement, à une place. Et ce travail réflexif requiert de ne jamais se satisfaire de lui-même : il s’agit d’un mouvement perpétuel, d’une exigence épistémologique face à d’inévitables points aveugles qui résistent. Une conviction cependant se consolide, largement nourrie par des autrices comme Donna Haraway, Vinciane Despret, Isabelle Stengers, Benedikte Zitouni, Maria Puig de la Bellacasa et Émilie Hache :

La réflexivité ne suffit pas

… si elle reste un exercice théorique et individuel

… coincée dans la métaphore de la vision

… si elle entretient l’auto-suffisance, si elle ne nous relie pas, au sens de faire alliance

… si elle ne dit rien des nœuds de pouvoir

… si elle ne nous met pas en risque, si elle n’active pas de nouveaux possibles

Ainsi, je suis restée pendant des années (depuis ma thèse amorcée en 2008) à composer avec toute l’ampleur de la transformation qu’a induit chez moi le mouvement réflexif – que l’on pourrait qualifier de « critique » (Zitouni, 2017; Thoreau et Despret, 2014). Je n’ai pris avec moi ou plutôt senti seulement très récemment à quel point cette approche « critique » de la réflexivité me laissait pourtant dans le pli, et même entretenait le pli d’une science toute occidentale et dualiste (raison/émotion; nature/culture; hommes/femmes, etc.), toujours tentée par des formes contemporaines de positivisme et l’innocence d’un prétendu détachement, milieu dans lequel j’ai été formée en tant que biologiste; et le pli ou l’envoûtement (Stengers et Pignarre, 2005) d’une fast science capitaliste et productiviste (Stengers, 2013), milieu à partir duquel j’engageais mon souffle, mon rythme et mon contact avec le monde sans jamais pouvoir tout à fait m’en défaire – dans le cadre de mes recherches doctorales, puis de la direction d’un service universitaire.

Il a fallu que j’accepte enfin de me mettre en risque, il a fallu que je quitte la tentation de l’innocence pour percevoir, sentir toute l’ampleur de ce que la proposition de Donna Haraway nous faisait – ce « nous » constitué dès lors que nous répondons (response-ability; Haraway, 2016) à cette proposition, faisait à la science; et toute la réduction à laquelle nous sommes tenté-e-s de succomber dans nos pratiques académiques françaises. En disant « d’où l’on parle », « depuis quelles situations » on (le « bon » chercheur ou la « bonne » chercheuse) renforcerait ce que l’on dit ou l’on éclairerait la manière dont il faut considérer les travaux partagés. Mais est-ce si simple, et est-ce suffisant? Raconter « qui nous sommes » ou « d’où nous venons » peut tout autant devenir un exercice de construction d’une autorité scientifique ou universitaire « dans l’absolu », plutôt que la fabulation d’un contact, d’un rapport au monde, « comment nous nous situons vis-à-vis de notre terrain de recherche, dans la situation de recherche » et même encore plus : comment nous relions-nous, comment héritons-nous, comment nous engageons-nous, comment faisons-nous alliance, comment nous mettons-nous en risque, comment nous « remembrons-nous » en faisant mémoire (re-member), comment fabriquons-nous en racontant?

Comment renverser le stigmate épistémologique?

Et l’idée qui m’anime devient : comment donner des espaces à ces savoirs situés multiples et qui parlent du monde? Comment trouver les espaces de conversation entre ces savoirs? « Vers une réalité élargie » (Gauthier, 2015, au sujet des travaux de Donna Haraway et des épistémologies féministes), c’est une utopie, que nous sommes plusieurs à partager. Il me semble que l’on pourrait imaginer, idéalement, que chacun-e ait envie d’élargir sa réalité grâce au croisement des perspectives et des différents points de vue qui se portent sur un objet de connaissance. Que l’ensemble des positions, des regards et des contacts que les sujets de connaissance portent sur, ou plutôt avec un objet ou sujet de connaissance, aurait intérêt à être croisés, rassemblés, en dialogue, pour aller vers la meilleure objectivité possible. L’objectivité forte (strong objectivity; Harding, 1993) passe par le collectif, c’est-à-dire par le « croisement des perspectives » (inter-subjectivité) et par la réflexivité pour le dire rapidement (Le Marec, 2002).

