8 Irma LeVasseur, médecin (1877–1964)
Kim Tardif
Irma LeVasseur est la première femme médecin canadienne-française. Elle a consacré sa vie aux enfants malades et érigea des infrastructures médicales importantes qui lui ont survécut. Irma LeVasseur est la cofondatrice de l’Hôpital Sainte-Justine de Montréal et de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus à Québec.
Enfance et intérêt pour la médecine
Marie Irma Eugénie LeVasseur est née en janvier 1877 à Québec dans une famille d’artistes. Elle est la seule fille d’une famille de quatre enfants. Sa mère, Fédora Venner, était d’origine française et cantatrice, tandis que son père, Louis-Nazaire LeVasseur, était journaliste, écrivain et musicien.
Irma LeVasseur a fait son cours classique au Collège Jésus-Marie de Sillery, puis a étudié à l’École normale Laval. En 1896, elle décida de devenir médecin. Toutefois, au Québec à cette époque, la pratique de la médecine était réservée exclusivement aux hommes. De plus, les femmes n’avaient pas encore accès aux universités québécoises. Ce n’est qu’en 1906 que sera intégré à l’Université de Toronto le Women’s Medical College de Kinston et que les femmes pourront recevoir une formation médicale reconnue. Ce collège offrait dès 1883, soit bien avant son intégration à l’Université de Toronto, une formation médicale aux femmes, mais sa mauvaise réputation ne leur permettait pas d’être reconnues comme de vrais médecins.
Formation et droit d’exercice aux États-Unis
Mais cela ne la découragea pas. Irma LeVasseur se rendit aux États-Unis où les femmes pouvaient étudier et pratiquer la médecine. Sa formation à l’Université du Minnesota, à Saint-Paul, dura six ans. En 1900, elle y obtint son doctorat en médecine, avec le droit de pratiquer aux États-Unis, mais pas au Québec. Elle y retourna tout de même. Cependant, elle exerça à New York, aux côtés du Dre Mary Putnam Jacobi, docteure respectée et défenderesse des droits des femmes.
Retour au Québec et lutte pour obtenir le droit de pratique
En 1900, elle rentra au Québec et, malgré son expérience acquise aux États-Unis, son droit de pratique fut refusé. Elle dut plaider sa cause à l’Assemblée législative pour faire reconnaître son diplôme. En avril 1903, à la suite de l’adoption du projet de loi privé intitulé Loi autorisant le Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec à admettre Dame Irma LeVasseur à la pratique de la médecine et de la chirurgie, elle sera finalement admise au Collège des médecins et chirurgiens du Québec et pourra pratiquer la médecine comme ses confrères masculins. Elle devint, à 25 ans, un des premières Québécoises et la première Canadienne française à obtenir ce privilège. De plus, elle est l’une des rares à avoir étudié à l’extérieur du Québec, la plupart de ses consœurs ayant plutôt fréquenté la Faculté de médecine de l’Université Bishops, la seule université qui acceptait les femmes à cette époque.
Situation préoccupante de la santé des enfants et spécialisation en chirurgie pédiatrique
Au tournant du 20e siècle, les quelques femmes médecins pratiquaient principalement la pédiatrie, la gynécologie et l’obstétrique. Dre Irma LeVasseur s’intéressait pour sa part aux conditions de vie des enfants à Montréal. La mortalité infantile était très élevée. En effet, un enfant sur quatre mourait avant d’avoir atteint sa première année et les soins pédiatriques n’en étaient qu’à leur début. À cette époque, il n’y avait pas d’hôpitaux pour les enfants francophones à Montréal ni à Québec, tandis que les anglophones avaient plus de ressources. En 1890, le General Hospital de Montréal avait une clinique pour enfants et, en 1904, le Children’s Memorial Hospital ouvrit ses portes.
De 1903 à 1905, elle travailla surtout à la crèche de la Miséricorde, destinée aux enfants des filles-mères, puis pour le service d’inspection médicale des écoliers que le Bureau de santé de la Ville de Montréal venait d’ouvrir. Consternée par le manque de soins aux enfants malades, elle décida d’approfondir ses connaissances en maladies infantiles en Europe. En 1907, elle revint avec une formation en chirurgie et en pédiatrie.
