Les résumés
Une forme d’injustice épistémique en contexte institutionnel : le cas des préposées aux bénéficiaires dans les organisations gériatriques au Québec
L’objectif de ce chapitre est de présenter une forme spécifique d’injustice épistémique subie par les préposées aux bénéficiaires dans les organisations gériatriques du Québec. Il s’agit de l’absence de reconnaissance des savoirs informels que les préposées utilisent quotidiennement auprès des résident-e-s. Au-delà des savoirs issus de la formation initiale, les préposées créent et mettent en application d’autres savoirs qui sont nécessaires pour répondre à la complexité des situations en gériatrie, due notamment à l’intensification de la charge de travail, mais aussi à l’aggravation des caractéristiques cliniques des résident-e-s (démence, perte d’autonomie, etc.). Ces savoirs sont des stratégies spécifiques qui détiennent une valeur centrale dans ce type d’organisation pour réduire l’écart entre la prescription idéalisée et la réalité du travail définie notamment par des ratios à respecter et des rythmes de travail intenses. Si l’inégalité épistémique que subissent les préposées est caractérisée par la moindre importance donnée au « prendre-soin » par rapport aux activités médicales, l’injustice épistémique se présente sous la forme d’une absence de reconnaissance des savoirs informels utilisés. Une forme de valorisation spécifique à prioriser serait le développement d’un espace de délibération propre aux préposées dans ces organisations.
Abstract
The objective of this chapter is to present a specific form of epistemic injustice suffered by personal care workers in geriatric organizations in Quebec: The lack of recognition of the informal knowledge that the workers use with residents. Beyond the knowledge resulting from the initial training, the agents create and apply other knowledge that is necessary to respond to the complexity of situations in geriatrics organizations, in particular to the intensification of the workload, but also to worsening of the clinical characteristics of residents (dementia, loss of autonomy, etc.). This knowledge is specific strategies that hold a central value in this type of organization to reduce the gap between the idealized prescription and the reality of work characterized in particular by ratios to be respected and intense work rhythms. If the epistemic inequality experienced by the personal care workers is characterized by the low importance given to « taking care » in relation to medical activities, epistemic injustice takes the form of a lack of recognition of the informal knowledge used. A specific form of valuation to prioritize would be the development of a space for deliberation specific to the employees in these organizations.
Trouble dans la hiérarchie ordinaire des savoirs. Paradoxes du travail pair
Les travailleurs pairs et travailleuses paires sont recruté-e-s sur la base de leurs savoirs expérientiels pour accompagner, dans le champ médico-social, des personnes dans des situations comparables à celles qu’ils et elles ont connues. Dépositaires de savoirs expérientiels revendiquant un point de vue situé qu’ignorent les savoirs académiques, les pair-e-s, censé-e-s constituer les chevilles ouvrières d’un changement de pratiques en matière d’intervention médico-sociale, se heurtent dans les faits à la hiérarchie traditionnelle des savoirs, à la verticalité des rapports sachant-e-profane, et aux injustices épistémiques qui en découlent. Mobilisé-e-s comme sujets au travail, les travailleurs et travailleuses pair-e-s se trouvent fréquemment enfermé-e-s dans l’injonction paradoxale consistant à « être et ne pas être » elles ou eux-mêmes au travail. Pourtant, ces personnes disposent d’« arts de faire » issus de l’expérience de stigmates dont elles ne se départissent pas aux yeux de certain-e-s de leurs collègues enclin-e-s à les « psychologiser » en faisant de leur vulnérabilité présumée la cause de leurs réussites et de leurs échecs. Dans ce contexte, on peut se demander s’il ne serait pas plus pertinent de former les équipes au travail pair, plutôt que de tenter de conformer le travail pair aux pratiques ordinaires de l’intervention médico-sociale.
Abstract
Peer workers are hired for their experiential knowledge, in order to support people in situations similar to those they have been experiencing. They have an elusive and inexpressible skill, indissociable from who they are, unqualified, practicing under various status and appellations an interstitial mediation work, with unclear contours and content. With their experiential knowledge, claiming a standpoint ignored by the academic knowledge, peers, who are expected to constitute the backbone of a change in medico-social intervention practices, are facing the traditional hierarchy of knowledge, the vertical nature of relationships, and the resulting epistemic injustices. Mobilized as subjects in their jobs, peer workers are often locked in the paradoxical requirement of « being and not being » themselves at work. Disqualified for their singular store of knowledge; often isolated, peer workers have an « art of doing » derived from the stigma they experience. These experiences are often the pretext of their alleged vulnerability in the eyes of some of their colleague, psychologizing the peer workers. In this context, we can ask ourselves: would it not be more relevant to train teams at peer working, rather than try to conform peer working to ordinary medico-social intervention practices?
