Mon parcours intellectuel et de vie : construction progressive de ma conception de la recherche au fil du temps

Ce texte est composé du billet « Partage d’un récit de soi (et faisons connaissance!) » publié le 27 septembre 2017 sur le blog Espaces réflexifs, situés, diffractés et enchevêtrés à l’invitation de Mélodie Faury (accessible à  https://reflexivites.hypotheses.org/8564 ) et, par la suite, de la transcription d’une conférence donnée sur Zoom le 12 février 2021 dans le cadre du Séminaire de méthodologie de la recherche de Jeanne-Marie Rugira (Université du Québec à Rimouski), disponible en ligne à https://youtu.be/95lu-S_5ZUM. La période de questions a aussi été incluse. Pour éviter les redondances, de petites modifications ont été apportées à ces deux textes par Florence et sa fille Sarah-Anne.

Je le ressens constamment : il est très difficile de se déprendre d’une idéologie ou d’une culture dominante, de penser « hors de la boîte », de réfléchir à ce que pourrait être « une autre vie possible », quand notre milieu de vie, nos proches, nos lectures, le système de valeurs auquel nous avons été habitués à croire, les médias, le « sens commun », les demandes de nos parents, de nos enfants, de nos étudiants et étudiantes, de nos pair-e-s, de nos patrons et patronnes, les attentes des uns et des autres nous y ramènent constamment. Parfois, le seul indice qui nous reste qu’une autre manière de penser ou de vivre est possible est le sentiment d’un malaise, par exemple l’expression non articulée, indicible, d’une dissonance cognitive inconsciente, mais profonde, d’une contradiction aussi insurmontable qu’insupportable malgré laquelle nous sommes censés continuer d’avancer, comme si de rien n’était. Mais parfois, ça bloque. On ne peut plus rien faire, la fêlure dans la croyance est trop grande, ça risque de casser alors qu’on ne sait pas encore à quoi pourrait ressembler cette « autre » manière de penser ou même de vivre…

J’ai rencontré cette fêlure sous deux formes pendant mon enfance française (je vis depuis plus de 35 ans à Québec). Il y avait, dans la cour de récréation de mon école primaire, ces jeunes filles de 15 ou 16 ans, tranquilles, silencieuses, qui venaient d’ailleurs, de Corée, de Pologne, de Russie, du Vietnam. Tout juste arrivées en France, elles avaient été envoyées en classe de francisation dans ma petite école. Elles m’attiraient. J’allais les observer à la récré, curieuse de leur silence, des liens qui les unissaient malgré leurs différences physiques évidentes, de leurs rires. Puis je me suis approchée et je leur ai demandé de me raconter leur vie. Dans un français hésitant, timide, elles m’ont parlé de persécutions politiques, d’exil, mais aussi de leurs amoureux, de leurs parents. Le temps que je passais à les écouter, je n’étais plus avec mes ami-e-s. J’étais ailleurs dans ma tête, je découvrais des mondes aussi intrigants que les univers que je parcourais en lisant d’innombrables romans, mais plus réels, plus concrets.

Et puis il y avait les récits de ma grand-mère Denise. Elle me racontait souvent l’histoire de son arrière-grand-père, Henri Weil, célèbre helléniste né à Berlin au début du 19e siècle, auteur d’une thèse sur l’ordre des mots en grec ancien et qui avait dû quitter sa ville parce qu’en tant que juif, il ne pouvait pas obtenir de poste de professeur d’université à Berlin : « Sa condition de juif lui interdisait alors d’obtenir un poste dans une université allemande » dit succinctement Wikipédia à son propos. Ma grand-mère me raconta aussi son enfance dans une famille juive laïque qui vénérait avant tout les dramaturges de l’antiquité grecque et les mathématiques, puis sa découverte, avec le nazisme et les lois de Vichy, de sa judéité. Je l’ai écoutée des centaines de fois me raconter comment elle a dû fuir et se cacher pendant toute la guerre avec ses enfants, ses parents, déménageant 16 fois, obligée de compter sur la générosité et la bonté des uns et de se méfier constamment de la méchanceté et de la cruauté des autres. Je l’ai filmée, une fois, pour que ses descendant-e-s écoutent ce récit qui a été transcrit.

Ces histoires me montraient que le monde n’était visiblement pas aussi simple que le message que m’envoyaient les adultes, mes parents, mes enseignant-e-s, mes ami-e-s ou même les vedettes de la télévision, avec leurs consignes, les tâches à faire, les gens à respecter. Je voyais bien qu’il y avait de la souffrance, de l’exclusion, de l’injustice; et aussi qu’il y avait d’autres manières de vivre que celles qu’ils et elles essayaient de m’enseigner, dans laquelle j’étais socialisée. À l’âge de 10 ans, en 1976, j’ai écrit une lettre au président de la République française pour lui proposer un plan de lutte contre l’analphabétisme en Inde à l’aide de rames de papier à lettres et de stylos à bille (j’aimais déjà l’action, on dirait). L’analphabétisme, pour moi qui lisais constamment autant de romans que d’encyclopédies, m’apparaissait comme un handicap profond qui empêchait une personne, un enfant, de découvrir et d’explorer les innombrables mondes qui coexistaient sur notre planète et ainsi d’enrichir le sien, d’apprendre à en dépasser les frontières, les limites, de le rendre plus intéressant, plus exaltant. Comment pouvait-on se contenter du monde tel qu’il nous apparaissait?

Cette fêlure s’est agrandie de manière irrémédiable pendant mes études très sérieuses de philosophie en classe préparatoire au concours de l’École normale supérieure de Fontenay, dans un prestigieux lycée parisien au cœur du quartier latin. Banlieusarde paisible, je découvris tout d’abord les Parisiens et les Parisiennes et leur mépris surprenant pour ce qui venait de l’extérieur des boulevards périphériques. Je découvris aussi l’arrogance placide d’un professeur « heideggerien » envers les jeunes que nous étions : « je suis le maître et vous n’êtes rien », nous disait-il. Fasciné-e-s par cette « pensée », tétanisé-e-s par l’anxiété de réussir le concours, aucun-e de nous n’avait osé lui répondre. Encore une fois, je me retrouvais surtout à discuter avec les outsiders de ma classe : un Libanais fuyant la guerre dans son pays, une jeune fille avec un léger handicap, une autre qui avait été traumatisée par un pensionnat et une éducation austères. Puis est arrivé le fameux concours d’entrée à Normale Sup. Mon sujet en philosophie (ma discipline principale) était : « N’y a-t-il d’existence que de fait? » (on n’oublie pas…). La dissociation a été radicale. Une partie de mon cerveau écrivait respectueusement ce que les évaluateurs et évaluatrices attendaient de moi et que j’avais tant bien que mal appris à écrire. L’autre partie regardait la main qui écrivait et se disait : non, mais, c’est vraiment ça, la vie? C’est ce que je veux faire? Écrire d’une voix qui n’est pas la mienne, mais celle qu’une tradition d’enseignement de la philosophie impose comme la seule possible, valable, valorisée et, je dirais même, tolérable, sur un sujet qui n’avait aucun sens en raison de son abstraction extrême pour réussir un concours qui était le summum de l’élitisme à la française?

Amoureuse d’un Québécois, je suis alors partie ailleurs, à 19 ans : au Nouveau-Monde, au Québec, « sur des radeaux tressés de rêves »[1], pour y faire des études d’anthropologie, cette discipline dont tout ce que je connaissais était son intérêt pour les cultures, pour la pluralité des pratiques sociales et des croyances, des manières de pensée, des épistémologies (que je n’osais pas, à l’époque, mettre au pluriel). Pendant ces études de maîtrise, la découverte des épistémologies autres qu’occidentales a été un immense soulagement. C’était, et c’est toujours, mon passeport éternel pour la liberté de penser et la liberté de critiquer l’épistémologie occidentale qui prétend dominer ma pensée et ma vie. Il y a toujours un autre point de vue, un autre système de références, une autre vision du monde qui permet de penser autrement. Sans ce détour, sans cette « cité d’où on peut voir d’autres cités », pas de liberté.

Cette libération cognitive a été si puissante que je l’ai choisie comme sujet de thèse! Initialement, je voulais comprendre la naissance de la pensée critique à l’adolescence à travers des récits de vie d’adolescent-e-s… Mais, au fil de l’analyse des récits, j’ai de nouveau vécu une profonde dissonance cognitive, un malaise intellectuel qui a bloqué mon écriture pendant plusieurs années, jusqu’à ce que j’en fasse le sujet de ma thèse : le sentiment d’une obligation normative propre à l’écriture scientifique qui consistait à effacer du texte que j’écrivais les liens qui m’unissaient aux personnes, aux ados que j’avais rencontré-e-s et dont je parlais (en leur absence) dans ma thèse. En cette période bénie de l’essor de l’anthropologie post-moderne (années 1980 et 1990) où les positions radicalement constructivistes comme la mienne étaient pourtant les bienvenues, malgré un comité de thèse qui m’a laissé une entière liberté, ce malaise cognitif profond était la preuve que le cadre normatif dominant de la science me travaillait à mon insu, encore et toujours. Il aura fallu la lecture passionnée des livres de Zygmunt Bauman sur l’éthique postmoderne, un éternel retour aux entrevues de Michel Foucault dans Dits et écrits, un voyage au Burkina Faso pour travailler sur les savoirs des femmes, de longues discussions avec un comité de thèse curieux et bienveillant (formé de Yvan Simonis et Mikhaël Elbaz) et que je devienne une maman pour qu’un jour, je trouve le courage de « refuser l’indifférence à autrui » que voulait m’imposer ce cadre normatif de la science que j’appelle aujourd’hui « positivisme institutionnel ». Comme si les liens qui nous unissent aux autres nous empêchaient de produire du savoir!

