47 Débats pour les 9-17 ans au Café scientifique de Science en jeu! (2010)
Florence Piron
Créée en 2009, la plateforme Science en jeu![1]) est un portail de contenus scientifiques gratuit destiné aux jeunes de 9 à 17 ans. Dans ce monde virtuel se trouve un Café scientifique qui, à l’origine, permettait aux abonné·e·s d’obtenir diverses « potions » (points). Avec la fondatrice du site, Caroline Julien, j’ai eu l’idée d’intégrer des débats interactifs entre les personnages virtuels attablé·e·s au Café, afin de développer l’esprit critique des élèves face à différents enjeux éthiques.
J’ai ainsi écrit cinq dialogues sur les thèmes suivants : « La science et l’argent », « La science et les valeurs », « La science et la société », « Prudence face à l’innovation » et « La sécurité et les droits des personnes en science ». Dans chaque dialogue, deux personnages argumentent, discutent, échangent des idées ou des informations en lien avec le thème. Le joueur ou la joueuse comprend très vite que chaque personnage défend une position bien différenciée à l’égard du thème, ce qui lui permet d’explorer tour à tour les deux points de vue défendus et d’y réfléchir. Le joueur ou la joueuse peut s’exprimer tout au long du dialogue en répondant à plusieurs questions du sondage. À la fin du débat, une étape un peu plus ludique commence, dont une série de questions sur le thème du dialogue.
Sciences et valeurs
Serveuse : Contente que tu te joignes à notre discussion. Je viens tout juste de demander leur avis à mon client et à ma cliente, deux scientifiques, à propos de la dégradation de la planète. La science nous a toujours promis le progrès, pour ne pas dire un monde meilleur. Est-ce qu’on a fait les bons choix?
Scientifique A : La science n’a rien à voir avec la dégradation de la planète. Elle propose des résultats de recherche, des innovations, et c’est la société qui dispose, qui agit. Si la planète s’est dégradée au point que des scientifiques comme Hubert Reeves ou David Suzuki s’inquiètent de sa survie, ça n’a rien à voir avec la science.
Scientifique B : Je ne suis pas du tout d’accord. Si les technologies polluantes n’avaient pas été inventées par des chercheurs et chercheuses, il n’y aurait pas de pollution parce que personne n’aurait pu les utiliser. Heureusement qu’il y a des chercheurs et chercheuses qui choisissent plutôt de travailler sur les énergies vertes, la sauvegarde de la biodiversité, la préservation des écosystèmes. Ces sujets de recherche correspondent à leurs valeurs.
Scientifique A : C’est très dangereux que des chercheurs et chercheuses se mettent à écouter leurs valeurs dans leur travail. Et si leurs valeurs les conduisaient plutôt à fabriquer des armes toujours plus destructives? La planète n’irait pas mieux!
Scientifique B : Je te rappelle que c’est ce qui est arrivé pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est pour combattre le nazisme et ses valeurs contraires à la dignité et aux droits humains que les chercheurs et chercheuses du projet Manhattan aux États-Unis ont mis au point la bombe atomique, que les autorités militaires ont ensuite décidé de lâcher sur Hiroshima et Nagasaki, deux villes japonaises, en août 1945, faisant 140 000 morts en quelques heures.
Serveuse : Donc, au nom de valeurs favorables aux droits humains, des scientifiques ont créé une arme de destruction massive qu’on a ensuite utilisée pour tuer des milliers d’humains, notamment des civils qui ne faisaient aucun mal. Est-ce que ces chercheurs et chercheuses ont eu des regrets?
Scientifique A : Ils et elles croyaient n’avoir pas le choix. Mais il faut mentionner que la puissance de la bombe atomique reposait sur des travaux de physique qui ont aussi permis de développer l’énergie nucléaire, indispensable source d’énergie dans nombre de pays aujourd’hui.
Scientifique B : Oui, plusieurs ont déploré l’usage qu’on avait fait de leur invention, et d’autres ont même exprimé publiquement leurs regrets, par exemple Albert Einstein, qui avait encouragé le gouvernement américain à lancer le projet Manhattan par une célèbre lettre. Lui et bien d’autres, comme le chimiste et physicien Linus Pauling, sont d’ailleurs devenu·e·s d’ardent·e·s pacifistes, militant contre les essais nucléaires. Linus Pauling a même obtenu le prix Nobel de la paix.
