7 Avantage versus injustice épistémiques : stratégies d’empowerment dans la réhabilitation éducative et professionnelle des femmes paraplégiques

Elena Pont

En Suisse, l’Assurance-invalidité (AI) est l’assurance sociale responsable de la distribution de rentes et de mesures de réhabilitation professionnelle aux personnes dites handicapées. L’AI a pour principe que « la réadaptation prime clairement l’octroi d’une rente » (Office fédéral des assurances sociales OFAS, 2020). En 2018, l’AI a octroyé des mesures professionnelles (dont des formations professionnalisantes) à 28 854 personnes. Or, les femmes ont été moins nombreuses à bénéficier de ce type de mesures que les hommes : 10 882 contre 17 972. Par ailleurs, l’octroi de prestations d’ordre professionnel diminue fortement pour les hommes comme pour les femmes à partir de l’âge de 35 ans, mais dans une proportion plus accentuée encore pour les femmes (Pont, 2018).

Dans ces traitements assurantiels se combinent les effets des rapports sociaux de handicap (Pont, 2018) et de sexe, ces derniers tendant à assigner les femmes aussi bien handicapées que valides au travail domestique et à la dépendance financière (Kergoat, 2004). Le handicap est à entendre comme un rapport social qui fait de la participation au travail formel des personnes dites handicapées, un enjeu social. Quant au genre, il s’agit d’un « rapport social de pouvoir du groupe des hommes sur le groupe des femmes, qui institue des normes de sexe différenciatrices et hiérarchisantes » (Collet et Mosconi, 2010). Ces rapports de pouvoir résultent en un traitement inégalitaire des femmes dites handicapées confrontées à l’injonction socio-assurantielle du retour à l’emploi.

À partir de ces constats, j’ai mené, dans une perspective intersectionnelle de handicap et de genre, une recherche doctorale sur la reconstruction du parcours éducatif et professionnel de femmes et d’hommes paraplégiques en Suisse romande. L’intersectionnalité est une épistémologie et une méthodologie de recherche propice à décrire les situations et les expériences d’inégalités vécues au croisement de plusieurs catégories minorées (Crenshaw, 1991), telles le genre et le handicap. Malgré un traitement marqué par le genre, les femmes dites handicapées peuvent reconstruire leur parcours éducatif et professionnel dans des situations singulières favorables, grâce à des stratégies d’empowerment dont certains avantages épistémiques font partie. Ce peut être le cas au moment de l’embauche, les personnes qui les emploient s’inscrivant dans une démarche de « discrimination positive », de compensation des désavantages subis par certains groupes, dont les femmes dites handicapées. Certaines de ces femmes bénéficient de l’attribution d’un surcroît de connaissances pertinentes, c’est-à-dire d’un « avantage épistémique » (Wendell, 1996; Harding, 2004) dans le cadre de leur mission professionnelle.

Cet avantage ne les protège pas de situations d’inégalité ou d’injustice épistémique, telles des limitations posées à l’accès à la connaissance ou le manque de reconnaissance de leurs savoirs. Les inégalités vécues par les femmes paraplégiques résultent soit de la minimisation de leurs connaissances professionnelles, masquées par les représentations courantes sur l’inefficacité et l’improductivité des personnes dites handicapées, soit de l’ignorance des personnes employeuses quant aux savoirs difficilement transmissibles qu’elles construisent à partir de leur expérience du handicap. Gardien (2017) écrit, à propos du manque de socialisation des « situations de handicap » (ibid., 121) vécues par les personnes dites handicapées : « (…) Les savoirs pertinents en situation sont peu transmis, peut-être même peu élaborés et diversifiés, autrement dit lacunaires au regard de la pluralité et de la complexité des situations construisant la vie quotidienne de ces individus » (ibid.).