Et donc, cette pseudo-objectivité et pseudo-neutralité, dont se réclame la Science à partir de ce qu’elle prétend faire, qui mobilise un « truc divin » selon les termes de Donna Haraway, « qui consiste à voir tout depuis nulle part » (Haraway, 1988; Gauthier, 2015) – ce qui signifie tout simplement que l’on ne dit pas ou que l’on ne voit pas que l’on a un point de vue sur les choses – est liée à des enjeux de pouvoir dominant dans une situation : ce qui fait qu’« on » a intérêt à maintenir les points aveugles. Quand « on » se trouve en position dominante, « on » n’a aucun intérêt à mettre en question l’incomplétude de ce que l’on dit du point de vue de l’objectivité scientifique qu’« on » vise ou déclare pourtant viser. La remise en question de l’Objectivité peut être vécue comme une remise en cause de la position, de la situation de pouvoir (elle-même non interrogée). Ainsi, depuis une telle position, « on » n’a même pas intérêt (personnellement ou collectivement à l’échelle d’un champ institué) à améliorer le discours scientifique sur les choses.

Ce qui est en jeu, pourtant, c’est la question de la construction collective des savoirs et celle de l’importance de situer les perspectives, leurs ancrages, et de créer les conditions de leur croisement, de leur articulation, dans une démarche de co-construction de la connaissance scientifique. Démarche qui reste encore insatisfaisante quand une communauté entière partage les mêmes présupposés et les mêmes boîtes noires, parce que l’on « creuse » alors selon les mêmes perspectives générales. Ainsi, il me semble aujourd’hui, comme le présente Claude Gauthier (2015)⁠, que la réflexivité telle que la défendait Pierre Bourdieu (2001) reproduit des impensés et des « enclosures » au niveau collectif, que les épistémologies féministes nous aident à dépasser pour créer du commun.

Ces épistémologies – accusées de relativisme, comme les STS – font face au problème des référentiels clos. Si la légitimité d’une pratique – audible et crédible – se fonde sur l’Objectivité de la construction scientifique, et si l’on vous accuse d’être idéologique, confondant science « pure » et politique (car la croyance dans la science pure résiste; Latour, 1991), par exemple, alors par l’appel à un référentiel clos, « on » vous délégitime avec facilité au sein de ce référentiel. Si nous sommes justement en train de dire que ce sont les critères de légitimité que nous sommes en train de remettre en question, ces délégitimations ne devraient pas avoir d’effet, si nos espaces de pensée et de réflexivité, mais aussi pragmatiquement de travail, n’étaient pas en jeu. Il est difficile de ne pas voir l’effet de la marginalisation, de la délégitimation, du discrédit sur nos possibilités même de travailler, de réfléchir, de penser. Il est dès lors nécessaire de renforcer les nous (Macé, 2019). Il ne s’agit pas de reconstituer de nouveaux ordres, de nouvelles positions cristallisées de pouvoir, ce qui risquerait de nous faire perdre la critique, de perdre la réflexivité tournée vers le monde et de tomber de la réflexivité qui se gargarise de soi, qui s’auto-suffit et efface alors tout en même temps d’autres voix, d’autres manières d’être au contact, sous prétexte d’une nouvelle forme d’« objectivité augmentée de réflexivité ». L’isolement est mortifère : l’isolement physique, l’isolement méthodologique de la recherche dans certaines disciplines de sciences humaines et sociales – liés notamment aux méthodes d’évaluation des carrières et aux rythmes de la recherche actuelle « par projets » –, mais aussi le cloisonnement des expériences individuelles, la précarisation sociale et l’omniprésence de la pensée managériale, qui permettent que les dominations et les situations d’oppressions « ordinaires » se rejouent infiniment dans nos universités (Laval, 2003; Pignarre et Stengers, 2005; Readings, 2013; Stengers, 2013; Dupont, 2014).

D’une certaine manière, la question que je me pose c’est celle de la resignification : comment renverser le stigmate épistémologique (Goffmann, 1963) dont on essaye de nous affliger?

Ce à quoi l’on tient : désirs multiples et risques d’altération

Tenir à la science en tant que…

Pour faire exister la science que nous désirons, il nous faut des espaces « safe » où il est possible de bien traiter les questions qui nous importent, sans avoir à se battre pour correspondre à la « bonne figure » des chercheurs et chercheuses et de la recherche (sujets légitimes, façons légitimes de les traiter). Nous avons besoin de conditions matérielles d’existence, d’espaces proposant d’autres agencements.