Scientifique A : Mais c’est en tant que citoyen·ne·s qu’ils et elles se sont ainsi engagé·e·s dans l’action en faveur de la paix, pas en tant que chercheurs et chercheuses. Par exemple, Bertrand Russell, qui publia en 1955 un manifeste contre les armes nucléaires avec Albert Einstein et d’autres, était philosophe et mathématicien et non spécialiste de la recherche sur le nucléaire. Il ne faut pas confondre ce qui se passe dans le laboratoire avec ce qui arrive en dehors.
Scientifique B : Malheureusement, un laboratoire n’est pas une tour d’ivoire à l’abri des débats de société et les chercheurs et chercheuses ne sont pas des machines à appliquer des techniques sans se poser de questions sur le sens de ce qu’ils et elles font. Par exemple, quand ils et elles choisissent un sujet de recherche, ces scientifiques prennent position sur ce qui mérite d’être étudié par rapport à ce qui ne le mérite pas.
Serveuse : Il y a des sujets qui ne sont pas traités par les scientifiques? C’est bizarre, je pensais qu’ils et elles essayaient toujours de tout comprendre.
Scientifique B : C’est un idéal! Dans les faits, les chercheurs et chercheuses travaillent sur des projets précis et finissent souvent par abandonner certaines pistes au profit d’autres. C’est pour cette raison que la connaissance qui sort de leur laboratoire reflète leurs valeurs : elle exprime leurs priorités. Certain·e·s les taisent pour avoir l’air neutre, d’autres les expliquent.
Scientifique A : Mais s’ils et elles sont de vrai·e·s scientifiques, ils et elles aspirent à produire de la connaissance universelle, c’est-à-dire qui est valide quels que soit l’époque ou le lieu. De ce point de vue, leurs valeurs nuisent à la bonne science car elles risquent de l’influencer. Les chercheurs et chercheuses doivent donc les ignorer, même dans le choix de leur sujet de recherche.
Scientifique B : Au contraire, je pense que ceux et celles qui reconnaissent le rôle de leurs valeurs dans leur travail sont simplement plus lucides et peuvent faire de la tout aussi bonne science. Je connais un biochimiste qui a décidé d’arrêter de travailler dans le secret industriel sur des médicaments lucratifs pour étudier plutôt la malaria, cette maladie des pays pauvres, de manière très ouverte, au nom de ses valeurs.
Scientifique A : Mais il a certainement continué à utiliser la méthode scientifique qui prescrit comment collecter des informations en observant la nature ou les êtres humains dans leur milieu ou comment réaliser une expérience à partir d’une hypothèse afin d’en tirer des résultats. Il n’y a pas de place pour les états d’âme des chercheurs et chercheuses dans la méthode scientifique.
Scientifique B : Je ne suis pas d’accord. Cette méthode doit toujours être adaptée au contexte d’un projet de recherche particulier. Cette adaptation implique de faire des choix selon des critères dont peuvent faire partie les valeurs. Par exemple, un biologiste peut choisir une façon de procéder qui minimise l’utilisation d’animaux de laboratoire, alors que son collègue fera le contraire.
Serveuse : Il ne faut pas confondre la rigueur et la précision d’une démarche de recherche avec son caractère « scientifique ». C’est vrai que les artisan·e·s aussi utilisent des méthodes de travail rigoureuses! D’autre part, la méthode scientifique n’est jamais appliquée de la même façon selon les projets de recherche qui doivent toujours tenir compte de la réalité concrète, adapter cette méthode selon les outils disponibles, etc.
Scientifique A : L’important est l’évaluation de son travail par les autres chercheurs et chercheuses, s’ils ou elles en reconnaissent la qualité, peu importe les valeurs qui le sous-tendent. La célèbre expérience du psychologue Stanley Milgram sur la capacité des humains à en faire souffrir d’autres en obéissant à des ordres était de la bonne science, même si elle était inspirée par son désir de comprendre la psychologie des soldats nazis.
Scientifique B : Mais s’il n’avait pas été préoccupé par la cruauté de ces soldats, il n’aurait jamais eu l’idée de faire cette expérience qui, hélas, a souvent été reproduite avec toujours le même résultat. J’irais même plus loin : je pense que les valeurs interviennent à toutes les étapes de la recherche, chaque fois qu’il faut faire des choix.
