51 Mon approche pédagogique (2021)
Florence Piron
Ce texte est issu d’une courte conférence donnée en avril 2021 (https://www.youtube.com/watch?v=95lu-S_5ZUM). La transcription a été retravaillée pour faciliter la lecture.
Tout au long de ma carrière, j’ai espéré trouver une approche pédagogique, que ce soit au premier, au deuxième ou au troisième cycle, qui renforcerait mon idéal de citoyenneté critique pour les étudiant·e·s que je formais. En particulier, j’espérais que ces étudiant·e·s sortiraient de l’Université avec une capacité renforcée de penser par eux-mêmes ou elles-mêmes, mais aussi une capacité d’empathie, d’attention aux autres et de conscience des injustices. Au fil de mes recherches sur les rapports science et société, j’ai fini par découvrir un moyen permettant d’approcher cet idéal, qui repose sur un dispositif pan-universitaire : les boutiques des sciences (voir le chapitre Les boutiques des sciences). Une boutique des sciences vise à faire réaliser des projets par des étudiant·e·s dans le cadre d’un cours universitaire, projets qui répondent à des besoins d’organismes associatifs ou de la société civile de la région de Québec. Ces organismes (une Maison de la Famille, une association de quartier, un centre d’accueil pour sans-abris, etc.) n’ont souvent pas les fonds nécessaires pour réaliser de petites enquêtes, par exemple sur leur clientèle, pour créer un site web ou encore un plan de communication. Ils sont en général très peu financés et menés à bout de bras par des personnes qui n’ont pas le temps de faire des tâches supplémentaires.
Quand j’ai découvert le concept de boutiques des sciences, apparu en Europe dans les années 1970 et permettant de mettre ainsi en lien la communauté universitaire avec des organismes de la société civile, j’ai pris une double décision : premièrement, l’implanter dans mon université sous la forme d’un programme pan-universitaire, Accès savoirs, qui serait utile à tou·te·s les enseignant·e·s, chercheurs et chercheuses qui en partageraient les valeurs et qui voudraient pouvoir profiter d’un tel programme; et, deuxièmement, de l’utiliser moi-même, dans mes cours. Ce furent deux combats très différents, que j’ai menés simultanément en 2011. Le deuxième m’a permis d’utiliser Accès savoirs dans trois cours différents, principalement dans mon cours de premier cycle sur l’éthique de la communication publique, mais aussi dans mon séminaire de deuxième cycle sur la démocratie et la citoyenneté.
« Enjeux éthiques de la communication publique »
J’aimerais expliquer ici mon approche pédagogique pour le cours que j’ai longtemps donné à l’Université Laval, anciennement intitulé « Éthique de la communication publique », mais récemment rebaptisé « Enjeux éthiques de la communication publique ». Il s’agit d’un cours de trois crédits, donc de trois heures, mais que j’ai toujours donné en deux heures sans pause (je trouve que la pause détruit la concentration et surtout les discussions, quand il y en a). Puisque c’est un cours obligatoire du baccalauréat en communication, il comprenait toujours une soixantaine d’étudiant·e·s. Au fil des ans, je crois avoir réussi à développer une manière d’enseigner bien rodée et bien adaptée au sujet du cours, à l’éthique, et c’est pourquoi je souhaite ici en laisser la trace.
La description officielle du cours, « Examen des principes et des modes de raisonnement éthiques qui s’appliquent à la communication publique », se rapproche de ma propre vision. Pour moi, l’important est d’éveiller la personne citoyenne dans chaque étudiant et étudiante, qui saura alors comment utiliser les outils présentés dans le cours pour prendre des décisions, compliquées dans certains cas. Un cours d’éthique ne doit surtout pas être confondu avec un cours de déontologie, qui vise surtout à faire apprendre un code et des règles par cœur. Il s’agit au contraire de donner aux étudiants et aux étudiantes, futur·e·s communicateurs et communicatrices de notre société, des outils pour prendre de bonnes décisions dans des circonstances qui peuvent être totalement imprévues. Or, le problème avec les codes de déontologie, c’est que ceux et celles qui les ont écrits essaient toujours de prévoir les circonstances de ces décisions, souvent improbables… Selon moi, plutôt que de tenter de faire une telle liste qui n’en finit pas, il vaut mieux préparer les personnes à former leur jugement moral.
