Le récit de Malek
Malek : Allo!
C : Oui!
Malek : Rebonjour.
C : Oui, je crois qu’une fois de plus : welcome! Bonjour, j’espère que tu as un peu de temps pour qu’on puisse discuter?
Malek : En fait, je suis en train de donner le biberon à la petite, mais je suis disponible pour en parler. Je crois que je peux parler.
De retards en surprises : un parcours migratoire en pleine pandémie
Malek et Sana vivent ensemble en Tunisie. Durant l’hiver 2019, Malek se fait contacter par une société d’informatique basée au Canada via un site de réseautage professionnel qui lui propose un poste contractuel à Québec. Après l’avoir accepté, Sana et lui amorcent les démarches pour obtenir les visas afin de venir au Canada. Malek obtient un permis de travail fermé d’une durée de deux ans alors que Sana reçoit un permis ouvert. La date de leur départ est alors fixée pour le mois de mars 2020. La pandémie bouscule rapidement leur plan : à Tunis comme à Montréal, les aéroports limitent leurs vols et restreignent les voyages. Le couple doit se résoudre à demeurer en Tunisie jusqu’au 26 septembre de la même année.
C : Donc, qu’est-ce qui a motivé ton départ, ou le départ de ta petite famille pour ici, l’emploi ou il y avait autre chose?
Malek : En fait, l’emploi parce qu’ici je voulais gagner de l’expérience et revenir dans mon pays peut-être pour ouvrir ma propre boîte d’informatique. En plus, avec ma femme, on a voulu bénéficier de la qualité de vie qu’offre le Canada et pourquoi pas avoir des enfants au Canada pour qu’eux aussi, ils bénéficient du système qui est bien adéquat aux enfants, je trouve.
C : D’accord.
Malek : Ce sont les deux principales raisons, mais on n’est pas venu pour rester pour toujours. Comme ce que je vous ai dit, on avait un projet de quatre ou cinq ans peut-être suite auquel c’était prévu de retourner dans notre pays pour que j’ouvre ma propre boîte et voilà.
Lorsqu’il arrive finalement au Québec, avec sept mois de retard, le couple n’est pas seul : Sana est enceinte pour la première fois.
Malek : Elle était enceinte. Donc, comme je vous l’ai dit, c’était prévu qu’on vienne en mars. En mars elle n’était pas encore enceinte, mais le destin a voulu qu’on vienne au mois de septembre et là elle était enceinte de cinq mois ou six mois, je ne sais plus.
Ces premiers mois de grossesse en Tunisie se déroulent bien avec des rencontres médicales toutes les deux semaines et des échographies aux mois. Cependant, la surprise de cette grossesse dans leur période d’attente d’immigration fait en sorte que les frais de services, normalement gratuits pour les travailleurs et travailleuses, doivent être payés. Sana et Malek ont effectivement démissionné en mars 2020. Ce faisant, les deux n’ont plus d’assurance pour couvrir les soins de grossesse en Tunisie. Durant sept mois, Malek se trouve obligé de puiser dans ses économies pour pouvoir répondre aux besoins de la petite famille.
Au Québec, le problème des assurances se poursuit, mais avec d’autres particularités considérant leur statut d’immigration et droits relatifs. En vertu des règlements de la RAMQ, même si le permis de travail de Malek permet d’obtenir l’assurance maladie provinciale, il faut qu’il attende une période de trois mois avant d’y avoir droit. Sana et lui décident donc de souscrire à une assurance privée Desjardins pour couvrir les soins de grossesse des mois à venir.
C : Mais est-ce que ton assurance à toi, une fois arrivés ici, couvrait également ta femme et les frais de grossesse?
Malek : Ici à Québec?
C : Oui, ici à Québec, arrivés ici.
Malek : Donc, comme vous le savez, comme tu le sais, pardon, il fallait rester une période de trois mois avant de bénéficier des soins de la RAMQ. Donc, comme nous sommes arrivés en septembre. Donc, on est éligible qu’à partir du premier décembre. Durant cette période donc, de… Je ne sais pas si c’est moins que trois mois, durant cette période-là, j’ai pris une assurance familiale pour moi et pour ma femme.
