Introduction

Quel est le parcours de soins entrepris par des femmes immigrantes ayant accouché dans la ville de Québec sans pouvoir bénéficier du régime d’assurance maladie du Québec qui couvre les soins associés à la grossesse, l’accouchement et la période postnatale? Quelles solutions pourraient être mises sur pied pour leur assurer de tels soins de manière digne, sécuritaire et financièrement accessible? Ces questions soulevées dans le cadre des soins offerts par la Clinique SPOT[1] pour combler ces besoins ont mobilisé depuis l’été 2020 une équipe de recherche basée à la Boutique des sciences de l’Université Laval, Accès savoirs. Dans une perspective de recherche-action participative, l’équipe d’Accès savoirs a mené une recherche exploratoire et communautaire à l’aide d’un devis qualitatif et de méthodes centrées sur l’émergence d’une parole et de savoirs expérientiels venant des acteurs et actrices concerné·e·s. À cet égard, pour se placer au plus près de ces derniers et dernières, l’équipe s’est rapidement surnommée Collectif FEMSAM dont l’acronyme signifie « femmes enceintes migrantes sans assurance maladie ».

SPOT est une clinique communautaire de santé et d’enseignement dont la mission est d’améliorer l’état de santé des personnes en situation de marginalisation, de désaffiliation et de vulnérabilité, peu ou non rejointes par l’offre de soins et services existante dans le réseau public. À cet effet, cet organisme à but non lucratif rejoint ces personnes et met à leur disposition une gamme de soins qui passent par l’acte soignant, mais qui impliquent aussi l’accueil, l’écoute, la rencontre et la mise sur pied d’interventions spécifiques. Les approches sont notamment fondées sur des principes de proximité relationnelle.

Dans les échanges entre SPOT et Accès savoirs, il est question des femmes au statut migratoire précaire qui se présentent à la Clinique dans le cadre de leur grossesse ou en vue d’un accouchement. Au fil des années, la Clinique avait constaté l’absence de suivis de grossesse accessibles pour les femmes enceintes immigrantes à statut précaire.

Durant plusieurs années, à cause de certaines contraintes administratives, le réseau de la santé, dont le CIUSSS de la Capitale-Nationale, ne pouvait offrir le suivi à ces femmes. La Clinique SPOT, s’est ainsi donnée la mission de recevoir les patient·e·s sans RAMQ, dont les femmes enceintes, tant qu’elle en avait l’occasion. En dépit de cette volonté, elle avait aussi le souci de l’issue à trouver pour accompagner ou recommander les femmes se présentant dans ces conditions. SPOT ne pouvait alors octroyer des soins spécifiques à la grossesse ni surpasser les politiques de santé ou d’immigration[2]. Par conséquent, les rares initiatives communautaires de soutien – comme la clinique SABSA et le Service de référence en périnatalité pour les femmes immigrantes – demeuraient difficilement accessibles. Cette brèche dans l’offre de services, dont le nœud est principalement politique, s’avérait donc généralisé dans la ville de Québec. Or, comme le prouve l’expérience de Montréal, de Toronto ou encore de l’Espagne, des solutions existent. SPOT a donc soumis ce problème, tout en proposant qu’il soit pertinent et surtout bénéfique de mieux comprendre ce que vivent ces femmes lors de leur grossesse et de leur accouchement afin de sensibiliser les acteurs publics, politiques et médicaux de Québec. Constituer et construire des récits de vie, avec certaines de ces femmes, pour montrer concrètement l’impact de cette brèche dans l’offre de services de soins et ses aspects injustes et non sécuritaires pour la santé de la mère et de l’enfant sont apparus comme une bonne façon d’appuyer la mission de SPOT et de conceptualiser les meilleures solutions en fonction des recommandations émises par les familles. Deux objectifs ont ainsi guidé ce projet du Collectif FEMSAM :

  1. Documenter intimement les réalités invisibilisées des femmes immigrantes ayant accouché dans la ville de Québec alors qu’elles ne pouvaient bénéficier du régime d’assurance maladie du Québec
  2. Réaliser un plaidoyer pour leur droit à la santé et leur droit d’équité en matière de santé

Ce rapport présente cinq parties. La première expose les enjeux humains, politiques, administratifs et sociosanitaires de la situation de ces femmes au Québec. Dans la deuxième, nous décrivons le contexte de la recherche-action participative exploratoire que nous avons menée, la démarche méthodologique élaborée et le profil des parents participants. La partie suivante propose les récits détaillés de l’expérience de chaque parent rencontré pour entrer en finesse dans les situations vécues. Ensuite, dans la quatrième partie, nous dégageons les résultats saillants d’une analyse thématique transversale de ces récits de vie. D’autres éléments, soulevés par les participant·es lors d’étapes de relecture, de co-analyse et de discussions des résultats, sont aussi présentés. Finalement, dans la dernière partie, nous proposons une série de recommandations visant des changements structurels et proposant des pratiques pour rendre la grossesse, l’accouchement et les soins périnataux plus sécuritaires, plus dignes et financièrement accessibles dans la région de Québec. Ces recommandations ont été proposées à la lumière de l’analyse des récits et à la suite de rencontres entre l’équipe et trois des participant·es.

Le Collectif FEMSAM était formé de quatre professeures de l’Université Laval (Florence Piron†, Marie-Claude Bernard, Sophie Dupéré et Isabelle Goupil-Sormany), de trois mentor·e·s en formation en recherche-action participative du réseau international Knowledge for Change (Valérie Desgroseilliers, Marie-Claude Jean et Patrice Ngangue) et de deux assistantes de recherche (Élisabeth Arsenault et Marietou Niang). L’équipe était également appuyée par la Clinique SPOT (les coordonnatrices Nathalie Bouchard, puis Marie Pier Landry) et de Santé Monde (Ericka Moerkerken) et d’autres organismes qui ont soutenu notamment le recrutement de participant·es (la Coopérative de solidarité SABSA et le Service de référence en périnatalité pour les femmes immigrantes de Québec). La recherche qui n’avait aucun financement s’est déroulée entre septembre 2020 et mai 2022. Le processus d’édition du présent rapport s’est étendu au cours de l’année 2023, ce qui a permis d’avoir le même point de convergence que le rapport de Médecins du Monde : « Statut d’immigration précaire, santé précaire : Ensemble pour la santé de toutes les femmes vivant au Québec ».


  1. Site web accessible à l’URL : https://cliniquespot.org/
  2. Grâce au poste à mi-temps d’une infirmière praticienne spécialisée en services de première ligne (IPSPL) fourni par le CIUSSS-CN à la Clinique SPOT, depuis le mois de mai 2021 des femmes (immigrantes ou non), n’ayant pas accès au régime d’assurance maladie du Québec (RAMQ), ont pu être prises en charge pour un suivi pré et post-natal de base.