C’est d’ailleurs ce qui transparait dans les trois objectifs officiels du cours : 1) Développement d’une réflexion critique sur les aspects éthiques des pratiques professionnelles de la communication publique (notamment relations publiques, publicité sociale et journalisme), 2) Sensibilisation à la responsabilité sociale des communicateurs et communicatrices, un objectif très important à mes yeux, et 3) Consolidation du jugement moral. L’approche pédagogique que j’utilisais était directement liée à ces objectifs : si le but d’un cours est de développer la capacité propre à une personne de réfléchir, de penser par elle-même, d’analyser dans la réalité des phénomènes en repérant d’elle-même les enjeux éthiques impliqués, alors on ne peut pas enseigner à cette personne en lui demandant d’apprendre par coeur des règles et des normes (même s’il est vrai que les normes offrent un peu plus de souplesse que les règles). Ce qu’il faut lui enseigner, c’est à penser par lui-même ou par elle-même.
J’ai compris assez vite que, selon cette approche, les cours ne pouvaient pas être magistraux, dans le sens traditionnel du terme. L’idée de la professeure qui raconte son histoire, que l’étudiant·e doit ensuite répéter lors de l’examen pour espérer avoir une bonne note, m’a toujours rebutée. J’ai donc décidé de prendre le contre-pied de cette approche, en laissant au contraire le plus de marge de manœuvre possible aux étudiant·e·s, pour qu’ils et elles reconstruisent un raisonnement dans leurs mots, avec leur façon de penser. Je dis toujours à la blague, même si c’est profond pour moi, que j’ai « aboli » les examens dans mon cours. Mais, en contrepartie, les étudiant·e·s devaient faire un journal de bord, ce qui n’est pas moins exigeant, même si un peu déstabilisant.
Le journal de bord
En quoi consistait ce journal de bord, qui faisait souvent peur aux étudiant·e·s au début de la session? Il s’agissait de rédiger, tout au long de la session, un document dont les sections correspondent à chaque séance de cours (je leur fournissais pour cela un fichier Word préparé avec la date et le thème de chaque séance). Dans ce journal, les étudiant·e·s devaient résumer, toujours dans leurs mots, l’essentiel de la discussion qui avait eu lieu – surtout pas de résumer ce que moi, la professeure, avais raconté en classe (comme je leur disais toujours : « Je sais ce que je pense, je n’ai pas besoin qu’on me le répète! »). Je les encourageais à y poser des questions, auxquelles je pouvais alors répondre dans un cours suivant. Je les invitais aussi à ajouter leurs propres exemples, y compris ceux tirés de leur vie personnelle.
Pour moi, il était important de leur faire comprendre que, dans ma salle de classe, on ne séparait pas la vie personnelle et la vie scolaire – un principe au fondement de la citoyenneté. Moi-même, quand j’enseignais, je n’hésitais pas à parler de mes enfants, de ma famille, de l’actualité, de ce que j’avais lu la veille, de la dernière pétition que j’avais signée, etc. Je faisais ainsi de moi une « citoyenne en action ». Je cherchais constamment à briser le mur entre l’école et le reste de la vie, qui me paraissait tellement dommageable.
C’est pour cette raison que je ne donnais pas de limite de longueur au journal de bord : je voulais que les étudiant·e·s puissent s’exprimer autant que nécessaire sur les thèmes qui les inspiraient. Je ne cherchais pas à uniformiser les travaux; parfois, j’en recevais qui faisaient cinq ou six pages pour une seule séance de cours, d’autres fois, ils ne dépassaient pas une demi-page. J’évaluais les journaux deux fois, à la mi-session et à la fin de la session, sans corriger les fautes, mais en notant tout de même la qualité du français – qui, en général, était très satisfaisante.