Les employeurs et employeuses dit-e-s « valides » montrent une inconnaissance des savoirs expérientiels et stratégiques déployés par les personnes dites handicapées pour entrer en formation ou sur le marché du travail. Les personnes devenues paraplégiques peuvent s’identifier à une large part de l’expérience des personnes dites valides et disposer d’un double point de vue sur la position épistémique de privilégié-e, et de dominé-e (Medina, 2013). Au contraire, les employeurs et employeuses dit-e-s valides ne peuvent subjectiver que quelques aspects de l’expérience des personnes paraplégiques, celles qu’ils et elles partagent avec ces personnes. Pourtant, étonnamment, ces dernières bénéficient peu de la reconnaissance de cette double perspective, de cet avantage épistémique réel et transversal à bien des contextes sociaux.

Cette hiérarchisation des savoirs est comptable au lien existant entre l’infériorisation des personnes dites handicapées et les inégalités épistémiques qu’elles vivent, qui oblitèrent leurs savoirs professionnels et l’étaiement de leur professionnalité. Je montre pourtant qu’à partir de leurs savoirs, les personnes paraplégiques développent des stratégies d’empowerment, c’est-à-dire de reprise de pouvoir sur la conduite de leur vie, par le développement de connaissances dans les contextes professionnels. Je définis un modèle d’expérience spécifique d’empowerment, le modèle du « double avantage épistémique supposé » (Pont, 2018), qui concerne uniquement les informatrices de ma recherche, et qui se manifeste surtout à l’embauche. Ce modèle révèle la tension qui existe, pour les femmes paraplégiques, entre l’effectivité relative de cet avantage et les situations d’inégalité/d’injustice épistémique dans lesquelles elles sont néanmoins souvent reléguées. Les femmes paraplégiques qui bénéficient d’un avantage épistémique demeurent, à plus long terme, confinées à des rôles et positions traditionnellement occupés par les femmes, en particulier lorsqu’elles sont dites handicapées : des rôles subalternes et des positions fixes.

Tout d’abord, je montre l’impact du genre et du handicap sur les parcours éducatifs et professionnels des femmes paraplégiques, avant de proposer une acception de la réhabilitation comme une épistémologie sociale qui guide les traitements des personnes dites handicapées vers la formation ou l’emploi. Puis, je donne les définitions de certains concepts du paradigme des injustices/de la justice épistémiques, qui montrent leur pertinence pour comprendre le modèle du double avantage épistémique. Ce dernier est ensuite utilisé comme un analyseur des parcours éducatifs et professionnels d’informatrices paraplégiques. Je décris alors l’usage, le rôle et le fonctionnement du modèle du double avantage épistémique supposé, et en discute la portée émancipatrice relative. Enfin, je propose des stratégies de résistance épistémique (Dorlin, 2009; Catala, 2018) pour réduire les effets ambivalents de ce modèle sur les trajectoires professionnelles des femmes paraplégiques.

Rôle du genre et du handicap dans la reconstruction de la trajectoire éducative ou professionnelle

Après la survenance de la déficience, les femmes paraplégiques élaborent un projet de réhabilitation éducative ou professionnelle, dans un contexte où elles se conforment le plus souvent à la division handicapiste (Pont, 2018) et à la division sexuelle (Kergoat, 2004) du travail. La division handicapiste du travail sépare les travaux que les personnes dites handicapées sont supposées pouvoir accomplir, de ceux que les personnes valides exercent sans limitations d’accès du point de vue des capacités physiques. La division sexuelle du travail ségrégue et concentre les femmes dans une palette restreinte de métiers généralement moins valorisés que les « travaux d’hommes », typiquement les métiers techniques et scientifiques (Collet, 2017).

Le contexte de la réhabilitation professionnelle ne fait pas exception à la socio-normativité qui marque les mondes éducatif et professionnel. Cependant, au croisement du genre et du handicap, les hommes sont autant que les femmes paraplégiques (ré)orientés au « féminin neutre » (Pont, 2018), c’est-à-dire vers des emplois estimés « possibles » pour les personnes paraplégiques, où les femmes sont les plus nombreuses : les métiers administratifs, « de bureau », qui sont traditionnellement « féminins ». Sur le chemin de la réhabilitation en emploi ou en formation, comme dans le reste de l’espace social, les rapports sociaux de handicap tendent soit à réduire les individus à leurs incapacités (par « handicapisme »), soit à leur demander de produire des performances de personnes « quasi-valides » (par « validisme ») (Pont, 2018). Les personnes paraplégiques sont confrontées à un curriculum caché contradictoire, des attentes implicites qui les enjoignent à produire les mêmes performances que les personnes valides alors que, dans le même temps, leur travail ou leurs apprentissages sont évalués selon un standard qui leur est réservé et qui tend à déprécier leur performance.