Toute ma vie était et est la preuve du contraire : tout ce que je sais m’est venu de personnes avec qui j’ai eu des liens ou de liens que j’entretiens avec des personnes, qu’il s’agisse de liens d’amour, d’amitié, de camaraderie, de travail ou de liens contingents. Je le vois clairement en observant mes cinq enfants : on apprend « profondément » de ceux et celles qu’on aime et qu’on respecte, qui nous aiment et qui nous respectent. Sinon, on apprend pour obtenir quelque chose ou dans la peur : on ne fait que rencontrer en surface des savoirs qu’on évacuera aussi vite de notre esprit. En faisant du terrain auprès d’adolescent-e-s de Québec ou auprès de femmes africaines, j’avais collecté des récits, porteurs de savoirs. Ma thèse s’est nourrie de ces savoirs. Et je devrais ne pas évoquer la complexité des relations humaines à la source du savoir que je créais? Finalement heureuse d’avoir compris ce qui me bloquait, j’ai décidé, avec l’appui légèrement étonné de mon comité de thèse, de donner à ma thèse le titre suivant : Responsabilité pour autrui et refus de l’indifférence dans l’écriture scientifique

À l’époque de ce combat contre moi-même s’éveillèrent mon intérêt et mon engagement pour la valorisation des savoirs locaux africains, y compris ceux de personnes analphabètes ou de femmes que les féministes radicales décrivaient parfois comme trop opprimées pour pouvoir penser (c’était le sujet de mon tout premier article!). Je me rappelle encore ma joie d’avoir rencontré au Burkina Faso, dans son village, Adèle (même âge que moi) qui, avec son certificat d’école primaire, avait imaginé une approche pour montrer aux femmes analphabètes de son village une manière de faire des économies à partir de leurs maigres revenus. Quel contraste avec mon arrogant professeur heideggérien qui ne croyait plus en rien sauf en lui-même! Toutes ces rencontres et tous les liens qui s’y sont créés (ou non) m’ont faite telle que je suis. Je suis ces liens et leurs histoires, les vies qu’ils portent. Tout le savoir que je peux créer ne peut que provenir de ces liens, même si ma façon d’écrire est unique, si ma voix est mienne.

Cette juxtaposition d’expériences humaines très diversifiées, c’est ma vie et c’est la source d’inspiration du savoir que je crée. J’ai appris, avec le temps, à refuser de l’exclure de mes textes à condition, bien sûr, que mon écriture me conduise vers cette forme de réflexivité. Car je suis aussi capable d’écrire des textes impersonnels et plutôt positivistes si c’est ce qui permet de faire avancer mes combats divers et variés. Mais je n’ai plus jamais essayé de le faire pour « plaire » à des mandarins, à des gestionnaires de la science, pour m’insérer dans un cadre normatif qui me semble hypocrite et factice. En fait, ma carrière n’a jamais vraiment souffert de mon rejet du positivisme institutionnel et de ma prise de liberté, ce qui est certainement une grande chance. Elle a au contraire bénéficié de ma liberté réflexive sans laquelle je n’aurais jamais été créative et imaginative, capable de penser hors de la boîte.

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Cette seconde partie est issue de la transcription de la conférence mentionnée plus haut.

Après ma maîtrise et mon doctorat en anthropologie à l’Université Laval, j’ai réalisé un post-doctorat à McGill, tout en donnant naissance à mes trois premiers enfants. Ont suivi des années de vide professionnel, où j’ai même entrepris une maîtrise en littérature – c’est dans ce cadre que j’ai découvert une tout autre manière d’enseigner, sans examens, sans matière à apprendre par cœur, et dont je me suis éventuellement inspirée comme professeure – et où j’ai fait des contrats sur divers sujets, notamment l’éthique des services publics.

De 2003 à 2004, j’ai travaillé comme chercheuse en éthique au Conseil de la santé et du bien-être du Québec. Je m’intéressais déjà au monde de la santé, mais ce qui me fascinait par-dessus tout, c’était le pouvoir des discours scientifiques sur la construction de la réalité ainsi que la responsabilité sociale et politique des chercheurs et chercheuses (dont j’avais traité en partie dans ma thèse). Par la suite, j’ai obtenu un poste de professeure au Département d’information et de communication de l’Université Laval – disciplines dont j’ignorais alors l’existence – pour enseigner l’éthique de la communication. Ayant beaucoup travaillé sur la participation citoyenne au Conseil de la santé et du bien-être, j’ai également créé un séminaire de deuxième cycle sur la démocratie participative, lequel a perduré de nombreuses années.

Mais, à travers tout ça, j’ai aussi « fait des choses ». Ma formation en philosophie était tellement abstraite et déconnectée de la réalité qu’elle avait entraîné chez moi une aspiration à agir, à transformer concrètement le monde. J’ai donc toujours mené des projets d’action parallèlement à ma carrière de recherche, alors même que les gens me prévenaient que mon activisme allait me nuire. Mais ça ne comptait pas pour l’esprit libre, la femme libre que j’étais.

L’une des premières choses que j’ai faites, quand je travaillais dans le monde de la santé, a été de créer à Québec un « espace des citoyens » sur la santé. On y faisait des bulletins de santé pour conscientiser les citoyen-ne-s de la région de Québec sur leurs droits en matière de santé, sur les services existants, etc. C’était un beau projet, qui a bien marché, mais avec l’éclosion du SRAS en 2003, les centres de santé ont coupé toutes les subventions et tout s’est terminé brutalement. À la même époque, j’ai aussi organisé beaucoup de consultations publiques sur les services de santé aux personnes âgées, sur la procréation médicalement assistée, sur les services en santé mentale, etc. Grâce à toutes ces expériences, j’ai appris énormément.

2011 fut une année assez exceptionnelle, car j’ai à la fois fondé l’Association science et bien commun et lancé Accès savoirs, la boutique des sciences et des savoirs de l’Université Laval, toujours actives aujourd’hui. Une boutique des sciences est un dispositif qui permet de mettre en contact les organismes de la société civile (les organismes communautaires, les associations, etc.) avec des étudiant-e-s, qui peuvent alors organiser des projets pour répondre aux besoins de ces organismes[2]. Par exemple, il y a quelques années, la Maison Lauberivière (un refuge pour les personnes itinérantes à Québec) souhaitait identifier la journée de la semaine où il y avait le plus de demandes pour les repas, afin de mieux gérer leur approvisionnement. Accès Savoirs a donc été consulter une professeure de statistiques, qui a transformé cette requête de la Maison Lauberivière en un projet d’analyse statistique pour ses étudiant-e-s. Les résultats du projet ont tellement plu à l’organisme qu’il a demandé un petit logiciel pour pouvoir générer ces statistiques de manière autonome. Accès Savoirs est alors allé voir un professeur en génie logiciel qui, avec ses étudiant-e-s, a pu concevoir le logiciel en question.

L’Association science et bien commun (ABSC), quant à elle, a été inaugurée lors d’un colloque à l’Acfas[3] intitulé « Une autre science est possible : science ouverte, science engagée, science collaborative, contre la marchandisation du savoir » (9-11 mai 2011, Université de Sherbrooke). À l’origine, l’ASBC avait pour but de construire un discours critique sur les politiques scientifiques néolibérales adoptées par les gouvernements du Québec et du Canada. Mais, bien vite, ses chantiers se sont élargis.

C’est dans le cadre de l’Association science et bien commun que j’ai créé, en 2015, les Éditions sciences et bien commun (ESBC), avec l’objectif de mettre en action cette « autre science » : non seulement c’est une maison d’édition de livres en libre accès, mais c’est aussi une maison d’édition décoloniale, parce qu’on y publie des livres du Nord et des Suds et qu’on y valorise toutes les langues et le plurilinguisme.

Les Éditions science et bien commun ont d’ailleurs publié en 2020 Décoloniser les sciences sociales, une anthologie d’Orlando Fals Borda, le fondateur colombien de la recherche-action participative dans les années 1960. Cette anthologie comprend seulement six textes, mais ce sont des textes « coup de poing » dans lesquels Fals Borda montre qu’il avait compris, après sa formation aux États-Unis, que les cadres théoriques qu’il avait appris dans les pays du Nord, comme le fonctionnalisme, n’avaient aucune pertinence pour la Colombie; ils étaient basés sur des réalités complètement différentes. Fals Borda a alors inventé la recherche-action participative comme moyen de se détacher de ces concepts occidentaux pour concevoir une recherche véritablement adaptée aux pays tropicaux, multiculturels, colonisés, etc.

Écriture du pouvoir, pouvoir de l’écriture

Puisque, pour moi, l’action est fondamentale, j’ai développé un grand intérêt pour la recherche-action au cours de ma vie. Je l’ai abordée de façon instinctive. La recherche n’avait de sens que si elle permettait de changer le monde, de construire un monde plus juste. Je n’ai jamais accepté une autre raison d’être à la recherche C’est pourquoi mon autre combat, le militantisme, ne se fait pas à côté de ma vie de chercheuse (ce que peu de gens comprennent). Il se retrouve dans mes recherches et notamment dans ma façon d’écrire. Ni mes articles ni ma thèse ne sont écrits d’une façon conventionnelle.

L’écriture de mon mémoire de maîtrise était assez classique, mais le sujet était original : j’y ai fait une analyse critique des discours scientifiques qui essayaient d’expliquer la surdélinquance des Autochtones au Canada[4]. Cette analyse m’a permis de voir ce qu’on appelle aujourd’hui le racisme systémique dans le monde judiciaire. Mais moi, je l’ai analysé du point de vue de la démarche scientifique. J’ai constaté que le discours sociologique qui expliquait la surdélinquance par l’anomie culturelle des Autochtones était devenu un discours behavioriste qui, sur le plan politique, leur nuisait, en envoyant le message que « les pauvres Autochtones sont destiné-e-s à être délinquant-e-s ». Je défendais donc que, sur le plan politique, ce genre de message était contre-productif, de la même manière que, sur le plan juridique, l’accumulation des lois finissait par créer des conditions propices à la délinquance (l’idée du racisme systémique). J’ai d’ailleurs donné la même explication à propos des femmes africaines dans mon tout premier article, « Les enjeux de la production de connaissances : essai sur le pouvoir, le savoir et la solidarité féministe ». J’y expliquais que les discours des féministes radicales des années 1990, qui s’acharnaient à décrire les conditions d’oppression des femmes africaines, généraient une image de ces femmes comme étant tellement opprimées qu’elles étaient incapables de réfléchir ou d’agir. Je défendais que ce n’était pas de cette façon qu’on allait leur donner plus de responsabilité dans le monde du développement international (cet article n’a d’ailleurs pas beaucoup plu à certaines féministes radicales de l’Université Laval).

