1 Une forme d’injustice épistémique en contexte institutionnel : le cas des préposées aux bénéficiaires dans les organisations gériatriques au Québec

François Aubry et Flavie Lemay

L’objectif de ce chapitre est de présenter une forme spécifique d’injustice épistémique subie par les préposées aux bénéficiaires dans les organisations gériatriques du Québec. Il s’agit de l’absence de reconnaissance des savoirs informels que les préposées[1] utilisent quotidiennement auprès des résident-e-s. Au-delà des savoirs issus de la formation initiale, les préposées créent et mettent en application d’autres savoirs qui sont nécessaires pour répondre à la complexité des situations en gériatrie, due notamment à l’intensification de la charge de travail ainsi qu’à l’aggravation des caractéristiques cliniques des résident-e-s (démence, perte d’autonomie, etc.).

Cette thématique présente un double intérêt. D’une part, elle permet de montrer comment l’injustice épistémique peut se déployer et être subie dans un contexte institutionnel et professionnel. Il est reconnu que le monde du travail peut se présenter comme un espace croisant de multiples injustices (Dubet et Caillet, 2006). L’absence ou le manque de reconnaissance des savoirs réellement utilisés en milieu de travail en sont une forme particulière. D’autre part, elle présente la situation difficile des préposées (équivalents des aides-soignantes, en France) qui travaillent dans les organisations gériatriques du Québec, c’est-à-dire d’un personnel qui détient peu de pouvoir dans l’organisation, et qui fait l’objet de nombreuses critiques au sein et en dehors des organisations. Les médias diffusent en effet relativement souvent des documentaires, commentaires ou reportages sur la situation des ainé-e-s résidant dans ces milieux, en dénonçant les multiples formes de négligence, la qualité médiocre des lieux et des soins et services, l’isolement, jusqu’aux cas de maltraitance physique et/ou psychologique avérés. En première ligne, les préposées se voient régulièrement jugées comme incompétentes ou ayant des comportements dangereux, sans pour autant qu’elles en soient toujours les responsables directes.

Si nous portons le regard sur l’analyse de l’organisation du travail en gériatrie, et si nous nous intéressons à l’activité réelle de travail des préposées, nous pouvons faire deux constats importants. D’une part, le savoir relatif au « prendre soin » détient moins de valeur que le savoir médical ou paramédical dans ces organisations hautement hiérarchisées (infirmières, médecins et autres professionnel-l-es de la santé); on parlera alors ici d’une inégalité épistémique. D’autre part, les préposées démontrent quotidiennement leur capacité à mettre en œuvre des savoirs spécifiques, et plus particulièrement à inventer des stratégies pour assister les résident-e-s dans ces milieux. Les savoirs issus de la formation initiale ne suffisent pas. Compte tenu de l’intensification de la charge de travail et des caractéristiques toujours singulières des résident-e-s, les préposées doivent mettre en œuvre des stratégies spécifiques pour assister les résident-e-s avec justesse et efficacité. Pourtant, ces stratégies ne sont pas reconnues comme telles par les gestionnaires de ces organisations. C’est cette non-reconnaissance du travail réel et des savoirs réellement mis en œuvre que nous appellerons au fil du texte une injustice épistémique.

Méthodologie

Les résultats publiés dans ce chapitre sont issus d’une recherche menée entre 2014 et 2017 au Québec, portant sur les conditions et stratégies gagnantes du maintien en emploi des préposées aux bénéficiaires au Québec (Aubry et al., 2018). Nous avons opté pour une recherche qualitative, et plus précisément pour l’usage d’entrevues semi-dirigées, puisque nous souhaitions obtenir le point de vue des employées sur ces conditions et stratégies. Nous avons interrogé 20 préposées travaillant dans quatre centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) différents et provenant de quatre régions différentes du Québec. La très grande majorité des employées détiennent des statuts à temps complet (TC), sauf deux préposées qui ont décidé de garder volontairement un statut d’emploi partiel (TP). Enfin, en concordance avec les statistiques provinciales, la majorité des personnes interrogées sont des femmes, soit 19 sur 20 préposées. Notre processus d’échantillonnage s’est construit par l’intermédiaire des gestionnaires immédiats (responsables d’unité) de ces organisations, qui ont présenté le projet aux préposées. Ces dernières ont choisi de participer à l’étude sur une base volontaire.