Serveuse : Ça me fait penser à cette belle phrase de l’écrivain François Rabelais, dans son Pantagruel, en 1532 : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
Scientifique A : Quand même! Tu ne vas pas dire que les valeurs jouent un rôle dans la publication des résultats d’une recherche scientifique. C’est simple : on a un résultat, on écrit un article et on le publie dans une revue savante pour le faire connaître à ses collègues.
Scientifique B : Imagine un anthropologue qui découvre l’existence d’un peuple nomade inconnu. S’il publie sa découverte, il aura certes du prestige, mais il mettra en danger le mode de vie et même la vie de ce peuple. J’en connais un qui a refusé. Il a quand même eu une belle carrière! Et en plus, il était en paix avec sa conscience.
Scientifique A : Mais l’inverse peut aussi se produire si on laisse ainsi les valeurs guider l’action des chercheurs et chercheuses. Par exemple, des chercheurs et chercheuses qui valorisent l’enrichissement personnel peuvent préférer vendre en secret à l’industrie pharmaceutique leur découverte d’un nouveau médicament plutôt que la partager dans une publication accessible à tous et à toutes.
Scientifique B : Les valeurs des chercheurs et chercheuses ne sont pas toutes altruistes, tu as raison! Pourtant, la science a appuyé et renforcé certaines valeurs universelles fondamentales. Par exemple, en 1952, l’ethnologue Claude Lévi-Strauss a publié un petit livre destiné au grand public qui critiquait le fondement de toutes les théories racistes, rappelant que les humains partagent tous les mêmes caractéristiques fondamentales, celles de l’espèce humaine.
Serveuse : La science peut vraiment avoir des effets sur les valeurs de la société?
Scientifique B : Tu n’as qu’à penser aux recherches menées depuis le XXe siècle en sciences sociales et humaines sur les femmes. Elles ont montré qu’il y avait différentes manières d’être une femme dans l’histoire et selon les cultures. Ces travaux ont remis en cause les théories selon lesquelles la biologie des femmes les destinait uniquement à la maternité. On voit bien aujourd’hui tout ce qu’elles peuvent faire!
Et toi, que penses-tu de la place des valeurs dans la recherche scientifique?
a) Ces valeurs ne doivent jamais intervenir dans le processus scientifique qui doit rester universel et insensible au contexte où il se déroule.
b) Ces valeurs ne doivent s’exprimer que dans les débats sur l’utilisation des travaux scientifiques, une fois qu’ils sont publiés.
c) Ces valeurs interviennent au moment du choix du sujet de recherche et du choix du lieu de leur publication, mais doivent être exclues de la méthode.
d) Ces valeurs peuvent intervenir à toutes les étapes du processus de recherche scientifique, chaque fois que les chercheurs et chercheuses font des choix.
e) Je ne sais pas.
Sciences et argent
Serveuse : Contente que tu te joignes à notre discussion. Je viens tout juste de demander leur avis à mon client et à ma cliente, deux scientifiques, à propos de la place de l’argent dans la vie des chercheurs et chercheuses scientifiques. Je ne m’étais jamais posé cette question. Je devais croire qu’ils et elles vivent d’eau fraiche et d’idées de génie!
Scientifique A : En fait, l’argent est très important pour la science. Non seulement les scientifiques ont besoin d’avoir un salaire, un bureau et un ordinateur pour écrire leurs articles scientifiques, mais ils et elles ont aussi besoin d’argent pour engager des assistant·e·s, pour monter des projets ou des laboratoires, pour voyager et faire des conférences, etc.
Scientifique B : Du fond de son hangar en 1898, la physicienne Marie Curie, qui a plus tard reçu le prix Nobel pour avoir découvert le radium, aurait bien aimé avoir un peu plus d’aide financière pour la soutenir. Elle a été très persévérante!
Serveuse : D’où vient l’argent que reçoivent les chercheurs et chercheuses scientifiques en salaire ou pour faire leurs projets?
Scientifique A : Quand il s’agit de chercheurs et chercheuses qui travaillent dans des universités ou des centres de recherche publics, cet argent vient de l’État, donc des impôts payés par tou-te-s les citoyens et citoyennes. Mais il y a aussi beaucoup de chercheurs et chercheuses qui travaillent pour des compagnies privées, notamment pharmaceutiques ou agro-alimentaires, et qui en reçoivent un salaire.
Serveuse : Est-ce qu’ils et elles sont bien payé·e·s?