Dans un contexte socio-structurel et une situation biographique éprouvants, les femmes et les hommes paraplégiques développent des stratégies d’empowerment à l’entame ou au cours de la reconstruction de leur trajectoire de formation ou professionnelle. Par exemple, ils et elles s’engagent dans un modèle d’action compensatrice des limitations posées, par les rapports sociaux, à leur pouvoir d’agir et à leur autodétermination.

La réhabilitation : un faisceau de représentations, une épistémologie sociale

Les rapports sociaux forgent une épistémologie sociale, des connaissances socialement partagées (Goldman, 1999), normatives voire moralisantes, sur « ce que devrait être » la réhabilitation. Dans cette épistémologie sociale sont formulées des attributions et attentes de compétences plus ou moins réalistes adressées aux personnes dites handicapées (« ce qu’elles peuvent ou doivent faire »). Cette épistémologie englobe des savoirs construits dans des modèles polarisés du handicap : le modèle de la « tragédie personnelle », stigmatisant et validiste, ou le modèle handicapiste de « la charité » (Oliver, 2009), qui recouvre les gestes moralement « valables » distribués vers les personnes dites handicapées, mais qui justifie et perpétue les inégalités à leur encontre.

Les connaissances sociales sur le handicap ne correspondent pas nécessairement à l’expérience que les personnes dites handicapées ont de leur position aux abords ou à l’intérieur des milieux éducatifs ou du travail. Les connaissances formelles et les compétences acquises par ces personnes peuvent se trouver dévaluées, alors qu’elles s’appuient sur ces ressources pour légitimer leur inclusion dans le monde du travail. Si, le plus souvent, les personnes dites handicapées élaborent des stratégies de compensation des désavantages, des employeurs et employeuses s’appuient sur des représentations stéréotypées pour attribuer aux femmes paraplégiques des savoirs spécifiques et privilégiés dans le travail formel.

Inégalités et injustices vs avantage épistémiques

Les rapports sociaux (de sexe, de handicap, etc.) consacrent la domination de certains groupes ainsi que la prévalence de leurs connaissances. Les groupes minorés sont censés posséder des connaissances et des rapports au savoir qui ne sont pas nécessairement les leurs. Ces attributions concourent à « structurer le monde des dominés » (Hartsock, 1998 : 241), si bien que ces derniers sont au risque de les internaliser et de perpétuer les stéréotypes qui les frappent, sans posséder les moyens d’interpréter les visions faussées mais dominantes. Être dépourvu-e des catégories interprétatives pour comprendre ses propres expériences sociales, rend compte de situations d’injustice épistémique herméneutique (Fricker, 2007). Pour les personnes dominées, la difficulté à saisir et à formuler leurs connaissances d’elles-mêmes et du monde, se double d’un manque de reconnaissance de leurs points de vue et savoirs, également eu égard à leur positionnement dans la hiérarchie sociale. Elles subissent en cela des manifestations d’injustice épistémique testimoniale (Alcoff, 2008; Medina, 2013; Almagro Holgado et al., 2018) par une dévaluation de leurs connaissances et, de fait, d’une dépossession de leur droit à l’individualité ou à une appartenance identitaire donnée. Cependant, en construisant une intersubjectivité a priori non autorisée, les femmes et membres d’autres groupes dominés s’approprient la légitimité d’occuper des domaines de savoir jusque-là réservés. À partir de leurs points de vue, ces personnes développent un avantage épistémique sur des problématiques et des expériences qui leur sont propres, sans toutefois prétendre à l’universalité, mais à la reconnaissance de la vérité et de la validité de leur expérience (Harding, 2004).

