Le récit de Fatine
Parcours migratoire
Fatine, une jeune femme originaire de Tunisie, décide d’immigrer au Québec à la recherche de nouvelles expériences de vie et pour y rejoindre son mari. Ce dernier est déjà sur place depuis quatre ans pour y compléter une maîtrise à l’Université Laval. En 2017, après deux refus d’Immigration et citoyenneté Canada, elle obtient finalement un permis de travail et arrive à Québec.
C : J’aimerais bien que vous me racontiez votre parcours migratoire…
Fatine : J’avais une très bonne situation dans mon pays. Je suis diplômée, je suis une professionnelle. J’ai étudié dans mon pays et puis je suis venue ici avec mon mari. Lui, il est venu pour étudier justement. Il est lui aussi professionnel. Il est venu ici faire une maîtrise. Donc, je suis venue avec lui, après quatre, non, trois ans depuis qu’il est venu. On voulait juste faire une nouvelle expérience, avoir peut-être une meilleure qualité de vie, mais surtout vivre une nouvelle expérience; peut-être, faire des études… Voilà, saisir les opportunités qu’on a eues. Parce que lui, justement, il a eu une bourse pour venir ici donc c’était une opportunité qu’on a eue, donc on est venus.
C : Bien, vous pourriez me raconter comment s’est passée votre arrivée au Canada? Comment se sont déroulées les démarches plus administratives, etc.?
Fatine : Dans le fond, comme je vous l’ai dit, mon mari avait un permis d’étude et, donc au début, j’ai eu des refus. Euh… Deux refus, je pense, pour ma demande de permis de travail ouvert. Après, j’ai eu l’acceptation. Et c’est ça, c’est toujours un peu compliqué les demandes d’immigration… Ces demandes-là nécessitent du temps, de l’énergie, de l’argent, tout ça. Mais, finalement, je suis venue en 2017.
Les démarches migratoires s’allongeant, la seule préoccupation pour Fatine est de retrouver le plus rapidement son mari à Québec. L’idée de souscrire à une assurance maladie complète n’est pas à l’ordre du jour puisqu’elle est en très bonne santé et, surtout, qu’elle n’a pas connaissance de l’importance d’une telle assurance dans le système de santé québécois.
Fatine : […] On pense toujours que ça n’arrive qu’aux autres, mais non, nous, ça va bien, on est jeunes, on est en bonne santé, rien ne va arriver. Mais bon, parfois, ça arrive des trucs inattendus… Et non, je n’ai pas pris d’assurances privées ou autres. Ça s’est bien passé de toute façon. Je n’ai pas eu quoique ce soit, même si j’ai eu besoin d’aller voir une fois un médecin… Dans le fond, au début, je ne connaissais pas très bien le système de santé ici. Vous savez, c’est un autre pays et donc c’était nouveau pour moi. Je n’avais pas une idée de comment ça se passe. Je pensais que c’était facile de voir un médecin, je ne pensais même pas que c’était aussi cher que ça. Parce que je ne sais pas… Si je compare avec mon pays, c’est très accessible d’aller voir un médecin même en privé, ce n’est pas cher. Tu peux y aller facilement, donc… Il n’y a pas, je ne sais pas, de listes d’attente ou autre. Je pensais que c’était la même chose. Mais après, j’ai commencé à découvrir [rires] oui, les différences. Mais comme je vous l’ai dit, je n’ai pas eu… Je pense que j’ai vu le médecin une fois avant ma grossesse. Pendant deux ans, je crois que c’était juste une fois. Donc, ça allait au début jusqu’à ce que je tombe enceinte. Ce n’était pas une grossesse planifiée ou autre; c’était un bébé « surprise », mais que j’ai voulu garder. Je n’ai même pas pensé à autre chose. J’ai pensé que [soupir] on pouvait s’en sortir. Mais comme je vous l’ai dit, puisque c’est nouveau, on ne connaît pas d’avance les frais, les tarifs, de quoi j’aurai besoin exactement, donc c’est ça.
Ainsi, au cours des deux premières années de son arrivée au Québec, son état de santé ne nécessitant pas de soins urgents ou médicaux, Fatine n’a pas l’opportunité de se frotter au système de santé. Ce n’est que lorsqu’elle est en séjour dans son pays natal, en 2018, qu’elle apprend qu’elle est enceinte. C’est donc en Tunisie qu’elle fait ses premières consultations et sa toute première échographie. De retour au Québec en début d’année 2019, Fatine commence à préparer son parcours de grossesse dans son nouveau pays. C’est à ce moment qu’elle prend conscience concrètement des difficultés d’accès aux services de soins et des sacrifices financiers à venir pour obtenir les services qu’elle souhaite. Car, pour elle et son mari, il est hors de question de faire des économies lorsqu’il s’agit de la santé de leur enfant. Le couple se met alors en quête d’un lieu de soins médicaux pas trop chers et répondant à leurs critères pour un bon suivi prénatal, ce qu’ils trouvent au privé.
Fatine : Alors pour chercher la clinique, par exemple, c’est mon mari qui a fait une petite recherche pour voir la… La moins chère, mettons. Parce que, comme je vous l’ai dit, je ne suis allée qu’une seule fois chez le médecin avant la grossesse, et après un an et demi je pense, la consultation dans cette clinique-là, la première, elle a presque triplé donc c’était trois fois plus que la première fois. Oui c’est devenu trop cher pour nous, donc il a fait un petit magasinage pour voir la plus accessible, mais elle est très loin de chez moi… Bon, c’est loin, c’est vrai, non, mais c’est loin quand même. Ça me prend 20 à 25 minutes pour y aller, donc elle n’est pas juste à côté. Mais, comme je vous l’ai dit, elle est la plus accessible. C’était sur ce critère-là qu’on s’est basés pour choisir la clinique. Bon, de toute façon je ne connaissais pas de médecin ici. Rien du tout.