Bref, j’ai toujours été très sensible aux effets de pouvoir des travaux scientifiques sur la recherche. Moi-même, j’ai dû travailler sur mon écriture pour essayer de ne pas générer les effets de pouvoir dont je ne voulais pas. Dans mon texte « Écriture et responsabilité », écrit en 1996 mais toujours apprécié, j’explique que si on adopte une posture un peu naïve, en se disant : « Je fais de la recherche et je présente les résultats, un point c’est tout », sans se préoccuper des effets, des conséquences de notre texte, de qui va le lire, etc., on se retrouve dans une position amorale parce qu’impersonnelle. J’explore ensuite une deuxième posture centrée sur la dénonciation des conditions de vie matérielles et humaines, laquelle peut aussi produire des effets de pouvoir qui vont complètement à l’encontre de notre posture politique. Je défends donc, dans mon article, une troisième posture, celle de l’éthique du souci des conséquences (que je développe en m’appuyant sur Weber, Lévinas, Bauman et Foucault), laquelle nous place dans un rapport à la vérité non positiviste. Quand on fait de la recherche, on produit des textes qui ont une vie, qui circulent, qui peuvent produire des effets, qui influencent ou non. Ce n’est pas qu’un exercice de style où il faut apprendre à écrire de telle ou telle manière. C’est beaucoup plus subtil; les mots, les textes ont un pouvoir qui les dépassent!

Dans ma thèse, ma manière d’écrire était un enjeu fondamental pour moi. Mon sujet était la manière dont la pensée critique naît à l’adolescence, dans la vie quotidienne, quand on découvre qu’il y a une autre forme de vie possible que la nôtre. C’était aussi une expérience anthropologique : je suis allée à la rencontre de 75 adolescent-e-s pour qu’ils et elles me racontent leurs vies et essayent de découvrir quand ils et elles ont vécu de tels moments et fait ce genre d’expériences critiques. Très naïve, je suis partie faire des récits de vie dans une école de mon quartier – je n’étais pas du tout dans l’anthropologie exotique et j’étais à peine plus âgée que les jeunes que je questionnais, mais j’avais un merveilleux comité de thèse qui m’a laissé faire exactement ce que je voulais.

J’ai donc fait ces récits de vie, de vies parfois très difficiles, et ça m’a complètement bouleversée. Il s’est passé quelque chose de très étonnant : ces jeunes m’ont raconté des choses qu’ils et elles n’avaient jamais racontées à quelqu’un d’autre. Pourquoi? Était-ce simplement parce que j’étais gentille, sympathique, ou parce que j’étais là et qu’ils et elles pouvaient profiter de ma présence pour se vider le cœur?  Ou était-ce plutôt le pouvoir de la science, le pouvoir des discours scientifiques d’extraire des vérités? À l’époque, je lisais beaucoup Foucault, à propos de la confession notamment, et j’ai senti qu’il y avait là quelque chose de cet ordre.

Sauf qu’ensuite, j’ai bloqué complètement. Pendant plusieurs années, je n’ai plus du tout avancé dans ma thèse, au point où j’ai failli abandonner la recherche. Je me suis alors tournée vers autre chose : j’ai fait des bébés et je suis allée en Afrique pour travailler sur les savoirs des femmes africaines. Puis, j’ai décidé que j’allais réfléchir à mon blocage. C’est d’ailleurs un conseil que je donne aux étudiant-e-s : si vous bloquez, ce n’est pas que vous êtes incompétent-e-s; vous vous trouvez sans doute devant un problème réel, auquel il est possible de réfléchir. C’est en tout cas ce que j’ai fait : j’ai décidé de me pencher sur mon blocage, sur mon « problème réel ».

À l’époque, je travaillais sur la pensée critique, qui était à mon avis profondément liée à l’éthique. Ce que j’ai compris, c’est que ces récits de vie que je « collectais » étaient en fait des co-constructions : ces adolescent-e-s me répondaient, je leur répondais aussi, et tout ce que je leur disais avait un effet sur eux et elles. Un récit de vie, ce n’est pas comme une histoire recueillie avec un magnétophone; c’est une histoire que deux personnes construisent ensemble. Dans mon expérience, un lien s’était établi entre les ados et moi, un lien très complexe, notamment avec certain-e-s. Ces jeunes voyaient bien qu’ils et elles m’apprenaient des choses et testaient ma capacité à accueillir leur parole. C’est ce que j’ai appelé le « lien éthique », lequel oblige à une réponse : quand une personne me fait une confidence, je dois lui répondre si je veux la respecter comme une personne et non pas la traiter comme un objet – ce qui était mon désir personnel éthique le plus profond.

Je me suis alors aperçue que le cadre normatif de l’écriture scientifique ne permettait pas cette réponse, puisqu’il fallait, au nom de l’injonction de neutralité et d’objectivité scientifique, que je sois invisible dans mon texte. Or, mon rôle et mon impact sur ces récits de vie m’apparaissaient comme énormes; il y avait là une contradiction, et c’est cette contradiction même qui me bloquait. Je me suis alors dit que j’allais trouver une solution dans l’écriture : j’ai fait le choix d’analyser les paroles, non seulement de l’ado, mais aussi les miennes. Au lieu d’effectuer la traditionnelle analyse d’extraits de verbatim, j’ai analysé de longs extraits, présentés sous forme de répliques – celles de l’ado et les miennes –, comme dans l’écriture d’une pièce de théâtre. J’ai ainsi analysé des dialogues, tout en essayant de ne pas être complaisante envers moi-même (car je me jugeais parfois un peu sévèrement).

C’est ainsi que j’ai écrit ma thèse, intitulée Responsabilité pour autrui et refus de l’indifférence dans l’écriture scientifique[5]. C’est elle qui m’a guidée dans tout ce que j’ai écrit ensuite, dans ma manière de présenter les savoirs que j’ai construits, que j’ai tirés de mes enquêtes (puisque j’ai fait beaucoup de recherche empirique), sans jamais délaisser la dimension éthique et humaine de la recherche.

Après son dépôt, je me suis dit que j’allais attendre un bon moment avant de refaire des récits de vie, tellement c’était prenant sur le plan personnel. Mais il ne s’agit pas moins d’une méthode essentielle, comme je l’explique dans mon texte « Les récits de vie peuvent-ils être un outil de changement social et de résistance aux injustices épistémiques? ». Co-construire un récit de vie est très prenant, très engageant, mais ça nous fait grandir, ça nous transforme. En faisant mon terrain pour ma thèse, j’ai compris tellement de choses sur l’adolescence, sur ma propre adolescence; ça m’a ensuite aidée à élever mes enfants, à communiquer avec eux et elles.

Ma remise en question de l’injonction de neutralité scientifique

Je souhaite à présent revenir sur cette notion d’injonction de neutralité. Très influencée à l’époque par Foucault, qui me parait toujours d’un esprit critique tellement pertinent, je me suis mise à réfléchir au cadre normatif de la recherche de manière très critique. C’est de là que vient mon expression « une autre science est possible ». Dans mon texte « L’amoralité du positivisme institutionnel » (2019), je résume 20 ans de réflexion à ce sujet.

Dans les cours d’épistémologie, on présente souvent une alternative entre constructivisme et positivisme. Le positivisme, c’est la neutralité, l’objectivité, c’est l’effacement de la subjectivité du texte, c’est l’adoption d’un « point de vue hors de tout point de vue », réservé à la parole scientifique. Dans ce cadre, les savoirs ne sont pas ancrés, mais ils « flottent en l’air ». À l’inverse, le constructivisme est beaucoup plus dans la co-construction, et surtout dans la conscience de ce qu’on fait; quand on fait de la recherche, on construit quelque chose.

Or, je me suis aperçue au fil du temps que ces deux options ne sont pas les seules possibles. C’est l’impression qu’on a pourtant, parce que le positivisme est institutionnalisé dans le fonctionnement même de l’université. Il s’agit d’un phénomène dont on parle très peu aux étudiant-e-s : on leur présente les auteurs et autrices, les théories, les méthodes, etc., mais beaucoup moins les coulisses de la recherche, le processus de production des doctorant-e-s, la manière dont on leur apprend à se déshumaniser pour pouvoir produire des textes, des articles et des données qui seront utilisés par d’autres.

Ce positivisme institutionnel apparaît en particulier quand on fait l’ethnographie de la formation à la recherche; on s’aperçoit alors de nombreux détails. Par exemple, dans plusieurs formulaires d’approbation éthique, on exige des hypothèses et des variables; si vous n’en avez pas, vous êtes déjà un peu marginalisé-e-s. Ce positivisme est ainsi transmis dans le fonctionnement même des comités de la recherche.

Toutefois, refuser le positivisme, ce n’est pas choisir le constructivisme – c’est là une vision un peu naïve –, mais c’est réfléchir à : Qu’est-ce que la science? Qu’est-ce que la recherche? Quelle est la recherche qu’on veut faire? Pourquoi on fait de la recherche?