Dans les mondes éducatifs et du travail, les femmes dites handicapées vivent fréquemment une dévalorisation de leurs points de vue, y compris sur leur propre expérience, ainsi qu’une minorisation de leurs connaissances professionnelles (Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées BFEH, 2013). Pourtant, elles internalisent régulièrement ce traitement comme justifié et « normal » du fait de leur « handicap », qui les renvoie à un positionnement social infériorisé. Coupées de la possibilité de définir et de faire valoir leurs connaissances, leurs compétences ou leur expérience en formation et au travail, ces femmes vivent des situations d’injustice épistémique à la fois herméneutique et testimoniale – au sens où ce qui fait l’originalité de leurs facettes identitaires et de leur expérience n’est pas saisi ou est passé sous silence. Pour les employeurs et employeuses, leur expérience est a priori perçue comme intransitive (inintelligible et intransmissible), donc comme une « non-ressource » pour l’organisation.

Souvent dépossédées et décrédibilisées, les femmes paraplégiques s’alignent sur les représentations dominantes et occupent le plus souvent des emplois de bureau ainsi que des postes dans le travail social ou l’enseignement (Pont, 2018). Dans ces deux derniers domaines, a contrario des représentations limitantes sur les compétences des femmes dites handicapées, les personnes employeuses attendent d’elles la démonstration d’un double avantage épistémique dans leur mission professionnelle. Un premier avantage serait lié à la connaissance incarnée du travail social dont ces femmes bénéficient en tant que personnes paraplégiques et qui, supposément, les soutiendrait dans la justesse (la justice?) de leur action professionnelle, par une identification aux expériences des bénéficiaires qu’elles accompagnent. Un second avantage les ferait disposer de qualités essentialisées comme « féminines » (Bem, 1974), telles le dévouement, la patience ou même la soumission. Pourtant, les femmes paraplégiques construisent dans leur activité professionnelle des points de vue plus originaux, qui s’ajoutent aussi bien à leur expérience incarnée des rapports sociaux de sexe et de handicap, qu’au double avantage épistémique qui leur est attribué.

À l’appui de récits de vie d’environ 90 minutes, recueillis auprès de onze informateurs et informatrices (six hommes et cinq femmes), je décris la reprise, la construction ou la consolidation de leur trajectoire éducative ou professionnelle en me basant sur trois modèles de dynamique des parcours biographiques : le modèle « archéologique », qui recouvre les identités endossées au cours de la vie et qui influent sur les choix existentiels; le modèle « du cheminement », qui montre les processus de l’action entreprise pour conduire son parcours; et le modèle « structurel », qui signale les interventions socio-structurelles ayant un impact sur le cheminement existentiel des sujets (De Coninck et Godard, 1990). Je relève l’empreinte du genre sur les stratégies d’action que mes informateurs et informatrices élaborent au cours de leur trajectoire : soit les personnes se conforment aux rôles et aux positions professionnels assignés à leur groupe de sexe, soit elles les subvertissent, dans les deux cas pour gagner en pouvoir d’agir. Elles constituent des modèles d’action émancipatrice des normes qui reproduisent les divisions handicapiste et sexuelle du travail.

Les portraits de mes informatrices

Mes cinq informatrices occupent toutes un emploi dans les domaines typiquement féminins que sont « la santé et la protection sociale » et « l’éducation » (Office fédéral de la statistique, 2019b). En 2018, les Hautes écoles de Suisse ont accueilli 70 à 80% de femmes dans leurs filières formant aux professions de ces domaines socio-professionnels. Les orientations de mes informatrices entrent en conformité avec la division sexuelle du travail et les représentations sur les travaux « possibles » pour les personnes dites handicapées. Quatre informatrices sur cinq ont vécu un parcours éducatif et professionnel discontinu à l’image des carrières féminines en général (Maruani, 2017), notamment en raison de l’autonomie peu soutenante qui leur a été dévolue par un environnement semi-consciemment validiste. Trois informatrices (que je nommerai Maryse, Muriel et Lan) ont rapporté des complications à l’embauche, jusqu’à une orientation vers des métiers du travail social. Les trajectoires de ces trois informatrices illustrent une orientation des femmes paraplégiques conforme au modèle du double avantage épistémique supposé. Les récits de Maryse et Muriel montrent que sans formation professionnalisante, elles ont accédé à des emplois du travail social pour lesquels il existe pourtant des diplômes certificatifs.