Et nous faisons face à une multitude d’obstacles : maintien de l’ordre scientifique et enjeux de pouvoir; remise en question des nouvelles approches comme remise en cause et discrédit par les approches dominantes (Stengers, 1997); choix de gouvernance et de financements. Ces obstacles, que nous sommes pourtant déterminé-e-s à franchir, tant les enjeux sont importants, non pas seulement pour la science, mais pour la science dans le monde, comme faisant partie du monde. Il ne s’agit de rien de moins que d’entretenir la vitalité, le désir de savoir, la sensibilité, la possibilité de se rendre disponible aux autres. Tout cela articulé à un enjeu global : notre manière d’habiter le monde (Sarr, 2017) et de partager les savoirs dans et pour le monde que nous sommes (dont nous ne sommes pas à distance : nous sommes affecté-e-s par ce qui lui arrive). L’enjeu est vital puisqu’il s’agit de justice, de représentations, de récupérer notre capacité à en appeler aux mondes réels (Zitouni, 2012) de la possibilité même d’exister en n’étant pas nié-e-s dans son existence et ses expériences, en ne renonçant pas à une part de soi (Devereux, 1967; Nathan, 2015), au monde avec lequel on vient (Puig de la Bellacasa, 2012c), à ce à quoi l’on tient et ce à quoi on se relie.

Ayant posé ces enjeux dont la trame tisse la science contemporaine comme expression du monde « moderne », j’en reviens à la question qui nous fait tenir debout en recherche : qu’est-ce qui nous importe? « Une meilleure science », « une meilleure scientificité », c’est-à-dire une science plus fiable encore, fondée sur une réalité élargie. Ce nous dans lequel je me reconnais, est construit à partir de cette même attention à ce qui importe, et par l’exigence de « tenir les deux bouts du mât de l’objectivité ensemble ».

« Tenir les deux bouts du mât de l’objectivité ensemble »

Nous avons un problème, dit le Manifeste des savoirs situés. Si nous voulons habiter des savoirs et des corps émancipés et leur donner une chance d’avenir, il nous faudra grimper le mât de l’objectivité tout en tenant simultanément les deux extrémités de celui-ci. D’un côté, nous devons continuer à analyser la contingence historique de toute construction de savoirs, la nôtre y comprise, et la soumettre à une critique radicale, voire acerbe. De l’autre côté, nous devrons continuer à nous engager dans la fabrication de comptes-rendus fidèles d’un monde « réel » – mis au singulier et entre guillemets – et miser sur cette fidélité afin de nous aider à construire un monde meilleur (Zitouni, 2012).

J’aime cette expression « tenir les deux bouts du mât de l’objectivité ensemble », à la fois spéculative et programmatique. C’est plus qu’un grand écart, c’est une position intenable si nous restons statiques : elle permet de se représenter l’idée que, fort-e-s de ce que nous apprennent les études de sciences et de genre, nous croyons à la possibilité d’une meilleure science (donc d’une autre science), même si l’on considère d’ores et déjà qu’elle possède de grandes qualités dans la manière dont elle se fixe des exigences individuelles et collectives pour la construction des connaissances, et qu’elle se donne des méthodes pour être le plus fiable possible : nous la désirons encore plus fiable. Ainsi, nous conservons notre désir de « l’être scientifique ». Autrement dit, nous aimons tellement la pratique de recherche que l’on veut l’améliorer en quelque sorte, et surtout entretenir – comme conservation et conversation (taking care, caring for; Laugier, 2010) – ce que nous considérons comme ce qui lui confère sa valeur. Nous restons vigilant-e-s tout en même temps à ce qu’elle ne prétende pas être plus qu’elle n’est, ni moins. Nous pensons donc qu’une meilleure scientificité est possible, qu’une autre science est possible (Stengers, 2013).