Le journal de bord est vite devenu pour moi une méthode formidable de développement de la pensée personnelle, tout en restant dans un cadre scolaire, puisqu’il comptait pour 30% de la note finale. Ce que je cherchais à voir, et à évaluer, c’était si la personne avait compris l’enjeu éthique dont il était question dans notre discussion et si elle parvenait à avoir une vision nuancée des concepts discutés, tels que la vérité et le mensonge, le professionnalisme, les discriminations, etc.
Les discussions formaient d’ailleurs une partie fondamentale de mes cours. Selon les thèmes, nous tentions de trouver ensemble toutes sortes d’exemples, de situations possibles, de zones grises ou de zones qui ne devraient pas être grises. Nous faisions aussi, au cours de la session, quelques mises en situations dans lesquelles une personne est confrontée à un dilemme éthique. Par exemple, que faire lorsque, dans un travail d’équipe, une personne demande à une autre de mentir pour obtenir une meilleure note? Les situations pouvaient être très ordinaires, mais elles développaient toujours la pensée critique et le jugement éthique.
Sur le coup, lors du premier cours de la session, j’étais plutôt déstabilisé qu’on me demande comme travail de session d’écrire un journal personnel basé sur les réflexions que m’apportent les séances de cours. À vrai dire, c’était la première fois qu’un travail universitaire me demandait de réfléchir. Eh bien, réfléchir, ça fait du bien. J’ai l’impression de terminer ce cours plus grand dans ma tête et dans mon coeur : j’ai pu comprendre l’essence de mes convictions et de mes valeurs; j’ai pu développer une méthode d’analyse critique de ma vie; j’ai pu commencer à réfléchir de façon éthique lors de toutes les décisions qui croisent ma route; surtout, j’ai pu faire un voyage spirituel au fond de moi-même. J’ai l’impression de me connaître davantage, de savoir ce que je veux, ce que je suis prêt à faire et à quel prix. La pensée critique, qu’est-ce que c’est? Pour moi, c’est une sorte de courage.
(extrait d’un journal de bord d’un étudiant)
Les lectures
Les lectures constituaient la forme d’évaluation la plus « scolaire » de mon cours : chaque semaine, les étudiant·e·s avaient un ou deux textes à lire et devaient en faire un résumé sur le forum du cours. Le résumé devait faire au moins un paragraphe, mais encore une fois, je n’imposais pas de longueur maximale. C’était évidemment la forme d’évaluation la moins populaire auprès des étudiant·e·s, mais j’y tenais énormément : toutes les lectures étaient obligatoires. Il s’agissait la plupart du temps d’articles en libre accès, mais ces dernières années, j’utilisais également le livre Qu’est-ce qui nous unit? de Roger-Pol Droit. C’est un petit livre de philosophie, très accessible, qui venait admirablement compléter la réflexion dans mon cours, centrée sur les liens entre les personnes.
En effet, j’essayais de faire prendre conscience aux étudiant·e·s à quel point, loin de nous trouver dans la société individualiste du « chacun·e pour soi », nous sommes en réalité tou·te·s lié·e·s les un·e·s aux autres par des liens d’interdépendance fondamentaux, que ce soit les meubles avec lesquels on travaille, les rues que l’on construit et que l’on partage, les hôpitaux que l’on finance collectivement et que l’on fréquente tou·te·s à un moment ou à un autre de notre vie, ou tout simplement les gens qui nous rendent service au travail, ou nos proches, notre famille, etc. Nous sommes tou·te·s lié·e·s par d’infinis liens d’interdépendance. Malgré les discours politiques et économiques qui ramènent toujours tout à l’individu, je tentais de montrer que là où il y a une personne, il y a des liens, des groupes, des discussions, des négociations, bref : de l’humain. Et là où il y a de l’humain, il y a de l’éthique.
Pour faire passer ce message, j’utilisais de grands thèmes sur lesquels je faisais chaque fois une sorte de conférence. Elle se rapprochait parfois du cours magistral, mais elle entraînait toujours beaucoup de moments d’interaction et de discussion. En général, le powerpoint était disponible avant la séance. Lors des dernières sessions, j’ai proposé aux étudiant·e·s de faire une véritable « classe inversée » : ils et elles devaient lire le powerpoint avant le cours, puis m’envoyer leurs questions. Ainsi, pendant le cours, au lieu de présenter le powerpoint qu’ils et elles avaient déjà lu, je répondais aux questions et animait les discussions qui en surgissaient. J’ai dû, pour cela, repenser complètement mon plan de cours, mais ce fut un défi intellectuel très intéressant pour moi et même, je pense, pour les étudiant·e·s.