À ce sujet, mes grandes enquêtes en Afrique ont été révélatrices : dans les universités d’Afrique francophone, les doctorant-e-s s’inscrivent au doctorat très rarement pour faire de la recherche (on ne leur explique pas toujours clairement ce qu’elle implique), mais plutôt pour le statut que cela donne à leur parole. Heureusement, certain-e-s se découvrent une passion pour la recherche et deviennent d’excellent-e-s chercheurs et chercheuses. D’autres, dont plusieurs que j’ai rencontré-e-s, notamment des étudiant-e-s en environnement, m’ont fendu le cœur : ils et elles arrivent au doctorat pour approfondir leur engagement au service de leur communauté, mais se retrouvent vite désillusionné-e-s.

Je me souviens d’une jeune femme que j’ai rencontrée à Rimouski. Après avoir écouté ma présentation, elle est venue me voir pour me dire : « Je voulais faire une recherche sur tel sujet, par conviction et par engagement. Mais tout ce dont on me parle, c’est de produire des articles dans des revues à facteur d’impact et de participer à des demandes de subvention. » Elle se sentait complètement déconnectée de ce qui, au départ, l’avait motivée à poursuivre ses études et à faire de la recherche.

Pour moi, en tout cas, c’était clair : je faisais de la recherche pour changer le monde. Et le combat que j’avais choisi, c’étaient les injustices, plus précisément les injustices épistémiques. Il s’agit d’un concept que je ne connaissais pas encore quand j’ai co-écrit, avec mon amie Félicité Ringtoumda, le rapport Les savoirs des femmes au Sahel : vers une revalorisation des compétences locales en 1991. À l’époque, Miranda Fricker n’avait pas encore publié son livre sur les injustices épistémiques[6]. Mais, pour moi, le fait que ces femmes sahéliennes possédaient de réels savoirs et qu’elles étaient néanmoins considérées comme des marionnettes opprimées, c’était une injustice extrêmement profonde. C’est cette injustice-là – le fait que tant de gens possèdent des savoirs qui sont méprisés et ignorés socialement et à l’université – qui m’a toujours mobilisée. C’est devenu le moteur de mon travail.

Après avoir travaillé sur la santé, je me suis concentrée sur la science et sur la question de la démocratisation de l’accès à la science. C’est ce qui m’a amenée vers le champ de la science citoyenne, de la citoyenneté scientifique – l’idée selon laquelle tout le monde possède des savoirs. J’en étais un peu la précurseure au Québec; peu de gens s’y intéressaient, alors qu’en Europe, ça se développait beaucoup (aujourd’hui, c’est de plus en plus connu et articulé, surtout selon l’angle des épistémologies du Sud).

À l’époque, j’avais compris que même l’anthropologie, qui offre des outils remarquables, entretenait cependant des rapports d’exploitation : l’anthropologue va voir des informateurs et informatrices pour leur « prendre » leurs savoirs et rédiger des articles ou des monographies, mais sans jamais y faire participer les personnes desquelles proviennent ces savoirs. C’est à cause de ce rapport d’exploitation que je n’ai jamais fait d’anthropologie « exotique ». Sans pouvoir l’articuler aussi clairement qu’aujourd’hui, je me sentais mal à l’aise à l’idée d’aller dans un endroit lointain, d’y prendre les savoirs des gens et d’ensuite écrire un livre sur lequel bâtir ma carrière. Ça ne me disait rien; je préférais aller voir « mes ados »!

Je suis d’ailleurs très fière d’avoir fait deux articles à partir de ma thèse dans lesquels j’ai donné la parole à l’ado dont il était question : « Dialogue sur l’enquête empirique et ses effets politiques »[7] et « La tolérance culturelle et éthique du décrochage scolaire ». Dans ce texte, je raconte d’abord l’histoire d’un jeune homme ayant décroché deux mois avant d’avoir son diplôme de secondaire V – ce qui m’avait complètement sidérée –, puis à la fin, je lui donne la parole (c’est lui qui a rédigé la conclusion).

Bref, en constatant que l’anthropologie s’intéressait aux savoirs locaux, aux savoirs des personnes, mais toujours dans ce rapport d’exploitation, mon malaise m’a conduite à mieux comprendre la sensation d’injustice épistémique. C’est probablement lié au fait que je viens d’une famille de la grande bourgeoisie intellectuelle française : j’ai des arrière-grands-pères qui étaient professeurs à l’université, et même ma grand-tante était professeure d’université, ce qui était peu courant à l’époque. Ce contexte élitiste, je l’ai retrouvé dans mes études de philosophie en France. Mais je sentais qu’il y avait autre chose que ces savoirs élitistes, qu’il existait d’autres savoirs intéressants, même s’ils ne sont pas validés par la science, et qu’on en avait besoin pour avancer, y compris dans la science, dans la recherche.

Les récits de vie sont une manière extraordinaire d’avoir accès aux savoirs expérientiels d’une personne. Un des plus beaux projets de récits de vie que j’ai réalisés, c’est avec mes étudiant-e-s : je les ai envoyé-e-s faire des récits de vie avec des réfugié-e-s ou des immigrant-e-s de la ville de Québec, à partir desquels on a ensuite publié des livres (Québec ville refuge, Québec africaine, Québec arabe et Québec latina)[8]. Les étudiant-e-s devaient aussi recueillir les savoirs des immigrant-e-s sur l’intégration, sur le Québec, de manière à mettre en valeur ces savoirs et non seulement leurs parcours.

L’importance de l’ancrage et de l’humilité dans l’écriture

Lorsque j’ai rencontré, plus récemment, le mouvement de pensée décoloniale et notamment le travail de Boaventura de Sousa Santos sur les épistémicides, je me suis tout de suite retrouvée. Pour moi, c’était un terrain familier. Comment rendre justice à ces savoirs, sans les transformer, sans les absorber puis les réinterpréter? Il s’agit là d’un problème épistémologique de base. C’est d’ailleurs ce que je reproche beaucoup aux sciences sociales qui sont non réflexives : comment recueillir les savoirs et les transmettre sans les « digérer » à notre façon? Quand on écrit un texte, on a tendance à utiliser seulement les extraits des verbatims d’entrevues qui illustrent notre propre raisonnement au lieu de prendre en charge l’ensemble de ce qui s’est dit, de ce qui s’est vécu.

Malheureusement, je n’ai toujours pas la solution. J’essaie encore différentes façons d’écrire… Mais j’ai compris une chose, c’est qu’il faut avant tout de l’humilité. C’est là un grand débat que j’ai eu avec mon directeur de thèse, avec des psychanalystes aussi : on ne peut pas sortir de soi, on ne peut pas arriver à cette objectivité, à présenter des savoirs qui viennent d’autres univers, d’autres épistémologies, comme s’ils existaient « en eux-mêmes ». On est toujours situé quand on en parle. En même temps, il faut leur rendre justice. Voilà mon combat : essayer de savoir comment rendre justice à des savoirs et à des façons de penser autres que la mienne, tout en reconnaissant que je suis toujours située, ancrée.

J’insiste beaucoup sur la question de l’ancrage dans mon écriture. Récemment, je relisais des textes que j’ai écrits sur le positivisme institutionnel où je constatais que le financement et les remerciements sont toujours placés en notes de bas de page. C’est pourtant une information fondamentale : si on a reçu de l’argent de telle ou telle source, ou de l’aide de telles ou telles personnes, que ce soit nos informateurs ou informatrices, les personnes qui nous ont relu-e-s ou les personnes qui nous ont influencé-e-s, notre recherche en est toujours affectée! Mais le positivisme institutionnel nous habitue à tout reléguer en notes de bas de page.

Dans mes textes, j’essaie de réintroduire ces éléments fondamentaux, mais ça reste un défi d’aller contre ces conventions. En Afrique, par exemple, les chercheurs et chercheuses indiquent toujours si leurs recherches sont basées sur le financement du Nord quand on en parle de vive voix, mais ils et elles ne sont pas libres de poser ces questions de financement de la recherche directement dans leurs textes. C’est pourtant fondamental d’expliquer d’où vient l’argent, s’il y en a ou s’il n’y en a pas, parce que ça change tout.

Dans mes conférences, j’essaie de dire qui je suis, d’où je parle, avec quels moyens… J’essaie de prendre conscience de la dimension matérielle de mon travail. C’est encore quelque chose qui manque dans la formation des chercheurs et chercheuses; c’est comme un détail dont on parle à la machine à café. Les gens vont se plaindre de leurs conditions de travail et de la violence institutionnelle sur Twitter, mais jamais dans leurs textes.

J’ai écrit un autre texte sur la violence séparatrice du positivisme institutionnel, « Méditation haïtienne » (2017), dans lequel j’explique qu’il y a un lien fondamental entre la manière d’écrire un texte et le contenu même du texte. C’est précisément ce qui me motive à toujours me situer, à montrer mes limites et mes possibilités, à jouer sur l’écriture, pour ramener au concret, au matériel, le savoir que je produis. Le résultat peut paraître parfois un peu étrange (on peut trouver qu’il y a trop de « je »!).

J’ai eu beaucoup d’aventures avec certains de mes textes auprès de quelques évaluateurs ou évaluatrices… C’est justement le cas de « Méditation haïtienne », que je considère comme le plus beau texte que j’ai écrit. C’est un texte que je commence en disant que je suis assise à la terrasse du restaurant d’un hôtel en Haïti, que la serveuse s’approche de moi et me propose un verre de jus de fruit, que j’accepte avec une phrase en créole, avant de me concentrer pour préparer le cours que je vais donner le lendemain à l’université… Quand j’ai envoyé ce texte à la revue, les éditeurs m’ont dit qu’ils allaient le mettre dans la section « Témoignages ».