Et cela génère quelque chose de très inconfortable que Benedikte Zitouni, pensant avec Donna Haraway, qualifie de « trouble de la personnalité multiple ». C’est-à-dire que nous voulons tout à la fois : nous voulons pouvoir continuer à porter une critique radicale des sciences telles qu’elles se font aujourd’hui, produits d’une histoire, d’un contexte social, politique, financier, etc., telles que le démontrent les études de sciences. Et en même temps nous voulons pouvoir agir au sein même de ces sciences institutionnalisées, parce que de fait, nous sommes obligé-e-s de parler depuis quelque part, et de garder le contact avec ce dont nous parlons. Reste que la question matérielle de nos conditions de pensée et de critique se (re)pose sans cesse de manière aiguë au sein d’une université dont la direction néolibérale s’est confirmée depuis au moins vingt ans, qui contribue à réduire les espaces et les possibilités même de proposer de nouvelles épistémologies, de questionner nos manières modernes, occidentales, positivistes et utilitaristes de faire de la science, par ses temporalités, ses modes de financement, sa gouvernance, sa gestion en vue de l’ « excellence », sa conception des étudiant-e-s comme « usager-e-s », etc. (Laval, 2003; Pignarre et Stengers, 2005; Readings, 2013; Stengers, 2013; Dupont, 2014).

Ainsi, nous avons souvent besoin – pour pouvoir en vivre matériellement – que ce travail soit reconnu comme travail précisément, donc rémunéré. Et par conséquent, précisément pour cela, nous nous retrouvons à l’endroit-même que l’on critique, à une heure politique où la critique est vécue comme une insupportable remise en cause des pouvoirs – qu’il faut faire taire ou récupérer pour en vider la portée politique en termes d’alternatives – et non comme un espace nécessaire, de respiration et de vitalité. Nous nous retrouvons donc souvent dans une position particulièrement délicate. Nous avons besoin d’alliances fortes entre le « dehors » et le « dedans » de l’Université et de la Recherche, des dispositifs et des structures à imaginer pour sortir des conditions de production néolibérales du « savoir » qui nous sont imposées[6].

« L’appel aux mondes réels »

C’est un enjeu que je qualifie de vital, tant il est lié à ce que nous faisons du monde auquel nous appartenons (Hache, 2016; Starhawk, 2019) : ne pas se couper de l’un de ces désirs, celui de la critique radicale ou de « l’être scientifique ». Et nous pouvons éviter cette altération grâce à l’idée de faire appel aux « mondes réels » au pluriel, en allant vers une objectivité forte (Harding, 1993; Zitouni, 2012) – et un désir de critique radicale, y compris de ce que nous sommes en train de faire, « nous » en tant qu’universitaires, et en particulier « nous » en tant que femmes universitaires, faisant partie du monde.

Tenir à l’état-de-fait, savoir reconnaître la monstruosité des sciences; tenir à la détection des rapports de pouvoir, savoir résister aux abus autoritaires; tenir au faire, au caractère émancipateur des savoirs; tenir à l’objectivité parce qu’elle dit et aide à construire le monde; tout cela, état-de-fait, résister, faire, faits, ce sont les éléments intéressants nichés aux deux extrémités du mât. Tout cela porte un nom : « l’appel aux mondes réels », mis au pluriel cette fois-ci, sans guillemets ajoutés. (Zitouni, 2012, 53)

La possibilité ou l’impossibilité de la critique

Il s’agit de refuser les discrédits qui nous sont imposés dans un référentiel qui ne s’interroge plus lui-même. Et qui perd son ancrage. Comment assurer ce qui nous importe – la pluralité des réels tissés ensemble –, en prendre soin, lorsque nous arrivons par exemple à créer de nouvelles façons de faire de la science, qui donnent la voix à de nouveaux acteurs? Je pense à tout ce travail qui est fait dans certaines recherches participatives par exemple, sur la reconnaissance d’autres savoirs que les savoirs académiques (Godrie et al., 2020; ALLISS, 2017). Car il n’y a pas que les savoirs académiques qui construisent notre rapport au monde et dont nous devons reconnaître collectivement la dignité : il y a les savoirs d’expériences, les savoirs de vie, les savoirs professionnels, etc. D’une certaine manière, nous conjurons « le risque relativiste, en prônant un pluralisme épistémique des points de vue, seule manière de mettre en connexion des savoirs relatifs et de les faire dialoguer » (Gauthier, 2015), en reliant et articulant les savoirs dans leur diversité épistémiques, et pas seulement les savoirs académiques.

