Le récit d’Hamscha

L’arrivée à Québec

En 2014, Hamscha, une jeune trentenaire originaire d’Afrique du Nord, pose les pieds au Québec, en compagnie de son mari, pour commencer un doctorat à l’Université Laval. Elle a alors un permis d’études avec possibilité de demander la résidence permanente après sa diplomation. Comme tout étudiant étranger et toute étudiante étrangère, Hamscha se procure une assurance maladie privée, condition obligatoire pour l’Université. Cette assurance, elle la paye très cher annuellement et reste conditionnelle à son inscription universitaire. Les trois premières années au Québec se déroulent, du point de vue de sa santé, sans embûches. Hamscha se concentre sur ses études doctorales.

En 2017, les choses changent pour le couple. Hamscha apprend qu’elle est enceinte. Même si le couple sait que leur statut migratoire et les assurances maladie accessibles représentent un certain défi pour la grossesse et l’accouchement, il est très heureux de cette nouvelle souhaitée et envisagée et considère qu’il a les moyens financiers d’y parvenir en sécurité et en dignité. Hamscha s’assure alors que sa couverture médicale lui permet d’avoir accès à des suivis périnataux et à un accouchement sans frais supplémentaires. Mais ce n’est pas si simple, dans la mesure où c’est par sa preuve d’inscription à l’Université Laval qu’elle peut bénéficier de cette assurance. Conséquemment, lorsqu’elle n’est pas inscrite à des sessions, par exemple lorsque sa grossesse ne lui permet pas de faire correctement ses études, Hamscha évite de faire les suivis et évaluations de grossesse considérant les coûts importants qu’elle devrait débourser. C’est une surprise pour elle, et elle ne fera plus « l’erreur » par la suite; elle décidera plutôt de payer une session sans la faire réellement devant la nécessité d’avoir une assurance maladie.

Hamscha : Je n’ai pas fait d’inscription. Moi, je ne savais pas que l’assurance est en lien avec l’inscription. J’ai eu un message me disant que l’assurance a pris fin. J’ai appelé pour savoir pourquoi c’est arrêté. J’ai payé 1 000 $ pour la session. Ils m’ont répondu : « Non, on va te rembourser pour le reste de la session parce que tu n’es pas inscrite ». Tu ne peux pas être assurée.

C : Donc c’est arrivé une fois.

Hamscha : Une fois, parce que je ne savais pas. Je suis obligée de faire l’inscription, je suis obligée de payer pour être assurée.

[…]

Hamscha : Je paye 1 000 $ par an. Et, cette assurance-là est valide si je suis inscrite [à l’Université]. Si je ne suis pas inscrite, je ne suis pas couverte. Si, par exemple, il y a une session, ça m’est arrivé que je n’aie pas pris d’inscription, parce que je suis enceinte. Ils m’ont dit que l’assurance va arrêter. Or, si je ne suis pas inscrite, je ne peux pas faire le suivi de ma grossesse. Ça va être difficile. […] Et j’étais alors obligée de faire l’inscription, sans faire les cours. J’ai payé de l’argent sans le faire de cours, juste pour avoir l’assurance, pour faire le suivi de ma grossesse.

La même année, leur premier enfant vient au monde. Cette naissance vient visibiliser derechef les nuances d’une assurance privée dite complète : une fois né et sorti de l’hôpital après un jour, leur enfant n’est plus pris en charge par l’assurance maladie de leur mère, et ce, pour les 15 jours suivant l’accouchement.

Hamscha : Pour l’assurance privée, je n’ai pas le droit de faire l’assurance privée pour mon bébé dès le premier jour. Les quinze premiers jours après l’accouchement, mon bébé n’est pas couvert. Même avec l’assurance privée, l’assurance privée ne couvre les bébés qu’après 15 jours de naissance.

C : Attends, les assureurs ne couvrent le bébé qu’à partir du 15e jour.

Hamscha : Les quinze premiers jours ne sont pas couverts, après 15 jours de naissance, il est couvert.