En réalité, j’ai écrit ce texte alors que j’étais assise à la cafétéria d’un aréna, pendant le match de hockey de mon fils aîné! J’avais mon manteau sur moi, il y avait une odeur de friture… Ce que j’avais écrit n’avait apparemment rien à voir, c’était de la fiction. Néanmoins, je suis déjà allée dans cet hôtel en Haïti, un jour. J’ai donc fait ce choix pour concrétiser mon texte. J’ai joué sur l’écriture, mais mon texte n’était pas de la fiction. J’y présentais bel et bien les résultats de mes recherches, de mes travaux en Haïti et en Afrique sur la justice politique. Mon texte est même passé dans les mains d’un évaluateur qui l’a réécrit en enlevant tous les « je »… Mais, finalement, j’ai eu gain de cause.

Dans mon article « La tolérance culturelle et éthique du décrochage scolaire » (2002), le correcteur avait aussi tout réécrit au « nous », ce qui était pour moi une aberration. Alors j’ai caché ce texte pendant de nombreuses années, j’en avais honte. Mais grâce à une amie, Zoé Lüthi, qui a tout remis au « je », je peux de nouveau montrer ce texte, qui avait à l’origine pour titre « Le vent, les étoiles, la douleur et l’espoir : dialogue sur l’école et le rapport à soi entre Guillaume, 17 ans, et une anthropologue ».

L’écriture et les conditions matérielles sont des éléments fondamentaux pour la recherche. Les chercheurs et chercheuses sont des artisan-e-s; ils et elles font de leur mieux avec les matériaux et les lieux à leur disposition… C’est d’ailleurs une injustice terrible pour les universitaires des Suds, qui sont censé-e-s écrire des articles scientifiques comme ceux et celles du Nord, mais sans subventions de recherche, sans assistant-e-s de recherche. En général, ils et elles n’ont pas d’aide, sauf en cas de financement par des projets du Nord. C’est particulièrement le cas des universités d’Afrique francophone. Elles ne sont absolument pas dans les mêmes conditions qu’au Nord : leur accès au web est instable ou inexistant, elles n’ont pas de revues pour publier des articles scientifiques et elles n’ont certainement pas accès aux revues payantes… Mais on voudrait que leurs chercheurs et chercheuses produisent les mêmes articles que ceux et celles du Nord! Le fait que certain-e-s y arrivent montre leur génie.

Mon engagement dans le mouvement du libre accès

Comment faire une autre science? Dès 2010-2011, j’ai découvert le mouvement du libre accès. Je m’intéressais alors à la démocratisation de l’accès à la connaissance scientifique comme de sa production. J’avais même eu l’idée de créer un « parlement des sciences », où les grands projets de recherche subventionnés par de très gros budgets seraient débattus par la société civile et évalués en fonction du bien commun : par exemple, quelle est la valeur de la banque des données génétiques Carthagène? Existe-elle vraiment pour le bien commun? Malheureusement, ce travail sur la citoyenneté scientifique, sur les consultations publiques sur les politiques scientifiques, a été un échec total.

Je me suis aperçue que les universitaires sont très peu au courant des politiques scientifiques du gouvernement fédéral ou du gouvernement provincial. C’est pourtant ce qui conditionne les financements des organismes de recherche et des centres de recherche; c’est fondamental, mais les chercheurs et chercheuses n’en sont pas informé-e-s, comme si ça ne les concernait pas puisque les questions financières et budgétaires sont laissées aux gestionnaires. Dans la population, c’est encore pire : il y a un total manque d’intérêt. Je l’ai constaté avec l’échec de mon projet sur les sciences citoyennes en 2012; j’ai tiré une bonne leçon de cette expérience.

On a quand même produit, avec l’Association science et bien commun, des mémoires politiques sur les politiques scientifiques, sur l’importance de bien financer les sciences sociales et humaines, de financer la recherche qualitative et la recherche-action, d’encourager les boutiques scientifiques et autres dispositifs à l’interface de la société[9].

La question du libre accès est importante pour moi parce que j’ai toujours été mal à l’aise avec tout ce qui concerne la vulgarisation. Le concept de vulgarisation scientifique implique que les scientifiques peuvent continuer à écrire des articles incompréhensibles pour le « grand public », puisque des gens pourront ensuite les simplifier pour le bon peuple. C’est la théorie du déficit de compréhension : le bon peuple est dans la caverne, incapable de comprendre la science; il faut donc la lui traduire… Cette approche ne m’a jamais convaincue. À mon avis, les chercheurs et chercheuses doivent fournir un effort pour être accessibles, en expliquant tout simplement leurs concepts. C’est mon passage par la philosophie qui m’a fait voir pour la première fois que cette complexité conceptuelle exprime des choses finalement très simples; puis je l’ai retrouvée dans la société. Il y a pourtant des gens qui ne sont pas passés par l’université et qui sont parfaitement capables de comprendre des articles scientifiques.

Donc, pour moi, démocratiser la science, ce n’est pas du tout la vulgariser davantage et multiplier les médiations. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire : moi-même, j’ai organisé au Musée de la Civilisation des « Nuits de la liberté » dans ce but. Mais, à mon avis, le contact direct avec la science est irremplaçable. Le libre accès m’apparaissait donc un excellent outil de démocratisation du savoir, qui permet par exemple au corps enseignant et aux psychologues de continuer à lire, à s’informer sur les recherches récentes même après avoir quitté l’université. On oublie souvent que, quand on quitte l’université, on perd l’accès aux revues payantes; c’est absurde!

C’est donc ainsi que je me suis retrouvée à militer pour le libre accès. Quand je suis allée enseigner en Haïti, j’ai découvert que la connexion internet des étudiant-e-s était en général très mauvaise, et que la plupart ignoraient qu’il existait beaucoup d’articles en libre accès sur le web. Il y avait là un manque criant de littératie scientifique numérique. C’est ce qui m’a donné envie de travailler en Haïti, puis en Afrique francophone, pour développer cette littératie scientifique et montrer qu’il est possible d’avoir accès, par le web, à une grande richesse d’articles scientifiques. Souvent, les bibliothèques des universités d’Haïti ou d’Afrique francophone sont presque vides; je l’ai constaté de mes yeux. Je me souviens en particulier de celle de l’Université de Sonfonia, en Guinée : il n’y avait presque rien, trois étagères de livres au sous-sol. Les étudiant-e-s ne pouvaient même pas se promener dans les rayonnages.

Puis, petit à petit, j’ai réalisé que le combat pour le libre accès ne devait pas se concentrer seulement sur l’accès aux publications du Nord, puisque cela renforçait encore l’hégémonie des savoirs occidentaux dans les universités des Suds. C’est là que je me suis mise à militer pour le libre accès des publications africaines. J’ai créé le Grenier des savoirs, une plateforme web accueillant une quinzaine de revues panafricaines en libre accès. Il s’agissait d’accompagner les acteurs et actrices de la recherche africaine à produire des savoirs qui intéressent directement leur environnement au lieu de subir mécaniquement la frénésie des appels à contribution venant de l’Occident. Le dispositif que nous avons imaginé avec mon collaborateur Gilbert Babena, qui a pris les rênes du secrétariat général, était de prendre en charge toute la chaîne éditoriale afin que les membres du comité de rédaction puissent se concentrer sur la dimension intellectuelle de leur revue en identifiant les thématiques pertinentes, en lisant et en sélectionnant les textes qui constitueront le dossier en cours de préparation. L’équipe du Grenier des savoirs, pour sa part, reçoit les textes, fait la communication, la révision linguistique des textes pour améliorer leur qualité, l’archivage et aussi la formation. De nombreuses formations ont été organisées sur les questions d’édition scientifique, mais surtout sur les bonnes et mauvaises pratiques. Le modèle des revues « diamant » que nous avons choisi dispense les auteurs et autrices des frais de publication. L’aventure du Grenier a facilité des collaborations entre des universitaires qui ne se parlaient essentiellement que dans leurs publications.

J’ai toujours été convaincue que le développement de la recherche dans le Sud global devrait prendre en compte cette dimension humaine et encourager les collaborations Sud-Sud au lieu d’imposer les modèles et la perception du Nord. C’est un peu cela la philosophie de l’Ubuntu à laquelle j’ai toujours été attachée. Bien évidemment, le Grenier n’est pas la réponse à tout, mais c’est un véritable laboratoire d’observation des pratiques. Avec plus de moyens, nous pouvons mieux impacter l’écosystème de la recherche africaine et améliorer son potentiel éditorial.

Bref, le libre accès est vite devenu très important pour moi. Il fait partie de ma prise de conscience de la matérialité de la recherche. Je crois que nous, les universitaires, devrions toujours exiger de publier en libre accès. J’ai seulement un texte qui n’a pas été publié en libre accès, The Art of Public Electronic Consultation : Experiences from Québec, Canada [10]. Mais ensuite, j’ai toujours publié en libre accès pour favoriser l’accès et le partage des savoirs. J’ai été sans compromis là-dessus, même dans les livres collectifs et dans les revues payantes.

Mon combat pour la justice cognitive

Justice épistémique et justice cognitive semblent très proches pour beaucoup de gens, mais pour moi, il y a une différence fondamentale. Les injustices épistémiques, c’est cette incapacité de certains savoirs à se faire entendre, à se faire respecter, à être utilisés, parce que ce sont des savoirs qui sont expérientiels, qui viennent du Sud, qui viennent des femmes ou qui viennent de personnes qui n’ont pas le statut social d’universitaire ou de docteur-e. Les étudiant-e-s des universités africaines, par exemple, sont obligé-e-s d’adopter l’épistémologie des pays occidentaux pour faire de la recherche, renonçant ainsi à leurs langues – une blessure fondamentale – et à leurs épistémologies, pour entrer dans la soi-disant conversation scientifique universelle, qui est en fait basée sur un modèle normatif très spécifique. L’injustice épistémique est donc une violence faite à des personnes qui ne peuvent pas utiliser leurs savoirs et les faire valoir, en plus de devoir apprendre à réfléchir selon la pensée d’une autre culture, d’une culture dominante dans le cadre des rapports Nord-Sud.