C : D’accord. Mais est-ce que, parce que, moi je suis également un immigrant. Mais quand je suis arrivé ici et que ma famille est arrivée, on avait également la période, la fameuse période de trois mois. Mais, on nous avait précisé qu’elle ne concernait pas les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes. C’est pour ça, je suis un peu… Bref votre situation ou ta situation était particulière. Est-ce que tu t’es vraiment renseigné auprès de la RAMQ pour savoir…
Malek : Donc, non, pour les trois mois en attendant la RAMQ, j’ai pris une assurance privée avec Desjardins. C’est une assurance qui couvrait tout comme si c’était la RAMQ, sauf si la grossesse a débuté avant l’arrivée à Québec, s’il y a une hospitalisation ou une cause qui a commencé avant d’arriver à Québec. En fait, je pourrais trouver le texte exact avec les exceptions. Mais là, ça ne nous posait pas de problème. Pourquoi? Parce que durant cette période de trois mois aussi, c’est vrai qu’on était éligible à la RAMQ à partir du premier décembre, mais la RAMQ couvrait tout ce qui se rapporte à la grossesse durant ces mêmes trois premiers mois.
C : Oui, c’est ça.
Malek : Donc, on n’était pas inquiet, parce qu’on était couvert en fait. Donc, déjà on avait un rendez-vous chez un gynécologue ici et on nous avait dit que c’est la lettre d’admissibilité à la RAMQ qu’il fallait juste ramener pour bénéficier des soins gratuits.
L’enjeu des assurances qui aurait pu fragiliser le parcours de grossesse de Sana étant écarté, le couple peut se concentrer sur leur arrivée à Québec en pleine pandémie et sur l’arrivée prochaine de leur premier enfant.
Parcours de grossesse et de soins enchevêtrés
C : Alors, maintenant, racontez-moi un peu, arrivé ici, les consultations, l’histoire de la grossesse jusqu’à l’accouchement. Comment ça s’est passé?
Malek : Donc… Quand on est arrivés ici, nous avons passé deux semaines à la maison, deux semaines de quarantaine obligatoire. [Cris du bébé] Tout allait bien, il n’y a rien de spécial. Puis la troisième semaine, ma femme a commencé à sentir des maux de tête. Elle était trop gênée. Dès la fin de la troisième semaine, je l’ai amenée aux urgences du CHUL de Québec. Bon, bien sûr, on n’était pas couvert. J’ai payé [Cris du bébé] 930 $ pour que ma femme puisse consulter ainsi que 340 $ US comme frais de scanner. Et donc, c’était le 19 octobre. Elle a passé la nuit au CHUL, ils nous ont fait toutes les analyses. Et le lendemain, elle est sortie du CHUL. On leur a demandé : « elle avait quoi? ». On m’a dit : « C’est confidentiel, on ne peut pas vous le dire ». Je leur ai dit : « je suis son mari. C’est moi qui l’ai amenée ici. L’assurance, c’est mon assurance. C’est moi qui ai payé! ». On me dit : « On n’a pas le droit de vous dire qu’est-ce qu’elle a votre femme ».
Ce souci de confidentialité qu’il évoque comme un manque d’humanisme est difficile à comprendre pour Malek et sa femme.
Malek : Le seul jour où j’ai senti un peu d’[irrespect]… Comme je vous l’ai dit, c’était le jour où j’ai amené ma femme au CHUL la première fois. Donc, on ne m’a pas laissé entrer avec elle. Je leur ai dit que j’ai tout son historique. On m’a dit que si elle parle français, elle pourrait assurer toute seule. Je leur ai dit qu’elle a des problèmes neurologiques. Qu’elle a des troubles de mémoire, on m’a dit puisqu’elle parle en français, elle peut entrer toute seule. Donc, elle a passé toute une nuit et le lendemain on n’a voulu rien me dire. Je comprends que la confidentialité était très importante, mais quand même il faut traiter au cas par cas aussi. Il y a des limites à ça. Donc, c’est vraiment ça. J’étais très agacé envers les urgences du CHUL de Québec.
