11 Elinor Ostrom, économiste et politologue (1933–2012)

Micheline Bélisle

Elinor Ostrom. Courtesy of Indiana University.doi:10.1371/journal.pbio.1001405.g001 [CC BY 2.5

Elinor Ostrom a été la première femme à recevoir le Prix Nobel en économie, en 2009. Docteure en sciences politiques, ses méthodes de recherche ont différé de celles de la plupart des économistes. En effet, au lieu de partir d’une hypothèse de recherche et de chercher à la vérifier, Elinor Ostrom s’est d’abord basée sur les informations provenant de la pratique pour ensuite les analyser et les ériger en théorie. Dans son livre La gouvernance des biens communs : pour une nouvelle approche des ressources naturelles (1990), elle a su démontrer comment les biens communs peuvent être gérés de manière économiquement optimale par des collectivités locales sans nécessité d’avoir recours à la privatisation ou aux pouvoirs publics. Ses recherches ont grandement influencé les tenants des sciences politiques et les économistes.

Vie personnelle

Elinor Claire Ostrom, née Awan, a vu le jour à Los Angeles, Californie, le 7 août 1933. Elle était enfant unique. Elle a grandi pendant la période de la crise et de l’après-crise économique de 1929. Ses parents bénéficiant d’une grande cour, il leur était possible d’entretenir un jardin et des arbres fruitiers. C’est ainsi qu’Elinor a pu apprendre à cultiver des légumes et à faire de la mise en conserve, spécialement d’abricots et de pêches.

Elle a passé son enfance à s’adonner à des activités traditionnellement réservées aux filles. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a appris à tricoter des foulards pour les soldats outre-mer. Son activité de loisir préférée était la natation. Elle s’est finalement jointe à une équipe de natation et a compétitionné dans ce domaine. Elle a fini par enseigner la natation plutôt que de s’adonner à la compétition, afin de gagner de l’argent pour son admission au collège universitaire.

Sa mère était une grande musicienne et protestante, alors que son père était Juif, scénographe et imprésario, travaillant comme journalier. Ils ont divorcé quand Elinor était très jeune et celle-ci a vécu avec sa mère la plupart du temps. Elle oscilla entre les pratiques de l’Église protestante et les pratiques juives de la famille de son père. Elle se voyait comme une « pauvre gamine » (poor kid) du fait qu’elle avait grandi de parents divorcés dans le contexte de l’après-crise économique de 1929 et aussi du fait, selon ses propres dires, qu’elle fréquentait le Beverly Hills High School, une institution pour les enfants riches.

Études

Elinor fréquenta le Beverly Hills High School où elle obtint son diplôme en 1951. Elle participa activement à des compétitions orales et à des débats au sein d’une équipe qui rayonna dans tout l’État de la Californie. Elle réussit ainsi à vaincre son bégaiement et sa timidité. Comme mentionné précédemment, elle aimait la natation et elle devint une membre remarquable de l’équipe de natation de l’institution. Comme sa mère ne voulait pas l’aider à payer ses études après avoir défrayé les coûts de son High School, Elinor travailla comme entraîneuse de natation afin de pouvoir fréquenter la Faculté de l’University of California, Los Angeles (UCLA). Elle travailla également à la bibliothèque, dans un Prisunic et dans une librairie. Elle obtint son Bachelor of Arts (BA) en sciences politiques avec mention en 1954 à l’UCLA. Elle fut diplômée après seulement trois ans plutôt que les quatre années habituellement requises.

Cette année-là, elle épousa Charles Scott, son petit ami et camarade de classe. Ils déménagèrent à Cambridge, Massachusetts, où Charles s’inscrivit au Harvard Law School. Elinor soutint le couple financièrement en travaillant d’abord comme secrétaire, puis comme Assistant Personnel Manager à la General Radio. De retour à Beverly Hills après que Charles fut diplômé de l’école de droit, Elinor commença à penser à s’inscrire au doctorat en économie à l’UCLA. Charles et Elinor divorcèrent à cette époque.

Dissuadée d’étudier les mathématiques lors de son baccalauréat en sciences politiques, Elinor vit sa candidature au doctorat en économie rejetée par le Département de l’économie de l’UCLA. Elle fut cependant admise au programme de maîtrise en sciences politiques où elle obtint un Master of Arts (M.A.) en 1962 et un Ph.D. dans la même discipline en 1965.