Le concept de justice cognitive est différent. Il a été inventé par un anthropologue indien, Shiv Visvanathan (j’ai d’ailleurs traduit son texte sur le dialogue des savoirs[11]) pour faire référence à la reconnaissance de la valeur de tous les savoirs – lui parlait des savoirs traditionnels indiens, mais aussi des épistémologies en Inde. En le découvrant, nous – les membres du projet SOHA[12] – avons repris ce concept et l’avons repensé pour y ajouter toute la dimension matérielle des savoirs, puisque ce n’est pas seulement une question épistémique; c’est aussi une question de moyens qui nous permettent d’exprimer nos savoirs.

Je l’ai vu avec les étudiant-e-s africain-e-s que j’ai initié-e-s à un peu plus de littératie scientifique numérique : ils et elles se sont rapidement mis-e-s à publier sur le web leurs textes et leurs idées. À leurs yeux, ça changeait tout de maîtriser ces nouveaux outils, et surtout de comprendre l’injustice que leur faisait subir le manque d’accès au web, que ce soit à l’université ou à la maison. Ces étudiant-e-s doivent constamment connecter leurs ordinateurs à leurs téléphones cellulaires pour y avoir accès, ce qui les oblige à acheter des forfaits très coûteux. La connexion Wi-Fi n’existe généralement que dans les centres de recherche qui peuvent être soutenus par les pays du Nord ou par les bureaux AUF (Association des Universités Francophones). C’est là qu’ils et elles se rendent pour essayer d’effectuer leurs recherches bibliographiques et leurs revues de littérature, même si, là encore, la plupart des universités africaines ne sont pas abonnées aux revues payantes.

Travailler dans de telles conditions représente des injustices matérielles, organisationnelles et institutionnelles qui, pour moi, sont aussi importantes que les injustices épistémiques. Elles forment un ensemble.

Le système d’évaluation des articles en fait aussi partie : quand on veut publier un article, on l’envoie à une revue qui le fait évaluer par des évaluateurs et évaluatrices externes soi-disant impartiaux et impartiales. On croit que c’est un système qui est garant de la qualité, alors qu’il entretient un racisme systémique : j’ai reçu plusieurs témoignages de chercheurs et chercheuses africain-e-s qui envoient leurs textes à des revues du Nord et qui se font reprocher de mettre trop de références à des textes africains et pas assez à des textes occidentaux. Parfois, l’article va être mal vu seulement à cause du nom africain de l’auteur ou de l’autrice. Les nombreuses failles de ce système d’évaluation entraînent le rejet quasi systématique des articles du Sud dans les revues du Nord, ce qui fait qu’il y en a très peu. C’est du moins ce que montre une célèbre carte sur la production scientifique mondiale, mais qu’il importe de nuancer : elle est tirée d’une base de données faite aux États-Unis, qui exclut tout ce qui n’est pas en anglais. De plus, la recherche africaine se fait surtout dans les thèses, les mémoires et les rapports de recherche, en plus d’être très rarement publiée en ligne; elle n’apparait donc pas dans ces bases de données.

J’ai eu l’occasion, au summum de ma vie politique, de rencontrer le conseil de tous les ministres de l’enseignement supérieur de tous les pays d’Afrique francophone. J’ai eu droit à trois minutes de parole. Je les ai concentrées sur la nécessité de développer le web sur les campus, pour que les étudiant-e-s puissent effectuer leurs recherches de littérature et pour que les universités africaines puissent mettre en ligne toutes leurs thèses, tous leurs mémoires, leurs rapports de recherche, leurs travaux et leurs revues. Il y a beaucoup de revues dans les universités africaines, mais elles sont en papier et non en ligne! Encore une fois, on voit à quel point la dimension matérielle, à la fois de son identité (origine, langue, culture, etc.) et des outils dont on dispose pour faire de la recherche, est fondamentale.

Les injustices épistémiques, tout comme la colonisation des esprits, sont des problèmes majeurs qui mènent au désespoir et dont les étudiant-e-s sont bien conscient-e-s. La question difficile est plutôt de savoir comment en sortir, sans ressources et sans moyens. Avec les Éditions science et bien commun et le Grenier des savoirs, nous avons essayé de proposer d’autres façons de faire et de valoriser la recherche-action. Malheureusement, la recherche-action n’est pas enseignée dans les universités d’Afrique francophone, et très peu dans nos universités des pays du Nord, alors que, pour moi, c’est la seule façon de mener une recherche qui respecte les savoirs des un-e-s et des autres et qui est au service du changement social. Plus je réfléchis à la recherche-action participative et aux récits de vie, plus je suis convaincue de leur potentiel non seulement pour les sciences sociales et humaines, mais pour toutes les sciences.

***

Une période de questions a suivi la conférence. Les questions ont ici été résumées afin de laisser toute la place aux réponses de Florence. Contrairement à la partie précédente, les réponses sont présentées dans leur intégralité (avec un minimum de modifications), de manière à mettre en valeur la facilité souvent déconcertante avec laquelle Florence pouvait offrir à ses étudiant-e-s des réponses toujours nuancées, claires, optimistes et pleines de sagesse.

Jeanne (étudiante) : Comment l’écriture devient-elle une écriture-action? Comment peut-elle nous transformer?

Florence : Déjà, si tu es consciente de ton écriture, c’est gagné : ton intuition va t’aider à trouver la façon d’écrire qui te convient. Comme je le dis toujours à mes étudiant-e-s ou à mes filles, qui sont étudiantes, quand elles bloquent : « Pense à qui tu t’adresses ». C’est encore une fois la question de la matérialité de la recherche. Quand on fait un article scientifique, on ne sait pas à qui on s’adresse. Parfois, c’est ce qui nous bloque. On a l’impression qu’on s’adresse à la science en général, à des personnes très érudites, alors on a peur de ne pas avoir assez de références bibliographiques, d’oublier des choses, de ne pas utiliser les bons concepts…

Mais à qui est-ce que tu t’adresses? Qui veux-tu toucher, qui veux-tu convaincre? Une fois que tu as fixé ton public, les mots, la façon d’écrire vont suivre. C’est très clair pour moi. Quand je veux m’adresser par exemple aux étudiant-e-s d’Afrique francophone avec qui je travaille, je sais quels mots vont sortir. Si je m’adresse à mes collègues du Nord, je sais que ce sont d’autres mots qui vont sortir. Bref, je trouve que ça aide beaucoup de savoir à qui on s’adresse. Ça aide à sortir de cette idée selon laquelle la science « flotte en l’air », comme une espèce de grande conversation entre expert-e-s.

Par exemple, pour ma thèse, je savais que je m’adressais à mon jury, mais je voulais surtout m’adresser aux ados, je voulais leur répondre. Quand je dis que ma thèse est animée par une « responsabilité pour autrui », c’est que je la conçois comme une réponse à la confiance que ces jeunes m’ont faite pendant les rencontres. Ils et elles m’ont raconté des choses qu’ils et elles n’avaient jamais racontées à personne, avec une confiance infinie. Sur place, sur le moment, j’ai parfois été adéquate, parfois non; j’étais tellement surprise de découvrir ces univers… Donc, j’ai vu ma thèse comme une façon de leur répondre. Autrement dit, j’ai écrit de façon très accessible, très littéraire. C’est un peu comme un roman, plus que comme un texte d’érudition – même s’il y a des chapitres plus érudits.

Pourtant, je ne savais pas s’ils et elles allaient vraiment lire ma thèse, mais j’ai fait « comme si ». C’est ce qui m’a aidée – et c’était une contrainte! Parce que, quand on fait des entrevues avec des personnes en sachant qu’elles vont nous lire ensuite, ça peut créer des blocages, de l’autocensure. Par exemple, ce garçon qui avait décroché m’avait beaucoup choquée. Je m’étais dit : « Franchement, il pourrait faire un effort, il ne lui reste que deux mois pour avoir son diplôme, mais il abandonne! » Pendant l’entretien, j’avais exprimé cette indignation. Normalement, dans la thèse, j’aurais dû l’effacer pour seulement raconter son histoire et comprendre les déterminations qui l’avaient mené à faire ce choix-là. Mais je savais que ce ne serait pas fidèle à ce qu’on s’était dit pendant l’entretien; je devais en parler, pour qu’il puisse se retrouver dans ce qu’il lirait, retrouver ce qu’on avait vécu ensemble.

C’est toute l’importance du concept de « relationnalité », qui vient des épistémologies autochtones et d’Edgard Morin. Nous sommes le fruit de nos relations avec les autres. C’est une fiction de penser qu’on est un individu indépendant, qu’on peut faire semblant d’être coupé des autres.

Alors, c’est ce que j’ai essayé dans mon écriture, d’imaginer que je m’adresse soit aux personnes dont je parle, soit à un certain lectorat. Bien sûr, c’est une illusion, parce que ça reste un monologue. C’est d’ailleurs ce que j’explique dans le dernier chapitre de ma thèse : je dis que « j’ai fait ce que j’ai pu ». En même temps, je sais qu’un monologue nourri par la conscience d’autrui peut donner une écriture différente.

Jeanne : Oui, parce que ce monologue est empreint de toutes les voix.

Florence : Exactement, de toutes les voix qu’on a absorbées.

Fred (étudiant) : Votre présentation me rappelle les ateliers d’éducation populaire que j’ai faits avec de jeunes itinérant-e-s. Je me questionnais sur la façon de leur apporter des savoirs que j’avais acquis en sciences sociales. Mais j’ai constaté que c’est plutôt en partant de ce qu’ils et elles savaient que je pouvais leur apprendre quelque chose.

Florence : Exactement. À ce sujet, je te conseille la lecture du livre Le maître ignorant de Jacques Rancière, sur l’égalité des intelligences. Ce livre m’a tellement confortée. Il raconte comment Joseph Jacotot, un philosophe et pédagogue du 18e siècle, avait compris que le rôle de l’enseignant-e était d’allumer la curiosité des étudiant-e-s, qui pouvaient ensuite très bien se débrouiller sans elle ou sans lui.