Mais l’état de santé de sa femme continue à se détériorer et les deux décident de se rendre à l’urgence d’un autre hôpital pour espérer, cette fois-ci, obtenir des réponses et un traitement.
Malek : Bon, on est rentrés à la maison, donc le 20 [octobre], mais elle avait des maux de tête atroces. Donc, l’après-midi, je l’ai amenée aux urgences de l’Enfant-Jésus. Cet hôpital est spécialisé dans tout ce qui est neuro. Donc, il s’est avéré qu’elle n’avait pas un problème de grossesse, mais c’est un problème au niveau de son cerveau. Elle avait donc une tumeur au niveau de son cerveau. Au début, on m’a dit qu’il fallait l’opérer en urgence. Bien que je susse qu’on n’était pas couverts, j’ai accepté, car la vie de mon épouse est plus chère. Le lendemain, j’étais surpris, on m’a dit que la tumeur, elle était dans un état très avancé et qu’il ne lui restait que quelques semaines à vivre. Donc, c’était ça à l’Enfant-Jésus. Comme je te l’ai dit, au CHUL on ne m’a rien dit. Je ne sais pas s’ils ont diagnostiqué ça ou pas, mais ils ont refusé de le dire. Et même ma femme, la pauvre, durant les deux dernières semaines, j’avais commencé à remarquer qu’elle avait des troubles de mémoire. Mais bon, je ne me suis pas inquiété et même pour les maux de tête et les vomissements, je me suis dit que c’était lié à la grossesse. C’est normal pour une femme enceinte. Mais, il s’est avéré réellement que c’était autre chose, c’était une tumeur. Et voilà donc, le 20 octobre, je l’ai amenée à l’Enfant-Jésus, elle a été hospitalisée. Puis ça s’est détérioré, elle a été intubée et tout… Et voilà donc. Le 30 octobre elle est décédée après avoir accouché par césarienne. Donc, le même jour, le 30 octobre, elle a accouché… Deux heures après, on lui a enlevé les draps et les tubes et tout… Donc, elle est partie.
Après avoir reçu le diagnostic de sa femme, quelques jours après leur visite à l’hôpital de l’Enfant-Jésus, Malek tente de trouver le moyen pour qu’ils puissent retourner en Tunisie, en vain.
Malek : En fait, durant cette semaine, j’ai essayé de repartir dans mon pays pour qu’elle puisse mourir auprès des membres de sa famille. Mais, on ne m’a pas donné l’autorisation de voyager parce que son état était un peu critique, donc on ne m’a pas autorisé à l’amener pour qu’elle prenne l’avion. Donc, les médecins, au début, ils ont dit qu’on pourrait l’opérer et enlever la tumeur et puis ils ont constaté que la tumeur était parvenue au LCR : au liquide céphalo-rachidien exactement. Donc, on me dit que là c’est fini. Une fois que le liquide céphalo-rachidien est infecté, là, c’est fini pour elle. Et voilà donc, elle a été intubée, c’était un lundi, je crois, le 25 ou 26 octobre. Et on me dit qu’on va la garder sous machine juste pour que le bébé dans son ventre puisse terminer ses 28 semaines. C’était pour atteindre la 28e semaine en fait. C’est pour cela qu’on l’a maintenue jusqu’au 30 octobre. C’était le premier jour de la 28e semaine du bébé. Donc, elle a accouché par césarienne et puis on a enlevé toutes les machines. On a débranché le tout. Et c’était tout. Et réellement, cliniquement disons, elle était morte, peut-être le 26. Elle respirait, c’est vrai, son cœur battait toujours, mais son cerveau ne fonctionnait plus. Elle servait juste de couveuse pour son bébé, pour le préserver.
De cette expérience médicale, Malek en ressort toutefois reconnaissant envers le personnel de santé, dont la grande majorité a fait preuve d’humanisme et de soutien dépassant le cadre de leur travail.