C : Bien voyons!

Hamscha : Ah oui, oui, oui. Il n’est pas couvert.

[…]

C : Pourquoi ne peux-tu pas commencer l’assurance privée après les 48 premières heures?

Hamscha : Ce sont eux, ce sont eux. Ils exigent ça : « on assure les nouveau-nés qu’après 15 jours ».

Heureusement pour Hamscha, son accouchement se déroule bien, par voie naturelle, et leur enfant n’a donc pas besoin de soins d’urgence ou autres pour ses deux premières semaines de vie. Après ce laps de temps, qui fut stressant pour la nouvelle maman, elle souscrit son enfant à une assurance privée de Desjardins, car, même s’il naît canadien, le statut de non-résident·e permanent·e de ses parents le prive du droit à l’assurance maladie du Québec.

Hamscha : En 2017, j’étais enceinte de mon premier garçon. J’ai accouché à l’hôpital, puis heureusement que pour l’accouchement, on est couvert grâce à l’assurance maladie de l’étudiant. Donc, c’est correct pour ça. Après ça, mon garçon, après sa naissance, il n’est plus couvert. Donc, il n’a pas d’assurance maladie, de carte soleil, puisque nous, on n’a pas la résidence. Donc j’étais obligée de lui faire l’assurance privée Desjardins. Je paye à chaque mois ou tous les trois mois, selon mes capacités financières. Mais cette assurance-là ne couvre pas tout, elle couvre juste les urgences. Un accident, ou une grippe, la fièvre. Quelque chose d’urgent. Mais, par exemple, moi, mon premier garçon, il a l’anémie. Il n’est pas suivi pour l’anémie parce qu’il n’est pas couvert pour ça.

Vis-à-vis d’une telle situation, Hamscha n’a d’autres choix que de trouver une alternative en s’appuyant sur ses connaissances et sur ses propres moyens. Des moyens, d’un point de vue financier, qui se situent sous les 20 000 $ annuellement. Ils ne seront d’ailleurs pas épargnés en regard des différentes barrières d’accès aux services de soins qui apparaissent dans son parcours.

Hamscha : J’ai appelé une clinique pédiatrique, Place de la Cité. J’ai demandé qu’ils examinent mon garçon parce qu’il a de l’anémie. […] Donc j’ai demandé un rendez-vous, j’ai précisé que je n’ai pas l’assurance, mais que je vais payer. Ils m’ont dit « non », que je dois apporter la lettre d’un médecin de famille pour qu’on puisse l’examiner.

C : Ah oui?

Hamscha : Oui. La lettre d’un médecin de famille pour qu’un médecin pédiatre puisse le voir. Alors moi, je n’ai pas de médecin de famille…

C : [rires] Comment est-ce que tu fais alors? Pas de médecin de famille!

Hamscha : J’ai appelé la médecin que je connais.

C : Tu l’avais rencontrée dans le contexte?

Hamscha : Cette médecin est celle qui m’a aidée à accoucher. Donc, j’ai appelé la secrétaire, je lui ai expliqué la situation. Je lui ai demandé : « est-ce qu’elle peut examiner mon fils? Et je vais payer sa consultation, puisque je n’ai pas pu l’amener en pédiatrie ». Elle a accepté et m’a dit : « sans problème ».

C : Mais par curiosité, elle n’aurait pas pu signer la lettre?

Hamscha : Quand elle l’a examiné, je lui demandais de me donner une lettre pour l’amener chez le pédiatre, elle me dit : « Ce n’est pas la peine d’aller en pédiatrie. C’est juste une anémie. On va faire le bilan. Après le bilan, je vais lui donner la dose de fer nécessaire et pour l’eczéma, tu peux lui donner cette crème-là ». Et c’est tout!

C : Et puis, une consultation comme ça, ça coûte combien à peu près?