Le projet visait principalement à recueillir les propos des préposées. Le choix des établissements participants se base sur la diversité géographique (urbain, semi-urbain, rural) et sur les enjeux de rétention de personnel répertoriés (Aubry et al., 2018). La grille d’entrevue initiale se composait de trois parties, soit : 1) une présentation du parcours socio-professionnel des préposées, 2) une description des conditions de travail actuelles en CHSLD, ainsi que de la situation relative à la valorisation des savoirs, et 3) le point de vue des préposées sur leur santé et leur sécurité au travail. Le choix de recourir à des entrevues semi-dirigées nous a permis de rester ouvert-e-s à la découverte de thèmes non identifiés a priori (Fortin et al., 2006).

Le contenu des entrevues fut retranscrit. Le processus de codage et d’analyse fut thématique, s’inspirant de la démarche inductive et de la théorisation ancrée (Glaser et Strauss, 2010), afin d’identifier dans une perspective itérative des thèmes non intégrés à notre grille d’entrevue (Miles et Huberman, 2003). Notre analyse nous a permis de constater la valeur heuristique de certains thèmes inscrits dans la grille d’entrevue, mais aussi la faiblesse de quelques autres. Il est apparu que les thématiques relatives aux conditions de travail, à l’organisation du travail et à la valorisation des compétences furent très pertinentes, et partagées par l’ensemble des actrices interrogées. Nous utilisons des extraits d’entrevue pour illustrer les thématiques de l’analyse.

Les préposées aux bénéficiaires, un personnel précarisé et peu valorisé

Médical et « prendre-soin » : la valeur inégale des savoirs

Les préposées aux bénéficiaires forment une catégorie d’emploi très importante dans le réseau public de la santé et des services sociaux du Québec. Majoritairement des femmes (à près de 80%), elles ont pour mandat d’assister les personnes qui sont soignées dans les hôpitaux ou les centres de réadaptation, ou encore d’aider au quotidien les résident-e-s qui vivent dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée – CHSLD (équivalent des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – EHPAD, en France). Leur fonction consiste, par exemple, à réaliser de multiples actes d’assistance directe et quotidienne envers les résident-e-s, comme les aider à s’habiller, à s’alimenter, à se laver, etc.

En CHSLD, leur rôle est considérable. On estime qu’elles réalisent de 80 à 90% de l’ensemble des activités auprès des résident-e-s. Notons qu’un centre d’hébergement et de soins de longue durée détient la mission d’accueillir les personnes en perte d’autonomie sévère dont la condition requiert une surveillance constante, des soins spécialisés et dont le maintien à domicile est devenu impossible et non sécuritaire. Les préposées forment la majorité de la main d’œuvre de ces organisations, et travaillent sous la responsabilité de l’équipe infirmière (auxiliaire et clinicienne), ainsi que de la cheffe d’unité. Les préposées sont, de fait, placées au bas de la hiérarchie hospitalière et sont considérées comme un personnel d’exécution des tâches de « prendre soin ».

Le moindre statut accordé aux savoirs mis en œuvre par les préposées n’est pas leur unique difficulté. Il est en effet reconnu que les 40 000 préposées du Québec forment une catégorie d’emploi très précarisée : 68% des préposées travaillent à temps partiel. Une partie d’entre elles (25%), dites « sur appel » ou en « temps partiel occasionnel », doivent accepter des nouvelles affectations au jour le jour, sans certitude de travailler le lendemain, en attendant l’obtention d’un poste à temps partiel « assuré ». Cette précarisation est une des nombreuses preuves d’une gestion publique des CHSLD calquée sur celle du privée, qui souligne l’importance de considérer d’abord et avant tout le coût de la résidence par l’activité de soin (Juven, 2016) et la comptabilisation du temps par type d’activité (Linhart, 2005), sans jamais ouvrir la boite noire de ce que recouvre le « prendre soin ». Quand bien même leur fonction d’assistance peut être considérée comme primordiale dans ce type d’organisations, le type de savoirs qu’elles détiennent, ainsi que le type de pratiques qu’elles mettent en œuvre, ne présentent pas la même valeur que l’ensemble des pratiques de soin reliées au savoir médical et paramédical. Même s’il est de « longue durée », le CHSLD demeure un centre d’hébergement et de soin dont la mission première est de maintenir l’autonomie fonctionnelle des résident-e-s. Concernant cette mission, les professions médicales (médecins, infirmières) et paramédicales (ergothérapeutes, physiothérapeutes) sont considérées comme prioritaires symboliquement et économiquement parlant sur les métiers du prendre-soin.