Maryse, âgée d’environ 55 ans, est aujourd’hui employée dans l’entreprise familiale. Alors qu’elle bénéficiait d’un diplôme de commerce, elle a été engagée sans qualifications ni expérience dans un emploi d’animation en établissement médico-social, au motif de son goût pour les relations interpersonnelles – une qualité traditionnellement « féminine ». Muriel, 50 ans, ingénieure-architecte de formation mais qui n’a jamais exercé, a par deux fois été placée par l’Assurance-chômage dans des emplois de travailleuse sociale : une fois en tant qu’animatrice, l’autre en tant qu’éducatrice auxiliaire. Tout comme Maryse, elle n’a jamais été formée aux métiers du travail social qu’elle a exercé. Toutes deux ont bénéficié d’un double avantage épistémique en tant que femmes supposément attentives au bien-être d’autrui, « par nature », et pouvant s’identifier au groupe minoré des usagers et usagères. De plus, Muriel a pu faire valoir ses dispositions pour la création en arts plastiques, sans certification. C’est pourtant Lan (42 ans) qui, malgré sa qualification certifiée d’assistante sociale, a vécu le plus explicitement l’attribution d’un double avantage épistémique à l’embauche, en tant que femme et personne dite handicapée. Elle explique cependant qu’en début de parcours, elle a souffert de soupçons d’incapacité alors qu’une fois en emploi, on lui a rapidement octroyé un double avantage épistémique supposé. À l’appui de l’expérience commune des trois informatrices, j’analyse les effets du double avantage épistémique sur leurs trajectoires.

Deux modèles d’empowerment et d’émancipation du handicap et du genre

En regroupant les traits communs de l’expérience des informatrices, je définis deux modèles d’empowerment – des stratégies partagées par ces personnes pour renforcer leur pouvoir d’agir, puis reprendre et stabiliser une trajectoire éducative ou professionnelle : les modèles de la compensation, et du double avantage épistémique supposé. Ces modèles sont genrés; le modèle de la compensation est validiste, celui du double avantage épistémique est handicapiste (il réitère les attributions d’incapacité adressées aux personnes dites handicapées). Ces deux modèles permettent d’analyser la tension entre l’agentivité déployée par mes informatrices, et les inégalités épistémiques qu’elles vivent au travail ou en formation.

La compensation : un modèle englobant

Un modèle d’empowerment largement partagé est celui de la « compensation », qui diminue les effets ségrégants et discriminatoires des effets de la déficience, particulièrement subis par les femmes dites handicapées dans les espaces publics et les mondes de la formation et du travail (BFEH, 2013). Dans l’ensemble, les informatrices, plus que mes informateurs, se sont lancées dans des curricula d’études plus prestigieux que ceux suivis avant la survenance de la déficience. Lan, assistante sociale, explique : « C’était clair pour moi, il fallait absolument que j’aie un travail, avoir un bon diplôme. (…) Pour moi, c’était l’essentiel, c’est d’être autonome financièrement et pas dépendante (…) et pour cela, il fallait faire des études plus hautes ». Quant à Muriel, ingénieure-architecte, elle compense des identités sociale et personnelle qu’elle ressent comme dévaluées par le handicap, par le gain d’un statut socio-professionnel qu’elle valorise, et auquel sont attachées des ressources et une certaine autorité épistémiques. Elle se projette dans un rôle susceptible de déjouer les situations d’injustice épistémique :

J’ai fait ces études pour me prouver que j’en étais capable et c’était assez difficile pour moi, (…), mais je suis contente de les avoir faites parce que j’ai de l’intérêt pour ça, j’me sens… assez bonne là-d’dans, (…) mais en même temps, j’ai jamais eu envie de travailler vraiment comme architecte. Les études, c’était bien parce que je devais me prouver, et prouver aux autres que je savais faire des trucs compliqués, et j’ai de l’intérêt pour ça, mais un p’tit peu comme une observatrice. (…) C’est un peu contradictoire. (Pont, 2018 : 365)