C : Et pourriez-vous peut-être alors me raconter comment ça s’est passé?
Fatine : Ça s’est plutôt bien passé. Je n’ai pas eu de complications, heureusement. Je faisais mes suivis comme il faut. J’ai fait mes analyses. Bon. Il faut dire que j’ai évité par exemple de faire quelques analyses et une échographie qui n’étaient pas obligatoires [soupir] parce que ça coûte très cher. Une échographie, ça coûte vers les 500 $. Donc, j’ai parlé avec mon médecin… Heureusement, j’ai eu une médecin qui est très compréhensive, qui a compris ma situation, qui essaie de limiter les dépenses, qui me conseille chaque fois pour ce que je pouvais faire pour… Pour justement être en bonne santé, moi et le bébé, et puis sans trop dépenser, mettons. Chaque fois, elle me disait qu’elle ne va pas s’enrichir sur mon dos, elle ne va pas me facturer trop cher parce que la clinique est payée à part et les médecins à part, donc elle était très gentille, franchement. Donc, je n’ai pas eu de complications. Je n’ai eu qu’à faire quelques analyses chaque mois ou toutes les six semaines. Je ne sais pas, par exemple, pour faire mes analyses dans un CLSC, ils m’ont demandé 600 $ juste pour ouvrir le dossier. Donc j’ai été obligée d’aller chercher un centre privé pour faire les prélèvements, les moins chers, mettons, qui est proche de chez moi, mais qui n’est pas trop cher. Mais le problème, vu que je n’ai pas de numéro d’assurance, chaque fois, il faut faire plusieurs appels pour retrouver mes résultats, et puis ça prend du temps, ça fait un retard dans mes résultats et tout. Mais bon… C’est la moins mauvaise solution que j’ai pu trouver.
Aller dans une clinique privée, même si elle devait débourser un peu plus, la rassure surtout au niveau de la qualité des services qu’elle peut y recevoir, contrairement à ce qu’elle avait entendu dire au sujet des centres de santé communautaire.
C : Puis, comme vous l’avez dit plutôt, c’est aussi votre mari qui a fait les recherches pour trouver la clinique médicale. Est-ce que vous vous rappelez si vous aviez discuté pour aller peut-être vers des organismes communautaires qui auraient pu offrir des soins ou des suivis…
Fatine : Non, dans le fond, moi je ne connaissais pas du tout ça au début. Je n’avais aucune idée que ça existe ou que ça peut se passer comme ça et tout. Je me suis rendu compte, à la fin de la grossesse, mais de toute façon, puisque j’étais très à l’aise avec mon médecin et puis j’ai dit : « allez, c’est vrai que ça me coûte cher, mais quand même, je préfère rester avec mon médecin ». Surtout, comme je vous l’ai dit, c’est ma première grossesse, je ne voulais pas prendre de risques, puisque j’ai entendu dire que, par exemple, ça prend du temps, que ce ne sont peut-être pas les mêmes services, que je ne sais pas. Je ne sais, d’ailleurs, si c’est vrai ou pas, car je ne suis jamais allée dans des organismes comme ça. Mais comme c’est ce que j’ai entendu dire, je ne voulais pas prendre de chances avec ça.
Ces stratégies pour diminuer le poids financier provoqué par l’absence d’assurance maladie, élaborées notamment grâce à l’appui de sa médecin, amènent tout de même Fatine à devoir faire des choix par rapport à quels examens médicaux, quels suivis et quels lieux de services prioriser, mais aussi vers quelles ressources se tourner pour améliorer son bien-être lors de sa grossesse.
Fatine : […] Que ce soit prénatal ou postnatal, les séances de physio ou de yoga prénatal ou postnatal, tout ça. Je n’ai rien fait de tout ça. J’essayais de voir sur Internet, des vidéos et tout ça, toute seule, mais c’est ça… Je ne pouvais pas m’offrir ces services-là. Je me limitais à ce qu’il y a de gratuit ou bien, comme je vous l’ai dit, je regarde un peu sur Internet et c’est tout. Si je dois vraiment voir le médecin, ça, c’est une priorité. Je priorise les trucs qui sont vraiment médicaux, c’est ça. Par exemple, il y a… Je ne sais plus comment on appelle ça, mais par exemple, un examen gynécologique que mon médecin m’a demandé de faire, mais, comme je vous l’ai dit, puisqu’elle était compréhensive, elle m’a dit : « Ok, tu sais quoi. Toi, parce que tu n’as pas d’assurance, attends d’avoir tes papiers pour le faire, tu peux attendre. Sinon tu peux le faire avec une infirmière. » Donc, je ne sais pas si vous voyez comment ça se passe?
C : Je peux imaginer, oui.
Fatine : Parfois c’est un peu stressant, hein, de faire… Tu dois choisir, tu dois, tu dois vraiment choisir quel examen faire, lequel est le plus prioritaire, et voilà. [soupir]
En plus de vivre une première grossesse ponctuée d’obstacles systémiques, Fatine doit pallier le fait d’être loin de sa famille et de cheminer dans un réseau social restreint du fait de sa récente immigration.
Fatine : Et je n’ai pas vraiment un entourage assez fourni ici, donc non… Et puis… Pour moi la santé, ça passe avant tout. D’ailleurs, on a fait pas mal de… De concessions pour avoir, pour juste parvenir à payer les trucs du médecin, les analyses, les médicaments comme il faut. Donc non, pour moi, pour nous c’est une priorité. Pour moi et mon mari, c’est une priorité, c’est notre priorité. D’autant plus que, comme je vous l’ai dit, c’est ma première grossesse, c’est mon premier bébé, je ne veux pas prendre le risque, donc c’est ça. Mais ça m’arrive parfois, parfois quand je ne comprends pas quelque chose, ça m’arrive d’appeler ma mère pour qu’elle appelle notre médecin. Non, mais oui ça m’est arrivé. En tout cas, c’est plus facile qu’elle passe un ou deux coups de fil pour… Ce n’est pas très rassurant par téléphone, mais quand même, ça aide parfois.