Inégalité épistémique en CHSLD

C’est en ce sens, par exemple, que des rencontres « multidisciplinaires » hebdomadaires en CHSLD visent à ce que des professionnel-le-s de la santé collaborent et discutent collectivement de la situation clinique des résident-e-s, sans que les préposées y soient conviées (ou à de très rares occasions). On considère que le savoir relatif au « prendre-soin » des préposées n’est pas nécessaire pour guider ou alimenter la réflexion clinique, tout en sachant pourtant que ce sont les préposées qui connaissent le mieux les résident-e-s : elles connaissent intimement leurs goûts, leurs envies, leurs angoisses, mais également savent souvent reconnaitre la cause de leur douleur, détiennent une connaissance précise des aidant-e-s qui les entourent, etc. Comble du paradoxe, il est obligatoire pour les préposées de rapporter l’information observée auprès des résident-e-s (changement de comportement, découverte de plaies d’escarres, vomissements, etc.), mais il n’est pas nécessaire pour les préposées de participer à ces rencontres d’équipe. C’est en ce sens que nous considérons que le fonctionnement du CHSLD accordant une primauté au soin impose une forme d’inégalité épistémique, car le savoir non clinique des préposées, alors même qu’il peut détenir une valeur féconde pour les clinicien-ne-s, n’est pas reconnu à juste titre dans des dispositifs (rencontres, statuts, etc.) qui lui accorderaient pourtant une valeur officielle.

Une très grande majorité de préposées travaillant dans les CHSLD publics sont diplômées. Contrairement à d’autres types de métier comparables (on pense ici aux aides à domicile présentées par Avril, 2014) où l’absence de diplômes empêche le développement d’une rhétorique professionnelle sur la valeur des savoirs acquis, les préposées doivent obtenir un diplôme d’études professionnelles (DEP) en assistance à la personne en établissement de santé. Il s’agit d’une formation de sept à neuf mois, alternant des ateliers théoriques, pratiques et des stages. Pourtant, les préposées mettent rarement en avant l’utilité des savoirs acquis lors de la formation initiale. Pour elles, ces savoirs, trop abstraits, sont certes des outils qui peuvent être efficaces en théorie, mais leur mise en pratique pose des problèmes majeurs. Par exemple, un contenu de formation de 30 heures vise à ce que les préposées puissent « établir une relation aidante » avec les résident-e-s, c’est-à-dire choisir le bon mode de communication avec la personne, développer un lien empathique, etc. Or, le développement de cette relation dépend de nombre de facteurs, parmi lesquels l’état de l’organisation du travail, le manque éventuel de personnel, les caractéristiques cliniques des résident-e-s, etc. Nous présentons ici les principaux facteurs organisationnels importants cités par les préposées qui complexifient, voire rendent impossible, la mise en application des savoirs formels.

L’activité complexe du « prendre-soin » 

L’impact de l’intensification de la charge de travail

L’intensification de la charge de travail est présentée par les préposées comme un facteur prédominant dans leur incapacité à mettre en œuvre les savoirs formels tels que prescrits. Intégrés à ce premier facteur, deux éléments spécifiques sont mentionnés par les préposées : l’accroissement du ratio de personnes par employée et la perte du contact relationnel.