Malek : En fait, je suis très reconnaissant au corps médical et à tous les travailleurs, dont les travailleuses sociales, les infirmières. Parce qu’à ce moment-là, ma situation était un peu exceptionnelle, un peu critique. J’ai perdu ma femme et j’ai un bébé prématuré de 28 semaines. Donc tout le monde était un peu solidaire avec moi […]. Comme je t’ai dit, tout le monde essayait de m’aider comme il le pouvait. Les médecins, d’ailleurs, les médecins pour l’hospitalisation de ma femme qui a duré quand même dix jours, je crois, aucun médecin n’a été payé. C’est un bon geste qu’ils ont posé; tout le monde essayait de me consoler… Voilà, ils ont fait ce qu’ils pouvaient.
Alors que leur bébé demeure à l’hôpital en attendant la fin des soins pour sa naissance prématurée, Malek organise le rapatriement du corps de sa femme en Tunisie pour qu’elle retrouve les siens. Heureusement, le consulat tunisien s’occupe de la gestion et des frais et Malek peut aller se recueillir quelques jours dans son pays natal.
La menace des frais de soins de santé
Un mois après son arrivée au Québec, Malek voit la vie de sa femme puis de son premier enfant en danger. Alors qu’il dit au revoir à sa femme la veille de son intubation, il doit en parallèle penser aux frais des services de soins intensifs qui assurent son départ et la naissance de son enfant et des aléas administratifs qui s’ensuivent. Tout ceci alors qu’il ne bénéficie toujours pas de la RAMQ et, par conséquent, son enfant non plus. Malek réussit à résoudre un dossier financier grâce aux pressions qu’il exerce à l’endroit de différents acteurs et différentes actrices du milieu administratif, politique et médical. Cette débrouillardise lui sauve ainsi, au total, des factures de près de 200 000 $. C’est une victoire, vécue dans le stress et étalée dans le temps, dans son drame familial.
Malek : Donc, sur le plan financier, en fait, il y avait trois dossiers. Le premier dossier, c’est l’hospitalisation de ma femme. Donc, c’était un jour aux urgences du CHUL et je ne sais pas c’est… Dix jours. Je ne sais pas combien à l’Enfant-Jésus. C’est le premier dossier. Le deuxième dossier, c’est l’accouchement de ma femme au CHUL, parce que pour accoucher, elle a été amenée au CHUL. Et l’autre…
C : On l’a déplacé de l’Enfant-Jésus pour l’amener au CHUL pour la césarienne?
Malek : Oui, oui, le 30, à 7 heures du matin, elle est allée au CHUL. Et le troisième dossier, c’est le dossier du bébé. Le bébé a été mis dans une couveuse. À la naissance, il n’a pas de RAMQ, car il ne sera éligible qu’à partir du premier décembre. Parce que, même s’il est né au Canada, il est issu de parents immigrants. Donc, il n’a le droit de bénéficier de la RAMQ que lorsque ses parents ont la RAMQ. Comme je vous l’ai dit au début, ma femme et moi on était éligibles pour avoir la RAMQ à partir du premier décembre. Donc c’était du 30 octobre jusqu’au 30 novembre. Tout ça, ce n’était pas gratuit normalement pour la couveuse. Donc, là, il y a des amis déjà qui ont commencé à faire des collectes pour nous, Go Fund me et une autre association. Donc elle a fait une collecte, mais moi, j’ai essayé de trouver d’autres solutions. Pour le dossier de l’enfant, j’ai contacté l’assurance comme je vous l’ai dit, j’ai fait une assurance avec Desjardins. Par chance, ainsi, on a réussi à rembourser les frais d’hospitalisation de ma femme qui s’élevaient à presque 70 000 $. Donc, c’était payé par l’assurance. Un responsable de l’assurance Desjardins m’a appelé pour me dire que normalement mon assurance ne permettait pas de couvrir les frais, car la maladie a commencé avant notre arrivée à Québec, mais le comité a accepté de faire une exception. Pour