C’est ce que je fais aussi dans mes cours : je pars toujours de ce que mes étudiant-e-s pensent. Je ne fais jamais d’examens; après mes deux premières années d’enseignement, je les ai abolis. Ce que je demande, comme contributions au cours, ce sont des exposés et des journaux de bord dans lesquels les étudiant-e-s réfléchissent sur ce qu’on a discuté en classe. Je leur dis toujours : « Ne répétez pas ce que je vous ai dit, je le sais déjà et ça ne m’intéresse pas. Allez plus loin, créez à partir de vos savoirs. » Surpris, la plupart me disent : « C’est la première fois qu’on nous demande d’utiliser nos savoirs et de faire avancer le cours, plutôt que de faire comme si on n’avait pas d’expérience de vie. »

Cette démarche est vraiment le résultat de mon terrain avec les ados : c’est là que j’ai réalisé que plusieurs en savaient beaucoup plus que moi sur certains aspects de la vie. Il me semble important, quand on écrit des textes soi-disant scientifiques, d’inclure une description de ces apprentissages dans le texte lui-même, même si ça oblige à bousculer les conventions normatives d’écriture (introduction, problématique, question de recherche, présentation des résultats, interprétation, conclusion). On a l’impression qu’on ne peut pas sortir de ce modèle, alors qu’on peut tout à fait être imaginatif, même à la maîtrise ou au doctorat.

Simon (étudiant) : Est-ce que la recherche-action collaborative est accessible seulement quand on devient professeur-e, quand on est habilité-e à faire de la recherche? Pourquoi les institutions ne l’encouragent pas davantage?

Florence : C’est une très bonne question. Récemment, je déconseillais à l’une de mes doctorant-e-s de faire de la recherche-action participative pour sa thèse, parce que les comités d’éthique pourraient la bloquer ou la ralentir. Je lui ai conseillé de la faire de façon non officielle, avec un ensemble de partenaires qu’elle ferait intervenir au moment de l’analyse, de manière informelle. Dans le cadre institutionnel, faire de la recherche-action participative est toujours très difficile, non seulement à cause des comités éthiques, mais aussi du calendrier : idéalement, on devrait se calquer sur le rythme des organismes, de la réalité, ce qui ne correspond pas du tout au calendrier fictif du monde de la thèse.

Malheureusement, je pense que c’est impossible, surtout à la maîtrise, de faire une authentique recherche-action participative en milieu universitaire. Orlando Fals Borda, que j’ai mentionné tout à l’heure, a justement quitté l’université pendant vingt ans pour pouvoir en faire. Un autre fondateur de la recherche-action participative en Inde, Rajesh Tandon, n’a jamais voulu travailler à l’université après son doctorat. Il a créé un organisme de recherche-action participative qui existe depuis 40 ans, mais complètement hors du monde universitaire.

Bref, en faire à l’université, c’est un gros défi. Les profs qui y arrivent en font souvent à l’extérieur de leurs responsabilités officielles de recherche. De demander aux universités d’appuyer les recherches-actions participatives exigerait de grands changements institutionnels – c’est d’ailleurs le virage que je souhaite faire prendre à Accès savoirs, notre boutique des sciences à l’Université Laval. Cela dit, on peut quand même se débrouiller pour en faire, pas forcément à l’université, mais à côté de l’université. Il y a de plus en plus de revues qui publient des articles de recherche-action participative et de plus en plus de programmes de subventions au Canada, dont j’ai moi-même pu bénéficier pour certains projets. Alors, ce n’est pas impossible. En France, ce serait encore plus difficile qu’au Canada à cause de la puissance des conventions du positivisme institutionnel en place.

Il y a néanmoins des réseaux d’université qui réfléchissent à comment faire des universités plus socialement responsables, comme le réseau Guni, basé à Barcelone, et le réseau de Talloires. Ce sont des universités qui s’activent pour améliorer ce dialogue entre universités et sociétés civiles, à travers différents projets de recherche et en favorisant de nouvelles formes d’enseignement. Je pense qu’on devrait davantage inciter nos universités à joindre ces réseaux; il en va de notre responsabilité sociale en tant qu’universitaires, professeur-e-s comme étudiant-e-s.

Clency (étudiant) : Qu’est-ce qui vous a permis de garder le courage pendant toutes ces années?

Florence : Je crois que c’est le choix que j’ai fait de ne jamais séparer mes différentes vies : ma vie de citoyenne, de maman, de prof, de chercheuse. C’est sûr que j’ai pris un risque; j’ai des collègues qui séparent tout, complètement. Mais moi, je suis la même quand je parle à mes étudiant-e-s, quand je parle à mes enfants, quand je vais en Afrique… Je me suis ôtée un gros poids en refusant d’adopter différentes personnalités selon les contextes. J’ai gardé une certaine unité. Pour moi, l’intégrité, la fidélité vis-à-vis de soi-même, est beaucoup plus facile quand on conserve cette unité.

Il y avait évidemment des liens entre tout ce que je lisais, je vivais et expérimentais; je suis après tout une « penseuse du lien ». Comme je l’ai dit, les expériences que j’ai faites avec les ados m’ont aidée avec mes enfants, mais mes enfants m’ont aussi aidée à comprendre certaines choses. Je refusais de me séparer parce que je trouvais que cette coupure de liens, cette séparation, constituait une violence.

Le monde universitaire, heureusement, n’a pas réussi à éteindre mon goût de l’action, mon côté entrepreneuse. Ce qui aide, c’est que je n’ai pas beaucoup de peurs. J’ai décidé un jour que je n’aurai pas de peurs : j’essaie des choses et si ça ne marche pas, tant pis. Je n’attends pas non plus de conditions idéales; j’essaie plutôt de voir dans la réalité le potentiel des choses. Heureusement, j’ai beaucoup d’imagination – je dis souvent que je suis une artiste davantage qu’une chercheuse.

Par exemple, avec des chercheurs et chercheuses africain-e-s, on voulait créer des revues africaines, mais on n’avait pas d’argent. Eh bien, on l’a fait quand même et on a maintenant dix revues. J’ignore ce qu’elles deviendront, mais pour l’instant, ces revues existent, avec des noms africains et des problématiques africaines. Les textes sont encore plus ou moins colonisés, mais peu importe – ça viendra. Je n’ai jamais parlé de toutes ces revues avant de les avoir créées, parce que je savais que les gens n’y croiraient pas. Je n’ai même pas cherché à faire des demandes de subvention. Je l’ai simplement fait.

Alors, pour entreprendre un projet, il ne faut surtout pas attendre d’avoir les conditions parfaites, d’avoir l’autorisation de dizaines de personnes. C’est un peu l’inverse du professionnalisme qui veut tout contrôler, qui impose de n’être jamais en retard sur rien. Moi, je suis en retard sur tout. Dans mes textes, et même dans mes cours, j’étais souvent en retard, parce que je faisais trop de choses en même temps. Pas besoin d’être parfait-e. L’important, c’est d’être qui on est et d’être sincère. Si on est en retard, on s’excuse et c’est tout, personne ne va en mourir. Il faut lutter contre la pensée managériale, qui voudrait que l’on soit tout le temps productif ou productive. Moi, j’étais très productive parce que j’avais envie de l’être, pas parce qu’on me l’a demandé!

C’est d’ailleurs en travaillant sur les enjeux éthiques du nouveau management public que j’ai mieux compris non seulement le positivisme institutionnel, mais aussi le fonctionnement de la pensée managériale – influente dans les universités –, qui consiste à réduire n’importe quoi à un problème auquel on doit trouver une solution. Mon ancrage éthique, au contraire, consiste à croire que tout est une question de valeurs et de choix; c’est exactement l’opposé de la pensée managériale.

En comprenant et en descellant la pensée managériale dans tous les aspects de la vie, y compris la vie de famille, j’ai été renforcée dans ma croyance dans l’importance d’avoir une pensée éthique, c’est-à-dire de réfléchir au sens de ce que je fais par rapport à mes valeurs, à qui je suis et aux autres. Notamment en raison de mon travail de recherche, je refuse de sombrer dans l’idée que tout peut se ramener à un problème auquel on doit trouver une solution… C’est comme un repoussoir chez moi (même si ma forme d’esprit est souvent de ce type-là : j’adore trouver des solutions à des problèmes et défaire des nœuds). C’est ce que j’appelle mon « ancrage dans l’éthique ».

Cet ancrage me vient de plusieurs choses. En particulier, pendant que je faisais ma scolarité de doctorat, j’ai suivi un séminaire sur la Shoah. Mes deux grand-mères sont juives; elles ont échappé toutes les deux aux Nazis, mais de façon différente : l’une en restant à Paris et en cachant ses origines, l’autre en fuyant. Elles ont survécu grâce à la solidarité des personnes qui les ont cachées. J’étais fascinée par ces histoires, j’ai écouté ma grand-mère paternelle les raconter d’innombrables fois. C’est ce qui m’a fait réaliser que, sans le lien, sans l’importance du lien et de l’entraide, je n’existerais pas!

C’est aussi ce que j’ai retrouvé dans le concept de responsabilité pour autrui d’Emmanuel Lévinas, que j’ai beaucoup utilisé dans ma thèse. Je l’ai en fait découvert par Zygmunt Bauman, un philosophe et sociologue extraordinaire. J’ai eu l’occasion de lui écrire un jour : je devais publier l’un de ses articles dans une revue, mais j’étais en retard, car je venais d’avoir un bébé. Il m’a répondu : « Ça n’a aucune importance, votre bébé est bien plus important. » J’ai trouvé ça merveilleux.