Hamscha : Bien, ça dépend… Entre 125 et 175. Ça dépend de l’examen qu’elle va lui faire. Mais le minimum, c’est 125 $.

Ainsi, si la médecin accepte de prendre son enfant et de l’évaluer, les frais ne sont pas occultés; Hamscha doit débourser chaque fois que l’état de son enfant nécessite un service de soins pour la médecin et pour la clinique, en plus de l’assurance privée.

Un scénario qui se répète et des difficultés qui persistent

En 2018, puis en 2020, Hamscha donne naissance à deux autres enfants. Si, contrairement à leur premier, ceux-là n’étaient pas prévus, Hamscha et son mari sont ravis d’agrandir leur famille. Ils demeurent toutefois conscients que leur précarité sociosanitaire comporte des risques de s’aggraver davantage si l’un de leurs trois enfants a des besoins de santé particuliers. Car les parents n’ont toujours pas la résidence permanente. Connaissant désormais la marche à suivre, Hamscha souscrit rapidement à une assurance privée pour ses trois enfants. Cela lui coûte 700 $ tous les quatre mois.

Hamscha : Pour les trois, pas pour moi : 700 $. Cette somme ne concerne que les urgences.

C : Ça, c’est juste pour les urgences. Ça fait à peu près 7 fois 3… 21… 2 100 $ par année pour trois enfants, plus ton 1 000 $. Ce qui fait donc 3 100 $ par année. C’est ça?

Hamscha : Oui.

Sur la totalité de son revenu, la jeune mère et doctorante réserve alors plus de 16 % pour les assurances maladie, jugées incomplètes compte tenu des problèmes de santé de ses enfants. Ces problèmes sont cependant considérés « non urgents » aux yeux des lois assurantielles. C’est un stress constant dont la moindre erreur se dessine comme un choix déchirant entre la santé de ses enfants ou la précarité financière.

Hamscha : Et c’est toujours le même problème. On n’a pas d’assurance. En fait, c’est un stress énorme parce que parfois, par exemple, ton fils a des taches sur sa peau. Ce n’est pas urgent. Pour eux, il n’a pas de fièvre, donc ce n’est pas un cas urgent. Donc ce n’est pas couvert. Tu ne peux pas l’amener à l’hôpital ni chez un pédiatre. Je me rappelle une fois cette année, à la fin de l’année 2020, mon fils avait de la fièvre et avait des difficultés à respirer. Il avait 38-39, puis il a du mal à respirer. J’ai appelé les assurances, parce que pour les assurances privées, tu dois faire une réclamation avant de l’amener au médecin. Tu dois les appeler et dire : mon fils il a tel ou tel symptôme. Je vais l’amener chez tel médecin ou à tel hôpital. Ils vont prendre toutes les informations nécessaires, puis te donner l’accord de l’amener au médecin que j’ai choisi ou me proposer un autre médecin ou une autre clinique, car je dois consulter un médecin qui est en convention avec mon assurance. Donc, j’ai fait la réclamation, j’ai dit « mon fils a de la fièvre, il a du mal à respirer, je vais l’amener à l’urgence de l’hôpital Saint-François d’Assise, parce que c’est le plus proche de chez moi ». La dame des assurances a ouvert le dossier. Elle m’a dit « madame, on est une heure maintenant du soir », je lui dis « oui, je sais », elle m’a dit : ton contrat finit à minuit. C’était le dernier jour de mon contrat et moi, j’ai oublié de renouveler parce qu’à chaque fois, je fais un contrat de trois mois, puis avant la fin de ce contrat, je renouvelle pour une autre période. Mais cette fois-ci, j’ai oublié de renouveler. Donc, quand je l’ai appelé, elle m’a dit « non, ton contrat est fini. Il est une heure, ton contrat finit à minuit, donc si tu l’amènes, il n’est pas couvert. Tu vas payer ».

C : Puis tu ne pouvais pas renouveler en ligne ton contrat?