En parallèle de son parcours de grossesse, Fatine entreprend de changer de permis de travail, entre autres pour obtenir un nouveau statut migratoire répondant davantage à sa volonté d’immigrer à long terme au Québec avec son mari. Cette décision avait aussi un avantage au niveau de sa santé puisque l’obtention d’un permis de travail fermé avec possibilité de résidence permanente donne accès, sous certaines conditions, à la RAMQ.
Fatine : Dans le fond, au début on voulait changer de statut, quand j’étais enceinte, mais finalement ce n’était pas possible et tout. Je pensais avoir mon assurance peut-être à temps pour l’accouchement, mais finalement les choses ne se sont pas passées comme prévu. C’est ça… [soupir] Ça me donne mal à la tête tellement il y a des trucs à faire, des papiers à remplir, de la paperasse, appeler les avocats et je ne sais pas qui. Franchement, je suis tout, mais simplement de loin. J’essaie de comprendre un petit peu, mais c’est vraiment très compliqué. Ce qui est sûr, au début, on a voulu faire ça. Comment dirais-je? Puisque je suis venue avec lui, je suivais son statut. Après non, on a su que je pouvais le faire moi-même et après c’est lui qui peut me suivre parce que moi je travaillais. Je suis travailleuse autonome et tout. C’est ça. On a changé de stratégie.
Malgré son suivi médical qui lui offre un cadre sécurisant pour sa grossesse, le stress relié aux potentielles complications et aux factures qui en résulteraient l’accompagne jusqu’à l’accouchement.
Fatine : Je n’ai pas eu d’imprévus et tout, mais je ne vous cache pas que c’est un stress; qu’à chaque symptôme que j’ai, qu’à chaque douleur, je me dis : « Ah! Qu’est-ce qui se passe? » Ça me stresse vraiment davantage. Je ne mène pas une grossesse cool, relax, « allez, tout se passe bien ». Non, non, je suis super stressée, non c’est vrai! Parce que, comme je vous l’ai dit, à chaque douleur, je me dis : « Ah, si jamais ça m’arrive quelque chose. Ah, ce n’est pas le bon moment. Ah, je vais être hospitalisée ». Donc, c’est ça. C’est stressant. Déjà, la grossesse, le fait d’avoir des enfants, c’est déjà stressant; je pense à beaucoup de choses. Et là, c’est une source de stress additionnel. […] Quand j’avais quelque chose, j’appelais le 811, je regardais sur internet et tout, mais on n’est jamais rassuré que lorsqu’on va voir le médecin qui peut faire toute une consultation pour être sûr que tout va bien et tout. Ça m’a stressé du fait que je vois des femmes qui ont des contractions et des complications, qui sont parfois obligées d’être hospitalisées et moi bon… Je suis très reconnaissante de n’avoir rien eu de tout ça, mais c’était quand même pas mal stressant.
Et ses craintes arrivent bel et bien alors qu’elle entame sa vingtième semaine de grossesse. Ce n’est pas elle, mais son mari qui doit se rendre à l’hôpital, fragilisant inévitablement leurs économies méthodiquement accumulées en vue de l’accouchement.
Fatine : On mettait de l’argent de côté, parce qu’on savait que la consultation du médecin à chaque 4-5 semaines coûte dans les 200 $. Déjà, c’est une facture mensuelle, avec les analyses, les échographies. Donc, on mettait de l’argent de côté. C’est sûr qu’on devait choisir. Pour l’épicerie, c’était juste ce qui est essentiel. On a eu des trucs, par exemple pour la chambre du bébé, on a acheté avec des paiements mensuels, pas en une seule fois. J’ai eu quelques amies qui m’ont aidée et tout, qui m’ont donné des trucs usagés de leurs enfants. Mais c’est sûr qu’il faut faire très attention, qu’il faut mettre de l’argent de côté. Aussi, il faut dire que quand j’étais enceinte, mon mari aussi avait une appendicite, donc il a dû être hospitalisé. Il a eu une opération et, par malchance, il n’était pas assuré à ce moment. C’est ça, j’étais à 20 semaines de grossesse, je pense. Ça nous a peut-être coûté 7 000 $. Mais là aussi on a fait une entente avec l’hôpital… Mais on n’était pas prêt pour ça. Au moins, avec l’accouchement, on le savait d’avance, mais l’appendicite, ça vient brusquement. Mais bon. Tu vois que ce n’est pas simple! Parfois les imprévus sont…
Heureusement, elle peut bénéficier du soutien, d’abord à distance puis en présence, de sa mère qui vient la rejoindre pour les semaines entourant l’accouchement.
Fatine : Dans le fond, pendant le dernier mois de ma première grossesse, ma mère était là avec moi. Elle a assisté à l’accouchement. Elle est restée, je pense, deux mois. Bien pour les trucs non médicaux, genre les remèdes de grand-mère [rires], ça, on ne peut pas s’empêcher… Elle me donne tout le temps ces recettes-là, mais il faut dire que moi je ne suis pas, je n’aime pas trop ça, mais bon. Ce n’est pas dans le sens que ça nécessitait l’avis médical et que moi j’ai préféré autre chose. Non, franchement, moi je ne fais pas ça. Mais sinon, pour les tisanes ou d’autres trucs comme ça qui doivent être correctes, ça oui.
C : Donc vous diriez que ce fut surtout son soutien physique qui vous fut essentiel?
Fatine : Bien oui, bien oui parce que c’était très difficile, surtout avec la situation COVID. C’était très difficile pour moi d’ailleurs, mais bon. Tu sais, l’aide d’une maman durant l’accouchement, c’est très précieux. Ça m’a beaucoup aidé dans mon premier accouchement.
