Le récit d’Asseita

Le parcours migratoire : de l’Afrique de l’Ouest à Québec

Née dans un pays d’Afrique de l’Ouest, Asseita est issue d’une famille de la classe moyenne. Elle accomplit ses études universitaires en économie et en sciences de gestion, ce qui correspond à un baccalauréat en administration des affaires au Québec. Ce diplôme lui permet de devenir directrice d’une école.

C : Asseita, ce que je te demanderais, c’est de me raconter comment tu es devenue migrante, d’une certaine façon, et les raisons qui ont motivé cette décision-là. En m’expliquant d’où tu viens, de quel type de famille, ce que tu es venu faire ici, bon pour me permettre de savoir qui tu es, comme personne?

Asseita : Dans le fond, je dirais que je suis venue comme soutien à mon mari qui est aux études ici. Il est au doctorat à l’Université Laval, donc je suis venue vraiment comme un appui pour l’aider, pour que, durant ses années de thèse, je puisse être là pour l’épauler. Et puis, en passant, nous sommes mariés depuis décembre 2017. Oui, et c’est après notre mariage que je l’ai suivi là. […] Lui, il est arrivé en 2016, ici, au Canada, pour les études, comme je disais, au doctorat et moi, j’étais directrice d’une école primaire. Donc, à la suite de notre mariage… Pour moi, c’est important pour une femme d’accompagner son mari, de suivre son mari là où il va. C’est important que je sois là pour être un appui pour lui. Pour moi, quand on dit « on est mariés », c’est bon, vraiment, qu’on soit tous les deux, ensemble. Et puis lui, il doit être là pendant quatre ans, voire plus, et moi, je vais l’attendre au pays? Cette distance-là, ça joue beaucoup, et puis, le temps aussi, ça joue beaucoup. Donc, j’ai préféré laisser ce que je faisais comme travail pour le rejoindre ici.

Après une première année de doctorat en agroéconomie à Québec, son mari repart donc en Afrique pour épouser Asseita lors d’un mariage civil et religieux. Il n’y reste que 10 jours, alors que la nouvelle mariée ne pourra le suivre que six mois plus tard. C’est en 2018 que cette dernière amorce son parcours migratoire, à l’âge de 30 ans. Contrairement à son mari qui détient un statut migratoire d’étudiant étranger, Asseita, elle, obtient un permis de travail pour résidence temporaire. Elle ne pense pas à ce moment à obtenir une assurance maladie et ne peut pas encore bénéficier de la couverture offerte par la RAMQ compte tenu de son statut.

Asseita : Malheureusement, à mon arrivée, je n’ai pas pris d’assurance privée. Non, je n’ai pas pris. C’est après la grossesse, maintenant que j’ai compris que c’était, c’était une nécessité de l’avoir. Et même ça, même ça, avec les renseignements que nous avons eus là, il y a comme très peu d’assureurs qui prennent les grossesses.

Arrivée en plein été, elle est tout de suite charmée par la beauté de la ville et de ses environs plus sauvages. Avec son mari, ils habitent alors le sous-sol d’une petite maison de Sainte-Foy et développent une relation presque familiale avec la propriétaire. En vacances pour ses trois premières semaines dans sa nouvelle ville, Asseita débute ensuite son emploi comme caissière dans une épicerie. Après quelques semaines de travail, elle commence à ressentir des douleurs au bas du ventre.

Asseita : Je continuais à travailler sans problème. Mais quand j’ai commencé à ressentir les douleurs, ça m’a pris comme deux semaines ou trois semaines après, là, et j’ai vraiment eu très, très mal… Ce jour-là, on est allés à l’urgence pour voir ce qu’il se passait.

Un début de grossesse cher payé

Les douleurs qu’elle ressent ne l’inquiètent pas plus qu’il ne le faut au départ. Elle ne veut pas s’alarmer non plus considérant qu’elle n’a pas d’assurance maladie. Mais un jour, le malaise est si grand qu’elle se résout à se rendre à l’urgence du CHUL.

C : D’accord, donc je t’écoute. Tu es allée à l’hôpital…

Asseita : Oui, donc sans assurance, vous comprendrez que j’ai été réticente avant d’aller à l’hôpital parce que je savais que sans assurance, il y a de fortes chances qu’on débourse de grosses sommes. Voilà. Mais, de nature, je ne suis pas une personne très maladive. Chez moi, c’était seulement le paludisme que je faisais, sinon pas d’autres maladies. Donc vu qu’il n’y a pas de moustiques ici, je me suis dit là, c’est bon, c’est correct, je peux attendre avant de prendre une assurance. C’est ce qui a fait qu’on n’a pas bondi directement sur l’assurance quand on est arrivés.