Prendre acte de l’inexistence de la neutralité en sciences, c’est accepter de prendre un risque. Et c’est en même temps fragiliser une science qui ne supporte pas la déstabilisation et qui réinstaurera l’ordre des choses en rejetant hors de son périmètre tout ce qui la questionne dans ses fondements ou bien au contraire intégrera et dépolitisera ce qui en porte la critique (Boltanski et Chiapello, 1999).

Les féministes nous disent combien le personnel, le privé est politique dans ce qu’il révèle du structurel et systémique. L’ordinaire aussi est politique : c’est-à-dire l’ordinaire et l’infra-ordinaire de nos pratiques (Laugier, 2009 et 2008; Perec, 1989), de nos manières d’entrer en relation (détaché-e-s ou inter-relié-e-s, en interdépendance; Piron, 2017), mais ce sont aussi nos styles et formes de vie (Macé, 2016; Ferrarese et Laugier, 2018) et notre « texture d’être »[7], nos manières de prendre la parole et le timbre de nos voix portées ou silenciées (Gilligan, 1982). Comment réalisons-nous cette attention dans le quotidien de nos pratiques de recherche, dans nos manières de connaître et dans notre relation avec nos objets-sujets de connaissance?

La vulnérabilité comme force épistémologique : la chercheuse déprotégée

Comment se déprotège-t-on en tant que privilégié-e-s? Comment change-t-on à la fois nos manières de faire, mais aussi nos manières d’être? Afin de se laisser toucher, affecter (Piron, 1998; Puig de la Bellacasa, 2012b; Le Marec, 2013), pour se rendre disponible à l’autre, pour entretenir notre sensibilité et non l’indifférence, comme des qualités relationnelles tant de nos vies personnelles que de nos manières de connaître, d’être au monde dans nos pratiques professionnelles, en ce qui me concerne donc, en tant que chercheuse. Comment se déprotège-t-on en sciences pour « se connecter à d’autres points de vue, c’est-à-dire à d’autres façons de voir et de vivre que les siennes » (Zitouni, 2012), pour tisser des alliances, des connexions partielles, des savoirs reliés (Puig de la Bellacasab, 2012b)?

En sciences, mais aussi dans nos luttes politiques, il me semble que nous avons tendance à venir lutter d’abord en tant que « positionné-e comme opprimé-e, dominé-e ». Mais quand nous essayons de tenir l’approche intersectionnelle (Vergès, 2019), de ne pas la perdre de vue, nous nous rendons vite compte que c’est nous-mêmes qui dominons dans de nombreuses situations (collectif Mwasi, 2018) et qu’être allié-e-s s’apprend, sans cesse. Quelle est la violence symbolique, et en particulier épistémologique dans nos pratiques de recherche – que moi j’inflige dans ma pratique de recherche et/ou dont je fais l’objet en tant que positionnée dans un système, un dispositif où mon expérience n’importe pas?

Comment puis-je trouver une autre manière d’être au monde, une autre manière d’être sensible à ce qui m’entoure et aux enjeux de ceux et celles qui m’entourent – et non détachée dans une froide analyse telle que je l’imagine qu’un chercheur ou une chercheuse doit la mener? Comment est-ce que je me relie à ce/ceux/celles que je choisis de considérer et comment je donne une place à ce qui (leur) importe (Weber, 2008; Porcher et Despret, 2007)? Comment mes sujets de recherche participent-ils et elles à la construction de savoirs, quelles places le cas échéant donner à leurs paroles, à leurs expériences vécues? Comment créer à l’université des espaces de liberté intellectuelle qui soient réflexifs et qui ne reconduisent pas sans arrêt ces enjeux de domination? Est-ce seulement possible?

Ne plus prétendre à l’autosuffisance, se déprotéger, se laisser affecter (toucher et être touché-e), se rendre disponible à l’autre : c’est en fait tout l’inverse de ce que l’on apprend à faire et être lorsque l’on devient scientifique. C’est même ce qui fonde une grande partie des pratiques dominantes de recherche. Et c’est ce que vient questionner, par exemple, l’emotional turn dans les sciences historiques (École des Annales) mais aussi de plus en plus de travaux en anthropologie ou encore en sciences sociales[8]. Il me semble qu’il y a une nécessité vitale, au contact du monde d’aujourd’hui, à refuser le détachement, et à tisser des liens, selon une perspective que décrit l’éthique du care, dans une forme de vigilance partagée des rapports de force et des violences ordinaires qu’on reproduit toutes et tous.