Hamscha : Si, je pouvais, je lui dis « je vais, je vais le renouveler tout de suite ». Elle me dit : « même si tu renouvelles maintenant, ça prend 4 jours pour que le contrat entre en vigueur ». Donc même si je le renouvelle, je ne peux pas l’amener. Ou bien, je l’amène, mais je paye moi-même. Et si on amène parce que, ça, je l’ai fait avant, j’ai amené mon fils qui n’était pas assuré à l’urgence. On m’a demandé de payer 1 100 $ pour que le médecin le voie. 1 100 $… Donc, c’est trop.

C : Ça, tu l’as déjà fait?

Hamscha : Oui, je l’ai déjà fait une fois, oui. On m’a demandé 1 100 $ pour voir un médecin sans compter les autres frais de bilan d’infirmière, de radiologie… Donc, je ne l’ai pas amené. J’ai donné le Tylenol, j’ai donné de l’Advil. J’ai fait des massages tièdes pour sa poitrine, j’ai fait des tisanes avec un peu de miel. J’ai passé une nuit blanche près de lui. Heureusement, il s’est amélioré le lendemain donc, je ne l’ai pas amené. Finalement, j’attendais que les quatre jours soient passés, puis je l’ai amené parce qu’il avait toujours les sécrétions. Il avait toujours mal à la gorge et des difficultés à respirer. Donc voilà, il a vu le médecin après quatre jours.

C : Et puis là, est-ce qu’il avait quelque chose finalement après quatre jours?

Hamscha : Bronchite! C’est une bronchite. Oui, puis, voilà! Ils ont donné de l’antibiotique. Ils ont fait la radio.

Cette situation déchirante des limites d’accès aux soins d’urgence pour son fils pousse la jeune mère à se tourner vers des ressources qu’elle connaît et qui lui apportent du soutien. Cette manière de gérer ou du moins d’atténuer son stress, Hamscha la fera chaque fois que l’un de ses enfants aura besoin de soins dont le système de santé et les assurances maladie ne peuvent répondre complètement.

Hamscha : Heureusement, non. Parce que moi, j’ai fait des… Je ne sais pas comment on les appelle en français, comme des tisanes, des herbes de chez nous, que j’ai apportées, de mon pays, que je donne pour lui, pour le soulager un petit peu. Donc, ça soulage heureusement, ça soulage un petit peu avec le miel, avec l’huile d’olive.

C : Et ça, ce sont des produits, en fait, ce sont des recettes qui viennent de chez toi.

Hamscha : Oui, oui!

[…]

C : Et puis, même là, j’aurais voulu peut-être regarder avec toi. En fait, tu es quand même familière avec l’idée de santé communautaire là, tu vas peut-être comprendre ce que je veux dire, c’est que j’aimerais voir vers quoi tu t’es tournée pour aider ou pour aller chercher du soutien dans cette aventure-là. C’est sûr que tu vas voir des médecins, tu vas voir des professionnels de la santé. Est-ce qu’il y a autre chose? Bien, tu m’as dit aussi que tu fais l’usage de la phytothérapie traditionnelle, de chez toi. Est-ce qu’il y a autre chose?

Hamscha : Parfois, j’appelle le 811 et demande de l’aide. Sinon, la majorité du temps, j’appelle maman : « Maman, qu’est-ce que je peux faire? » Comme quand tu dis, « phytothérapie », donc, elle me donne des conseils, des consignes. C’est tout.

C : Et puis, est-ce que toi, tu as un réseau avec d’autres femmes ici, vous vous entraidez ou pas particulièrement?

[Silence]

C : Non?

Hamscha : Non… Mais, par contre, j’ai des amies qui vivent la même situation que moi et qui me demandent de l’aide quand leurs enfants sont malades, donc parfois, elles m’appellent et me demandent ce qu’elles peuvent faire dans telle ou telle situation. Elles me demandent : « qu’est-ce que je peux faire? »; alors j’essaie de les aider par les petites recettes que je connais autrement dit « La phytothérapie ». Parce que nous vivons toutes le même stress, la même situation avec l’assurance.