C : Juste pour savoir, est-ce que ton mari, lui, il était assuré?

Asseita : Oui, il est assuré avec l’université.

C : Vous avez pris connaissance, vous saviez que les frais médicaux ici étaient chers. Là, ça, tu le savais?

Asseita : Oui…

: Mais tu as comme pris la chance en disant « comme il n’y a pas de moustiques, qu’habituellement, ce sont les moustiques qui me rendent malade, bien je vais attendre un peu ». Donc tu as pris le risque.

Les examens qu’elle passe à l’urgence confirment rapidement qu’Asseita est enceinte. Cette grossesse n’est toutefois pas la seule explication de ses douleurs, car les examens révèlent aussi la présence de deux kystes aux ovaires qui peuvent, s’inquiètent les médecins, représenter un risque pour la grossesse.

: Donc, ça, c’est ta première visite médicale, et ensuite, comment ça s’est passé?

Asseita : Avec la première visite, on m’a recommandé de faire une échographie pour être situé sur la date… Comment on appelle ça? La date à laquelle j’ai contracté la grossesse pour que je puisse avoir une idée. Et puis, après, il y a eu des suivis médicaux parce qu’ils ont découvert qu’en plus de la grossesse, j’avais deux kystes et un des kystes était quand même développé. Et puis, l’autre était minime… Donc ils ont conclu que, certainement, c’est lié à la grossesse. Pour l’autre kyste, le plus petit, au fur et à mesure que la grossesse va se développer, il y a de fortes chances que ça s’estompe ou que ça disparaisse seul. Voilà maintenant l’autre kyste, qui était un peu plus gros, les inquiétait. Ils ont trouvé que c’était important pour moi de pouvoir continuer à faire des examens pour observer l’évolution avant qu’ils ne puissent me laisser.

Les kystes viennent, en quelque sorte, augmenter dès le début de son parcours de soins de grossesse les frais de services de santé; les examens répétés qu’elle doit faire ne peuvent être effectués qu’en milieu hospitalier, synonyme de factures très salées pour qui ne détient pas d’assurance maladie comme Asseita. Ces examens, elle doit ainsi les faire pendant près de 3 mois, le temps que les deux kystes se résorbent au fur et à mesure de l’avancement de sa grossesse.

Asseita : Et, à chaque fois que je partais au CHUL, pour avoir accès et voir un médecin, il fallait débourser une somme d’environ 1 235 $.

C : Ça, c’est pour l’échographie ou c’est pour la consultation médicale?

Asseita : Non, c’est pour accéder d’abord à l’hôpital, aux urgences. […] Dans le fond, c’est vraiment ça. C’est l’accès à l’hôpital. Donc l’accès à l’hôpital te coûtait 1 235 $.

À ces frais, il faut aussi ajouter les 400 $ environ par échographie, réalisée chaque fois par un ou une médecin différent·e. La pression financière est déjà vive après la troisième échographie, ce qui la pousse à demander s’il n’existe pas d’autres alternatives moins onéreuses pour son parcours de soins. Si l’institution hospitalière lui répond que « non », c’est par l’entremise d’une amie qu’elle découvre le milieu de santé communautaire, accessible pour les femmes enceintes et immigrantes.

Asseita : Comme ça me revenait très cher, j’ai posé des questions pour savoir : « Est-ce possible, que je puisse aller, par exemple, en clinique pour avoir droit à toutes ces échographies? Ou bien à tous ces examens que je dois faire pour avoir quelqu’un d’autre qui va me suivre hors de l’hôpital? » Parce que chaque fois que tu pars à l’hôpital, il faut débourser une somme de 1 000 $ et quelques, pour avoir même l’accès. Donc ça, c’était vraiment trop lourd pour nous. Financièrement, c’était vraiment difficile parce que quand je suis arrivée, mon mari, lui, travaillait avec une société de l’entretien ménager et quand je suis arrivée, je lui ai même demandé d’arrêter pour que je puisse prendre la relève et qu’il se consacre à ses études. À notre niveau, côté financier, nous avons pris un coup. Puis, quand j’ai posé mes doléances pour pouvoir aller hors de l’hôpital, je pense que c’est à ce moment, quand j’étais en train de faire mes recherches, l’hôpital m’a dit que « non », pour ces examens-là, il faut que je continue toujours d’aller à l’hôpital, au CHUL, voilà…Mais suite à l’échange avec une amie, des difficultés qu’on rencontrait par rapport aux différents frais qui se présentaient à nous, elle, elle m’a parlé d’une femme qu’elle a connue et qui était dans une situation semblable. Que je pouvais échanger avec cette dernière pour voir comment elle avait fait! Donc, c’est en échangeant avec cette dernière que j’ai appris l’existence de la Coopérative SABSA. Voilà donc, on n’a vraiment pas tardé là. On a essayé de contacter [nom de l’intervenante]. On a pris un rendez-vous, on est allés la voir physiquement. Et après nos échanges, elle a accepté de nous prendre.