L’exposé
Les deux dernières formes d’évaluation dans mon cours sont réalisées en équipe, car je trouve le travail d’équipe très formateur, même s’il inquiète toujours un peu les étudiant·e·s. Pour moi, le travail d’équipe, c’est avant tout des relations avec les autres : c’est apprendre à respecter les forces et les faiblesses de chacun·e, à être à leur écoute, à négocier des situations où, souvent, la production de l’autre n’est pas tout à fait à la hauteur de ce qu’on attendait.
Le premier travail d’équipe à réaliser est l’exposé, que j’ai essayé de rendre le plus amusant possible en donnant aux étudiant·e·s carte blanche sur les moyens : ils et elles pouvaient faire une mise en scène, un sketch de théâtre, une vidéo, ou alors un exposé ordinaire avec Powerpoint ou Prezi. Par contre, tous les sujets étaient imposés en fonction des séances de cours, ce que les étudiant·e·s appréciaient en général, puisqu’ils et elles devenaient ainsi partie prenante du cours, au lieu d’être passifs et passives. En plus de l’exposé, d’une quinzaine de minutes, chaque équipe devait produire un petit rapport écrit de la présentation. Parfois, selon les groupes et selon les années, je leur demandais aussi d’évaluer les exposés de leurs pair·e·s.
Le « projet spécial »
La dernière forme d’évaluation, que j’ai fini par intituler « projet spécial », était en fait un projet « vide », car sa nature changeait d’années en années.
De 2010 à 2014, j’ai proposé aux étudiants et aux étudiantes d’écrire un ou deux billets de blogs sur des enjeux éthiques de l’actualité. J’avais créé à l’occasion le blog « Éthique de la com » (https://ethiquedelacom.blogspot.com), dont certains billets ont bien circulé à l’époque – il a d’ailleurs été réactivé en 2020, lorsque le cours a dû être donné à distance (par une autre enseignante). J’avais également créé, il y a quelques années, un site wiki (https://ethique.com.ulaval.ca) afin d’y déposer des documents et outils complémentaires au cours, par exemple pour aider les étudiant·e·s à préparer leurs exposés. À noter que j’ai aussi utilisé la technologie wiki pour mon séminaire sur la démocratie et la citoyenneté, afin d’y consigner, par exemple, les fiches de lecture réalisées par les étudiant·e·s, les travaux de session, etc. Ce wiki se trouve à l’adresse : http://wikidemocratie.com.ulaval.ca/index.php/Accueil.
Entre 2016 et 2018, le projet spécial a permis aux étudiants et aux étudiantes de réaliser des portraits de personnes immigrantes de la ville de Québec, lesquels ont ensuite été rassemblés dans des livres pour former la série Québec, ville ouverte des Éditions science et bien commun. De 2014 à 2016 environ, le projet spécial a été réalisé grâce à Accès savoirs, comme mentionné en introduction. Chaque session, mes étudiants et mes étudiantes devaient répondre aux besoins d’une dizaine d’organismes en réalisant pour chacun un plan de communication. La présentation publique des résultats avait lieu lors de la dernière séance de cours; chaque équipe présentait alors son travail en présence de l’organisme en question, qui se déplaçait à l’université. Bien sûr, les plans proposés restaient assez embryonnaires, puisqu’il ne s’agissait pas d’un « vrai » cours de plan de communication, mais ils offraient néanmoins aux organismes un petit début de réflexion et permettaient aux étudiants et aux étudiantes de sortir des murs de la salle de classe et de découvrir une réalité dans leur région qu’ils et elles n’auraient peut-être jamais connue autrement. C’était, là encore, un effort pour briser le mur entre l’université et la société.