Entre désir de symétrie et production de l’ignorance en santé mentale : le cas des services d’intervention à domicile et dans les milieux de vie
L’objectif de co-construction de l’intervention sociale à domicile porté par les services d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) et les services d’accompagnement médico‑sociaux pour personnes adultes handicapées (SAMSAH) se confronte à des logiques institutionnelles, épistémiques et politiques qui bousculent l’idéal de participation et de reconnaissance des savoirs expérientiels des personnes accompagnées. Nous proposons d’interroger la symétrisation des rapports sociaux et la reconnaissance des savoirs des actrices et des acteurs des services d’accompagnement à domicile français (personnes concernées, professionnel-le-s, proches-aidant-e-s) dans l’optique de contribuer à mieux définir et visibiliser les ressorts des injustices épistémiques faites aux personnes vulnérables aujourd’hui.
Abstract
The objective of co-construction of the home-based social intervention supported by social and medico-social support services confronts institutional, epistemic and political logics questioning the ideal of participation and recognition of experiential knowledge of users. We propose to analyze the symmetrization of social relations and the recognition of the knowledge of users in French home support services (persons concerned, professionals, family-helpers) in order to contribute to better define and make visible the mechanisms of the epistemic injustices marginalized people go through.
Faire place à l’indignation. Réduire les inégalités communicationnelles dans un processus de planification urbaine montréalais.
On constate, au Québec, que les travaux portant sur la planification des quartiers urbains s’intéressent peu aux enjeux de la communication et aux défis toujours renouvelés des inégalités communicationnelles, qui se recoupent plus largement à travers les injustices épistémiques. Ils ne montrent pas clairement le sens que revêtent les formes de communication qui échappent à la discussion formelle et procédurale, ni ne saisissent pleinement le caractère éprouvant de la prise de parole chez les participant-e-s désavantagé-e-s. La micro-sociologie qui se rattache à cette enquête montre la subtilité des formes d’exclusion des participant-e-s récalcitrant-e-s et critiques à l’endroit de la démarche de revitalisation d’un quartier de Montréal.
Abstract
In Quebec context, work on urban planning has shown little interest in communication issues and the constant challenges of communication and linguistic inequalities. This work doesn’t clearly show the meaning of forms of communication that escape formal and procedural discussion, or fully understand the stressful nature of speaking among disadvantaged participants. The microsociology associated with this fieldwork makes it possible to show the subtlety of the forms of the exclusion of participants who are recalcitrant and critical against the Hochelaga neighbourhood revitalization process.
Travail pair versus travail social : quelle légitimité de la mètis face aux savoirs académiques?
Le travail pair se présente aujourd’hui en France comme un métier innovant dans le travail social et médico-social. Ses praticien-ne-s mettent en œuvre des techniques spécifiques d’intervention qui diffèrent de celles des professionnel-le-s, dont les savoirs se sont constitués au cours de formations dites « académiques ». En effet, les travailleurs pairs et travailleuses paires tirent leurs apprentissages de leur trajectoire de vie personnelle. Leurs savoirs relèvent d’une mètis qui se heurte à des résistances de la part des autres membres des équipes d’intervention qui s’expriment par la difficulté à reconnaître la légitimité des savoirs expérientiels de leurs collègues pair-e-s. Cela s’explique notamment par la protection de corps professionnels historiquement positionnés comme détenteurs des compétences de l’accompagnement et du soin.
Abstract
Peer support practices are nowadays considered in France as an innovative profession in social and medico-social work. Its practitioners implement specific intervention techniques that differ from those of professionals, whose knowledge has been built up during so-called « academic » training. Indeed, peer support workers derive their learning from their personal life trajectory. Their knowledge, defined as a kind of mètis, meets resistance from the other members of the intervention teams that traduces their difficulty in acknowledging the legitimacy of the experiential knowledge of their peer colleagues. This can be explained in particular by the protection of professional bodies historically positioned as unique holders of social support and care skills.
Partager le monopole des savoirs dans l’usage de drogues. Le cas des junkies au Maroc
Au Maroc, la prise en charge des personnes consommatrices de drogues montre, de façon exacerbée, la médicalisation du social. Le vécu et les témoignages de ces personnes suscitent très peu d’intérêt chez les responsables et spécialistes en matière de toxicomanie, notamment les médecins qui ne leur laissent quasiment aucun espace de parole, ni dans le débat public ni dans les politiques arrêtées. Ces personnes ne sont appréhendées que sous le paradigme médical, sans autre considération sociale, comportementale et phénoménologique. Face à ce contexte réducteur, ce chapitre se veut résolument plus ouvert à la complexité du phénomène, en abordant dans un premier temps la manière dont les personnes usagères de drogues se servent du discours médical pour revendiquer le statut de patient-e qui est, dans l’opinion publique, moins stigmatisé que celui de délinquant. La seconde partie du chapitre met en exergue l’émergence d’une forme de résistance épistémologique menée par une nouvelle vague de junkies refusant le monopole du savoir et promouvant un libre choix de vie, et fondée sur leurs savoirs et expériences personnels et collectifs.