Les informatrices mettent en œuvre des stratégies capacitantes (parfois validistes) dans lesquelles prévalent des descripteurs traditionnellement masculins de l’action, tels l’efficacité, la compétence, la fiabilité, le rendement ou l’autorité. Pour les femmes, ce modèle est virilisant : il leur demande une aliénation, un « éloignement » de leur identité sexuée. À des fins de reconnaissance, la majorité des informatrices fournissent ce qu’elles perçoivent comme un surcroît d’effort pour accomplir, dans leur activité, une meilleure performance que celle qu’elles estiment « normale ». Elles « sur-agissent » contre les effets croisés du handicap et du genre, en affirmant des savoirs formels et expérientiels égaux à ceux des professionnel-le-s valides. Ces femmes démontrent de l’« agentivité épistémique » (Catala, 2018), une capacité d’agir qui s’appuie sur la valorisation de leurs savoirs formels, de leurs auto-définitions et de leurs expériences sociales et professionnelles, qui constituent un répertoire de ressources interprétatives, herméneutiques, qui élargissent et affinent leur connaissance de soi et du monde.

Le double avantage épistémique supposé : un modèle genré

Le modèle du double avantage épistémique supposé représente lui aussi une forme de compensation de désavantages sociaux, mais ce modèle d’expérience n’est pas le résultat d’une action décidée par les femmes dites handicapées. Au contraire, ce modèle leur est attribué. À l’embauche, les employeurs et employeuses octroient aux femmes paraplégiques un double avantage épistémique qui repose sur la typification de qualités dites « féminines » comme la douceur et le dévouement, ou alors « appartenant » aux personnes dites handicapées comme la patience et la soumission. On confère à ces femmes un double avantage supposément « naturel » qui est, en réalité, naturalisé par les représentations socialement construites autour du handicap et du genre. Le modèle du double avantage épistémique supposé entre en dissonance avec le modèle virilisant de la compensation, ce qui complique, par des tensions identitaires, l’agentivité de mes informatrices. En effet, ces femmes relativement virilisées sont toutes engagées dans les métiers traditionnellement féminins de l’éducation ou du travail social, dans lesquels sont attendues des « qualités » opposées aux descripteurs masculins de l’action qu’elles mettent fréquemment en œuvre par compensation.

Un modèle handicapiste et ambivalent

Il est attribué à mes informatrices des connaissances incarnées et approfondies des politiques et traitements dirigés vers elles et, plus largement, les personnes dites handicapées. Ces connaissances, marquées par le genre et le handicap ne sont ni formelles ni professionnalisantes; elles sont expérientielles, donc variablement vécues, pensées et évaluées. Or, employées dans des métiers traditionnellement féminins, mes informatrices se retrouvent à satisfaire des attentes stéréotypées par la mise en œuvre de savoirs d’expérience et de qualités attribués dont elles disposeraient toutes, supposément « naturellement », du fait de leur appartenance de sexe et de leur déficience physique. Parce qu’il contrecarre la démonstration de savoirs professionnels, le modèle du double avantage épistémique est genré et handicapiste, car peu émancipateur au-delà de l’embauche. Bien qu’utilisé d’une façon qui se veut inclusive par les employeurs et employeuses, ce modèle est à plus long terme ségréguant pour les femmes qui en bénéficient.

Paradoxalement, cet avantage épistémique se mue aussi en avantage social, car il représente une émancipation de contextes socio-structurels plutôt validistes et excluants. Mes informatrices ont gagné légitimité et reconnaissance dans leur environnement professionnel, en compensation des traitements discriminatoires. En ce sens, le modèle du double avantage épistémique est un soutien à une reprise de pouvoir biographique. Il sert cependant, de la part de ces femmes, à un discours d’auto-légitimation de leur présence dans le monde du travail.