Le cours d’éthique a été une révélation. C’est la première fois que je prends du temps pour penser à moi. Si le cours consistait à forger son esprit éthique, il m’a plutôt permis de me connaître. J’ai pris connaissance de l’ensemble des dissonances cognitives qui m’habitaient inconsciemment et j’ai constaté à quel point il m’était plus facile de suivre la pensée populaire que d’agencer ma parole à mes actes. À force de penser peu, on devient l’ombre de soi-même. Inversement, l’obligation de penser a conditionné mon esprit à me questionner sur tout et c’est dans ces questionnements que j’ai eu la possibilité de me réapproprier ma vie. Il y a quelque chose de libérateur dans l’exercice de la pensée.
(extrait d’un journal de bord d’une étudiante)
Les grands thèmes des séances de cours
Chaque séance du cours représentait un grand thème de réflexion sur les interdépendances et l’éthique. La première séance, plutôt philosophique, était intitulée « Éthique, valeur et jugement moral ». J’y expliquais l’importance du jugement moral pour être capable de comprendre les enjeux de toute situation, plutôt que d’apprendre un code par coeur. Dans la deuxième séance, intitulée « L’identité morale », on essayait de réfléchir ensemble (car c’est encore une réflexion inachevée pour moi) au lien entre la personne qu’on est, notre identité, et ce qu’on souhaite en faire, ce qu’on souhaite faire de notre vie. On discutait notamment de la question de la liberté et de l’éthique. Selon la définition de Michel Foucault, « qu’est-ce que l’éthique, si ce n’est la pratique réfléchie de la liberté? ». En effet, être libre implique qu’il faut choisir ce qu’on fait de notre liberté. C’est une question éthique : est-ce qu’on préfère valoriser nos liens avec autrui? Ou est-ce que, au contraire, on se concentre sur notre bien-être personnel?
La troisième séance portait sur « Le professionnalisme et le milieu de travail ». C’était une séance très intéressante, parce que j’amenais les étudiantes et les étudiants à parler de leurs emplois étudiants, de leur expérience de travail, de sorte qu’ils et elles se voyaient dans une salle de classe non pas comme des étudiant·e·s ou des élèves, mais comme de jeunes citoyen·ne·s ayant eu à affronter toutes sortes de défis liés au professionnalisme, à leur job, à leurs patron·ne·s. C’est d’ailleurs l’un des sujets abordés dans la série de trois conférences que je proposais sur trois séances différents : j’invitais des professionnel·le·s de la communication publique à venir parler de la manière dont ils et elles affrontaient les enjeux éthiques qui surgissaient dans leur vie professionnelle. Ces conférences permettaient de montrer aux étudiants et aux étudiantes que ces enjeux éthiques ne sont pas du tout tous consignés dans un manuel déontologique, et que la vie fait survenir toutes sortes de choses imprévues auxquelles il faut s’adapter. Comme le chante John Lennon dans Beautiful Boy, « Life is what happens to you when you’re busy making other plans » (une phrase que j’ai souvent répétée à mes enfants)!
La dernière séance avant la relâche était consacrée à la préparation des étudiants et des étudiantes à leur « projet spécial ». Par exemple, les organismes désireux de recevoir un plan de communication pouvaient venir rencontrer chaque équipe afin d’échanger des informations cruciales. Ou alors, dans le cas du « projet spécial » consacré à créer des livres réunissant des portraits (pour la série Québec, ville ouverte), j’invitais des membres de différentes communautés à venir faire une présentation rapide, de manière à guider les étudiants et les étudiantes dans leur premier contact avec ces personnes.
Les cinq cours suivant la semaine de relâche étaient chacun lié à l’exposé d’une équipe. On avait d’abord « La vérité et le mensonge », un cours très complexe, en particulier dans le contexte médiatique actuel, traversé de désinformation, de fake news, etc. La séance suivante, intitulée « Le ghostwriting et le marketing pharmaceutique », permettait de discuter des stratégies immorales de certaines compagnies pharmaceutiques, comme celle de payer des rédacteurs et rédactrices pour écrire de faux articles scientifiques à propos de leurs médicaments afin de mieux les vendre. Les étudiantes et les étudiants étaient parfois très très surpris·es de l’étendue de la pratique du mensonge dans notre société.