En 1963, elle épousa Vincent Ostrom, de 14 ans son aîné, rencontré alors qu’elle était son assistante de recherche.

Cette recherche à laquelle Elinor a participé portait sur l’industrie de l’eau de la Californie du Sud. Ce fut pour elle le premier contact qu’elle eut, sans le savoir, avec la question de la gouvernance des biens communs (common-pool resources). En 1965, ils déménagèrent à Bloomington, Indiana, où Vincent accepta d’enseigner les sciences politiques à l’Université de l’Indiana. Elinor, pour sa part, y enseigna un cours sur le gouvernement américain en tant qu’assistante professeure invitée. Après un an elle accepta un poste régulier de conseillère aux études supérieures (Graduate Advisor).

Carrière de chercheuse

Les quinze premières années de la carrière de chercheuse d’Elinor à l’Université de l’Indiana portèrent sur l’étude de la structure et de la performance des fonctions policières aux États-Unis. Après ces quinze années, elle revint à l’étude des « communs », mais cette fois elle était tout à fait consciente de ce qu’elle étudiait. Cependant, avant de passer aux années 1980, un détour est nécessaire pour mieux comprendre sa trajectoire de chercheuse.

En 1973, Elinor fonda avec son mari le Workshop in Political Theory and Policy Analysis à l’Université de l’Indiana. Ils travaillèrent alors dans le domaine de la théorie du choix public selon laquelle ils s’intéressèrent principalement aux biens communs non exclusifs, mais rivaux qu’ils appelèrent bassin de biens communs (common-pool resources). Il s’agissait par exemple de pâturages, de zones de pêche, de nappes phréatiques des systèmes d’irrigation, etc. Ce qui amena Elinor à faire des enquêtes empiriques sur la gestion des pâturages en Afrique ou sur l’irrigation dans des villages du district de Dang, au Népal.

Dans les années 1980, elle revint donc à l’étude des communs, passant des études de cas sur la gouvernance et la polycentricité métropolitaines à une analyse plus théorique des institutions avec accent sur les communs. En 1985, elle rejoignit une équipe axée sur la gestion des ressources de propriété commune de l’Académie des sciences des États-Unis où elle rassembla un grand nombre d’études de cas détaillées. C’est en analysant ces cas qu’elle a pu vérifier ses hypothèses de terrain menées en Afrique ou en Asie, par exemple. À partir de là est née la théorie qui lui a valu le Prix Nobel en économie, en 2009, auquel nous reviendrons plus loin.

En 1990, elle publia Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action, livre qui fut traduit en 2010 sous le titre La gouvernance des biens communs : pour une nouvelle approche des ressources naturelles. Dans ce livre, Elinor analyse les règles institutionnelles sous-tendant les communs durables à travers le monde. Autrement dit, au lieu de se fixer sur la nature des biens qui déterminerait leur caractère de commun, elle se pencha sur le cadre institutionnel et réglementaire qui les institue en tant que communs.

Prix Nobel en économie

En 2009, Elinor Ostrom devient la première femme à recevoir le Prix Nobel en économie. Elle était alors professeure en sciences politiques à l’Université de l’Indiana, Bloomington. Elle était également directrice du Center for the Study of Institutional Diversity à l’Université d’État de l’Arizona. Le fait qu’elle ait reçu le Prix Nobel en économie en a surpris certains, elle dont la spécialité universitaire n’était pas l’économie, mais bien les sciences politiques.

Par son analyse de la gouvernance économique, Elinor Ostrom a su démontrer, aux dires de la Royal Swedish Academy of Sciences, comment la propriété commune peut être administrée avec succès par les groupes utilisateurs. Autrement dit, la recherche d’Ostrom a montré comment les ressources communes ou les biens communs (forêts, zones de pêche, gisements pétrolifères ou pâturages) peuvent être gérés de manière économiquement optimale par les gens qui les utilisent plutôt que par les gouvernements ou les compagnies privées. Ce qui défie les conventions qui reconnaissent généralement le contraire.

Il est à noter que la théorie élaborée par Ostrom est basée sur sa foi fondamentale en la capacité des individus moyens d’être les artisans de la vie des communs.