le dossier de l’accouchement, le CHU se basait en fait sur la lettre d’admissibilité de la RAMQ qui dit que tout ce qui se rapporte à la grossesse est gratuit. Par conséquent, ils ont déduit que l’accouchement serait gratuit aussi. Donc, ça n’a pas été facturé. Maintenant, il reste pour bébé qui a passé un mois dans la couveuse. C’est presque 120 000 $. J’ai essayé de trouver des solutions, j’ai contacté des députés. J’ai contacté la RAMQ, j’ai contacté pas mal de personnes, le maire aussi. Donc, franchement, tout le monde a essayé de m’aider. Bon, à la RAMQ, ils m’ont dit qu’ils ne peuvent rien faire. C’est la loi. Pour eux, le bébé n’est pas couvert. Par contre, j’ai essayé, comme je vous l’ai dit, de contacter un député pour qu’il mette un peu de pression parce que je sais qu’il y a un projet de loi en vigueur. Je pourrais même vous envoyer le lien de ce projet de loi afin d’autoriser les enfants nés au Canada, qui sont canadiens, à bénéficier des soins. Parce que ce n’est pas logique qu’un Canadien ne bénéficie pas des soins qu’offre son pays. Mais, en fin de compte, le directeur, je ne sais pas c’est quoi son poste exactement, mais c’est dans le service financier du CHUL de Québec, a jugé qu’il n’y a rien à payer pour le dossier du bébé. Pour y arriver, il s’est basé sur la même condition, donc tout ce qui se rapporte à la grossesse est gratuit; par conséquent, il a déduit que le bébé ne devrait pas payer. Je lui ai demandé de m’envoyer une lettre parce qu’il fallait que je me protège aussi. Il m’a envoyé la lettre, je crois, indiquant qu’aucun frais ne sera comptabilisé pour le dossier de bébé. Et voilà, en passant, je n’ai rien payé ni pour ma femme ni pour mon bébé. Mais cette décision a été prise le 7 décembre. J’ai passé tout un mois en train d’essayer de trouver des solutions, de contacter, comme je vous l’ai dit, pas mal de personnes qui elles-mêmes ont contacté d’autres personnes. Il y a des procédures qui ont commencé et puis là, la délivrance avec la lettre de ce monsieur-là du CHUL. Et même hier, je lui ai redemandé s’il est certain qu’il n’y a aucun frais pour le dossier. Et il m’a répondu que c’est oui. Pourquoi ai-je redemandé hier? En fait, je comptais rembourser les donateurs qui m’ont fait des dons au niveau de Go Fund me. Voilà, puisque moi je n’ai plus besoin de cet argent. Peut-être que d’autres personnes pourraient bénéficier de ces dons-là. Donc, je vais les remettre aux donateurs. Et eux, ils seront bien sûr libres de les donner ou de les garder.
La réussite de ses manœuvres est aussi le fruit de l’appui constant de ses travailleuses sociales qui le suivent dans ses aléas entre le CHUL et l’Enfant-Jésus.
C : Et comment est-ce que tu en es arrivé pour que le responsable du CHUL prenne la décision qu’aucun frais ne sera payé? Est-ce qu’il y a eu des pressions? Est-ce que c’est vous qui l’avez appelé ou bien c’est spontanément que sa décision est arrivée?
Malek : En fait, je suis suivi par une travailleuse sociale dès le début. Celle de l’Enfant Jésus. Et quand ma femme a été transférée pour accoucher au CHUL et est décédée au CHUL, le bébé a passé ses premiers mois au CHUL. Là encore, il y avait une autre travailleuse sociale qui me suivait toujours. Et même aujourd’hui il y a une travailleuse sociale du CLSC qui me suit. Elle est venue déjà avant-hier à la maison pour prendre de mes nouvelles et celles du bébé et essayer de voir quelles sont mes demandes. Donc, c’est la travailleuse sociale qui a essayé de trouver des solutions et c’est elle qui a contacté le monsieur du service financier. Moi je ne l’ai pas contacté directement franchement. C’est toujours à travers la travailleuse sociale.