Un accouchement difficile, lourdement payé
La grossesse sans complication laisse espérer un accouchement sans problème, donc sans frais supplémentaires pour les nouveaux parents. Si le travail est très éprouvant pour Fatine et qu’elle repousse ses limites physiques jusqu’au bout en pensant aux conséquences financières qui en résulteraient, elle est privée du soutien de son mari à quelques reprises puisque ce dernier est appelé à payer directement et en espèces le personnel de santé.
C : Donc vous venez de me parler de votre grossesse, voudriez-vous me raconter un peu comment s’est passé votre accouchement? Soyez à l’aise de dire ce que vous voulez.
Fatine : Oh oui… Eh bien, justement l’accouchement, c’était quand même long, assez compliqué et tout. Par exemple, ça m’a pris 22 heures de travail actif pour accoucher finalement. Donc oui, ce n’était pas évident. J’ai vu mon médecin, c’était un jeudi. Elle m’a dit : « toi tu vas accoucher ce soir, allez à tantôt, on se voit ce soir et tout ». Mais j’ai accouché le lundi d’après. Donc vous pouvez imaginer! Ce n’était pas évident pour moi. Je suis allée à l’hôpital, quand il y avait des contractions assez rapprochées et tout. Et pourtant, je suis restée 22 heures. Bon, à l’hôpital, ils m’ont acceptée; il n’y avait rien, pas de problèmes par rapport à l’assurance ou rien, mais… Euh… Au début, ils ne m’ont pas parlé de ça, mais après, quand ils se sont rendu compte : « vous devez payer, vous devez j’sais pas quoi ». De toute façon, moi j’étais déconnectée de tout ça. C’est mon mari qui s’est occupé de ça. Mais le… Le problème, c’est que moi je ne voulais pas de péridurale parce que, justement, je sais que ça coûte cher. Pourtant, comme je vous l’ai dit, ce n’était pas évident. C’était très long. J’étais fatiguée, hyper fatiguée. J’avais hyper mal et tout. Mais à la fin, j’ai demandé quand même la péridurale parce que, justement, je n’en pouvais plus. Euh… donc, je l’ai eu, vers 3 heures du matin. Et l’anesthésiste doit être payé cash, directement, sur-le-champ. Donc ça coûte… Je pense que ça m’a coûté 1 100 $, 1 200 $ quelque chose comme ça. Mais c’était vraiment le dernier recours pour moi. Oui… Et comme j’ai passé trop de temps, j’ai dû voir deux médecins, celui de garde et le… le deuxième le lendemain. Donc j’ai payé deux médecins… Eux aussi ils sont payés là, directement, cash, dans une enveloppe. C’est ça… Ça m’a coûté 500 $ pour chacun d’eux, un peu plus que ça, je ne me rappelle plus. [soupir] Quoi d’autre? Après, ils ont dû garder le bébé 24 heures, donc ils m’ont dit : « si vous tenez à rentrer chez vous, vous pouvez le faire, mais on va garder la petite et tout ». De toute façon, moi j’étais, j’étais très fatiguée après l’accouchement… Qui n’était pas si facile que ça.
C : Non, c’est ça!
Fatine : Et donc, j’ai passé une deuxième nuit à l’hôpital. Le tout m’a coûté, euh [soupir], plus de 8 000 $. Et ça, c’est juste pour l’hôpital! Les médecins, comme je vous l’ai dit, sont payés directement, là sur-le-champ. Mais avec l’hôpital, on peut faire une entente. Euh… Donc c’est ça, comme je vous l’ai dit, c’est mon mari qui s’est chargé de faire ça, de faire l’entente et tout. Donc c’est ça. Il était stressé, il ne comprenait rien du tout. Un nouveau bébé, moi qui avais très mal surtout avant l’accouchement et tout, et puis tous les médecins, chaque fois, les médecins et les infirmières qui l’appelaient : « Monsieur, on a besoin de vous, vous avez des papiers à signer, et je ne sais pas quoi, et puis vous devez voir je-sais-pas-qui, la réception, et tout ». Ce n’est pas la joie. […] Au fond, nous étions prêts à le faire. Nous savions que cela coûtait beaucoup d’argent, mais on ne pouvait pas savoir que ça allait durer si longtemps, que je devrais passer deux nuits à l’hôpital, que ça devait coûter aussi. Mais bon, on mettait de l’argent de côté depuis le début de la grossesse, mais quand même! Comme je vous l’ai dit plus haut, avec les consultations, les échographies et tout, c’était cher. Quand on fait le bilan, on peut dépenser environ 15 000 $. Pour la grossesse en totalité, je ne sais pas. Donc, c’est sûr que c’est stressant parce qu’il y a parfois des imprévus, il y a des trucs qu’on ne peut pas prévoir. C’est-à-dire qu’on ne peut pas prévoir, comme la péridurale, comme je vous l’ai dit, ce n’était pas vraiment dans mes plans de le faire, mais, à la fin, je n’avais pas le choix et tout.
Les frais de service, graduellement évalués en millier de dollars, diminuent l’appréciation de l’expérience de l’arrivée de leur première née. Fatine et son mari ne le savent pas encore, mais la pression aussi financière que psychologique sur leurs épaules ne fait que commencer puisque, si le personnel de santé exige un paiement direct, l’hôpital, lui, permet une entente de remboursement sur le long terme.
Fatine : Au moment de l’accouchement, on a vraiment juste payé les frais pour les médecins. Eux, ils prennent leurs honoraires cash, directement sur le coup. Puis, on a fait une entente avec l’hôpital. Au début, c’était correct, mais après six mois ou je ne sais plus, ça a commencé… C’est après quelques mois que les erreurs administratives ont commencés. C’est juste parce que je ne connaissais pas ça que c’était super stressant, mais après, quand je me suis habituée avec les agences de recouvrement… En plus, le problème n’était ni de ma faute ni de celle de mon mari parce que nous payons chaque mois et tout; c’est leur problème à eux. Mais le stress au moment de l’accouchement, c’était surtout lié au fait, par exemple, la péridurale. Moi j’étais vraiment au bout de moi, je ne pouvais plus, parce que ça avait été un travail assez long, donc je la voulais, mais c’était le prix à payer.