Cette nouvelle avenue hors de l’hôpital est aussi très bien venue d’un point de vue psychologique pour Asseita, car, outre les frais de service, elle ressent alors beaucoup de jugement de la part du personnel du milieu hospitalier; un jugement qu’elle attribue rapidement à leur incompréhension vis-à-vis de sa situation de femme enceinte migrante et sans assurance maladie.

Asseita : Mais je pense que ce sont des interrogations qu’ils avaient : « Comment est-ce que tu te débrouilles pour tomber enceinte alors que tu n’as pas de carte d’assurance maladie? »

C : Ah, donc tu sentais un jugement?

Asseita : Oui. Oui. Je voyais beaucoup plus ça.

C : Est-ce que ça t’affectait?

Asseita : Beaucoup, énormément!

C : Et comment ça t’affectait? Qu’est-ce que ça a fait sur toi?

Asseita : Au fond, j’étais contente d’être enceinte. J’étais contente d’être enceinte, mais, du fait, je dirais que ce n’est pas une grossesse que j’avais planifiée pour dire à tel moment : je vais tomber enceinte. Non, ce n’était pas une grossesse planifiée. Oui, on se disait qu’on allait attendre un peu avant de pouvoir avoir des enfants. Dans nos projets, ce n’était pas pour tout de suite. Et donc c’est arrivé comme ça, et puis on devait l’accepter. Avec tout ce qui vient comme coûts.

C : Là, tu m’as dit, « on devait l’accepter », ça demandait un travail de ton côté, un travail d’acceptation. Et d’après, ce que je comprends, c’est que le regard que tu ressentais de la part de certains professionnels n’aidait pas.

Asseita : Non, ça n’aidait vraiment pas du tout.

C : Mais, est-ce qu’on t’a dit des choses dérangeantes ou est-ce que c’est vraiment le ressenti par rapport au regard?

Asseita : Des choses dérangeantes, je dirais que c’est chaque fois que tu arrives, tu dis : « tu n’as pas de carte d’assurance maladie », et puis on te regarde comme ça, d’un œil bizarre, d’abord, et puis après, on te « Ah bon! Tu n’as pas de carte d’assurance maladie? ». C’était vraiment ces paroles-là qui me blessaient beaucoup plus.

C : Le ton?

Asseita : Parce qu’on entend ces mots, mais en retour, on ne nous dit pas : « voilà ce qu’on te préconise. Voilà ce que tu peux faire ». Il n’y avait pas de soutien. Il n’y avait pas comme : « on va te dire. Dirige-toi vers cet endroit-là. Eux, ils vont, ils pourront te conseiller, ils pourront t’écouter ». Non, il n’y avait pas ça. Et vu que je ne connaissais pas des gens comme ça aussi, ça a vraiment été difficile…

C : Ça a vraiment été difficile, difficile. Est-ce que ç’a été difficile parce que tu te sentais seule ou parce que ça te faisait presque regretter la situation?

Asseita : Parce que je me sentais beaucoup plus seule. La situation, je ne l’ai pas regrettée parce que je voulais avoir des enfants. Certes, ça n’a pas été le bon moment que j’ai choisi là, mais je voulais avoir des enfants. Après, j’étais contente.