Scientifique B : En général, oui, car c’est un métier qui exige de très longues et difficiles études universitaires (10 ans et plus). Les gens qui le choisissent espèrent avoir ensuite un bon salaire. La compétition est rude pour avoir les postes disponibles, il faut publier beaucoup d’articles scientifiques et de livres et aimer enseigner.
Scientifique A : Mais c’est aussi un métier crucial pour l’économie d’un pays. Plus un pays a de bon·ne·s chercheurs et chercheuses qui travaillent fort, plus il a de chances que ces chercheurs et chercheuses fassent des découvertes d’innovations ou de produits qui pourront générer des profits et enrichir le pays. Pour garder les meilleur·e·s chercheurs et chercheuses, les pays doivent leur offrir de bons salaires et de bonnes conditions de travail.
Serveuse : Je ne comprends pas. Si les chercheurs et chercheuses découvrent des produits profitables, comment est-ce que le pays va s’enrichir?
Scientifique A : Une fois mis au point par les chercheurs et chercheuses, ces produits pourront être commercialisés par des entreprises qui, grâce au profit ainsi créé, engageront plus de personnes et paieront plus d’impôts. L’État s’enrichira donc et le pays sera plus prospère. C’est ce qu’on appelle l’économie du savoir.
Scientifique B : En fait, ce sont surtout les entreprises qui s’enrichissent. Quand leurs profits baissent, elles n’hésitent pas à licencier leurs salarié·e·s, comme on l’a vu avec de grandes compagnies pharmaceutiques qui ont fermé des usines alors que leur taux de profit était de 37%.
Scientifique A : C’est normal, ce sont des entreprises privées qui doivent survivre dans un marché très compétitif. De toutes façons, il me semble juste que les scientifiques qui sont financé·e·s par l’État contribuent à sa prospérité. C’est donnant donnant.
Scientifique B : Mais ils et elles peuvent le faire autrement qu’en contribuant principalement à la prospérité d’industries privées. Par exemple, les chercheurs et chercheuses qui travaillent sur les déterminants sociaux de la santé, c’est-à-dire tout ce qui, dans une société, peut rendre des gens malades (la pauvreté, la pollution, le stress, la malbouffe, le manque d’exercice, etc.), font beaucoup aussi pour la prospérité de leur pays.
Serveuse : C’est vrai que s’il y a moins de personnes en situation de pauvreté ou malades, le pays sera plus prospère.
Scientifique A : Dans le monde d’aujourd’hui, il est essentiel que les économies nationales soient compétitives. Sinon, le chômage risque d’augmenter et la pauvreté aussi. Donc il est bon que les chercheurs et chercheuses soient incité·e·s à travailler sur l’innovation par d’importantes subventions de recherche accordées aux plus productifs et productives d’entre eux et elles.
Scientifique B : Cette pression, et en particulier la course à l’argent des subventions et au prestige qui y est relié, a des effets pervers. La compétition entre les chercheurs et chercheuses est parfois si rude que certain·e·s sont tenté·e·s de franchir des limites légales et éthiques pour y arriver. Par exemple, ils et elles volent des idées à leurs collègues ou étudiant·e·s, font du plagiat, sabotent des expériences, fabriquent de faux résultats, empêchent des promotions de collègues.
Serveuse : Je n’en reviens pas!
Scientifique A : Ce sont des situations exceptionnelles qui relèvent de quelques individus sans scrupule. Le cas le plus célèbre est celui du chercheur Hwang Woo-suk, de Corée du Sud. Il a menti en publiant en 2004 et 2005 des articles où il prétendait avoir créé des cellules souches humaines par clonage. Il a aussi acheté des embryons humains pour ses recherches, alors que c’est strictement interdit. Il voulait le prix Nobel à tout prix!
Scientifique B : Mais il n’aurait peut-être pas été jusque là si son pays ne lui avait pas mis une pression énorme en le couvrant de subventions en échange de tels résultats. Il était quasiment présenté comme un Dieu vivant qui allait sauver la Corée du Sud à lui tout seul!
Scientifique A : Je persiste à penser que les scientifiques ne s’intéressent pas à l’argent ni au pouvoir, mais qu’ils et elles veulent simplement les moyens de réaliser leurs projets. Dans certains domaines comme la santé ou la génétique, il faut beaucoup d’argent. Il est crucial que les chercheurs et chercheuses s’associent à l’entreprise privée pour réunir l’argent nécessaire à leurs travaux.