Le premier élément porte sur l’alourdissement du ratio de personnes résidentes ou assistées par préposées. Il s’agit d’un enjeu fondamental, puisque les plans de travail des préposées sont structurés autour de ce ratio; de fait, le temps dévolu à chacune des personnes assistées par l’employée dépend de ce ratio, imposé par les gestionnaires des organisations. L’ensemble des employées mentionne cet enjeu, et déclare également avoir constaté cet accroissement au fur et à mesure des années : « Avant, quand j’ai commencé, ce n’était pas aussi lourd. On avait moins de résident-e-s à s’occuper, peut-être quatre ou cinq. Maintenant c’est sept, huit ou plus encore si on est moins un ou moins deux sur les étages. » (préposée 10)

L’alourdissement année après année du ratio de résident-e-s se double de difficultés ponctuelles, lorsque le remplacement de préposées absentes est impossible. « Être moins un ou moins deux » signifie qu’il manque une ou deux préposées sur l’unité de travail du CHSLD. Lorsqu’une employée ne peut pas travailler, des préposées « sur appel » sont contactées pour le remplacement. Lorsque le remplacement ne peut pas se réaliser, les préposées qui travaillent sur l’unité devront se diviser la charge de travail de la préposée absente. Ceci peut clairement accroitre la charge de travail, et créer un stress concernant le fait de finir dans les temps : « La semaine dernière, on était moins deux sur l’unité. J’ai dû prendre deux résident-e-s en plus, ça veut dire que tu travailles plus vite, tu ne prends pas ta pause, tu finis plus tard. C’est pénible, tu finis complètement épuisée, et tu donnes souvent du travail au quart de travail qui suit. » (préposée 15)

Cet accroissement du ratio provoque une aggravation des contraintes temporelles. Clairement, les employées ont le sentiment de devoir toujours accélérer, et de réduire le temps dévolu au travail relationnel, et ce, autant pour la personne assistée que pour les proches aidant-e-s. Les employées mettent de l’avant la dimension industrielle de leur activité, difficile à accepter surtout dans un contexte où les personnes accueillies présentent des caractéristiques sanitaires lourdes et complexes. L’alimentation, les toilettes, etc. doivent se réaliser rapidement, et empêchent la construction d’un lien positif avec la personne, comme l’illustre la citation suivante :

Il nous faudrait plus de préposées, mais sans nous rajouter des tâches. On a l’impression d’être un numéro qui donne des services à un autre numéro. On perd de la qualité, du lien et du relationnel. On a beaucoup moins le temps qu’avant. Je ne peux pas trop jaser avec la personne, c’est : « Go, bonjour madame, on ouvre les rideaux madame, on vous lève sur le lit, à plus tard madame. » Et on passe à l’autre. (préposée 19)

La complexification de l’activité de travail

Une autre problématique liée à la première concerne la complexification de l’activité de travail. Cet enjeu conduit à deux difficultés, soit la répétitivité des actes d’assistance, et l’agressivité et la violence de certaines personnes souffrant de démence ou d’autres troubles cognitifs.

La répétitivité des actes d’assistance est un sujet beaucoup abordé dans les entrevues. Les préposées en CHSLD mettent de l’avant le fait que ces tâches répétitives provoquent souvent des blessures, notamment aux poignets, au dos ou aux épaules. Le fait de devoir réaliser quotidiennement des transferts de résident-e-s entre le lit et le fauteuil pour des personnes en forte perte d’autonomie provoquent, selon elles, de fréquentes blessures. Cet aspect est particulièrement criant pour les employées expérimentées, qui ont réalisé les mêmes activités durant plusieurs années :

Tous les jours, je dois aider une résidente qui est là depuis longtemps. Je dois l’aider à la tourner sur le lit, on dit « faire une assistance partielle », et l’aider à rejoindre sa chaise. Mais à chaque fois, je dois la tirer, et parfois je force. Pareil quand on doit aider des personnes qui doivent être lavées, on les tourne sur le lit, et il faut de la force. Bon, année après année, je le sens, j’ai des douleurs, au dos, aux épaules. (préposée 10)