Abstract
In Morocco, the care of drug users shows, in an exacerbated way, the medicalization of the social sector. The experiences and testimonies of these people are of very little interest to decision-makers and specialists in the field of drug addiction, particularly doctors, who leave them almost no say in the public debate or in the policies adopted. These people are only apprehended under the medical paradigm, without any other social, behavioural or phenomenological consideration. Faced with this reductive context, this chapter aims to be resolutely more open to the complexity of the phenomenon, by first addressing the way in which drug users use medical discourse to claim the status of patient, which is, in public opinion, less stigmatized than that of delinquent. The second part of the chapter highlights the emergence of a form of epistemological resistance, led by a new wave of junkies, refusing the monopoly of knowledge, promoting a free choice of life, and based on their personal and collective knowledge and experiences.
Avantage versus injustice épistémiques : stratégies d’empowerment dans la réhabilitation éducative et professionnelle des femmes paraplégiques
Au moment où les femmes devenues paraplégiques reprennent leur trajectoire professionnelle, des employeurs et employeuses leur attribuent à l’embauche un double avantage épistémique qui repose sur les représentations des connaissances dont ces femmes sont censées « naturellement » disposer du fait d’être femmes et dites handicapées. À l’appui de concepts relatifs aux injustices épistémiques et de résultats de ma recherche doctorale menée en Suisse, je montre que cet avantage agit comme un modèle d’empowerment. Bien que le modèle du double avantage épistémique paraisse émancipatoire, il réitère en réalité une infériorisation à la fois sexiste et handicapiste des femmes paraplégiques, quand bien même ces dernières développent activement le modèle d’empowerment de la compensation dans leur parcours professionnel. Le modèle du double avantage épistémique masque les connaissances formelles et l’expérience acquise, ainsi que les inégalités épistémiques vécues par les femmes paraplégiques au cours de leurs trajectoires éducatives et professionnelles. Des stratégies sont proposées afin que le double avantage épistémique évolue en un modèle d’émancipation plus égalitaire et authentique, qui intègre la pluralité des facettes identitaires, épistémiques et expérientielles des femmes paraplégiques.
Abstract
When women who have become paraplegic resume their professional careers, employers attribute a double epistemic advantage to them at the time of their hiring. This benefit is granted on the basis of the knowledge that these women are supposed to have « naturally », because they are women, and allegedly handicapped. Relying on the concepts of epistemic injustice and on the results of my doctoral research, I show that this advantage serves as a model of empowerment for these women. Although the model of the double epistemic advantage may be seen as emancipatory, it in fact reiterates both the sexist and disablist belittlement of paraplegic women, even though they actively develop the empowerment model of compensation in their professional careers. The model of the double epistemic advantage obliterates their formal knowledge and experience, as well as the epistemic inequalities that they experienced during their educational and professional trajectories. Strategies are proposed so that the double epistemic advantage evolves into a more egalitarian and authentic model of emancipation, which integrates the plurality of the facets – whether identity-related, epistemic, or experiential – of paraplegic women’s lives.
Décrédibilisation du discours militant et droits des personnes handicapées
L’article 12 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées et son interprétation par le Comité des droits des personnes handicapées, dans son « observation générale n°1 », soulèvent une question inédite : celle de dissocier radicalement la capacité juridique des adultes de leur capacité de discernement réelle. Autrement dit, le Comité plaide pour une capacité juridique universelle, reconnue à chaque personne majeure, quelle que soit ses facultés concrètes et l’accompagnement dont elle aurait éventuellement besoin. Indépendamment de la discussion de fond qu’appelle cette position, notre questionnement provient d’abord du fait qu’elle ne suscite pas davantage de débats, précisément. Selon notre hypothèse, si l’observation générale n°1 peine à prendre sa place au sein du débat public, c’est notamment parce qu’elle émane d’un Comité dont les membres sont perçu-e-s comme des militant-e-s, aux travaux desquel-le-s il est généralement accordé moins de crédit. En s’appuyant sur des travaux d’épistémologie, en particulier sur la question de l’objectivité scientifique et sur la théorie des injustices épistémiques, la présente contribution tente de convaincre de l’intérêt de prêter attention à l’observation générale n°1 et, plus généralement, aux connaissances portées par des « militant-e-s ».
Abstract
Article 12 of the United Nations Convention on the Rights of Persons with Disabilities and its interpretation by the Committee on the Rights of Persons with Disabilities in their « General comment No. 1 » raise an unprecedented question: that of the radical dissociation between adults legal capacity and their actual capacity of discernment. The Committee pleads for a universal legal capacity recognized to every adult, whatever their concrete abilities may be and whether they need support in exercising it or not. Regardless of the substantive discussion this position calls for, our reflection stems from the fact that the position does not seem to generate more debate. According to our hypothesis, the General comment No. 1 is not publicly debated as it should be because it emanates from a Committee whose members are perceived as activists and whose work is therefore discredited. In order to establish our hypothesis, we are interested in social epistemology and the dynamic between the prevalence of scientific objectivity and epistemic injustices. Our contribution aims to show the importance of considering the General comment No. 1 and, more generally, the importance of considering situated forms of knowledge.