L’annonce de sa grossesse puis ses premiers mois sont ainsi vécus de manière ambivalente pour Asseita et son mari. Le soutien qu’elle reçoit à l’hôpital, qui est uniquement un soutien médical de routine, ne leur permet pas de vivre la joie d’avoir un premier enfant. Ils se sentent seuls, surtout Asseita qui se sent abandonnée par le système de santé, laissée à elle-même. Ensemble, ils décident de ne pas révéler la nouvelle à leur famille demeurée en Afrique, de garder la surprise jusqu’au septième mois de la grossesse. De plus, Asseita ne veut pas inquiéter son père concernant l’absence d’assurance maladie, et prend sur elle l’aventure qui est à venir.

C : C’était quoi l’intention pour vous de ne pas les informer?

Asseita : Dans le fond, on voulait vraiment que ce soit une surprise.

C : Et donc en faisant cela, tu ne leur transmettais pas non plus tes inquiétudes.

Asseita : Non, non, je ne transmettais vraiment pas mes inquiétudes. Oui. Moi, ma mère, elle n’est plus. Ma mère est décédée quand j’étais adolescente. C’est mon père qui est là, mais je ne voulais vraiment pas l’inquiéter avec ça. Non, non, je me disais que c’était, c’était notre responsabilité. C’était notre rôle à nous, donc on allait se battre à deux vraiment.

C : Donc, avec ton mari, vous avez comme créé une cellule, pour justement vous battre.

Asseita : Oui! On a créé une cellule, c’est vraiment ça le mot!

Ses inquiétudes et ses émotions restent donc à Québec. Elle tente de trouver un peu de soutien et de réconfort dans sa communauté religieuse, seul réseau social qu’elle a véritablement eu le temps de se forger dans sa nouvelle ville. Mais c’est loin d’être suffisant.

Asseita : Oui, j’avais un réseau. J’étais avec une communauté religieuse. Mais je n’avais pas d’amis proches à qui je pouvais me confier dans cette situation. Parce que ce n’était pas une communauté d’appartenance.

Va-et-vient entre l’hôpital et la Coopérative de solidarité SABSA

Après avoir rencontré son intervenante à la coopérative de solidarité SABSA et avoir été acceptée à la fin de son premier trimestre, Asseita est enfin soulagée de trouver un soutien à la fois médical, psychologique et économique. Elle sait toutefois que les frais liés à sa grossesse ne s’arrêtent pas pour autant, surtout pour ce qui est des suivis pour ses kystes qui demandent obligatoirement des échographies. Ce type de services n’est pas offert en milieu communautaire[1].

Asseita : Oh, je suis ressortie de son bureau avec un grand sourire et un soulagement hors pair! J’étais vraiment très, très soulagée. Oui. Quand elle a accepté, elle a dit « oui, pas de problème, je vais pouvoir te suivre. Maintenant pour ce qui concerne les échographies et autres, s’il y a des échographies à faire, tu seras toujours obligée d’aller à l’hôpital, le faire, parce qu’on n’a pas le matériel à notre niveau ». Mais déjà, le fait même de savoir qu’elle est là. À elle, je pouvais vraiment confier sur ce que j’avais comme difficultés et elle était vraiment… En plus d’être une infirmière, elle était une confidente, oui. C’était vraiment une personne extraordinaire! C’est une personne vraiment que j’ai rencontrée au bon moment je dirais. […] Donc, l’idée de savoir que la coopérative SABSA était là pour nous accompagner sans qu’on ait à payer des frais, cela nous permettait vraiment de pouvoir économiser pour l’accouchement qui s’en venait.

Le suivi de soins offert par SABSA, essentiellement des soins infirmiers, est vécu comme un « grand soulagement » immédiat, mais aussi en prévision de l’accouchement. Si Asseita et son mari réussissent à économiser par rapport à ses soins, la constance des échographies qui persiste même après son premier trimestre maintient la pression financière sur le couple. En somme, les deux ont déboursé presque 9 000 $ uniquement pour les échographies et l’accès en milieu hospitalier.

Pour être en mesure de payer ces frais et, du même coup, éviter d’être endetté, son mari tente de trouver un emploi dans son domaine alors qu’Asseita décide de continuer à travailler à l’épicerie jusqu’à sept mois de grossesse. Mais c’est un compromis lourd pour sa santé.

Asseita : Et, là aussi, ce n’était pas facile parce qu’à un moment donné, je ressentais des douleurs intenses au niveau du dos. Chaque fois que je demandais de m’asseoir, c’était un problème…

C : Pour la gérante?

Asseita : Oui, oui, je n’étais pas comprise par mon gérant quand je demandais à m’asseoir pour récupérer avant de continuer.

C : Il te disait « non »?