L’agressivité des résident-e-s ou client-e-s est aussi un enjeu majeur soulevé par les employées. En CHSLD, les résident-e-s souffrent pour une grande partie d’entre eux de problèmes de démence de type Alzheimer. Certaines actions (transferts, aides au repas ou à l’alimentation, déplacements au bain, etc.) peuvent être des situations à risque pour les employées, et celles-ci doivent mettre en pratique diverses stratégies pour parvenir à réaliser les activités prescrites :

Ce qui a beaucoup changé depuis quelques années, c’est la santé mentale des résident-e-s. Ils arrivent avec des gros problèmes de démence. Et ils sont souvent très agressifs, en tout cas certains d’entre eux. Je me suis déjà pris des claques à la figure, des coups de poing. Il y a 10 ans, ça existait moins que maintenant. Alors il faut y aller doucement, arrêter et revenir si ça ne marche pas. (préposée 21)

L’ensemble de ces informations nous permet de constater à quel point le métier de préposée est complexe. Leur activité réelle de travail se réalise dans un ajustement constant entre ce qui est prescrit et les conditions organisationnelles, sanitaires, etc. du milieu de travail. L’écart est grand entre un « prendre-soin » idéal basé sur des valeurs générales d’empathie, de compréhension ou encore de disponibilité, et le travail réel qui se fonde d’abord et avant tout sur un ratio résident-e-s/préposées et des caractéristiques cliniques complexes. C’est en ce sens que les préposées tendent à mettre en œuvre des savoirs informels spécifiques, qui ne sont pas reconnus à leur juste valeur.

De l’inégalité à l’injustice épistémique : la non-reconnaissance des savoirs informels 

Une prescription déconnectée de la réalité des préposées

Travailler comme préposée est bien sûr exigeant à cause de la nature de la tâche (rapport au « sale travail », travail émotionnellement exigeant). Mais il l’est aussi à cause de l’écart entre le travail tel qu’il est prescrit et tel qu’il peut être réellement mis en œuvre en situation, compte tenu des données cliniques et organisationnelles non intégrées par les prescripteurs. Est-ce à dire que la formation initiale n’a pas d’importance? Disons, plus exactement, que la formation initiale tient surtout lieu de milieu de sélection des préposées ayant démontré une certaine forme de responsabilité et qui, comme pour les aides à domiciles étudiées par Julliard et Leroy (2014, 121) « d’elles-mêmes, une fois sur le terrain, auront à outrepasser quotidiennement les limites qu’on leur a enseignées ».

La prescription en CHSLD est aujourd’hui largement le fait d’instances d’évaluation provinciales et fédérales qui imposent des règles de conduite aux organisations : Agrément Canada et visites du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Les CHSLD sont sous le regard permanent de ces institutions qui dictent des normes de qualité spécifiques. C’est en ce sens qu’on parle d’organisations « hypernormées » (Aubry, 2012) soumises à une explosion du nombre d’audits (Banerjee et Armstrong, 2015) basés sur un ensemble d’indicateurs top-down à atteindre en termes de qualité de services et de politique de qualité. Une base logique de cette imposition de normes repose sur cette raison : il faut davantage former le personnel ou lui transmettre davantage de savoirs. Et les préposées, volume de main d’œuvre le plus important dans ce milieu, sont directement visées : personnel formé, mais aussi personnel à former, elles sont visées comme étant les principales responsables du manque de qualité des services fournis.

Un constat majeur qui ressort de nos études porte sur le décalage entre les prescriptions et le travail réel des préposées. Les toilettes, par exemple, requièrent un usage de compétences diverses, qui ne se limitent pas aux enseignements issus du centre de formation, mais qui sont développées au fur et à mesure de la prise d’expérience dans le milieu (Piot et Thievenaz, 2017). Il existe en effet de multiples dimensions du travail de soin qui demande de la créativité et de l’intelligence. Les préposées développent en situation de travail des savoirs non issus de la formation initiale, utiles et très efficaces pour l’organisation du travail et la personnalisation des services.