Entre sciences des sols et savoir-faire paysans : faire dialoguer les formes de connaissance pour améliorer la santé des sols cultivés
L’expansion planétaire du modèle agro-industriel basé sur une agriculture chimique est à l’origine d’importants phénomènes d’érosion touchant tout autant les sols cultivés que la diversité des agricultures paysannes. Dès le début de l’industrialisation de l’agriculture, la science agronomique s’est érigée en maître, dénigrant la légitimité des connaissances paysannes. L’évaluation des effets des pratiques agricoles sur la vie des sols cultivés est pourtant un enjeu crucial et cette évaluation doit pouvoir se faire en collaboration avec les agriculteurs et agricultrices. Mais comment renouer le dialogue entre ces différentes formes de connaissances tenues à distance par un rapport de force historique? Comment élaborer des indicateurs qui soient à la fois pertinent pour les agriculteurs et agricultrices et pour les scientifiques? Ce texte présente une piste possible, celle d’une recherche collaborative visant la conception et l’utilisation d’une méthode qualitative d’évaluation de la santé des sols cultivés. Cette recherche, basée sur le dialogue des formes de connaissances scientifiques et paysannes, vise une amélioration de la santé des sols cultivés en permettant d’effectuer un suivi des effets des pratiques agricoles sur base d’indicateurs qualitatifs observables aux champs.
Abstract
The world-wide expansion of an agribusiness model founded on the use of chemical inputs in agriculture has caused both the erosion of cultivated land as well as a loss of the diversity of models of small-scale peasant farming. Since farming has become increasingly industrialised, agricultural science has acquired pride of place, and the validity of peasant knowledge has accordingly lost its credibility. However, understanding the impact of agricultural practices on soil life is a crucial matter and it cannot be done without working in partnership with farmers. Yet, how can we bridge the gap between different types of knowledge that have been kept at a distance from each other due a historic imbalance of power and legitimacy? How can we build reference frameworks that can work for both farmers and scientists? This contribution points to a possible solution by exploring paths of collaborative research dedicated to soil health assessment. This research is based on a dialogue between scientific and farmers knowledge and aims at improving soil health by evaluating the impact of agricultural practices through the assessment of qualitative indicators observable in the field.
Accès à la justice et injustices épistémiques : état des lieux, obstacles et possibles
L’accès aux services juridiques et aux tribunaux est actuellement fortement compromis dans les pays de common law. Si les causes identifiées sont d’ordre économique, la réflexion que nous proposons soutient que l’accès à la justice implique aussi une dimension épistémique : la visibilité et la reconnaissance de différents savoirs juridiques. Dans ce texte, nous ferons d’abord un état des lieux de la production du savoir juridique et des injustices épistémiques qu’elle génère. Ce savoir se constitue à l’aide de deux procédés : le contrôle du statut des personnes autorisées à le produire et son organisation hiérarchique. Nous démontrerons ensuite comment ces injustices épistémiques se traduisent en injustices en matière d’accès à la justice avant de proposer quelques pistes de réflexion. Trois enjeux plus spécifiques seront abordés : 1) la définition de l’accès à la justice, 2) l’empowerment juridique et 3) l’absence de données empiriques sur les expériences citoyennes en justice.
Abstract
Access to legal services and courts is currently severely compromised in common law countries. If the most documented causes are of an economic nature, our reflection maintains that access to justice also implies an epistemic dimension: the visibility and recognition of different legal knowledges. In this paper, we will first take stock of the production of legal knowledge and the epistemic injustices it generates. This knowledge is constituted using two processes: the control of the status of the persons authorized to produce it and its hierarchical organization. We will then demonstrate how these epistemic injustices are translated into injustices in terms of access to justice before proposing some avenues for reflection. Three more specific issues will be addressed: 1) the definition of access to justice, 2) legal empowerment, and 3) the lack of empirical data on citizens’ experiences of justice.
De la disqualification à la prise en compte de parole des personnes dites handicapées psychiques par les décideurs et décideuses publics : le défi de la recherche-action participative en santé mentale d’Advocacy France
Partant du constat que la parole des personnes dites handicapées psychiques continue à être disqualifiée et leurs libertés de choix peu respectées malgré leurs droits, l’association militante Advocacy France luttant pour la reconnaissance de la parole et de la citoyenneté des usagers et usagères en santé mentale a initié une recherche-action participative intitulée : « De la disqualification à la prise de parole en santé mentale. Recherche portant sur les conditions d’émergence, de reconnaissance et de prise en compte de la parole des personnes dites handicapées psychiques par les décideurs publics ». Inspirée des disability et des mad studies, elle a été menée par et avec des personnes vivant une souffrance, un trouble ou un handicap psychique, dans une démarche collaborative avec des chercheurs et chercheuses en sciences sociales. L’enjeu était de positionner les personnes concernées comme chercheurs et chercheuses pour interpeller les politiques (élu-e-s) et les institutions (administrations, services), sur les injustices et discriminations qu’elles rencontraient, afin de faire entendre leur voix et reconnaître leurs droits. Revenir, d’abord, sur les conditions de mise en œuvre de cette démarche permettra, ensuite, de mieux saisir les bénéfices que les personnes elles-mêmes ont tirés de cette expérience, comme en témoignent plusieurs d’entre elles.