Heureusement, les relations et interactions avec le personnel de l’hôpital sont demeurées respectueuses et Fatine n’y a pas ressenti de reproches ou de menaces concernant sa décision d’accoucher sans assurance maladie et de devoir en assumer les frais.
Fatine : [Le personnel de santé] demandait simplement si je vais payer. [rires] C’est sûr que je vais payer, mais comme je dis, ils sont payés comptant les médecins, donc je disais : « oui, je vais payer ça, mais c’est sûr que c’est mon mari qui s’occupe de ça », parce que parfois, il n’est pas resté 24 heures avec moi. Quand il est parti, justement pour aller chercher de l’argent pour payer les médecins, l’anesthésiste et tout, je n’ai pas eu de problèmes avec eux. Non, ils étaient gentils. Il n’y avait pas de problème à l’hôpital.
Une citoyenneté à deux vitesses pour sa fille
Fatine : Et je ne sais pas si vous, vous ne parlez que des femmes enceintes, mais il y a aussi le truc des bébés. Donc je ne sais pas si ça rentre dans votre recherche?
C : Oh oui, cette question-là est en relation avec notre recherche, c’est certain.
Fatine : Parce que les bébés nés ici, qui ont un passeport canadien à la naissance, qui ont la citoyenneté et tout, n’ont pas accès à l’assurance maladie. Ça, par contre, c’est une surprise. Il y a pas mal de familles que je connais qui connaissent la même situation. J’étais surprise, car je savais qu’automatiquement ma fille allait avoir son assurance maladie, mais on était surpris, car comme cadeau de naissance, il y a eu une facture à son nom qui s’élevait à presque 3 000 $.
Cette surprise de devoir assumer, en plus des siens, les frais de services de soins de sa fille a des répercussions importantes tout au long des premiers mois de vie de celle-ci. Elle naît citoyenne canadienne… Et endettée en raison du statut migratoire de ses parents qui l’empêche légalement d’obtenir la RAMQ. C’est une injustice aux yeux de Fatine.
Fatine : Oui, pour la nuit qu’elle a passée à l’hôpital. Puis, le médecin aussi a été payé, le pédiatre a été payé. Ils ont été payés comptant, dans une enveloppe à part. Donc ça, ça a été vraiment une surprise. On ne savait pas. Et ça, c’est encore plus injuste. Moi, ça peut se comprendre, car je suis temporaire ici – s’ils veulent m’appeler comme ça – mais elle, par contre, vous lui avez donné la citoyenneté, pourquoi pas l’assurance maladie? Ça c’est très discriminatoire, c’est très injuste. Et elle aussi… Mais bon, on ne paye pas les mêmes frais. Elle, par contre, elle ne paye pas les frais majorés, juste les frais exacts. C’est pour ça qu’elle paye 2 000 $ et pas 4 000 $ comme moi je paye. Donc c’est ça. Après, cerise sur le gâteau, quand ma fille avait 14 mois, elle a eu une mise en demeure à son nom.
C : Quoi!?
Fatine : Oui parce que selon l’hôpital, on n’a pas payé à temps sa facture et tout. Elle n’a pas payé sa facture. Dans le fond, parce que moi, si je paye, je fais un virement ou ils font un prélèvement chaque mois. Ce n’est pas à moi de vérifier si c’est sur ma facture ou sur la sienne. Mais eux, ils disent : « Ah, l’argent a été mis sur ma facture à moi, donc elle sa facture n’a pas bougé ». Ah bien ça, ce n’est pas de ma faute. Je pense que c’est… C’est une première, hein. J’étais vraiment hors de moi quand j’ai reçu la mise en demeure. J’ai dit à mon mari que je vais appeler les médias, puis je vais faire un scandale à cause de ça parce que ce n’est pas normal qu’un bébé de son âge la reçoive, d’autant plus qu’on n’est pas fautifs. On a payé chaque mois et tout. Finalement, quand on a appelé l’hôpital, ils ont présenté des excuses. Ils ont dit : « Non ce n’est rien. Faites comme si vous n’aviez rien reçu. Déchirez la feuille, c’est correct et tout. » Mais bon…
C : Quand même…
Fatine : Oui quand même! Ce n’est pas une bonne nouvelle d’avoir une mise en demeure pour un bébé de 14 mois…
Ces problèmes d’ordre administratif reliés à l’hôpital continuent par la suite et viennent mettre en lumière un regard discriminatoire à l’encontre des immigrant·e·s dans ce qu’ils et elles doivent ou non à la société québécoise qui les accueille. Au stress financier cumule maintenant, pour Fatine, une frustration âcre vis-à-vis du traitement réservé aux immigrant·e·s endetté·e·s, traitement qui souligne le revers de l’absence de citoyenneté.