Se mettre en crise épistémologique

À la convergence avec d’autres pensées issues de l’expérience de la subalternisation et de la co-construction des savoirs (Starhawk, 2011) ou des manières de connaître transformées par l’expérience du terrain (Despret, 2015), nous sommes invité-e-s par les épistémologies féministes à situer nos savoirs (Haraway, 1988) : ainsi, l’objectivité s’accroît (se renforce) en passant par le positionnement des chercheurs et chercheuses, et par la manière dont celui-ci engage un contact et une non-innocence dans les liens établies avec d’autres importances que celles qui initient d’abord ses recherches.

Mais nous sommes aussi engagé-e-s à fabriquer d’autres récits (scientifiques), une autre objectivité (strong objectivity) dans les sciences (Harding, 1993; Zitouni, 2012), à activer les possibles (Stengers, 2019) et à fabuler (Haraway, Debaise et Stengers, 2015). De nouvelles façons d’écrire, de nouveaux mots, de nouvelles manières d’entrer en relation avec ses sujets-objets de connaissance, avec d’autres savoirs, avec le monde.

Quitter l’autosatisfaction d’une seule perspective (y compris représentée par un « sujet-communauté ») est un projet passionnant intellectuellement, mais politiquement difficile et qui n’entre pas dans les modes actuels de gouvernance de la recherche. Il nous faut inventer de nouvelles formes, de nouveaux espaces et de nouvelles temporalités (Stengers, 2013). Faire le deuil de l’autosuffisance ou, pour le dire autrement, faire le deuil de l’objectivité en tant que rapport de pouvoir. Cette humilité reconnaît les modes de construction des connaissances scientifiques, s’ouvre à la multitude et au pluralisme, qui est celui des points de vue, des disciplines et celui des métiers, mais aussi des expériences et des situations.

Concrètement, comment peut-on être collectivement dans un mouvement réflexif, situé et relié? Où sont les espaces? Comment se donne-t-on des conditions, à partir d’une situation, pour aller vers l’intersubjectivité et l’objectivité forte? Quelles modes de conversation imagine-t-on et comment en prendre soin? Est-ce seulement possible dans les formes dominantes et les espaces que la recherche prend classiquement aujourd’hui? Je pense que non, notamment pour les raisons liées à la capture[9] qu’ont décrite Pignarre et Stengers (2007) et à la dérive néolibérale présentée comme voie unique (Dupont, 2014; Laval, 2003; Readings, 2013; Stengers, 2013). Il nous faut trouver à la fois des antidotes et des marges vivantes, et des structures pour les soutenir matériellement, et notamment financièrement. Tout reste encore à inventer, mais nous refuserons de nous faire confisquer « les puissances d’agir, d’imaginer, d’exister et de lutter » (Pignarre et Stengers, 2007; Debaise et Stengers, 2015; Hache, 2015). C’est tout simplement vital.

Conclusion

Si nous prolongeons la proposition des épistémologies féministes, nous arrivons à cette racine –parmi d’autres : la remise en question profonde du partage entre sujet et objet. L’une des questions qui pose problème et qui crée des difficultés, c’est celle du « soi » dans sa recherche. Mais il s’agit toujours d’un « je » en relation avec des « nous ».