Abstract
Based on the observation that the speech of people with psychosocial disabilities continues to be disqualified and their freedom of choice little respected despite their rights, the activist association Advocacy France fighting for the recognition of the speech and citizenship of mental health users has initiated a participatory action research entitled: « From disqualification to speaking out in mental health. Research on the conditions of emergence, recognition and consideration of the speech of people with mental disabilities by public decision-makers. » Inspired by Disability and Mad Studies, it was carried out by and with people living with suffering, a disorder or a psychosocial handicap, in a collaborative approach with social science researchers. The challenge was to position the people concerned as researchers to question politicians (elected officials) and institutions (administrations, services) about the injustices and discrimination they encountered, in order to make their voices heard and recognize their rights. Returning, first, to the conditions of implementation of this approach will, second, allow us to better understand the benefits that the people themselves have drawn from this experience, as several of them testify.
Boutique des Sciences et mise en saillance de résistances épistémiques. Une approche à partir de la parcelle SICOR à Grand-Lahou, Côte d’Ivoire
La sociologie générale, en tant que matrice d’élaboration du discours et de la démarche scientifiques de la discipline, impose des normes et principes orientant sa pratique. Cela, aussi bien au sein qu’en dehors d’un dispositif d’intermédiation entre le monde académique et l’univers social, en l’occurrence la Boutique des Sciences (BdS). Le présent texte, qui procède d’une étude qualitative, contribue à cet enjeu dans une perspective méthodologique et épistémologique. D’une part, il montre comment l’expérimentation d’une BdS favorise l’implication, dans le processus de la recherche, des communautés rurales Avikam opposées à l’agroindustriel privé SICOR (Société Ivoirienne de Coco Râpé) autour de l’accès à un espace agricole. D’autre part, il révèle des formes de résistance épistémique de ces communautés locales dans la dynamique de résolution de la situation conflictuelle.
Abstract
Sociology, as a matrix for the development of the discipline’s scientific discourse and approach, imposes norms and principles guiding its practice. This, both within and outside of a system of intermediation between the academic world and the social universe, and in this present case the “Boutique des Sciences” (BdS), a francophone science shop. This text, which draw on a qualitative study, contributes to this issue from a methodological and epistemological perspective. On the one hand, it shows how the experimentation of BdS promotes the involvement in the research process of rural Avikam communities opposed to the private agro-industrial SICOR (Société Ivoirienne de Coco Râpé) around issues of access to an agricultural space. On the other hand, it reveals forms of epistemic resistance of these local communities in the dynamics of resolving the conflict situation.
« Tiens, ça n’arrive pas qu’à moi! » Revalorisation identitaire individuelle et collective en atelier-théâtre
À partir d’une enquête de terrain conduite entre 2016 et 2017, ce texte revient sur le travail qu’une association mène avec des jeunes au sein d’un atelier-théâtre situé dans un quartier populaire de Bruxelles. Il s’agit ici d’éclairer le quotidien de cet atelier à la lumière de la notion d’« injustice épistémique » et, plus précisément encore, de celle de « résistance » à cette injustice. Si ces notions permettent indéniablement de cerner une part du travail réalisé au sein de l’atelier-théâtre, n’envisager cet espace qu’à travers le prisme de la résistance politique (manifeste) masque cependant ce qui s’y joue de manière plus modeste et discrète, mais qui, sans être spectaculaire, n’est sans doute pas moins important pour les jeunes qui fréquentent ce lieu.
Abstract
Based on a field survey conducted between 2016 and 2017, this text relates the work conducted by an association with young people in the frame of a workshop-theater from a working-class district of Brussels. Its aim is to shed light on the daily life of this place through to the notion of « epistemic injustice » and, more precisely, of « resistance » to this injustice. If these notions undoubtedly help to identify part of the work carried out within the workshop-theater, considering this place only through the lenses of (manifest) political resistance obscures what is at play in a more modest and discreet way but which, without being spectacular, is probably no less important for the young people who come to this place.
Wood in Molenbeek : une recherche participative qui bouscule pratiques et praticien-ne-s
Le projet de recherche participatif Wood in Molenbeek (financé par l’appel co-création d’Innoviris) a été initié en janvier 2017 par une équipe de partenaires aux profils variés. Pendant trois ans, ces personnes ont expérimenté les conditions d’émergence d’un système alternatif, collaboratif, circulaire et local de gestion du déchet bois dans le quartier Heyvaert, un quartier populaire de Molenbeek-Saint-Jean (Bruxelles). S’implantant dans le quartier en 2017, cette équipe a essayé d’impliquer les acteurs et actrices du territoire à leur projet de recherche participatif en y ouvrant un atelier dédié à la transformation du déchet bois. Ce faisant, les personnes ont décidé de traiter la problématique de gestion des déchets urbains par le « faire » plus que par le « dire ». Ce dispositif de recherche leur a permis de tisser des liens et d’impliquer des citoyens et des citoyennes qui ne participent généralement pas aux politiques de développement de leur quartier. Cette entrée par l’action n’a pourtant pas suffi pour impliquer ces mêmes citoyen-ne-s à un dispositif explicite de production de connaissances et d’innovation en matière de gestion des déchets. Arrivant à la fin de leur parcours, l’équipe s’interroge sur les succès et les limites de cette expérience à la lumière des inégalités épistémiques.