Fatine : Bref, on a eu des épisodes aussi avec des agences de recouvrement. Et ce n’était même pas de notre faute! C’était eux qui n’ont pas fait les appels à temps ou je ne sais pas quoi. Donc, à l’hôpital, quand ils sont achalandés, ils n’ont pas fait le prélèvement à temps, puis c’est passé directement au recouvrement. Puis comme moi c’est la première fois de ma vie que je fais affaire avec ça, je ne savais pas comment cela se passait. Je ne savais même pas c’était quoi le recouvrement parce que c’est ma première expérience avec eux. L’agente de recouvrement qui était super arrogante m’a appelée de bon matin. Je n’étais même pas réveillée. Elle me dit : « allez, tu dois 8 000 $ à l’hôpital; tu vas aller chercher l’argent chez ta famille ou tes amis parce que tu dois le payer là maintenant, cash ». Au début, je ne comprenais pas bien, je pensais que c’était une blague. Mais non! Selon eux, je dois payer toute la facture en une seule fois. Mais la façon de le dire, « va chercher de l’argent chez ta famille ou tes amis. Tu as une famille au moins, tu peux chercher de l’argent de ce côté ». N’importe quoi! Franchement. J’étais très fâchée. J’ai d’ailleurs commencé à faire une procédure de plainte contre eux tellement ils étaient arrogants, tellement ils étaient impolis. La dame m’a crié dessus. Je lui ai dit : « Madame, je peux porter plainte ». Et elle m’a dit : « Mais vous n’avez même pas la citoyenneté! », et elle m’a raccrochée au nez. Donc ce n’est vraiment pas la joie d’avoir une entente avec l’hôpital. C’est un stress supplémentaire parce qu’à chaque fois, si le prélèvement, pour n’importe quelle raison, n’est pas passé le jour même, mais après deux ou trois jours, ils nous ont appelés et c’était la même histoire… Par exemple, nous avons eu un deuxième épisode avec le recouvrement parce qu’ils avaient certainement un problème avec la banque. Donc c’est stressant, c’est super stressant avec tout ce qu’on a à vivre. Avec les choses de la vie, on a aussi un stress supplémentaire pour l’hôpital et tout. Donc c’est ça.
Une deuxième grossesse qui soulève de nouveaux enjeux…
Au milieu de l’année 2020, en pleine pandémie de COVID-19, peu de temps après son premier accouchement difficile, Fatine découvre qu’elle est enceinte pour une seconde fois. C’est une nouvelle surprise à laquelle elle ne s’attendait pas, mais surtout, pour laquelle ni son corps ni ses économies ne sont prêts. Fatine pense alors à des alternatives moins onéreuses pour ne pas revivre tout le stress vécu les deux années précédentes, dont l’avortement et les maisons de naissance à partir des réalités qu’elle connaît dans son pays.
Fatine : Ce n’était pas programmé. Au début, j’ai pensé à l’avortement. Et parce que justement, on n’était pas prêts du tout, d’abord pour le côté financier parce qu’on n’avait pas l’assurance. Dans le fond, l’avortement non plus n’est pas accessible. Il n’est pas gratuit, il est même très cher. Quand j’ai fait mes calculs, ça allait me coûter plus de 1 500 $, donc je n’avais pas ce montant-là. Ce qui m’a donné l’idée d’avortement, c’était surtout le côté financier. Je n’ai pas 1 500 $ de côté pour aller… C’était pour l’écho… Parce que ça se passe juste à l’hôpital; il y a deux échographies obligatoires et tout. Donc ça coûte vraiment cher. Et le médicament aussi, je pense que ça coûte 300 ou 400 $… Donc, finalement, j’ai laissé tomber. Je me suis dit : « allez, je préfère payer, je ne sais pas, 150 $ ou 180 $ par mois ou par six semaines plutôt que de payer 1 500 $ en une seule fois ». Bon, c’est sûr que j’ai d’autres raisons, à part le côté financier, mais il ne faut pas nier que ça a quand même une importance pour un jeune couple, pour une jeune famille. On essaie de tâtonner, de trouver notre chemin. Ce n’est pas évident, mais bon. Mais c’était ça aussi. Je voulais en parler parce que, dans mon pays, par exemple, l’avortement est abordable et anonyme. Ça se passe en une seule journée. C’est dans un hôpital que ça se passe, c’est sécuritaire et c’est gratuit. Tu peux le faire en privé, mais c’est toujours accessible. Si tu n’as pas les moyens, c’est gratuit. Ici, si tu n’as pas 1 500 $, ce n’est pas possible. Je me dis toujours que je suis reconnaissante, car, même si je n’ai pas les moyens, j’aurai ma famille derrière moi pour m’aider. Car ma famille et celle de mon mari sont quand même pas mal aisées, chez nous là-bas, dans mon pays. Donc si, vraiment, je n’ai plus le choix, je peux leur demander de me venir en aide. Mais il y a des gens qui sont vraiment démunis, même dans leur pays, et qui ont investi beaucoup d’argent pour venir ici parce que venir, par exemple, étudier ici, demande beaucoup d’argent, surtout pour les gens qui viennent de pays plus pauvres ou qui n’ont pas de moyens. Donc, rien que pour ça, je pense qu’un travail doit être fait sur cette cause-là. Et puis, j’ai même cherché un peu pour les maisons de naissance, mais finalement, je pensais que ça coûterait moins cher que l’hôpital, mais finalement non. Ce n’était pas le cas. Ça coûtait presque la même chose, avec des services en moins. Je ne sais pas, c’est toujours sécuritaire, mais quand même, ce n’est pas un hôpital. Donc, parfois, c’était une période super stressante pour moi parce que je ne voulais pas, je voulais garder mon bébé, mais j’avais le stress du côté financier qui me pesait et tout. Et, finalement, je l’ai gardé et je suis très contente. Peut-être que là, je suis reconnaissante que l’avortement coûte cher parce que là j’ai gardé mon bébé. J’espère qu’il va naître en bonne santé et tout, et j’espère que je vais avoir aussi ma carte [d’assurance maladie] avant l’accouchement parce que j’accouche dans environ un mois.
Vis-à-vis de l’obstacle émotionnel et financier que représente l’avortement, Fatine prend donc la décision de poursuivre sa grossesse et de retourner dans la même clinique privée pour assurer les suivis prénataux, puisque son histoire et son dossier y sont connus. Elle et son mari sont désormais très conscients des sacrifices et des difficultés qu’ils devront surmonter, mais l’envie d’avoir plus d’un enfant était déjà dans les plans de ce couple marié depuis 2015.