En dehors des personnes et instances directement liées à cette situation de factures de soins de santé exorbitantes, Malek se tourne aussi vers le milieu communautaire dont plusieurs organismes lui offriront d’autres types de soutien, tout aussi nécessaires, considérant qu’il est désormais à la fois nouvel arrivant et père monoparental.
Malek : Ils ne m’ont pas donné de soutien financier, il y a [nom d’un organisme] qui m’a envoyé 150 $. Mais les autres, ils ont surtout proposé des biens. Parce que moi je cherchais un logement et je voulais acheter des électroménagers et un salon, un lit, des meubles. Eux, c’est ce qu’ils ont proposé, ils ont aussi proposé des trucs pour le bébé comme une poussette, siège auto. C’est ce genre d’aide en fait! Moi, je me suis débrouillé tout seul, donc je n’ai bénéficié d’aucune aide à part les 150 $ de [nom d’un organisme]. Mais, eux, ils essayaient, ils m’appelaient souvent pour demander de mes nouvelles. Ils ont proposé aussi de m’apporter des repas. Ils ont essayé de trouver des solutions. Je suis conscient qu’ils ont des budgets limités aussi. Et là, on parle d’une grosse somme, ce n’est pas évident. Ils ont fait ce qu’ils pouvaient, je les remercie d’ailleurs. Et voilà, jusqu’à aujourd’hui, il y a des associations qui me contactent toujours, par exemple, pour m’aider à trouver une nounou pour le bébé. Ils m’ont même proposé de m’apporter à manger. Donc, ils essaient de m’aider en fait. Mais moi, comme je vous l’ai dit, je remercie Dieu, je suis bien rémunéré ici à Québec, je travaille donc je n’ai pas eu besoin de ces aides-là. Je préfère que ces aides-là aillent à des personnes qui en ont vraiment besoin.
En outre, il est témoin d’une grande solidarité à son égard, que ce soit des personnes proches ou loin qui lui proposent de l’aide pour garder son enfant ou encore des femmes qui lui offrent de l’allaiter. En janvier 2021, son enfant peut enfin quitter l’hôpital et le rejoindre dans leur nouvelle demeure à tous les deux. Assis avec elle dans les bras, Malek se remémore son parcours de ces expériences de vie. D’une part, celles relatives au système de santé et d’assurance qui s’est révélé à lui avec ses paradoxes et où il a réussi à surmonter les obstacles pour obtenir ultimement l’accès à des soins gratuits. D’autre part, cette traversée de moments importants – aussi tragiques qu’heureux – de sa vie.
Malek : Après, le problème c’est surtout pour le bébé. Parce que nous n’avions jamais prévu qu’on aurait un bébé prématuré de 28 semaines. D’accord, et on ne pouvait pas faire une assurance pour un bébé qui n’est pas encore né. Réellement, je n’ai fait aucune erreur. Et là, ce sont des circonstances qui ont fait que je traverse des situations difficiles. Donc, le plus important c’est de ne pas négliger l’assurance. On a souvent tendance à dire : « bon, on est en bonne santé. Ces trois mois, ça va passer et autre, mais ça n’arrive pas qu’aux autres ». Et c’est mon cas d’ailleurs. C’est cette assurance-là qui m’a un peu sauvé pour payer les 70 000 $ d’hospitalisation de ma femme. Et puis, pour les bébés, franchement, il faut revoir le projet de loi parce que ce n’est pas normal. Ce n’est pas normal qu’un Canadien ne bénéficie pas de la RAMQ. Par exemple, si c’était moi, j’assumerais de ne pas avoir d’assurance. Mais le bébé, lui, il est né ici, c’est un Canadien; je ne comprends pas comment ils refusent de lui donner la gratuité des soins.
Et il écrit, quelques mois plus tard :
Aujourd’hui, ça fait plus d’un an depuis que ma fille a vu le jour. Je remercie le bon Dieu du fait qu’elle se porte bien, bien qu’il s’agisse d’un grand prématuré. Après des mois passés au sein de la famille en Tunisie, me voilà de retour à Québec pour reprendre mes objectifs et m’occuper de ma petite princesse sous la veille de Sana qui nous garde d’en haut.