Lorsqu’il s’agit de remettre le « je » réflexif au cœur et au contact de la recherche, nous sommes la plupart du temps rapidement délégitimé-e-s. D’abord parce que nous assumons que nous ne sommes non pas objectifs en tant que sujets, mais bien subjectifs. D’où l’importance du collectif et de l’intersubjectivité. Ensuite, bien souvent, parce qu’« on » verra dans notre démarche les traces d’un ego surdimensionné, puisque la réflexivité est confondue avec l’ego-trip, avec la mise en avant de soi, avec la restauration ou l’affirmation d’une puissance de vue individuelle. Pour moi, et bien d’autres, pour nous, c’est l’inverse. La réflexivité est une manière de revenir au contact du monde, d’accepter d’être affecté-e par son objet-sujet de recherche (toucher et être touché-e; Puig de la Bellacasa, 2012b), d’être transformé-e par lui, de ne plus voir les choses pareil après avoir été à son contact; d’accepter que l’on se déplace par l’expérience vécue, et par le quotidien et le terrain de recherche notamment comme des expériences vécues, que l’on se situe mieux. Et que l’on connaît mieux en démultipliant les points de vue et les voix, en les tissant plutôt qu’en faisant prédominer les unes sur les autres. Et qu’il s’agit même d’un impératif éthique et politique, pour un monde plein de vitalité et non mortifère (Piron, Regulus, et Djiboune Madiba, 2016). Il s’agit de refuser de se mettre à l’écart du monde et d’entretenir la distance comme critère de « meilleure connaissance ». Il s’agit de penser collectivement nos critères de confiance dans les représentations que nous construisons collectivement. De revenir au monde, autrement (reclaim). Revenir à un autre monde, désirable, et à sa réalité élargie : « La revendication et l’affirmation d’une puissance d’agir et de penser sensible. Comment se (re)connecter au monde, de manière responsable, si l’on doute de ses propres sensations, de ses propres expériences, de sa propre existence? » (Hache, 2016)

Retrouvons une confiance dans nos expériences, des espaces collectifs de réflexivités, réhabilitons nos voix, ouvrons-les – celles que l’on a silenciées, dévalorisées – et laissons-nous modifier par ces voix nouvelles, la sienne au milieu d’une multitude d’autres voix, comme nous la modifierons sans cesse par notre ré-appropriation et par le contact avec une pluralité de perspectives et de vécus.

Remerciements

 

Mes remerciements chaleureux à Natasia Hamarat en particulier, pour sa disponibilité, sa finesse et sa vigilance, et à la personne autrice du deuxième rapport anonyme pour le tact et la précision de ses retours, ainsi qu’à l’ensemble des participant-e-s du colloque de Namur en 2018, pour la qualité des conversations scientifiques, collectives et inter-individuelles, sur les questions d’injustices épistémiques. Un grand merci à Léna Dormeau, Yosra Ghliss et Marc Jahjah pour nos échanges revigorants, vitalisants, qui font circuler les mots pour dire autrement ce qui est vécu, et dès lors ouvrent la possibilité d’imaginer de nouveaux agencements et de nouvelles formes de « dé-capture ». Merci à Emmanuelle Sonntag et Anthony Pecqueux pour leurs précieuses relectures et pistes ouvertes.

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  1. L’enjeu du rapport entre expérience personnelle et dimension collective fait l’objet d’un numéro spécial de la revue Nouvelles Questions Féministes (2020), intitulé « Partir de soi : expériences et théorisation », et coordonné par Marie Mathieu, Vanina Mozziconacci, Lucile Ruault et Armelle Weil : https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2020-1.htm.
  2. Voir : https://reflexivites.hypotheses.org/12195.
  3. Je reprends ici l’expression de Philippe Pignarre et Isabelle Stengers utilisée dans leur livre La Sorcellerie capitaliste (2005). Les « alternatives infernales » sont des manifestations du capitalisme qui « font ainsi disparaître les principaux acteurs et créent des situations où il semble que l’on n’ait plus affaire qu’à des mécanismes sans responsables identifiables. Il n’y a donc plus d’ennemi concret sinon soi-même (ses incompétences, ses difficultés, ses limites, etc.) ».
  4. Le concept de nœud d’écoute est développé par Emmanuelle Sonntag dans sa thèse (2018).
  5. https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/neutralite/
  6. Exemples d’initiatives qui inventent de nouvelles formes d’alliances : www.alliss.org/ et assembleepourunerechercheautonome.wordpress.com
  7. Iris Murdoch reprise par Sandra Laugier, 2009.
  8. Voir, par exemple, Tim Ingold, Philippe Descola ou encore Bruno Latour.
  9. La « capture » est un terme utilisé par Isabelle Stengers et Philippe Pignarre dans La Sorcellerie capitaliste (2005) pour désigner ce que « fabrique » le capitalisme, en tant que « système sorcier » qui « capture les puissances d’agir, d’imaginer, d’exister et de lutter », ou dit autrement « de nos âmes ».

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Lucidités subversives Droit d'auteur © 2021 par Mélodie Faury est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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