Contribution

On peut dire qu’Elinor Ostrom rompt complètement avec la théorie néoclassique et plus particulièrement avec la problématique des droits de propriété qui en découle. Elinor montre en effet que l’exploitation de la plupart des biens collectifs traditionnels repose non sur un pillage des ressources communes, mais sur des règles communes acceptées du fait que chacun compte sur le respect de ces règles par autrui. Il y a donc réciprocité, coopération, plutôt qu’opportunisme et surexploitation des ressources communes à l’intérieur d’arrangements institutionnels basés notamment sur les relations de confiance entre utilisateurs.

Décès

Elinor Ostrom est décédée le 12 juin 2012 d’un cancer du pancréas. Elle avait 78 ans. Son époux, Vincent, mourut 17 jours plus tard. Elle continua d’être active jusqu’à la fin de sa vie : onze semaines avant sa mort elle donna une conférence sur le philosophe et économiste britannique Friedrich Hayek à l’Institute of Economic Affairs, et elle publia un article Green from the Grassroots le jour de sa mort.

Prix et hommages

Elle a été présidente de l’American Political Science Association et de la Public Choice Society.

1998 – Récipiendaire du Frank E. Seidman Distinguished Award for Political Economy.

1999 – Première femme à recevoir le Johan Skytte Prize in Political Science.

2001 – Membre de la United States National Academy of Sciences.

2202 – Membre honoraire de l’International Institute of Social Studies (ISS).

2004 – Récipiendaire du John J. Carty Award de la National Academy of Sciences.

2005 – Récipiendaire du James Madison Award octroyé par l’American Political Science Association.

2008 – Première femme à recevoir le William H. Riker Prize in Political Science.

2008 – Récipiendaire d’un Doctorat Honoris Causa à la Norwegian University of Science and Technology.

2009 – Récipiendaire du Tisch-Civic Engagement Research Prize du Jonathan M. Tisch College of Citizenships and Public Service à l’Université de Tufts.

2009 – Première femme à recevoir le Prix Nobel en économie.

2010 – Nomination comme l’une des 25 visionnaires qui changent le monde par le magazine Utne Reader.

2012 – Nomination comme l’une des 100 personnes les plus influentes au monde par le Time Magazine.

Œuvres principales

1990 – Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action 

1993 – Institutional incentives and sustainable development: infrastructure policies in perspective 

1994 – Rules, games, and common-pool resources 

2003 – Trust and reciprocity: interdisciplinary lessons from experimental research 

2005 – Understanding institutional diversity 

2007 – Linking the formal and informal economy: concepts and policies

2007 – Understanding knowledge as a commons: from theory to practice.

2010 – La gouvernance des biens communs : pour une nouvelle approche des ressources naturelles  [Traduction en français].

Références

Clerc, Denis. 2009. « Un pas de côté ». Alternatives Économiques no. 285. En ligne. http://www.alternatives-economiques.fr/un-pas-de-cote_fr_art_875_45469.html

Harribey, Jean-Marie. 2011. « Le bien commun est une construction sociale. Apports et limites d’Elinor Ostrom ». Alternatives Économiques no. 49. http://www.alternatives-economiques.fr/le-bien-commun-est-une-construction_fr_art_1072_53003.html

Herzberg, Roberta et Barbara Allen. 2012. « Elinor Ostrom (1933-2012) ». Public Choice no. 153 : 263–268. https://paperity.org/p/20839461/elinor-ostrom-1933-2012

Indiana University. 2009. « Remembering Elinor Ostrom 1933-2012 ». Indiana University. http://elinorostrom.indiana.edu/

Le Crosnier, Hervé. 2009. « Le prix ‘’Nobel’’ à Elinor Ostrom : une bonne nouvelle pour la théorie des communs ». Alternatives Économiques. http://www.alternatives-economiques.fr/le-prix-nobel-a-elinor-ostrom–_fr_art_6333_4425.html

Ostrom, Elinor. 2009. « Elinor Ostrom-Biographical ». The Nobel Prize. http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/economic-sciences/laureates/2009/ostrom-bio.html

Rodier, Anne. 2012. « Elinor Ostrom. Nobel 2009 d’économie, théoricienne des “biens communs” ». Le Monde. http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2012/06/19/elinor-ostrom-nobel-2009-d-economie-theoricienne-des-biens-communs_1721235_3382.html

Wikipédia. « Elinor Ostrom ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Elinor_Ostrom, dernière modification le 28 septembre 2019.

Licence

Symbole de License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International

Femmes savantes, femmes de science Droit d'auteur © 2019 par Florence PIron est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

Partagez ce livre