Le modèle du double avantage épistémique supposé a une fonction ambivalente, polarisante. Ce modèle confère certes à mes informatrices un avantage mais il sert, au long cours, comme un instrument de négociation de leur maintien dans le travail formel. Lan, assistante sociale, est en particulier amenée à entreprendre avec son employeur une transaction autour de la pérennité de son employabilité. Elle s’engage dans une auto-légitimation de l’occupation de son poste, sur la base des connaissances incarnées qu’elle est censée avoir, et du volume et de la qualité de son travail. Elle explique : « Je pense que ma personnalité fait quand même beaucoup, qui fait qu’ils ont envie de me garder, parce que j’apporte quand même quelque chose à l’institution ». Elle entre dans une relation transactionnelle avec l’employeur, qui indique la volonté de sécuriser sa trajectoire :

Mon employeur m’a dit : « Malgré tes maladies, tu es celle qui essaie le plus possible, (…) tu es investie dans ton travail et tu es un exemple pour les autres ». Cette volonté-là, (…) d’aller malgré la situation de handicap, malgré les problèmes de santé.

Malgré son avantage épistémique supposé, Lan est contrainte à l’exemplarité de son action. Si mes informatrices acquièrent un pouvoir économique grâce au modèle du double avantage épistémique, elles demeurent dépendantes des attributions d’employeurs captifs et d’employeuses captives des épistémologies sociales qui entourent le travail des femmes et celui des personnes dites handicapées.

Au croisement de ces deux catégories, les femmes dites handicapées seraient sous-formées, peu qualifiées, inefficaces et peu compétentes. Aussi, d’autres qualités « féminines » stéréotypées leur sont octroyées pour justifier de leur employabilité, de même qu’une connaissance intime des traitements socio-assurantiels réservés aux personnes dites handicapées et dont elles-mêmes sont censées automatiquement bénéficier. Cependant, toutes les femmes paraplégiques ne possèdent pas forcément les qualités « féminines » qui leur sont dévolues et qui marquent leur différence. Elles ne disposent pas non plus nécessairement des connaissances sur le travail social qui sont attendues d’elles dans certains métiers, l’expérience de la réhabilitation étant variable pour chacune d’elles. Quand bien même leur émancipation est réelle par l’accès à la formation ou au travail salarié, elle est relative et sujette à caution, donc réversible. En effet, l’émancipation de ces femmes n’est pas fondée sur la démonstration de leurs savoirs formels, de leur compétence ou de leur expérience, mais sur un avantage épistémique plus ou moins avéré.

Le modèle du double avantage épistémique est « supposé » du fait que, par ailleurs, il ne protège ni des (auto)représentations et de l’action compensatrices et validistes des femmes paraplégiques, ni des relations asymétriques avec leur employeur et employeuse. L’activation de ce modèle peut renforcer l’héroïsation ou l’infériorisation, donc la singularisation de ces femmes, et être un frein à leur inclusion dans leur milieu de travail. Leur action risque d’être évaluée à l’aune unique du double avantage épistémique supposé. Ce modèle entretient un sentiment de dépendance qui impacte, à moyen et long termes, l’autodétermination de mes informatrices. Le piège d’une simple « intégration » peut abîmer les ressources épistémiques et motivationnelles de ces femmes.