C : Oui, oui, je comprends. Ce sont des femmes de ton pays?

Hamscha : Oui, oui.

C : Et puis, je voulais te poser comme question : est-ce que tu dirais que, je ne sais pas, la prière ou le fait de te tourner vers Dieu, c’est quelque chose qui te soutient aussi dans ces moments-là?

Hamscha : Oui, certainement! Fortement! Parce que moi, quand mon bébé est malade, je prends le livre du Coran, je lis le Coran pour que Dieu l’aide, donc je fais la prière. C’est évident pour moi. Je le fais tous les jours et quand quelqu’un est malade, je le fais encore plus.

C : Mais je te pose la question parce que c’est intéressant. Moi, je vais essayer de voir c’est quoi les ressources qui te sont utiles…

Hamscha : Toi tu cherches les ressources qu’elles soient spirituelles ou?

C : Toutes! Ta maman, pour moi, c’est une ressource.

Hamscha : Oui. Oui. Comme je vous ai dit, pour moi, les ressources sont maman ou bien parfois, j’appelle le 811 pour savoir peut-être s’ils ont d’autres idées à me donner. Et tout le temps, toujours, le Coran et la prière, ça, c’est toujours avec moi.

Malgré sa débrouillardise, ni son stress ni les problèmes de santé se dissipent; cela déteint alors sur sa propre vie et même sur sa motivation première d’immigration : faire un doctorat.

C : Puis, quand tu dis que tu vis toujours dans le stress, comment ça se manifeste? Comment vis-tu ce stress-là? Comment il se manifeste?

Hamscha : Moi, je prends les précautions pour mes enfants, par exemple. Moi, je fais toujours de la tisane, je donne de la vitamine C, des clémentines ou bien je fais une tisane avec un peu de citron, je suis très, très, très attentive à leur habillement quand ils sortent. Donc, j’essaie de tout faire pour qu’ils ne prennent pas de rhume. Et puis, pour le stress, comment ça se manifeste, moi, ça se voit dans mes études. Je n’arrive pas à avancer parce que vraiment, quand un de mes enfants est malade, je ne peux plus étudier. Je ne peux pas. Quand je me mets sur l’ordinateur, je pense à mon garçon en me disant que s’il se fait une complication, si l’assurance me dit que ça ne couvre pas…

C : Donc il y a, moi j’appelle ça, des appréhensions. Est-ce que tu es d’accord avec ça, le fait de s’imaginer les scénarios? Qu’est-ce qui peut arriver? Qu’est-ce qui va arriver? Ça ressemble à ce qu’on peut appeler comme étant des appréhensions.

Hamscha : Le jour où j’ai appelé l’assurance et ils m’ont dit « non, ton contrat est fini, tu dois attendre quatre jours ». Et mon garçon, près de moi, fébrile… Il respire avec difficulté. J’ai pleuré et j’ai passé une nuit blanche près de lui et j’ai tellement pleuré parce que c’est vraiment dur. C’est dur d’être dans cet état-là. Pas capable d’amener ton fils, parce qu’il n’est pas assuré alors qu’il est né ici, à Québec, et il a la nationalité, il a son passeport canadien, mais non, il n’est pas assuré parce que ses parents n’ont pas la résidence.

L’absence de soutien qu’Hamscha vit au quotidien dans son parcours familial de soins est aussi manifeste à l’Université Laval où la conciliation famille-études se traduit plutôt par une culpabilisation du fait d’avoir eu des enfants au Québec tout en étudiant. Et c’est surtout dans ce milieu, et non pas dans celui médical, qu’elle ressent ce reproche.

Hamscha : Peut-être, moi, ce qui m’a fait mal au cœur, c’est que je ne trouve pas de soutien, de l’entourage, disons de ma faculté là.

C : De ton milieu professionnel?