L’usage de stratégies informelles

Plusieurs stratégies peuvent être identifiées. Tout d’abord, les stratégies relationnelles qui visent à construire un lien de proximité avec les résident-e-s, et à pouvoir utiliser le lien de confiance permettent de mieux gérer les situations complexes et les activités de soin ou d’assistance. Arborio (2001) avait démontré en quoi les aides-soignantes, en France, mettent en œuvre ce type de stratégies, nommées « savoir-faire discrets » par Molinier (2005), et utiles notamment dans la gestion de l’agressivité, des comportements ou des émotions (Brossard, 2015). Ces stratégies dépendent de l’interaction spécifique développée entre les préposées et les résident-e-s.

Ensuite, les stratégies de réduction de temporalités portent davantage sur le volet industriel des organisations gériatriques. Il s’agit ici pour les préposées de parvenir à réaliser l’ensemble des tâches prescrites en un temps restreint, contraint par le ratio de résident-e-s par préposée. Caroly et Clot (2004) ont clairement démontré l’importance de ces stratégies dans les métiers de services. Ces stratégies, utilisées en CHSLD, sont utiles pour la recherche de gain de temps (ne pas utiliser d’instruments, comme le souleveur; réduire le temps pour réaliser la toilette ou prendre les repas, par exemple).

Enfin, les savoir-faire de prudence peuvent être définis comme les stratégies développées pour prévenir la santé au travail des travailleurs et travailleuses. Ces savoir-faire ne sont pas appris lors d’une formation initiale, mais davantage créés et développés collectivement pour répondre à des difficultés et des risques spécifiques, dans des contextes précis. Cloutier et al. (2007) ont présenté ce type de savoir-faire dans le cadre du travail à domicile des auxiliaires familiales et sociales.

Ces stratégies ont démontré leur efficacité, mais demeurent pas ou peu reconnues par les gestionnaires dans les organisations gériatriques, participant à l’absence de valorisation des préposées et à leur invisibilité dans l’espace gériatrique. L’expertise relationnelle ou organisationnelle de ces préposées demeure non valorisée, alors même qu’elle est nécessaire pour le fonctionnement quotidien du centre d’hébergement. C’est ici qu’on peut parler d’injustice épistémique : ces stratégies sont utilisées implicitement par les gestionnaires qui considèrent ce travail comme étant un attribut naturel de l’activité des préposées, mais sans reconnaitre explicitement leur valeur, ni même leur existence.

Le développement de ces stratégies dépend intimement de plusieurs facteurs organisationnels. En ce sens, la mise en œuvre de ces stratégies peut être « empêchée » par des obstacles organisationnels spécifiques aux CHSLD. Selon Clot (2010), une activité est empêchée lorsque les travailleurs et travailleuses n’ont pas toutes les ressources à disposition pour réaliser un travail de qualité. Si l’on suit le cadre théorique du même auteur, les stratégies utilisées par les préposées forment un genre professionnel, c’est-à-dire un ensemble de pratiques et d’évaluations collectives permettant de répondre aux prescriptions via des moyens spécifiques, non issus de la formation initiale. Clot (2010, 102) mentionne ainsi que « le collectif digère la prescription sans la récuser a priori pour la mettre au service de l’action qui convient le mieux ».

Ici, le collectif de préposées détient une valeur centrale. Les stratégies sont développées collectivement, dans le sens où elles sont reconnues comme efficaces par l’ensemble des préposées. Mais parfois, la mécanique du genre est suspendue. Lorsqu’un collectif de travail devient une collection d’individus où chacun est exposé à l’isolement, la santé au travail des préposées se dégrade. Les savoir-faire de prudence peuvent ne plus être créés et appliqués compte tenu du manque d’espace et de temps pour discuter collectivement non seulement de la normalité et de l’efficacité de ces stratégies, mais aussi de leur moralité (Lechevalier-Hurard, 2013). Au contraire, en gériatrie, l’individualisation provoque l’obligation de mettre en œuvre des stratégies clandestines et parfois dangereuses, autant pour les résident-e-s que pour le personnel (refuser de donner un bain à un-e résident-e pour gagner du temps, utiliser du matériel lourd seule alors que les normes organisationnelles exigent un usage en duo, etc.). Le collectif demeure donc un médium indispensable pour le développement des stratégies, et notamment des savoir-faire de prudence.