Asseita : Oui, il disait « non ». [rires] Mais j’ai eu beau l’expliquer, j’ai dit : « je veux juste, même si c’est 3 minutes, m’asseoir un peu puis me relever ». Mais il disait toujours non.

C : Donc, tu as travaillé dans des conditions, à la fin, qui étaient plus difficiles pour toi? Mais cet argent-là, ça vous a permis de rembourser…

Asseita : C’est ça. Cet argent nous a permis, vraiment, de rembourser…

De plus, comme son suivi est effectué en milieu communautaire, son dernier trimestre est synonyme d’un retour exclusif en suivi médical. Légalement, à cette époque, seul un·e médecin pouvait assurer les dernières semaines de grossesse. Ainsi, l’intervenante de SABSA la recommande-t-elle à une médecin du centre d’obstétrique et de gynécologie de la Cité, et affiliée à l’Hôpital Saint-François d’Assise. Ces dernières visites de routine se déroulent bien. Les kystes ne sont pas réapparus et le fœtus se développe comme attendu.

Rendue au septième mois de sa grossesse, Asseita commence à planifier son accouchement. Elle souhaite alors faire venir au Québec sa belle-sœur afin d’obtenir un peu de soutien autre que médical, en vain. Son statut migratoire précaire réapparaît encore une fois comme un obstacle durant sa grossesse.

Asseita : […] J’avais demandé au médecin qui me suivait pour les derniers mois de grossesse de me donner un papier pour que je puisse demander à l’Immigration afin de faire venir ma belle-sœur pour me soutenir parce que c’était vraiment mon premier bébé et je ne savais pas comment ça se passait exactement. Mais malheureusement, elle m’a donné la lettre, mais malheureusement, ça n’a pas été accepté par l’Immigration. Donc. Ouais. Ça aussi, ça a échoué, ça fait qu’on était obligé de gérer à deux.

C : Et la demande, c’était quoi le programme que tu visais pour faire venir ta belle-sœur?

Asseita : Non. On avait appris que si toutefois tu es enceinte et puis tu as rencontré des difficultés avec ta grossesse, c’était comme possible de demander qu’un membre de la famille puisse venir te soutenir pour l’accouchement.

C : Et puis sous quelles raisons vous a-t-on refusé?

Asseita : On ne saurait le dire…

C : On ne vous l’a pas dit?

Asseita : Ils nous ont juste dit que ce n’était pas possible.

Ce refus et, par conséquent, cette absence sociale augmentent son sentiment d’abandon et d’isolement dans sa nouvelle société, mais aussi dans le système de santé. D’ailleurs, comme elle a conscience des frais exorbitants qui seront demandés si elle accouche en milieu hospitalier, elle se met à la recherche d’une voie alternative moins onéreuse.

Asseita : Et en passant, pendant que je cherchais à savoir où est-ce que j’allais accoucher, parce que quand j’ai vu le coût qui m’attendait au niveau de l’hôpital, j’ai cherché d’autres voies et moyens. Et puis, on a entendu parler des maisons d’accouchement. On a été, mais malheureusement, on n’a pas été à temps.

C : Non, non, c’est ça…

Asseita : On a été comme autour de, à notre septième mois de grossesse, donc eux, ils ne pouvaient plus nous suivre. Ils demandaient qu’on arrive un peu plus tôt. Parce que, vu qu’on accouche naturellement à leur niveau, ils ont besoin d’un peu plus de temps, pour passer le temps avec les femmes.

C : Mais il n’y a jamais, il n’y a jamais personne, en fait, pendant ton parcours de grossesse qui t’a parlé des maisons de naissance?

Asseita : Non.

Le manque d’informations et de propositions de la part des intervenant·e·s au fil de son parcours de grossesse pour atténuer les frais exorbitants – qu’ils et elles connaissent pourtant – eu égard à son statut et ses droits relatifs en matière de santé, fait en sorte qu’elle n’a pas d’autres options que d’accoucher à l’hôpital. Ce qu’elle fera.

D’un accouchement difficile à une période postnatale isolée

À la fin du printemps 2019, Asseita perd les eaux; le jour J est enfin arrivé. C’est une amie qui lui propose de l’emmener en voiture à l’hôpital. Elle décide de se rendre à l’Hôpital Saint-François d’Assise, et non pas au CHUL qui est situé plus près de chez elle, car elle souhaite accoucher entre les mains de sa médecin qui la suit depuis son départ de SABSA. Ce jour-là, elle n’est malheureusement pas à l’hôpital et c’est une autre médecin qui est de garde. Si Asseita est navrée de ne pouvoir remercier sa médecin pour son suivi de grossesse, elle est tout de même très heureuse de sa nouvelle médecin qui sut prendre soin d’elle avec gentillesse et compréhension.