Hamscha : Oui, mon milieu professionnel, il n’y a pas de soutien. Même que c’est arrivé une fois, j’ai parlé de mes problèmes avec mes garçons, et du fait qu’ils n’avaient pas l’assurance maladie; ce qui me causait beaucoup de stress. Ils m’ont répondu : « On s’en fout. Tu es là pour le doctorat, tes problèmes, ça ne nous concerne pas ». Ça m’a fait mal au cœur parce que c’est vraiment inhumain de réagir de cette façon. C’est un professeur qui m’a dit ça : « Tu es là pour le doctorat. Tu as choisi de te marier et d’avoir des garçons, de vivre le stress. C’est ton problème, ce n’est pas notre problème. »

C : Donc, ça, ça t’a affectée…

Hamscha : Ah! J’ai pleuré, j’ai pleuré et j’ai pleuré, ses mots m’ont brisé le cœur. Je me suis dit : quelle méchanceté! Vraiment! Vraiment, j’ai trouvé ça très méchant.

C : Est-ce que ça a eu un effet sur un sentiment de culpabilité?

Hamscha : Oui, oui, pas mal de fois. Je me sens coupable parce que j’ai des garçons.

C : C’est ça, mais je n’osais pas le dire. Je me demandais si c’était ça.

Hamscha : Oui, oui, oui. Ça m’est arrivé. Mais qu’est-ce que je fais, moi? Je suis une femme, et toute femme rêve d’être une maman un jour. Toutes, on rêve d’être des mamans. Moi, j’aime les enfants. J’aime beaucoup les familles nombreuses.

C : Est-ce que ce sentiment-là ou est-ce que ce type de parole là, tu l’as déjà entendue dans le réseau de la santé de la part de professionnels ou non?

Hamscha : Jamais, jamais, jamais. Les membres du personnel de santé sont tous gentils.

Mais les « petits » problèmes de santé de ses enfants deviennent chaque fois des problèmes financiers considérables et décuplent le stress – évitable si Hamscha et ses enfants avaient l’assurance maladie québécoise. Car cette dernière est aussi une assurance de paiement aux yeux d’institutions de santé.

C : Est-ce que tu sais en tout combien t’as dû débourser au-delà des frais d’assurance, donc déboursé pour des consultations, à peu près?

Hamscha : Je ne sais pas combien, mais j’ai déboursé même pour les médicaments, parce qu’il y a des médicaments qui ne sont pas remboursables comme le fer par exemple, que je prends pour mon garçon, c’est pas remboursable parce que c’est pas assuré.

C : Donc toi, pour les garçons, c’est ça, t’as même pas l’assurance médicaments.

Hamscha : Pour ce qui est urgent, par exemple, quand il prend de l’antibiotique parce qu’il fait de la fièvre, et tout ça, c’est assuré. Mais pour l’eczéma, non, ce n’est pas assuré.

C : Donc tous les médicaments qui sont prescrits dans le cadre d’une consultation à l’urgence sont assurés. Et tous les médicaments, disons que tu fais dans le cadre d’une consultation, pour de l’eczéma par exemple, ça, tu dois payer et tu dois payer aussi la consultation.

Hamscha : Oui.

C : Tu n’as pas une idée à peu près combien tu as déboursé en tout pour les consultations?

Hamscha : Pour mon deuxième garçon, quand je l’ai accouché, j’ai eu des problèmes de l’accouchement. Le bébé avait une petite malformation au niveau de la tête et il avait des problèmes au niveau du cou. J’étais donc obligée de faire des séances de massage pour son cou et pour sa tête. Ces massages bien sûr ne sont pas inclus dans l’assurance. On a fait six séances. Chaque séance coûtait, je crois 50 $ ou 55 $. La première consultation pour le diagnostic, c’était 120 $, puis six séances.

C : Mais excusez-moi, ça, c’était un massothérapeute ou un clinicien à l’hôpital.

Hamscha : Non, non, non. C’est un chiropraticien. Donc, je payais tout. Je ne sais pas si, dans d’autres cas, c’est assuré ou non. Je ne sais pas.