Fatine : Au fond, les deux sont vraiment des « bébés surprises », mais en même temps on s’y attendait, car on était mariés depuis un bout de temps déjà. On s’aime toujours et tout, et c’est normal quand on est mariés de s’attendre à avoir des enfants. Peut-être que ce n’était pas le meilleur moment pour ça, mais on s’est dit qu’on allait faire des sacrifices et tout. On était pas mal, comment dire… On a travaillé sur ça, pour tout faire pour avoir un bébé dans de bonnes conditions et tout. Pour ma deuxième grossesse, ma fille est encore très jeune, on n’était pas prêt, même moi, sur le plan physique, je ne me suis pas encore remise de la première grossesse, donc elles sont très rapprochées. Sur le plan émotionnel, ce n’est pas qu’on ne voulait pas ne pas avoir d’enfants, non on le veut bien, mais peut-être pas aussi rapidement que ça. C’était un peu ça le problème. Et sur le côté financier, c’était sûrement le plus grand. On ne pouvait pas, on n’avait pas les fonds pour une deuxième enfant, avec l’accouchement sans assurance, on ne pouvait pas payer les deux en même temps. C’était hors de question. C’est pour ça qu’au début j’ai pensé à l’avortement […] Mais au bout d’une semaine, dix jours, on s’est dit qu’on va le garder, on va se débrouiller comme on s’est débrouillés la première fois. Penser à ça, je ne sais pas si c’est moi qui suis bizarre ou quoi, ou bien ce sont toutes les femmes, toutes les mamans qui ressentent ça de la même façon, mais pour moi, la semaine, les dix jours durant lesquels j’ai pensé à l’avortement j’étais très mal à l’aise avec cette idée parce que c’était très difficile pour moi. Mais si on voulait penser rationnellement, c’était envisageable parce que vu la situation et tout. Mais là, heureusement, ça va beaucoup mieux! Ça va. Heureusement, ça se passe beaucoup mieux! La semaine dernière, j’ai reçu ma lettre d’acceptation pour la RAMQ.
C : Oh, je suis trop contente pour vous! Ça doit tellement vous soulager.
Nouvelles ressources grâce à l’expérience acquise
Son temps passé à Québec, sa meilleure connaissance du système de santé québécois et des autres ressources offertes, mais aussi son expérience de mère et d’immigrante orientent différemment son parcours de deuxième grossesse. Notamment, le milieu communautaire devient un nouveau contexte de soutien pour Fatine, mais aussi une nouvelle vocation pour changer les choses ou, du moins, pour soutenir les femmes immigrantes qui devront vivre la même situation d’accouchement sans assurance maladie à Québec.
Fatine : Pour le service de périnatalité, dans le fond, moi j’ai commencé quand ma fille avait 7 ou 8 mois; j’ai commencé à chercher des activités, des endroits où aller pour l’occuper et tout. Puis, tu sais comment ça fonctionne : tu commences à chercher des trucs et là Facebook va te sortir des trucs similaires. C’est comme ça que j’ai eu une publication comme quoi le service cherche des bénévoles. Je me suis dit : « allez, pourquoi pas, si ça ne prend pas une formation particulière, je pourrais bien me présenter ». Sinon, je ne connaissais rien au communautaire. Pas tout à fait, je dirais, puisque je l’ai fait en Tunisie, mais ce n’était pas avec les mamans, les femmes enceintes, les immigrants et tout. Donc ici je ne connaissais pas ces réalités. Je me suis dit que ça pourrait m’aider pour ma fille et tout. Et c’est parmi les meilleures décisions que j’ai prises parce que justement ça m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses que je ne connaissais pas. Ça m’a permis de comprendre comment ça se passe, de savoir qu’il y a beaucoup de ressources qui peuvent aider.
C : Par rapport à ça, comment est-ce que ça influence votre expérience de deuxième grossesse?
Fatine : D’abord, je suis entourée de personnes. Avant, je n’avais pas d’amies, pas de connaissances et tout, donc ça m’a permis de connaître des personnes qui sont super gentilles, qui sont peut-être passées par les mêmes circonstances que moi ou similaires ou mêmes différentes, mais qui peuvent finalement me comprendre d’un autre côté. C’est-à-dire, même entre bénévoles, on s’entraide comme on aide les femmes qui en ont besoin. Puis, comme je te le dis, j’ai pris connaissance des ressources, des organismes qui peuvent aider ou simplement je suis devenue informée. Pour moi, le fait d’être informée compte énormément. Parfois, une information vaut plus que l’argent ou n’importe quelle aide matérielle, car souvent tu n’as besoin que de quelques informations pour être guidée. Ça aide beaucoup.
Fatine a bien saisi l’importance de « bien chercher », de s’informer pour assurer un parcours de vie sécuritaire, digne et respectueuse de sa personne autant que faire se peut dans un contexte qui ne semble pas soutenir concrètement les femmes enceintes en situation migratoire précaire.
Fatine : Aujourd’hui, je me considère comme chanceuse par rapport à plusieurs autres personnes. J’ai eu la présence d’esprit de bien chercher. Franchement, c’est un truc que j’ai appris ici avec tout ce que j’ai vécu; j’ai appris à bien chercher l’information avant de me plonger dans n’importe quoi. Je prends le temps de chercher, de bien vérifier. Je ne dirais donc pas que c’était une mauvaise expérience, mais c’était plutôt difficile. Cependant, je ne regrette rien. Franchement, je ne pourrais pas regretter ni comment j’ai agi ni le fait d’être tombée enceinte d’ailleurs. Quand les gens me disent : « vous allez arrêter d’avoir des enfants », bien, ce n’est pas eux qui ont à me dire ça.
Une question politique et sociétale vécue comme une discrimination
L’expérience qu’elle a vécue, le recul que son implication dans le milieu communautaire a permis et son écoute du vécu d’autres femmes au parcours semblable amènent Fatine à soulever les enjeux qui précarisent les femmes immigrantes et maintiennent les inégalités sociales de santé qui les touchent de manière marquée. Elle remarque, entre autres, l’inadéquation entre les possibilités de l’immigration, les obstacles systémiques et politiques qui contraignent ces possibilités et la représentation des migrant·e·s qui en résulte.