Des modèles de soi pour nuancer le modèle du double avantage épistémique supposé

Le modèle du double avantage épistémique supposé réitère le fixisme des rôles et des positions assignés aux personnes paraplégiques dans le travail. Aucune de mes informatrices n’a connu de progression hiérarchique. Comme les femmes engagées dans le travail formel, ces personnes se trouvent confrontées à un déficit de crédibilité et de confiance qui les empêche d’occuper des postes plus élevés hiérarchiquement, au motif récurrent que leur activité à temps partiel ou leurs problèmes de santé (Pont, 2018) sont incompatibles avec une prise de responsabilités. Ces arguments appartiennent à une rhétorique sur l’intégration fortement conditionnelle (Roulstone et Williams, 2013) des personnes dites handicapées à certaines positions, même si leurs certifications, leurs compétences, voire l’avantage épistémique qui leur est conféré, les autoriseraient à y être promues. Wilson-Kovacs et al. (2008) relèvent que ces personnes voient leur mobilité verticale compliquée par un « manque d’opportunités, de ressources et de soutien ». Cette forme de ségrégation place les travailleurs et travailleuses dit-e-s handicapé-e-s dans des situations d’injustice épistémique herméneutique et testimoniale, et va à l’encontre des principes d’égalité prônés dans les textes législatifs nationaux et internationaux en ce qui concerne le travail des personnes dites handicapées, et même les organisations. Les personnes sont en effet privées de l’accès à des informations et des ressources qui leur permettraient de formuler des stratégies facilitant leur avancement. Pour résorber ces situations d’injustice épistémique, des changements dans les cultures professionnelles des organisations pourraient donner plus de visibilité et de crédibilité au travail, aux connaissances et compétences réelles des femmes paraplégiques, ainsi qu’à leurs stratégies personnelles et aux « modèles de soi » (Reybold, 1997, in Flannery, 2002 : 68), c’est-à-dire aux facettes identitaires et actionnelles qu’elles développent en formation, au travail et dans d’autres espaces sociaux. Les identités et les situations professionnelles individuelles des informatrices montrent l’émancipation ou la conformité aux modèles de la compensation et à celui du double avantage épistémique supposé. Leurs riches modèles de soi, plus ou moins conscients ou régulièrement maniés, mêlent des (auto)attributions à la fois validistes et handicapistes, et des (auto)descriptions féminines et virilisantes.

Stratégies personnelles et collectives pour réduire l’ambivalence du double avantage épistémique supposé

Après avoir présenté la réhabilitation professionnelle comme une épistémologie sociale, j’ai montré, sur la base des trajectoires éducatives et professionnelles de mes informatrices, qu’un avantage épistémique leur était octroyé à leur entrée dans les métiers traditionnellement féminins du travail social, favorisant leur empowerment face aux rapports sociaux de sexe et de handicap. J’ai discuté de la portée émancipatrice plus ou moins effective et durable du modèle du double avantage épistémique supposé. Bien qu’émancipateur dans un premier temps, ce modèle s’avère plus sexiste et, surtout, plus handicapiste qu’il n’y paraît, tout spécialement au cours de la stabilisation et de la pérennisation de la trajectoire professionnelle. Il entre en opposition avec le modèle de la compensation, actionnel et virilisant, mis en œuvre par les informatrices.

En conclusion, je propose quelques stratégies qui pourraient accroître les bénéfices du double avantage épistémique supposé, moyennant une formation à la « conscientisation » (Freire, 1980) de ce modèle dans les milieux de la réhabilitation et des organisations (Pont, 2018). L’instrumentalité de ce modèle pourrait être explicitement révélée et « conscientisée » (Freire, 1980) par les femmes paraplégiques en réhabilitation. Il pourrait être repéré en tant que véritable opérateur de la reprise de leur trajectoire, comme une stratégie d’empowerment dont elles bénéficient relativement « passivement », mais qui ne devrait pas demander d’auto-justification de leur embauche. Par ailleurs, si ce modèle s’appuie sur des attributions, de la part des employeurs et employeuses, de connaissances plus ou moins avérées, il ne devrait pas masquer les savoirs formels, professionnels et expérientiels effectivement démontrés par ces femmes. Elles pourraient les objectiver grâce à une réhabilitation et à un cheminement professionnel conscientisants. Pour elles, l’enjeu est aussi de prendre conscience de leurs modèles de soi, faits de leurs diverses facettes identitaires et de toute leur expérience sociale, et de s’autoriser à les affirmer et à les partager dans leur activité. Des points de vue multiples et inclusifs pourraient émerger de la mutualisation des connaissances, des expériences et des modèles de soi partagés par les femmes paraplégiques et les autres femmes dans les organisations – autant de ressources épistémiques qui demanderaient à y être reconnues comme telles. Les cultures professionnelles pourraient donc être enrichies de ces nouveaux points de vue et, possiblement, de l’avantage épistémique (s’il est avéré) des femmes paraplégiques. S’il est démontré, il pourrait contribuer avec d’autres caractéristiques plus objectives de l’action de ces femmes, à une diminution des transactions asymétriques autour de leur employabilité, ainsi qu’à l’égalité épistémique « de genre » et « de handicap » dans les organisations.

Bibliographie

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