Fondation de l’Hôpital Sainte-Justine à Montréal
À son retour au Québec, elle s’installa à Montréal, bien décidée à lutter contre la mortalité infantile qui faisait des ravages. Elle entreprit des démarches en vue d’ouvrir un hôpital pour enfants. En 1907, elle s’allia avec des femmes de la grande bourgeoisie canadienne-française de Montréal, dont Justine Lacoste-Beaubien, et quelques médecins, dont le Dr Séverin Lachapelle. Justine Lacoste était l’épouse de l’une des grandes fortunes de Montréal, le banquier Louis de Gaspé Beaubien. Elle aida Irma dans le financement de la création de l’Hôpital Sainte-Justine, le premier hôpital pédiatrique canadien-français au Québec. Il fut d’abord aménagé dans une maison sur la rue Saint-Denis. Puis, faute d’espace, il sera déménagé à plusieurs reprises avant d’occuper, en 1956, l’immeuble actuel dans le quartier Côte-des-Neiges.
Irma LeVasseur était membre du premier conseil d’administration de l’hôpital. Toutefois, dès 1908, pour des raisons encore troubles, peut-être pour des différents d’une nature indéterminée avec les administrateurs, elle démissionna et quitta l’institution dont elle avait été la principale instigatrice. Elle reprit son service à la crèche de la Miséricorde.
Pratique outre-mer
Dans les années suivant son départ de Sainte-Justine, Irma LeVasseur pratiqua la médecine dans plusieurs pays. Tout d’abord aux États-Unis, où elle fut inspectrice médicale des écoliers pour le bureau de santé de New York, fonction quelle occupa jusqu’en avril 1915. Par la suite, elle se rendit en Serbie soigner les victimes d’une épidémie de typhus qui tua près de 800 000 personnes en deux ans. Il est rapporté que les conditions de vie étaient difficiles et dangereuses et que la majorité de ses collègues préféraient quitter le pays alors qu’elle y travailla pendant encore quelques années. Enfin, en 1918, elle exerça les fonctions de médecin militaire en France, puis elle retourna à New York pour travailler avec la Croix-Rouge.
Fondation de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus à Québec
En 1922, Irma reviendra au Québec, habitée par son désir d’offrir des soins de qualité aux enfants malades. Cette fois, elle s’installa dans sa ville natale, où, encore une fois, elle voulut mettre sur pied un hôpital pour enfants. En 1923, elle investit ses économies dans l’achat d’une résidence pour accueillir l’Hôpital de l’Enfant-Jésus. Ce nouvel hôpital pour enfant fut fondé en collaboration avec les Drs René Fortier, pédiatre, et Édouard Samson, orthopédiste. Elle y exercera jusqu’en 1927. Elle quitta l’hôpital, insatisfaite de l’administration, et fonda, dans les faubourgs du quartier Saint-Jean-Baptiste, une clinique pour enfants handicapés. Elle acheta elle-même une autre maison et tenta d’ouvrir une deuxième clinique pour enfants, mais la haute bourgeoisie de Québec s’y opposa, ne voulant pas voir défiler des enfants pauvres et malades devant leurs maisons cossues. Ce revers lui fit perdre beaucoup d’argent, ce qui ne sera pas sans conséquence pour ses autres projets. Par exemple, elle mit sur pied une pouponnière qu’elle dut laisser tomber en raison de ses difficultés financières. Dans les années 30, elle entreprit un dernier projet : elle désirait créer une école pour les enfants infirmes à Québec. Ce projet sera mené à terme par la Ligue de la jeunesse féminine de Québec qui fonda l’École Cardinal-Villeneuve en 1935. Cette école fait aujourd’hui partie de l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec.
Dernières activités et fin de vie
Durant la Deuxième Guerre mondiale, elle travailla pour l’armée canadienne. Elle examinait les recrues féminines qui voulaient entrer dans l’armée canadienne au Manège militaire de Québec. Ce serait, apparemment, ses dernières activités en tant que médecin. Après la guerre, elle cessa sa pratique à l’âge de 66 ans.
Durant sa carrière, elle ne reçut aucune distinction ou reconnaissance pour ses réalisations. Ce n’est qu’en 1950, lors de son jubilé d’or fêté par le Cercle des femmes universitaires, que ses accomplissements, son courage et sa persévérance furent célébrés.
Irma LeVasseur passa les 20 dernières années de sa vie à Québec, seule dans sa maison. Elle n’a pas eu d’enfant et ne s’est jamais mariée. Pratiquement ruinée par ses différents projets, elle dépendit de proches parents qui lui procuraient de quoi manger. Elle consacra tout son temps à la lecture et demeura recluse. De plus en plus isolée, Irma LeVasseur a été internée à la clinique Roy-Rousseau de l’Hôpital Saint-Michel-Archange entre 1957-1958 parce que certains croyaient qu’elle avait perdu la raison, ce qu’elle contesta. Son combat juridique pour sortir de cette clinique fut sa dernière bataille. Preuve fut faite qu’elle avait été maltraitée sans raison ni diagnostic, et elle fut libérée. Elle mourut six ans plus tard, le 5 janvier 1964, seule et démunie.