Une injustice épistémique qui fragilise la santé psychologique

Les préposées souffrent actuellement de nombreux problèmes de santé au travail. Les taux d’invalidité de courte et longue durée sont une préoccupation majeure des gestionnaires des établissements, de même que les taux d’accident du travail, puisque ces événements représentent une importante gestion organisationnelle en termes de remplacements. Plusieurs recherches menées durant les dernières années au Québec mettent en lumière les causes organisationnelles de la fragilisation de la santé au travail des préposées. L’accent est régulièrement mis sur l’intensification de la charge de travail. Ce processus s’illustre d’abord par l’accroissement du ratio de résident-e-s par employée, ainsi que par l’aggravation des caractéristiques cliniques des personnes assistées. En ce sens, le travail des préposées serait plus intense du fait d’une limitation du personnel préposé cumulée à une transformation du portrait clinique des résident-e-s (démence, obésité morbide, etc.). Du fait de cette intensification, les rythmes de travail seraient plus rapides et conduiraient à des risques de blessure plus fréquents, notamment lors du déplacement des résident-e-s (du lit au fauteuil, par exemple) (Aubry et al., 2018).

Mais la santé psychologique est, elle aussi, clairement fragilisée, et ce notamment par les injonctions paradoxales relatives au CHSLD : il faut travailler vite (avec un personnel limité) et bien (en assurant la meilleure assistance possible aux résident-e-s). On peut utiliser le concept de « souffrance éthique » que Dejours (2006, 132) définit comme « la souffrance que fait naître le conflit entre les convictions morales et l’injonction à participer à des actes qu’on réprouve ». Marquier et al. (2016, 15) notent que, dans les organisations gériatriques françaises, « il s’agit de travailler vite, en ayant en tête la prochaine tâche ou le prochain résident, sans prendre le temps de « bien » travailler mais aussi de s’interroger sur la manière optimale ou adéquate de réaliser tel ou tel acte pour chacun des résidents ». Le constat peut être aisément transposé au Québec. Bourbonnais et al. (2005) précisent à quel point les employées des organisations gériatriques doivent répondre à des prescriptions contradictoires, entre le pôle industriel caractérisé par le ratio d’usagers et d’usagères et leur situation clinique, et le pôle domestique composé par le souci des résident-e-s et l’exigence de qualité. Cette contradiction des prescriptions, couplée avec l’intensification de la charge de travail, provoquerait la souffrance éthique. Ce constat est conforté par les analyses en France d’Estryn-Béhar et al. (2011) qui mettent l’emphase sur l’impact de l’intensification de la charge de travail sur l’épuisement professionnel, le sentiment d’isolement et l’impression de ne pas pouvoir réaliser un travail de bonne qualité.

Quand les préposées se réapproprieront leur travail

Il existe ainsi des facteurs organisationnels spécifiques qui permettent la création et le développement collectif de ces stratégies. Un des plus importants est sans nul doute l’existence d’un espace de discussion collectif, qui est la condition nécessaire pour le développement, l’application adéquate et la pérennité de ces stratégies. En gériatrie, il manque une discussion collective sur ce qu’est le travail de préposée, donc sur l’écart entre ce qui est prescrit et ce qui est effectivement réalisé. L’injustice épistémique se présente ici comme l’incapacité, pour les préposées, de discuter collectivement des stratégies nécessaires pour combler l’écart entre le prescrit et le réel. Cette injustice tient beaucoup à la place cruciale de ce que Dujarier (2015) appelle les « planneurs », c’est-à-dire des gestionnaires ou ingénieur-e-s qui créent et imposent des prescriptions déconnectées de la réalité du travail, et d’autant plus de la complexité des relations préposées/résident-e-s. Selon cette autrice, la prescription est nécessairement abstraite et moralisatrice. Elle manque d’ancrage contextuel au terrain, et porte un regard binaire sur l’efficacité des pratiques, alors même que l’activité des préposées se définit par sa grande complexité. Dujarier (2006) démontre très bien que le travail de service est imprévisible. La prescription du travail ne peut pas prévoir l’ensemble du travail à réaliser. Lorsque des contradictions apparaissent, un travail d’organisation s’opère par l’activité collective. Ne pas donner la parole aux préposées sur leurs activités, c’est les conduire à ne pas suivre les prescriptions, mais à construire une activité quasi-clandestine régulée sur les nécessités quotidiennes. Et ce travail de régulation est particulièrement éprouvant. Les gestionnaires comptent implicitement sur l’engagement des acteurs et actrices pour trouver des solutions aux contradictions : « Le travail d’organisation individuel est particulièrement éprouvant physiquement et moralement, lorsqu’il doit ainsi pallier les insuffisances du travail d’organisation politique, gestionnaire, managériale et du collectif » (Dujarier, 2006, 133).