C : Et puis, comment s’est passé l’accouchement?

Asseita : L’accouchement? Malheureusement, ça n’a pas été comme prévu. Parce qu’avec les dernières visites et autres que j’ai eues, il n’y avait plus de problème, il n’y avait plus de kystes, donc tout se déroulait très bien. L’enfant évoluait très bien dans le ventre. Mais à la dernière minute, quand je suis allée à l’hôpital pour l’accouchement, le bébé n’arrivait pas à descendre. Donc, ils ont attendu un bout de temps. Et après, il fallait faire une intervention. Donc j’ai accouché par césarienne.

La nécessité d’accoucher par césarienne est une réelle surprise pour Asseita qui pensait que, comme les derniers mois de grossesse s’étaient bien passés, l’accouchement serait sans complication. Psychologiquement, elle ne se sent pas préparée pour une telle intervention. Vis-à-vis de cette situation, elle ressent le besoin de contacter son père.

Asseita : Et puis, le jour J de l’accouchement aussi, quand je suis arrivée à l’hôpital et puis on a dit que c’était une césarienne. J’ai appelé mon père. Je l’ai appelé pour lui parler : « Ce n’était pas prévu pour une césarienne, mais ça va être une césarienne ». Donc il m’a réconfortée, il a prié pour moi. Oui…

Financièrement, les coûts associés l’obligent à prendre des décisions risquées pour sa santé. Heureusement, elle bénéficie du soutien du personnel de santé qui accepte, à son tour, de faire des compromis, lui offrant certains médicaments contre la douleur.

C : D’accord donc, tu as eu une césarienne et puis tu es restée combien de temps à l’hôpital?

Asseita : J’ai fait deux jours à l’hôpital, mais ma fille, elle, avait la jaunisse. Donc, elle est restée trois jours. Oui, trois jours après l’accouchement.

C : Et tu es restée deux jours. Est-ce que tu es restée deux jours parce que tu n’as pas souhaité rester plus longtemps parce que ça coûterait trop cher?

Asseita : [rires] Oui… C’est ça… Parce que dans le fond, à cause des coûts, j’ai demandé si tout, tout, tout était correct. Tout allait bien. J’ai demandé à avoir une autre salle parce qu’ils ont des salles où ils peuvent accueillir les femmes qui ont accouché pour pouvoir allaiter le bébé – parce qu’elle était alitée. Voilà, donc, j’ai quitté les soins de l’hôpital parce qu’au fond, si j’avais eu un problème, il fallait que je retourne aux urgences. Je n’étais plus sous la responsabilité de l’hôpital. Voilà. Mais j’ai dû faire ce choix difficile, compte tenu des coûts. J’ai quitté l’hôpital, pour ce qui concerne les soins, mais j’ai eu une autre salle.

C : Ils t’ont permis de rester là.

Asseita : Oui, c’est ça, ils m’ont permis de rester là. Pour pouvoir l’allaiter.

C : Mais tu n’avais pas le droit de recevoir de soins?

Asseita : Non, non.

: D’accord, je comprends. Et comment ça s’est passé cette période-là?

Asseita : Hmm difficile [rires] parce qu’il y avait la douleur. Chaque fois que je voulais me réveiller de la chambre pour aller allaiter l’enfant, j’avais très mal parce qu’il y avait toujours les sutures qui étaient là. Et, on n’avait pas encore enlevé le fer, les agrafes, on ne les avait pas encore enlevées, donc ça faisait toujours mal.

C : Et tu avais accès à un lit?

Asseita : Oui.

Ces quelques jours difficiles et douloureux à l’hôpital se poursuivent une fois de retour à leur appartement. Après une semaine, une infirmière est envoyée pour lui enlever les agrafes. Faute d’assurance maladie, elle doit payer pour ce service. Si les plus grandes douleurs diminuent rapidement, notamment parce qu’Asseita demeure active dans ses tâches quotidiennes, la fatigue, elle, augmente. Malgré le soutien de son mari et de son amie, la nouvelle maman pleure à plusieurs reprises au cours de sa période postnatale. Elle se sent seule et mal accompagnée. C’est essentiellement vers la spiritualité qu’elle se tourne pour trouver la force de remplir ses nouvelles responsabilités de mère immigrante au Québec, et non pas vers son entourage. Forcée, mais résolue à se débrouiller par elle-même, et avec son mari, Asseita ne demande pas non plus d’aide financière à aucune étape de son parcours périnatal.