Scientifique B : Mais ça peut se retourner contre eux et elles si les résultats de leurs projets ne plaisent pas à l’entreprise qui les commandite. C’est ce qui est arrivé au Dre Nancy Olivieri qui a découvert des effets secondaires indésirables à un médicament qu’elle testait pour une compagnie pharmaceutique. Comme ces résultats pouvaient faire baisser les profits de la compagnie qui voulait mettre ce médicament sur le marché, elle a voulu empêcher leur publication.
Serveuse : Qu’est-ce qu’a fait Nancy Olivieri?
Scientifique B : Par souci pour la santé des enfants qui prenaient ce médicament dans l’essai clinique qu’elle pilotait, elle a quand même publié l’information. La compagnie l’a poursuivie en Cour! Ça s’est passé il y a 10 ans et les poursuites ne sont même pas réglées, même si elle est maintenant reconnue comme une héroïne, un modèle d’intégrité scientifique et médicale.
Scientifique A : Tu vois que tou·te·s les chercheurs et chercheuses ne sont pas corrompu·e·s! Ils et elles sont capables de refuser des situations qui nuisent à la santé ou au bien-être de la population et de ne pas se laisser tenter par les compromis qui accompagnent souvent l’argent des grosses compagnies. Ceux et celles qui cèdent et renoncent ainsi à leur intégrité sont de rares exceptions.
Serveuse : Mais qu’est-ce qu’on peut faire pour aider les chercheurs et chercheuses à garder leur indépendance et leur intégrité face à l’argent?
Scientifique A : Les universités et les gouvernements publient des documents officiels qui expliquent les règles de l’intégrité scientifique. Ils comptent beaucoup sur les chercheurs et chercheuses plus expérimenté·e·s pour les faire connaître aux plus jeunes et aux étudiant·e·s.
Scientifique B : C’est insuffisant parce que ça ne vise que les individus. Il faut aussi exiger plus d’information publique sur l’origine et l’utilisation de l’argent dans le monde scientifique et établir une frontière plus claire entre la science à but lucratif valorisée par l’économie du savoir et la science à but non lucratif qu’il faut continuer d’encourager. Il faut refuser de transformer les connaissances scientifiques en marchandises.
Scientifique A : Mais breveter une idée ou une découverte permet d’éviter qu’un compétiteur les vole et les exploite à son profit. Tu ne suggères quand même pas d’y renoncer?
Scientifique B : Si c’est dans l’optique d’une commercialisation, oui, je le suggère. Les défis environnementaux et sociaux de notre planète sont si grands qu’il est temps de renoncer à la compétition entre les pays, les économies et les chercheurs et chercheuses pour passer à la coopération entre tous et toutes pour le bien commun.
Et toi, que penses-tu de la place de l’argent dans la recherche scientifique?
a) La recherche visant des produits profitables occupe une place trop importante qui fait pression sur l’intégrité des chercheurs et chercheuses.
b) L’argent est simplement un moyen d’agir qui n’intéresse pas les chercheurs et chercheuses, sauf quelques rares exceptions.
c) La recherche de produits profitables doit être le but principal des chercheurs et chercheuses afin d’enrichir leur pays.
d) Je ne sais pas.
Le principe de précaution
Serveuse : Bonjour, bienvenue au Café scientifique! Qu’est-ce que je vous offre aujourd’hui? J’ai toute une panoplie de potions dont notre toute dernière, la Scintillante qui vous redonnera un éclat. Aucune potion clonante par contre. C’est dommage, j’en aurais bien donné à mon chien qui commence à se faire vieux! Pensez-vous qu’on devrait permettre de cloner son chien, son petit frère, sa meilleure amie ou est-ce qu’il faudrait empêcher certains travaux de recherche?
Scientifique A : Nous revenons justement d’un débat sur le clonage! Il y avait une biologiste qui voulait cloner les meilleures vaches laitières pour augmenter la production de produits laitiers dans le monde et ainsi mieux nourrir la planète. Elle était vraiment enthousiaste à propos de son projet de recherche.
Serveuse : Ce serait génial!
Scientifique A : Mais la philosophe qui lui répondait n’arrêtait pas de nommer tous les problèmes que pourrait susciter ce projet, comme si elle remettait le travail de la biologiste en question. Elle appelait ça le « principe de précaution ».