Un exemple de cette injustice porte sur l’évaluation du travail des préposées. En CHSLD, cette évaluation ne se réalise que très rarement. Des préposées nous ont mentionné que ce type d’évaluation incluant une discussion entre un-e gestionnaire et une employée sur le travail réalisé (appelé officiellement « appréciation de la qualité de l’acte ») ne leur a jamais été offerte, et d’autres nous ont rapporté que les seules évaluations dont elles se souviennent remontent à plusieurs années. L’absence de ces formes de rencontres ou rétroactions constituent un enjeu majeur : comment discuter avec un-e gestionnaire des stratégies mises en application quotidiennement, des problématiques organisationnelles empêchant une juste qualité des pratiques, si aucune rencontre n’est possible? Cela dit, même si l’évaluation avait lieu, il faudrait donner une place substantielle à la description subjective du travail, peu présente dans les métiers peu valorisés (Coupechoux, 2014). Axer uniquement l’évaluation sur l’efficacité ou la productivité, c’est-à-dire sur l’atteinte des prescriptions, aurait peu de sens. À ce titre, l’évaluation ne peut se limiter à l’efficacité produite compte tenu de la complexité de la relation préposée/résident-e. Comme le propose Gagnon (2017), il faut dépasser la fonction de surveillance et de contrôle pour développer des formes d’évaluation réflexive et participative. Actuellement, peu d’initiatives au Québec donnent une place suffisante aux préposées pour cette réflexion.

Donner davantage de pouvoir aux préposées

Si les CHSLD sont présentés aujourd’hui comme des milieux de vie qui doivent respecter les besoins et les choix des résident-e-s, on peut être surpris par le sort imposé aux préposées aux bénéficiaires chargées de leur assistance quotidienne. Alors même qu’elles sont considérées comme « les yeux et les oreilles » des résident-e-s, on ne leur donne que peu de pouvoir dans l’organisation. Leur avis est rarement pris en compte. Et le type de savoirs qu’elles mettent en application (le « prendre-soin ») semble peu compter concrètement face aux savoirs médicaux et cliniques, faisant apparaitre des formes d’inégalités épistémiques classiques entre les savoirs médicaux et les savoirs d’assistance.

Par ailleurs, on assiste aussi à une forme d’injustice épistémique lorsqu’on observe que les stratégies utilisées sur le terrain par les préposées ne sont pas reconnues comme telles par les gestionnaires. Cibles de nombreuses critiques, il n’existe pas de programmes de participation ou de consultation des préposées; or, on les tient responsables, souvent, de l’échec des programmes, des cas de négligence, voire de maltraitance. Pourtant, la maltraitance peut avoir diverses causes, dont certaines sont clairement organisationnelles. Il est temps de donner davantage de pouvoir aux préposées dans leurs organisations du travail.

Bibliographie

Arborio, Anne-Marie. 2001. Un personnel invisible. Les aides-soignantes à l’hôpital. Paris : Anthropos.

Aubry, François. 2012. « L’innovation en milieu hypernormalisé. Le cas des préposés aux bénéficiaires dans les organisations gériatriques au Québec ». Cahiers de recherche sociologique, 53, 11-32.

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  1. L’écriture inclusive n’est pas adoptée pour ce terme en raison de la très grande proportion de femmes à l’emploi pour la catégorie de préposée.

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