Abstract
The participatory action research program Wood in Molenbeek (funded by Innoviris, a Belgian public agency established in 2004 responsible for scientific research) was initiated in January 2017 by a team of partners with various profiles. For three years, they experimented with the conditions required for the emergence of an alternative, collaborative, circular, and local system of wood waste management in the Heyvaert district of Molenbeek-Saint-Jean (Brussels). Settling in the district in 2017, they involved the actors of a neighborhood in their participatory research program by opening a workshop dedicated to the transformation of local wood waste. In doing so, they decided to address the issue of urban waste management through ‘actions’ rather than ‘speeches.’ This methodology enabled them to build qualitative relationships with the inhabitants and to involve citizens who generally do not participate in the development of policies in their neighborhood. On the other hand, this action-based approach was not enough to involve these same citizens in an explicit process of co-production of knowledge and innovation on waste management. In this chapter, the authors question the successes and limits of this experiment in the light of epistemic inequalities.
D’une injustice environnementale à une justice épistémique. Le cas de l’incinérateur de Marseille à l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions de Fos-sur-Mer
Les enjeux environnementaux se manifestent à nous avec de plus en plus d’insistance, et face à ceux-ci, la notion de justice environnementale pose la question des réponses à apporter et des responsabilités à assumer, en tenant compte des moyens et vulnérabilités propres à chaque communauté. Dans ces nouvelles luttes, au croisement des enjeux sociaux et environnementaux, la question des savoirs, produits et considérés, devient cruciale pour une résolution démocratique des transitions nécessaires, la justice environnementale passant aussi par une remise en question de la distinction experts-profanes. Dans ce contexte, nous proposons ici une réflexion sur le territoire de Fos-sur-Mer (France), lieu de nombreuses pollutions industrielles qui impactent directement les riverains et la qualité de leur environnement. En particulier, l’implantation de l’incinérateur de Marseille sur cette zone a fait l’objet d’une importante mobilisation citoyenne aboutissant à la création de l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions. À travers l’expérience de cette mobilisation, et l’apprentissage d’une pensée collective qui s’exprime notamment à travers le travail de l’Institut écocitoyen, nous interrogeons le rôle des connaissances comme point de renouvellement des discussions et du rapport au territoire, et la possibilité d’une forme de justice épistémique en construction.
Abstract
Environmental issues are becoming more and more pressing. Related to them, the notion of environmental justice raises the question of the answers to be given and the responsibilities to be assumed, taking into account the means and vulnerabilities of each community. In these new struggles, at the crossroads of social and environmental issues, the stake of knowledge, produced and considered, becomes crucial for a democratic resolution of the necessary transitions: environmental justice also involves a reconsideration of the distinction between experts and non-experts. In this context, we propose here an reflection on the territory of Fos-sur-Mer (France), the site of numerous industrial pollutions that directly impact local residents and the quality of their environment. In particular, the installation of the Marseille incinerator in this area was the subject of a major citizen mobilization leading to the creation of the Eco-citizen Institute for the Knowledge of Pollution. Through the experience of this mobilization, and the learning of a collective thought that is expressed notably through the work of the Eco-citizen Institute, we question the role of knowledge as a renewal point for discussions and relationship to the territory, and the possibility of a form of epistemic justice under construction.
Tous et toutes pareil-le-s, tous et toutes différent-e-s : changer les regards pour réduire les inégalités entre les savoirs
Cet article a été réalisé par des chercheurs et chercheuses et des personnes vivant avec une déficience intellectuelle. Nous avons réfléchi aux situations d’injustices épistémiques que nous vivons. L’étiquette « handicap mental » fait qu’on nous écoute moins, qu’on nous coupe la parole. On raconte nos expériences dans le travail, à l’école, dans le domaine de la santé. Ces expériences montrent qu’on considère moins nos savoirs. On a fait cet article pour dire qu’on doit aussi être écouté-e-s, qu’on a le droit de donner notre point de vue. On peut trouver des idées nous-mêmes et très simples pour nous aider et changer ça. Dans l’article, on explique les solutions qu’on a trouvées.
Abstract
This article was produced by researchers and people living with an intellectual disability. We have reflected on the situations of epistemic injustice that we experience. The label « intellectual disability » means that we are less listened to, that we are cut off. We tell about our experiences at work, at school, in the health sector. These experiences show that our knowledge is less taken into account. We wrote this article to say that we must also be listened to, that we have the right to give our point of view. We can come up with very simple ideas ourselves to help us and change that. In this article, we explain the solutions we found.
Le Groupe de Recherche Action Sérieuse (GRAS), ou comment lutter contre les injustices épistémiques dans le champ du vieillissement
– Les personnes veulent rester là, faut écouter ça. Mais, ça change tout notre travail, la vocation de la structure et on sait pas faire! Faudrait qu’au niveau de la direction des décisions soient prises.
– Vous en parlez avec les résident-e-s?
– Non. J’sais pas si ça nous avancerait.