Commémoration
Cette pionnière qui a tant fait pour la santé des enfants ne sera reconnue que longtemps après sa mort. Sa contribution à la médecine infantile fut finalement reconnue à partir des années 1980 : un mont de l’arrondissement Charlesbourg, un auditorium de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, un pavillon du Cégep François-Xavier Garneau, des rues à Québec et à Montréal, un parc à Outremont et une bourse du Secrétariat à la condition féminine furent nommés à sa mémoire. Ces dernières années, Irma LeVasseur a inspiré plusieurs écrits. Pauline Gill a écrit une trilogie basée sur sa vie. En 2009, une sculpture symbolisant son œuvre a été inaugurée près de l’actuel Hôpital de l’Enfant-Jésus à Québec.
Cette femme insoumise, volontaire et dotée d’une très grande persévérance fut toujours fidèle à sa vocation : l’amélioration de la santé des enfants. Irma LeVasseur occupe une place importante dans l’histoire de la médecine au Québec, puisque c’est sans doute à elle que les femmes québécoises ont pu faire leur entrée dans les facultés de médecine au Québec et les hôpitaux pédiatriques.
Écrits à propos d’Irma LeVasseur
- Pauline Gill. 2006–09. Docteure Irma, la louve blanche. 3 tomes. Québec : Québec Amérique.
- Jacques Beaulieu. 2011. « Irma LeVasseur ». Canadian Medical Association Journal 183 (17), novembre.
- Francine Michaud. 1995. « Irma LeVasseur : pionnière, femme d’action et fondatrice inconnue ». Cap-aux-Diamants : la revue d’histoire du Québec 1 (2) : 3–6.
- Baillargeon, Denyse. Brève histoire des femmes au Québec. Boréal, 2012
- Goulet, Denis et André Paradis. 1992. Trois siècles d’histoire médicale au Québec. Montréal : VLB Éditeur.
- CHU Sainte-Justine. La petite histoire de Sainte-Justine 1907-2007 : pour l’amour des enfants. Montréal : Éditions du CHU Sainte-Justine, 2007
- Madeleine Des Rivières. 1987. Une femme mille enfants, Justine Lacoste Beaubien. Montréal : Éditions Bellarmin.
- Denis Goulet et Robert Gagnon. 2014. Histoire de la médecine au Québec, 1800–2000. De l’art de soigner à la science de guérir. Québec : Septentrion.
- François Guérard. 1996. Histoire de la santé au Québec. Montréal : Boréal.
Références
Association des Levasseur d’Amérique. 2015. « Irma LeVasseur : Première femme médecin canadienne-française ». http://irma.levasseur.org
Bibliothèque et Archives Canada. 2000. « Irma LeVasseur », Les femmes à l’honneur : Leurs réalisations. http://www.collectionscanada.gc.ca/women/030001-1408-f.html
Bouchard, Serge. 2006. Irma LeVasseur. In: Les remarquables oubliées. En ligne. Montréal : Radio-Canada Première. Texte disponible à l’adresse http://ici.radio-canada.ca/radio/profondeur/RemarquablesOublies/levasseur.htm
Bouchard, Serge. 2008. « Quand l’oublie devient scandale ». L’actualité. http://lactualite.com/culture/2008/11/03/quand-loubli-devient-scandale/
Centre d’histoire de Montréal. « Irma LeVasseur ». http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=8757, 132419570&_dad=portal&_schema=PORTAL
Cournoyer, Jean Cournoyer. 2001. La Mémoire du Québec, de 1534 à nos jours. Montréal : Stanké.
Lapointe, Vicky. 2011. « Irma LeVasseur : première femme médecin francophone au Québec ». Patrimoine, Histoire et Multimédia.https://tolkien2008.wordpress.com/2011/08/21/irma-levasseur-premiere-femme-medecin-francophone-au-quebec-quebec-25-avril-1903/
Michaud, Francine. 1985 « Irma LeVasseur : pionnière, femme d’action et fondatrice méconnue » Cap-aux-Diamants : La revue d’histoire du Québec 1 (2) : 3–6.
Monet-Chartrand, Simonne. 1990. Pionnières québécoises et regroupements de femmes d’hier et d’aujourd’hui. Montréal : Éditions du Remue-ménage.
Portrait de Médecin. 2017. « Irma LeVasseur ». Medarus. http://medarus.org/Medecins/MedecinsTextes/levasseur_irma.html