C : Et puis est-ce que tu as eu d’autres frais comme ça? C’est juste que j’essaie d’avoir une idée du poids financier.

Hamscha : Oui, par exemple, à la fin de 2020, mes deux garçons ont attrapé la grippe. Je les ai amenés à l’hôpital. Ils étaient assurés par Desjardins. À l’urgence on m’a dit : « on a trop de demandes, tu peux l’amener dans une clinique. On va t’envoyer dans une clinique à l’extérieur parce qu’ici, tu vas attendre longtemps, il y a beaucoup de monde. » Je dis : « OK, mais à la clinique, est-ce que je dois payer? » Elle m’avait dit : « Non. Ils vont envoyer la facture à Desjardins. C’est Desjardins qui va payer ». Mais quand je les ai amenés à la clinique, ils m’ont dit : « Non, toi, tu vas nous payer maintenant, puis l’assurance va te rembourser ». Je dis combien je dois payer, elle dit : « 500 $ pour chacun ». Imagine! 1 000 $! Et à ce moment-là, moi, j’étais obligée de payer parce que mes garçons avaient de la fièvre, le nez qui coule et je craignais qu’ils aient la COVID-19 ou quelque chose… Donc voilà. Heureusement qu’on avait un 1 000 $ avec nous. Donc j’ai payé 1 000 $ pour les deux. Heureusement, après, l’assurance m’a remboursé la somme. Mais quand même. C’est un stress pour nous, parce que, imagine, si je n’avais pas les 1 000 $ avec moi. Qu’est-ce que j’aurais fait?

Ce stress est constant pour Hamscha qui, heureusement, vit avec un mari compréhensif et très aidant.

Hamscha : Je suis devenue très nerveuse. Je suis toujours sur les nerfs. Surtout quand l’un de mes garçons est malade, je suis vraiment sur les nerfs. C’est juste ça.

C : Et puis, est-ce qu’en étant sur les nerfs, ça affecte euh… Le climat ou…

Hamscha : Oui, oui, c’est sûr, le climat familial, ça va être très affecté. Ma relation avec mon conjoint, ça va être affecté. Ça, c’est normal.

C : Puis c’est affecté comment? C’est parce qu’il y a des tensions, donc ça peut donner lieu à des chicanes ou…?

Hamscha : Oui. Ce ne sont pas de grandes chicanes parce que mon conjoint est très compréhensif. Heureusement qu’il m’aide beaucoup, donc, il essaie d’être un peu doux avec moi. Il me dit : « Oui, je comprends le stress. Tu as le stress de ton doctorat, le stress des garçons. Je comprends donc ça. »

Ainsi, conscients des coûts financiers qui peuvent survenir à tout instant pour leurs trois enfants ou même pour leur propre santé, Hamscha et son mari économisent très sérieusement pour ne pas que la situation du contrat d’assurance non renouvelé à temps se reproduise.

Hamscha : J’essaie de faire, pendant l’année, de l’économie, moi. Je pense toujours à la santé de mes garçons. Je sais que je n’ai pas d’assurance, je sais que mes garçons n’ont pas l’assurance. Je ne sais pas ce qui peut arriver. Donc moi, j’ai un petit compte d’épargne. J’essaie toujours de laisser un peu d’argent pour la santé de mes enfants.

C : Donc, en fait, chaque mois ou chaque fois que tu reçois ta paie, tu mets de l’argent de côté.

Hamscha : Et la paie de mon mari, il y a une somme qu’on laisse et on l’enlève et on la met dans l’épargne pour nos garçons.

C : Et puis, ça équivaut à combien? À peu près ou en termes par rapport à ton salaire? Est-ce que c’est comme 5 %?

Hamscha : Hmmm, je sais pas. Par exemple, moi, j’enlève chaque mois 100 $ de mon salaire et 100 $ de salaire de mon mari ou 200 ou 300 $ parce qu’on ne sait pas ce qui peut arriver. Chaque mois, selon nos dépenses, on peut enlever plus, on peut enlever moins. Ça dépend, mais il faut enlever quelque chose et la mettre dans l’épargne.