À la séance suivante, « Les discriminations : sexisme et racisme », le sujet imposé de l’exposé était le racisme anti-musulman dans les médias. Depuis que j’enseigne ce cours, j’ai assisté à la montée des discours islamophobes dans l’univers médiatique, et cet exposé devenait ainsi une occasion de clarifier certains termes, certaines notions pour comprendre cet enjeu. L’exposé suivant, très populaire auprès des étudiants et des étudiantes, était lié à la séance intitulée « Les nouveaux stéréotypes masculins dans l’espace public et dans les médias ». La séance suivante abordait, en revanche, un sujet un peu plus difficile : « L’éthique publique et l’État ». On y discutait de tous les dispositifs que l’État – l’État québécois, l’État canadien – a mis en place pour assurer un maintien de l’éthique publique, notamment la lutte contre la corruption et la collusion, parmi les administrateurs et administratrices d’État et les autres employé·e·s du parlement. Ce sont des notions très importantes à connaître en tant que citoyen ou citoyenne d’un pays, mais les étudiants et les étudiantes ne les avaient en général jamais rencontrées au cours de leur parcours comme matière globale et synthétique. Dans mon expérience, ils et elles trouvaient le sujet plutôt lourd, mais je pense que certain·e·s ont pu ouvrir les yeux et comprendre que l’État, ce n’est pas seulement un ensemble de fonctionnaires qui tamponnent les factures à payer, mais c’est aussi un ensemble d’institutions qui appliquent les lois, garantes de l’État de droit.
La séance suivante, intitulée « Construire une société juste ensemble », portait sur l’interdépendance vue comme vivre-ensemble. On discutait de démocratie participative, de communication citoyenne, des conseils de quartier, par exemple dans la ville de Québec, et on parlait de l’économie collaborative, de l’économie de partage, etc. On se posait aussi d’importantes questions telles que : comment fait-on pour ne pas exclure ou marginaliser certains groupes sociaux? Enfin, la dernière séance, qui permettait de faire la synthèse de toute la session, s’intitulait « L’éthique dans la pensée critique ». Les étudiants et les étudiantes prenaient alors conscience que toutes les réflexions éthiques qu’on avait eues depuis le début de la session étaient en fait de la pensée critique appliquée au nom des valeurs auxquelles on croit et auxquelles l’État québécois a adhéré ou a construites. Lors de cette séance, on avait un premier exposé sur l’éco-citoyenneté, soit sur la manière dont une personne citoyenne peut décider de changer son mode de vie pour être plus respectueuse de l’environnement, un deuxième sur l’éco-blanchiment, soit sur ces façons d’utiliser l’environnement comme argument pour mieux vendre des produits, puis un troisième sur le mouvement des biens communs, présenté comme alternative au néolibéralisme.
Grâce à ces différents outils que j’ai développés au fil des ans, notamment le journal de bord, je pense que les étudiants et les étudiantes ont été bien nourri·e·s pour développer leur pensée critique, leur réflexion sur leur vie, leur métier, sur ce qu’ils et elles voulaient faire plus tard, etc. Certain·e·s ont été un peu imperméables, mais d’autres, au contraire, ont eu une merveilleuse réaction à mon cours, ce qui fut très gratifiant pour moi.
Ce cours m’a inspiré le bonheur et c’est ce dont j’ai envie. J’ai envie de moins prendre dramatiquement les choses, de me poser des questions sans être découragée par le manque de réponses et faire en sorte d’être heureuse et de rendre heureux les gens autour de moi. En fait, je pourrais résumer ainsi ce que ce cours m’a apporté : un désir de liberté, d’être libre dans ma façon de penser, d’agir et d’être, mais toujours en respectant la liberté des autres. Ainsi, je terminerais sur la phrase qu’a dite Nelson Mandela et qui ne pourrait être plus cohérente avec ce que j’ai appris et retenu de ce cours : « Être libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes, c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres ».
(extrait d’un journal de bord d’un étudiant)