Pour moi, l’éthique est à la fois faite de penseurs, de penseuses, de réflexions, et c’est en même temps ma vie. En ne séparant pas la chercheuse de la mère de famille, de la prof ou de la citoyenne, en faisant de toutes ces facettes de moi un ensemble, j’ai pu garder cette intégrité qui m’a permis de ne jamais dévier de mon chemin, de ne jamais faire de compromis, d’être toujours là, de revenir à la charge, tout en explorant de nouveaux domaines. Par exemple, quand j’étais membre du Conseil de mon université (je l’ai été pendant plusieurs années), je défendais toujours les logiciels libres et le libre accès; chaque fois que je levais la main, le recteur roulait des yeux, parce qu’il savait, comme tout le monde, que je n’allais jamais lâcher le morceau. Je pense que mon intégrité nourrit ma persévérance.

Donc, le conseil que je te donnerais, c’est de ne pas te diviser, mais aussi de ne pas céder aux sirènes du discours professionnaliste. C’est ce que j’ai découvert avec le management public. J’en parle en particulier dans un article qui est encore utilisé dans les cours de l’ÉNAP, « Les défis éthiques de la modernisation de l’administration publique ». Le management public fonctionne en responsabilisant les individus, mais, du même coup, en effaçant la responsabilité politique d’une situation. Par exemple, on va refuser d’admettre que c’est la faute du management si les profs sont présentement épuisé-e-s; on va leur dire : « Tu ne t’organises pas bien, tu ne prends assez soin de toi, tu devrais faire plus de méditation, etc. » On ramène tout à la responsabilisation de l’individu. Or, en comprenant qu’il y a un contexte dont il ne peut pas se séparer, on peut alors se penser en lien avec les autres, avec les institutions, avec les programmes, etc.

Jeanne-Marie (professeure) : Je sais que tu travailles sur l’épistémologie du lien. Quelle est la part de l’amour dans ta démarche?

Florence : L’amour a été évacué du monde scientifique, alors que c’est quelque chose de fondamental.

L’amour de mes enfants, de mes proches, c’est quelque chose qui me guide. Dès ma thèse, j’ai refusé de l’évacuer, parce que ces ados, je les ai aimé-e-s, même si c’était très bref et que je ne les ai jamais revu-e-s par la suite. L’amour, c’est le souci, la sollicitude pour l’autre, pour qui il ou elle est, pour l’aider à se développer. C’est l’amour que j’ai pour mes enfants, mon désir d’en faire des êtres libres, heureux et heureuses. C’est pareil pour certaines personnes avec qui je fais de la recherche, pour mes étudiant-e-s. Mes étudiant-e-s africain-e-s m’appellent souvent « maman » et m’écrivent pour me dire leur amour. Je leur réponds : « Moi aussi, je t’aime ». Je n’ai pas de problème à le dire, même dans le monde universitaire.

Sans amour, je ne ferais rien, je ne serais rien. Quand je parle du lien, ce n’est pas forcément un lien d’amour; ça peut être le lien de confiance, celui qui fait dire : « Tu me fais confiance, alors je dois te rendre quelque chose ». Mais c’est aussi lié à l’amour. Pour moi, c’est d’une tristesse infinie que la science, pour avoir l’air professionnelle et impartiale, l’ait évacué. Bien sûr, il y a des gens que je n’aime pas, mais il n’y en a pas beaucoup. Je ne les fréquente pas, c’est tout.

On a beaucoup de chemin à faire pour apprendre à parler d’amour en recherche. Parfois, l’amour prend d’autres apparences, comme, par exemple, le travail de Hartmut Rosa sur la résonance. En fait, la résonance, c’est l’amour : quelqu’un nous parle et ça résonne en nous.

Je me souviens, quand j’étais à l’école, d’une fille qui était venue me voir pour dire : « Tu as l’air d’aimer tout le monde, tu es vraiment une philanthrope. » En fait, j’aime les gens chez qui je vois du potentiel. A priori, je reconnais un potentiel intéressant dans chacune des personnes que je rencontre. C’est l’amour comme reconnaissance. C’est toujours le même combat : la reconnaissance des savoirs de l’autre, de sa valeur, de son intérêt, de son expérience de vie. Pour moi, c’est ça, l’amour en recherche. Quand on fait de la recherche avec les gens, quand on fait de l’éducation, c’est parce qu’on aime les gens. Pourquoi nous, les profs, nous démenons autant pour monter nos cours? C’est parce qu’on aime nos étudiant-e-s.

« Aimer ». Pourquoi doit-on enlever ce vocabulaire de la science? C’est pathétique. Est-ce parce que la science a été longtemps dominée par les hommes et qu’eux ont plus de mal à parler de l’amour de la manière dont j’en parle? Je ne sais pas, mais c’est bien dommage.

Jeanne-Marie : Quel conseil donnerais-tu à un-e jeune prof à propos de l’accompagnement des jeunes chercheurs ou chercheuses?

Florence : Encore une fois, c’est de rester fidèle à soi-même. La période un peu délicate pour obtenir la permanence, elle ne dure pas longtemps. Par la suite, l’important est de faire ce que tu as à faire et de rester intègre.

J’ai un autre conseil qui pourrait étonner : moi, je ne dis jamais non. Je fais toujours confiance. Par exemple, en ce moment, je suis très fatiguée, mais j’ai quand même dit « oui » pour venir parler avec vous. Je ne dis jamais non, parce que chaque oui est porteur de potentiel. Potentiel d’une rencontre, d’apprendre quelque chose, de vivre une expérience inédite… Dire toujours oui m’a permis de vivre et de faire des choses incroyables. J’ai dit oui à un étudiant de Côte d’Ivoire que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam quand il m’a demandé : « Venez chez nous, s’il vous plait ». J’ai dit « OK » et j’y suis allée. J’ai passé trois jours à Abidjan, avec des étudiant-e-s au doctorat que je ne connaissais pas. J’ai fait la rencontre de personnes fabuleuses et, ensemble, on a créé une boutique des sciences. Simplement parce que j’ai dit oui.

Bien sûr, parfois on dit oui et ça ne marche pas. Mais même les échecs peuvent apporter quelque chose.

Tout le monde n’a peut-être pas ma capacité à dire oui, surtout les femmes, qui sont très scrupuleuses et perfectionnistes, qui n’aiment pas ne pas tenir parole. Parfois, j’ai dit oui pour des articles ou des conférences que je n’ai finalement pas été capable de faire. C’est la vie. Il y en a qui disent non, qui se protègent, mais moi, je dis oui à tout, c’est mon attitude.

Jeanne-Marie : Je te suis très reconnaissante de ton « oui ». Tu es le cadeau que j’avais envie d’offrir, par amour, à mes étudiant-e-s.

Florence : Ça m’a fait plaisir de vous rencontrer. Je vous souhaite à tous et toutes une belle vie de recherche, pas stressante, où vous pourrez vous épanouir et vous développer vous-mêmes dans tous vos aspects, de lien, d’éthique, de responsabilité sociale, d’engagement. Je crois que c’est possible. Il faut se battre, il faut être vigilant-e. Surtout, ne faites pas de la gestion! Moi, j’ai toujours refusé d’être directrice de quoi que ce soit. En fait, j’ai été directrice uniquement de ce que j’ai créé, pour le faire comme il faut. Mais j’ai fait le moins de gestion possible.


  1. Vers de l'une de mes chansons préférées, « Les Yankees » de Richard Desjardins.
  2. Voir le chapitre « Les boutiques des sciences et des savoirs, au croisement entre université et développement local durable (2016) » du présent livre, accessible à https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/gravite/chapter/les-boutiques-des-sciences-et-des-savoirs-au-croisement-entre-universite-et-developpement-local-durable/.
  3. Acronyme de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences.
  4. Pour lire l'article qui en est issu, voir le chapitre « Production de savoir et effets de pouvoir. Le cas de la délinquance des Autochtones au Canada (1994) » du présent livre, accessible à https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/gravite/chapter/savoir-pouvoir-delinquance-autochtones/.
  5. Pour lire l'article qui en est issu, voir le chapitre « Responsabilité pour autrui et savoir scientifique (2000) » du présent livre
  6. Miranda Fricker, Epistemic Injustice: Power and the Ethics of Knowing (Oxford University Press, 2007).
  7. Cet article n'a malheureusement jamais été mis en ligne. Pour le retrouver, consulter l'ouvrage Tahon, M.-B. et Tremblay, A. (dir.). 2005. Générations. Québec, Nota Bene.
  8. Pour en savoir plus, consulter le chapitre « Québec, ville ouverte. Portraits d’immigrant-e-s préparés par mes étudiant-e-s (2016-2018) » du présent livre, accessible à https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/gravite/chapter/quebec-ville-ouverte/.
  9. Voir par exemple le chapitre « Du libre accès jusqu’aux boutiques de sciences : quatre idées pour des universités québécoises au cœur de la société du savoir. Mémoire présenté à l’Assemble nationale (2013) » du présent livre, accessible à https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/gravite/chapter/du-libre-acces-jusquaux-boutiques-de-sciences/.
  10. Cet article est désormais accessible en libre accès dans sa version traduite en français. Voir, dans le présent livre, le chapitre « L’art des consultations publiques électroniques (2012) », accessible à https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/gravite/chapter/lart-des-consultations-publiques-electroniques/.
  11. Visvanathan, Shiv. 2016. « La quête de justice cognitive » (Traduction de The Search for Cognitive Justice, 2009). Dans Justice cognitive, libre accès et savoirs locaux. Pour une science ouverte juste, au service du développement local durable, sous la direction de Florence Piron, Samuel Regulus et Marie Sophie Dibounje Madiba. Québec, Éditions science et bien commun. https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/justicecognitive1
  12. Voir le chapitre « Une autre science est possible. Récit d’une utopie concrète dans la Francophonie : le projet SOHA (2016) » du présent livre, accessible à https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/gravite/chapter/une-autre-science-est-possible-recit-dune-utopie-concrete-dans-la-francophonie-le-projet-soha/.

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