– On sait pas comment on va vieillir, est-ce qu’on pourra rester là? Moi, par exemple, c’est mort, la maison de retraite! Des gens comme nous dans un truc pareil? Ici des fois ça pète, alors là-bas, avec des vieux tout sages et plein de règles… Non, mais tu nous imagines?
– Si on montait un groupe de travail là-dessus, tu serais intéressé?
– Oulaaaaaa, non mais c’est en haut que ça se décide tout ça, un groupe de travail, si c’est pour qu’on comprenne rien… J’sais bien, on nous demande et après ça sert à rien…
Depuis quelques années, la question du vieillissement se pose en Pension de Famille. Afin de trouver des réponses acceptables pour tous et toutes, le Relais Ozanam a mené un travail de recherche-action participative, pour ouvrir un dialogue et trouver une solution ensemble. Ces verbatim et l’analyse que nous proposons montrent combien les positions sont hiérarchisées et difficiles à déconstruire.
Abstract
– If they want to stay there, you have to listen to that. But, that changes all our work, the vocation of the structure and we don’t know how to do! At the management level, decisions should be made.
– Do you talk about it with the residents?
– No. I don’t know if that would help us.
– We don’t know how we’re going to age, can we stay there? Me, for example, the retirement home: no way! People like us in something like this? Really, can you imagine us?
– If we set up a working group on this topic, would you be interested?
– Oulaaaaaa, no, but it’s upstairs that it all decides, a working group if it’s so that we don’t understand anything….it is useless …
In recent years, the issue of aging has arisen in « Pension de Famille ». In order to find answers acceptable to everyone, Relais Ozanam has carried out participatory action research, to open a dialogue, to find a solution together. These verbatim and our analysis show how positions are hierarchical and difficult to deconstruct.
Quand l’analyse se fait à plusieurs voix. La co-auctorialité dans une recherche-action dans le secteur de l’aide alimentaire
Le texte présenté ici relate les questions qui se posent à un collectif d’acteurs et actrices engagé-e-s dans une recherche-action lorsqu’il s’agit de produire collectivement des analyses et de choisir des formats qui en permettent la restitution. Le projet rassemble des sociologues ainsi que des professionnel-le-s et des bénéficiaires du secteur de l’aide alimentaire bruxellois autour de l’enjeu du droit à l’alimentation, par la création de projets pilotes locaux. Le cadre du projet prévoit la co-construction de ces dispositifs locaux ainsi que de leur analyse. Nous racontons ici l’évolution des formats privilégiés aux différents stades de la recherche, en montrant comment chacun d’eux offre ou non des espaces provisoires de non-hiérarchisation des savoirs. Nous défendons l’hypothèse que la pluralité des formats constitue une condition d’expérimentation du principe et d’une éthique de co-auctorialité.
Abstract
This chapter presents the questions that arise in a group of people engaged in a participatory action research project when they collectively produce an analysis and choose the various format to disseminate the results. The project presented brings together sociologists, professionals and beneficiaries within the food help sector in Brussels and aims to challenge the existing food help system and to co-create local pilot projects that embody the right to food. The project framework is intended to contribute to an ethic of co-authorship. We share our experience about how the different formats of co-analysis we experienced at various stages of the research process, showing for each of these, the extend to which the allow tentatively nonhierarchical spaces of knowledge production. We defend the hypothesis that a plurality of formats is a condition for experimenting the principle and the ethics of co-authorship.
Précarisation alimentaire à Barcelone et injustices épistémiques. Utilité sociale de la recherche et recours aux méthodologies participatives
Réalisée à Barcelone, cette recherche porte sur l’impact de la crise sur la précarité alimentaire des familles monoparentales et migrantes, et des personnes aînées, ainsi que sur les stratégies qu’elles développent pour y faire face. Nous analysons également les dispositifs d’aide mis en place dans la ville, l’effet de ces pratiques sur le bien-être des personnes et la transformation qu’elles produisent en situation de précarisation. Ce chapitre met l’accent autant sur les résultats que les méthodes et techniques mobilisées : des entretiens individuels dans la première phase de la recherche et des groupes de discussion dans la deuxième phase, en tant qu’espaces partagés. Lors des troisième et quatrième phases, nous avons mis en œuvre d’autres méthodologies participatives, afin de construire des alternatives sur l’alimentation. Nous présentons ce processus méthodologique élaboré à partir des « espaces de réflexion collective », où des familles, des professionnel-le-s, des activistes, des chercheurs et chercheuses, et des étudiant-e-s, ont pu repenser cette réalité de façon conjointe autour des notions de dignité, de droit et d’autonomie.
Abstract
Our research in Barcelona focuses on the impact of crisis over the food poverty situation of single-parent and immigrant families and elders and the strategies they develop to cope with them. We also analyze the aid schemes promoted in the city, the effect of these practices on the well-being of people and the transformation they produce in the situation of precariousness. This article emphasizes both the results and the methods and techniques used: individual interviews in the first phase of the research and focus groups, which became shared spaces, in the second. Nevertheless, from the third and fourth stage, other participatory methodologies were implemented that allowed to build alternatives on food. We present this process, developed from « spaces for collective reflection », where families, professionals, activists, researchers, and students could re-think this reality jointly around the notions of dignity, right and autonomy.