: Et puis, dans toute cette histoire, Asseita, est-ce que tu as fait appel à d’autres ressources, par exemple les ressources médicales conventionnelles. Est-ce que tu t’es tournée vers autre chose? Est-ce qu’il y a quelque chose d’autre qui t’a aidée? Je ne sais pas moi

Asseita : Non…

C : Non? Est-ce que la prière, ça t’a aidée?

Asseita : Beaucoup! Oui, beaucoup.

Comme tout enfant né au Québec, la fille d’Asseita obtient de facto la nationalité canadienne, mais pas la citoyenneté, au sens de la possession de tous les droits de l’État. En effet, le couple découvre rapidement que leur fille ne peut bénéficier de la RAMQ à sa naissance, car son héritage premier est le statut migratoire de ses parents.

Asseita : Pour ça [rires], il a fallu qu’on attende… C’est juste le mois passé qu’elle a eu sa RAMQ. Elle n’était pas couverte. Oui, parce que selon ce qu’on nous a expliqué, de prime abord, quand un enfant naît il hérite du statut des parents. Donc, si on n’avait pas la RAMQ, l’enfant non plus n’a pas droit à la RAMQ. Il fallait attendre que notre situation change ou que l’enfant puisse avoir droit à la RAMQ. Mais ce qui s’est passé, c’est que notre situation a changé. On a eu le CSQ [Certificat de sélection du Québec] et c’est ça qui lui a permis d’avoir sa RAMQ.

Heureusement pour les parents, leur fille n’est jamais malade durant sa première année de vie. De plus, référée par l’hôpital, elle a la chance d’être choisie pour une étude médicale sur l’hépatite B, comme participante saine, dans une clinique de Québec. Ce faisant, une pédiatre lui est affectée, ce qui soulage beaucoup Asseita qui sait désormais que, si sa fille a besoin de soins, elle pourra se rendre à la clinique et bénéficier de services de soins à moindres frais comparativement à l’hôpital.

A posteriori, Asseita aurait aimé obtenir ce bénéfice minime, dès le départ, de savoir ou, autrement dit, d’avoir la possibilité de savoir les ressources existantes, les trajectoires de soins possibles et les droits de santé pour les personnes migrantes qui n’ont pas la possibilité d’avoir la RAMQ.

Asseita : Mais moi, j’ai une question.

: Oui?

Asseita : Pendant que j’étais en train de chercher des voies et des moyens de savoir, où est-ce que je peux passer pour avoir du soutien? Est-ce que ça serait possible qu’on donne quelque chose aux médecins, des notes ou bien des directives aux médecins pour que si, par exemple, des personnes viennent se présenter à eux avec des difficultés financières et puis ils n’ont pas la RAMQ, pour que, eux, ils puissent les diriger vers les organismes appropriés? Il faut vraiment arriver à le faire. Ça va beaucoup soulager les femmes parce qu’à l’hôpital, on est obligés d’y aller souvent, mais ce n’est pas là vraiment qu’on fait ressortir nos inquiétudes. Donc, s’il n’y a pas quelqu’un à ce niveau pour vraiment diriger, on se retrouve seules, on se retrouve perdues. Et puis, face à toute cette situation, on se retrouve devant soi-même. Et puis, on n’a pas d’issues.

C : Que veux-tu dire lorsque tu dis « à l’hôpital, ce n’est pas là qu’on va faire part de nos inquiétudes »?

Asseita : Parce qu’il a fallu que je parte à l’hôpital pour savoir que j’étais enceinte. Et à l’hôpital, quand j’ai dit que j’étais enceinte, avec les échanges avec la médecin qui m’a suivie, elle a immédiatement compris que je n’avais pas de RAMQ ou bien elle a su parce que j’ai fait part de ce qui était là, comme inquiétudes. J’ai fait part. Mais malheureusement, elle ne savait pas où me diriger.

Elle résume en somme la pertinence de cette recherche-action participative et la nécessité d’un changement plus large qu’uniquement institutionnel.


  1. À ce moment.