C : Et puis ça, ce type d’économie là que vous faites et les frais que vous devez allouer aux interventions et aux consultations, est-ce que ça vous pèse sur le plan financier? Est-ce que tu te dirais que ça affecte dans le fond, ton bien-être financier là? Est-ce que c’est lourd à porter?

Hamscha : Oui, bien sûr. Bien sûr, c’est lourd. Par exemple, maintenant, après avoir eu l’assurance, moi je me sens soulagée. Oui, très soulagée! Sur le plan psychologique et sur le plan financier. Je n’ai plus ce stress-là que je vivais depuis que j’ai eu mes trois enfants, et surtout quand ils sont malades, alors là, c’est le cauchemar pour moi.

Avoir la résidence : le sésame à la santé

Au mois de novembre 2020, Hamscha et son mari réussissent à obtenir l’autorisation pour que leurs enfants aient accès à la RAMQ. Ce sésame à la santé, ils l’obtiennent comme une chance administrative considérant que leur résidence permanente n’est toujours pas assurée. Conséquemment, le couple n’a pas accès à la couverture maladie pour tou·te·s et doit encore payer et trouver des solutions « maisons » pour l’accès aux soins de santé. Même la situation pour leurs enfants peut changer si toutefois la résidence permanente leur était refusée.

C : Maintenant, tu es résidente permanente?

Hamscha : Non, non, je ne suis pas encore. Mais j’ai déposé mon dossier. Ça fait plus que 6 mois. J’ai envoyé la preuve. Il me dit parce qu’à cause du COVID, tout est retardé. Et là, même l’étude des dossiers et tout ça. Donc, ils m’ont dit : « OK, tu nous envoies la preuve que tu as payé et que ton dossier est en cours de traitement et on va donner l’assurance à tes garçons ». J’ai envoyé les preuves.

C : Donc là, tu ne l’as pas encore là.

Hamscha : Non, je ne l’ai pas encore.

C : Ah, je pensais hier que tu m’avais dit que tu l’avais eue.

Hamscha : Non, non. On l’attend encore.

C : Et ça peut prendre combien de temps à peu près?

Hamscha : Je ne sais pas. Ça peut prendre un an comme ça peut prendre deux ans.

C : Et la couverture des enfants…

Hamscha : Maintenant, ils sont couverts tant que notre dossier est en traitement, en cas de refus, par exemple, disons, si le dossier est refusé, mes enfants ne seront plus couverts. Mais espérons que non. Normalement, il va être accepté normalement.

C : Et donc là, présentement, le fait que votre dossier est en traitement, juste pour confirmer avec toi, ça fait que tes trois enfants bénéficient de la couverture médicale comme celle de tout le monde, de tout citoyen canadien, donc pas seulement d’urgence?

Hamscha : Oui, parce qu’ils sont nés ici.

C : Oui, mais pas toi? Toi, tu ne l’as toujours pas?

Hamscha : Non, non.

C : Et ton mari, lui, il paye aussi une assurance de son côté?

Hamscha : Oui.

C : Et puis, est-ce que ça équivaut, en matière de montant similaire, au tien?

Hamscha : Comme les enfants. Par exemple, je crois qu’il paye, ce n’est pas trop cher pour lui, parce que c’est juste les urgences, c’est 80 $ par mois.

C : 80 $ en un mois, ça, ça couvre seulement les urgences?

Hamscha : Juste les urgences.

C : Puis toi, est-ce que ça couvre seulement les urgences?

Hamscha : Non, moi, ça couvre tout.

C : Donc, si ton mari est malade, il a la grippe, tu prends cette grippe? [rires]

Hamscha : C’est ça! Je suis couverte, toi non! [rires]

C : Tu le supplies de ne pas tomber malade!