Fatine : Mais si je parle un peu généralement de mon expérience, moi, je m’estime heureuse parce que je n’ai pas eu de complications, je n’ai pas eu par exemple d’hospitalisation ou autre. Je suis très contente d’avoir eu une grossesse aussi « normale ». Mais je sais que ça arrive, je sais que ça arrive comme moi à n’importe qui. Mais dans le fond, ce qui me fait de la peine dans cette cause-là, enfin, ce qui m’énerve, c’est qu’on est traitées comme des touristes alors que nous ne le sommes pas. Nous sommes des travailleurs, comme le permis l’indique. On travaille très dur pour avoir ce qu’on a. C’est-à-dire qu’on paye les impôts, on paye les taxes, on paye tout comme tout le monde, mais le problème est que ces frais-là ne sont même pas les frais exacts. Ce sont des frais majorés à 200 %. C’est ça que je ne comprends pas. Je comprends peut-être que je devrais payer parce qu’ils ont peur du tourisme médical, mais ils peuvent vérifier que je ne suis pas venue la veille pour accoucher ici, que moi ça fait des années que je suis là, que je travaille. Et comme je vous l’ai dit, je suis travailleuse autonome, donc je fais même travailler des personnes avec moi! Je suis active. On consomme ici. Finalement, on ne bénéficie de presque rien. Et, d’ailleurs, contrairement à ce que les gens pensent, parce que les gens pensent que l’on vient ici pour avoir des avantages, pour avoir tout gratuitement, mais ce n’est pas vrai finalement. On paye justement pour les autres, apparemment. Et, c’est ça… C’est surtout le fait que ce soit majoré à 200 %, franchement, je trouve ça très discriminatoire, très injuste. De toute façon, comme je vous l’ai dit, je peux payer. Je comprends que je dois payer, peut-être, parce que j’ai un statut temporaire. Mais vous savez, si on vient ici pour travailler, c’est vrai que ça s’appelle un statut temporaire, mais généralement on a l’intention de rester. Au moins, on ne vient pas pour deux, trois mois ou une année ou deux. Ouais [soupir].
Cette discrimination qu’elle ressent et qu’elle observe a aussi été le fruit de reproches et de jugements faits à l’égard de sa décision d’avoir des enfants alors qu’elle ne bénéficie pas de l’assurance maladie. Fatine soulève en ce sens comment la méconnaissance de la population locale a un impact concret sur l’expérience de grossesse et le parcours de soins tracé par les futures mamans immigrantes. Comme quoi la question n’est pas qu’un problème politique, mais aussi social.
Fatine : Et puis, il n’y a aucune assurance privée qui couvre l’accouchement… Je ne sais pas, comme si c’était quelque chose de mauvais de tomber enceinte. Parfois, on se sent coupable de tomber enceinte parce que, parfois, on lit ça, surtout sur les réseaux sociaux : « Allez, arrêtez d’avoir des enfants. Pourquoi vous tombez enceintes si vous n’avez pas d’assurance maladie? ». Mais normalement, on ne devrait même pas penser à ça parce que c’est, ce n’est pas à moi de parler de ça, mais c’est tellement naturel, ça vient comme… « Pourquoi avoir un conjoint? » ou « Pourquoi, je ne sais pas moi, manger ou dormir? » C’est ça… On ne peut même pas dire ça, mais il y a des gens qui le pensent et qui le disent : « Allez, si vous chialez parce que vous n’avez pas d’assurance, ne tombez pas enceinte, arrêtez d’avoir des enfants et tout ». Les gens ne comprennent pas que qu’on n’est pas des visiteurs, qu’on n’est pas des touristes. On est ici pour travailler, et on travaille très très dur pour avoir ce qu’on a. Parce que, justement, on n’est pas privilégiés, on n’a pas, genre, les avantages qu’ils pensent qu’on a. Donc, c’est ça. Pour moi, il faut surtout sensibiliser les gens. Je pense que les gouvernements le savent, mais… Je ne sais pas, ce n’est pas sur leur liste de priorités. En tout cas, c’est mon avis. La plupart des gens dans la rue ne le savent pas. Moi, quand j’ai parlé de ça pour la première fois, il y avait des gens, même des immigrants, qui avaient genre l’air bouche bée parce que justement, pour eux, c’est un film d’horreur dont je parle. Parce qu’ils ne sont pas au courant! Puis parce que, comme je vous l’ai dit, si nous, on a travaillé très dur pour pouvoir être à la hauteur de cette expérience-là, il y a des gens qui ne peuvent pas. Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas travailler ou autre, mais ils n’ont pas la chance ou les opportunités que nous nous avons eues par exemple. Donc, c’est ça. Pour moi, j’espère que ça change. Comme je vous l’ai dit, au moins le fait de payer juste les frais exacts et non pas des frais majorés. Puis, ils peuvent vérifier qu’on est là depuis des années, qu’on n’est pas venus juste pour que nos enfants aient le passeport canadien. Vraiment, ce n’est pas ça. La réalité est bien différente de ce qu’ils pensent de nous. C’est ça. Sinon, pour les enfants, j’ai entendu dire que ça va changer prochainement.
C : Oui, c’est ça, l’adoption d’une nouvelle loi!
Fatine : J’espère que ça se concrétise, mais bon, parce que c’est aussi une discrimination. Pour moi, c’est juste discriminatoire. Il n’y a pas un autre mot pour décrire ça.
Mots de la fin
Heureusement pour Fatine, ses demandes de changement de statut migratoire portent finalement fruit alors que son deuxième accouchement approche. Ce faisant, elle reçoit in extremis sa lettre d’acceptation de la RAMQ et son deuxième accouchement bénéficie de cette couverture d’assurance maladie. Mais son expérience antérieure et celle de sa deuxième grossesse l’ont sensibilisée aux besoins criants d’un traitement plus digne et sécuritaire pour les femmes au statut migratoire précaire.