Serveuse : Qu’est-ce que c’est?
Scientifique B : C’est une forme de prudence : si on ne sait pas quelles seront les conséquences d’une innovation scientifique, il vaut mieux attendre que certaines études ou vérifications soient effectuées avant de l’autoriser, de la mettre en œuvre ou même de l’appuyer financièrement. On appelle ce moment d’attente prudente un moratoire.
Serveuse : Ça me fait penser aux citoyen·ne·s québécois·es qui ont demandé en 2010 un moratoire sur l’exploration des gaz de schiste ou des mines d’uranium, c’est-à-dire un arrêt temporaire des activités d’exploration jusqu’à ce que leurs conséquences possibles sur les humains ou sur l’environnement soient bien comprises. Est-ce qu’il y a aussi des moratoires en science?
Scientifique B : Oui! Au nom du principe de précaution, les gouvernements et les universités où travaillent les chercheurs et chercheuses essaient de rester prudents dans certaines sciences dont on ne connaît pas vraiment les conséquences. Par exemple, la plupart des pays encadrent et parfois interdisent par des lois et des règlements les recherches qui touchent aux manipulations biologiques ou génétiques du corps humain ou des animaux, comme le clonage.
Serveuse : Mais c’est quoi, au juste, le clonage?
Scientifique A : Cloner, ça veut dire produire une copie génétiquement identique d’un être vivant. Dans le cas d’un mammifère, il faut injecter l’ADN (les gènes) de cet être dans un ovule qu’on implante ensuite dans un utérus. L’embryon sera son clone. Ça permet surtout de sauver des espèces animales ou d’améliorer des races. Il y a aussi des médecins chercheurs et chercheuses qui tentent de cloner des cellules d’embryons pour soigner des maladies graves. On appelle ça la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Ça oblige à passer par le clonage d’embryons pour soigner.
Serveuse : Mais qu’est-ce qui garantit que quelqu’un ne volera pas ces embryons clonés pour en faire des humains, qu’il pourra ensuite vendre ou exploiter? On se croirait dans un film! Des humains clonés, sans parents ni famille… Est-ce que ce serait vraiment des humains?
Scientifique B : Excellente question! La même que s’est posée le biologiste français Jacques Testart. Il s’est demandé ce que deviendrait un monde où chacun·e pourrait se reproduire à l’infini, sans famille, sans lien entre les personnes. Convaincu que ce serait un monde inhumain, il a arrêté en 1980 ses recherches sur le clonage.
Scientifique A : Plus généralement, au nom du principe de précaution et des nombreuses conséquences négatives possibles du clonage, presque tous les pays ont adopté un moratoire sur le clonage humain. On cherche alors d’autres façons de travailler sur les cellules souches.
Serveuse : Mais d’où vient le principe de précaution?
Scientifique B : C’est le très beau livre du philosophe allemand Hans Jonas, Le principe responsabilité, publié en 1979, qui fait connaître ce principe. Il explique que la simple possibilité qu’une technique mette en danger l’humanité dans le futur doit suffire à l’interdire totalement : « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une vie authentiquement humaine sur Terre ».
Serveuse : Ça ressemble à ce que tu viens de dire à propos du biologiste Jacques Testart qui a décidé d’arrêter ses travaux scientifiques qu’il jugeait dangereux pour l’avenir de l’humanité.
Scientifique B : Exactement. Il a fait preuve d’une éthique de la responsabilité qui conduit à nous interroger de manière approfondie et constante sur les conséquences de notre action dans le monde où nous vivons et où nos descendant·e·s vivront. Pour un chercheur ou une chercheuse scientifique, cela signifie s’interroger sur les conséquences possibles de ses recherches, les bonnes comme les moins bonnes. C’est ce qu’on appelle aussi la responsabilité sociale des chercheurs et chercheuses.
Et toi, qu’en penses-tu? Est-ce qu’on doit laisser les chercheurs et chercheuses totalement libres par exemple pour des recherches sur le clonage humain ou le principe de précaution est important?
a) Les chercheurs et chercheuses devraient être totalement libres pour repousser les frontières de l’innovation et ainsi améliorer la qualité de vie des humains.
b) Il faut adopter le principe de précaution pour éviter que les conséquences négatives de certaines recherches.
c) Je ne sais pas. Laissez-moi y penser.
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