Resumen
La investigación que realizamos en la ciudad de Barcelona aborda el impacto que produce la crisis en la situación de precariedad alimentaria de las familias monoparentales e inmigrantes y de las personas mayores, así como las estrategias que éstas desarrollan para hacerle frente. Analizamos también los dispositivos de ayuda impulsados en la ciudad, el efecto de estas prácticas en su bienestar y la transformación que producen en la situación de precarización. El capítulo enfatiza tanto los resultados como los métodos y técnicas utilizadas: entrevistas individuales en la primera fase de la investigación y grupos focales en la segunda fase, que se convirtieron en espacios compartidos. Sin embargo, a partir de la tercera y cuarta fase, desarrollamos metodologías participativas que permitieron construir alternativas sobre la alimentación. Presentamos este proceso a partir de la creación de “espacios de reflexión colectiva”, donde familias, profesionales, activistas, investigadores e investigadoras y estudiantes, pudieron repensar esta realidad de manera conjunta en torno a las nociones de dignidad, derecho y autonomía.
L’ignorance située : un garde-fou pour ne pas (re)produire des injustices épistémiques
La contribution vise à questionner le rapport du ou de la chercheure à son objet de recherche pour éviter de (re)produire des injustices épistémiques. Mon expérience personnelle des privations de liberté avant la majorité, ma volonté d’être solidaire et éthique envers les personnes qui partagent cette même expérience ainsi que mon désir de co-construire ma thèse avec elles peuvent servir de garde-fous face à ces injustices. Cependant, ils ne suffisent pas à garantir la non-production de violence épistémique à l’égard des participantes et participants à ma recherche. Les diverses contraintes et injonctions académiques auxquelles toute chercheure et chercheur est confronté participent bien souvent à la non-reconnaissance des savoirs d’expérience et peuvent entraver la mise en place d’une recherche participative au sens fort du terme. Pour cette raison, je questionne ici les écueils auxquels un ou une doctorante peut être confrontée lors de l’élaboration de sa thèse, ce d’autant plus lorsqu’il ou elle s’éloigne du format positiviste dominant.
Abstract
Contribution aims to question the relationship of the researcher to his or her research object in order to avoid (re)producing epistemic injustices. My personal experience of deprivation of liberty before the majority, my willingness to be supportive and ethical towards people who share this same experience, as well as my desire to co-construct my thesis with them can serve as a safeguard against these injustices. However, they are not sufficient to guarantee the non-production of epistemic violence towards the participants in my research. The various constraints and academic injunctions that every researcher is confronted with often contribute to the non-recognition of experiential knowledge and can hinder the implementation of participatory research in the strong sense of the term. For this reason, I question here the pitfalls that a doctoral student may be confronted with in the elaboration of his or her thesis, all the more so when he or she moves away from the dominant positivist format.
Vers une réalité élargie. Se situer entre savoirs et expériences : trouver sa voix propre et l’inter-relier
Certaines places et assignations à l’université et les situations dans lesquelles j’ai été prise fondent et transforment des manières de regarder, d’être au contact avec différentes dimensions du réel, qui resteraient des points aveugles s’il n’y avait pas l’épreuve de la friction entre ce qui est conceptualisé et ce qui est éprouvé. Je partage mon témoignage de la perte de contact avec l’expérience vécue et de la silenciation – où ce qui est perçu par le corps, ne trouve pas de mots pour s’exprimer – vers la réappropriation d’une voix propre, qui trouve un langage pour dire un réel ancré et situé qui résonne et met au jour des trames de vécus collectifs. L’expérience s’exprime dans un geste individuel qui rejoint le collectif par la nécessité d’exprimer ce qui ne trouve pas sa voix seule face à l’ordre des choses, pour déployer l’ampleur systémique de situations apparemment distinctes et isolées. La reprise de contact avec l’expérience vécue de chercheuse constitue la prémisse d’une profonde transformation épistémologique, est à la source de nouvelles connaissances scientifiques, pratiques collectives et façons d’être au monde délaissant toute prétention à l’objectivité et à la neutralité pour déployer la vitalité des savoirs situés, reliés, ancrés.
Abstract
Certain assignments at the university and the situations in which I was taken melt and transform my ways of looking, of being in contact with different dimensions of reality, which would remain blind spots if there were not the place of friction between what is conceptualized and what is experienced. I share my testimony of the loss of contact with the lived experience and of silence – where what is perceived by the body does not find words to express itself – towards the reappropriation of a own voice, which finds a language to say an anchored reality that resonates and brings to light a collective experience. Telling its own experience is an individual gesture that joins the collective through the need to express what does not find its voice alone in the dominant order, to deploy a systemic scope of apparently distinct and isolated situations. The resumption of contact with the lived experience as a researcher is the premise of a profound epistemological transformation, is at the source of new scientific knowledge, collective practices and ways of living – abandoning all pretended objectivity and neutrality to deploy the vitality of situated, connected and anchored knowledge.