23 Savoir, pouvoir et éthique de la recherche (2005)

Florence Piron

Résumé officiel : Ce texte est une réflexion d’ordre éthique sur les options politiques et morales qui s’offrent, dans l’État contemporain, aux chercheuses et chercheurs en sciences sociales et humaines qui produisent des connaissances empiriques sur certains de leurs concitoyennes et concitoyens; il est écrit du point de vue d’une « intellectuelle spécifique » insérée dans le contexte qu’elle décrit. Se situant en décalage par rapport aux considérations éthiques classiques sur la protection des sujets de recherche, il souhaite mettre en lumière les interrogations morales et politiques soulevées par le lien inextricable, dans le monde actuel, entre les transformations de l’État et la recherche scientifique sur des sujets humains. En raison de ce lien, il est impossible de proclamer la neutralité de ce type de recherche : elle tend toujours à privilégier l’une ou l’autre des conceptions de la citoyenneté et du rôle de l’État qui sont actuellement débattues dans les sociétés de culture occidentale. Une claire conscience de cet enjeu d’éthique publique est en soi un enjeu éthique pour la pratique scientifique, car elle nous permet, en tant que scientifiques, de porter un jugement éclairé sur le contexte politique et moral de notre pratique de la recherche sociale empirique et ainsi de prendre position, d’opter.

Remerciements de 2005 : Je remercie Alain Beaulieu pour son invitation au colloque et sa patience pendant l’écriture de ce texte, Amélie Théroux-Lemay pour son travail sur la bibliographie, le CRSH pour m’avoir accordé une subvention de recherche portant sur les « Implications éthiques et politiques du Nouveau management public » dans le cadre de son programme de subventions ordinaires, mes différent·e·s interlocuteurs et interlocutrices du monde de l’éthique de la recherche et tou·te·s ceux et celles avec qui j’ai discuté de ces thèmes à un moment ou à un autre. Ce texte est une synthèse de différents champs de recherche qui me passionnent depuis plusieurs années. Je le dédie à mes deux filles et mes deux fils, en espérant pouvoir leur transmettre la pensée critique indispensable à la liberté.

Source : (2005). Savoir, pouvoir et éthique de la recherche. Dans Alain Beaulieu (dir.), Michel Foucault et le contrôle social. Québec : Presses de l’Université Laval.

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Ce texte est une réflexion d’ordre éthique sur les options politiques et morales qui s’offrent, dans l’État contemporain, aux chercheuses et chercheurs en sciences sociales et humaines qui produisent des connaissances empiriques sur certaines de leurs concitoyennes et concitoyens; il est écrit du point de vue d’une « intellectuelle spécifique » insérée dans le contexte qu’elle décrit. Me situant en décalage par rapport aux considérations éthiques classiques sur la protection des sujets de recherche, je souhaite mettre en lumière les interrogations morales et politiques soulevées par le lien inextricable, dans le monde actuel, entre les transformations de l’État et la recherche scientifique sur des sujets humains. En raison de ce lien, il est impossible de proclamer la neutralité de ce type de recherche : elle tend toujours à privilégier l’une ou l’autre des conceptions de la citoyenneté et du rôle de l’État qui sont actuellement débattues dans les sociétés de culture occidentale. Une claire conscience de cet enjeu d’éthique publique est en soi un enjeu éthique pour la pratique scientifique, car elle nous permet, en tant que scientifiques, de porter un jugement éclairé sur le contexte politique et moral de notre pratique de la recherche sociale empirique et ainsi de prendre position, d’opter.

Le point de départ de mon argumentation est une remarque de Michel Foucault à la fin de La technologie politique des individus[1]:

De l’idée que l’État possède sa nature et sa finalité propres à l’idée de l’homme conçu comme individu vivant ou élément d’une population en rapport avec un milieu, nous pouvons suivre l’intervention croissante de l’État dans la vie des individus, l’importance croissante des problèmes de la vie pour le pouvoir politique, et le développement de champs possibles pour des sciences sociales et humaines, pour autant qu’elles prennent en compte ces problèmes du comportement individuel à l’intérieur de la population et les relations entre une population vivante et son milieu.

Dans la lignée de Surveiller et punir et de La volonté de savoir, cette phrase établit un lien explicite entre l’intervention sans cesse accrue de l’État dans la vie des citoyennes et citoyens, ses « administrés », et le développement de sciences, dites sociales et humaines, orientées vers la production d’informations sur les individus et les groupes qui composent la « population » ainsi administrée. À l’époque actuelle, ce lien semble toujours aussi fort, en particulier pour cette partie de l’action de l’État qui prend la forme d’interventions spécialisées sur des individus identifiés comme ayant certains problèmes (ou, dans le jargon technocratique, des « besoins ») et qui nécessite l’accumulation d’informations empiriques fiables et crédibles sur les personnes qui sont ainsi la cible de l’action étatique. Cette accumulation est sous la responsabilité de ce que j’appelle les « sciences empiriques de l’individu », une forme de pratique des sciences sociales et humaines dont la spécificité est d’accumuler des informations quantitatives ou qualitatives sur des groupes d’individus ou « populations », de manière à pouvoir décrire objectivement qui « sont » ces individus et les groupes qu’ils forment, et quels sont leurs problèmes sociaux, économiques ou de santé[2].

Non seulement l’État a-t-il besoin d’informations toujours plus précises sur les individus et leurs regroupements administratifs possibles afin de mieux cibler ses interventions, mais il demande sans cesse l’aide des expertes et experts des sciences empiriques de l’individu pour concevoir des « solutions », et en particulier pour élaborer les « politiques publiques » et les programmes d’intervention qui constituent actuellement un des piliers de l’action de l’État : par exemple, l’assurance-emploi, la sécurité du revenu, les programmes de réinsertion professionnelle, la lutte contre le décrochage, le dépistage du cancer du sein, l’intervention auprès des personnes enceintes en vue de diminuer le nombre d’enfants prématurés, etc.

Ces politiques et programmes ont une double signification morale. D’une part, ils incarnent une forme de solidarité sociale entre les plus favorisées et les moins favorisées des citoyennes et citoyens, ayant principalement les plus précaires comme cibles tout en étant principalement financés par les plus stables au moyen des impôts. L’État est alors le médiateur de cette forme spécifique de redistribution de la richesse collective. Mais les politiques et programmes d’intervention sur des citoyennes et citoyens ou des groupes sont également un puissant relais de l’action normalisatrice de l’État. Si l’on prend pour hypothèse que l’action de l’État est régulée et orientée par une norme sous-jacente, plus ou moins explicite, de la « bonne citoyenne » et du « bon citoyen », c’est-à-dire par une représentation de ce que devrait être idéalement l’« état » (de santé, de revenu, d’emploi, de famille, etc.) de toustes, ces politiques et programmes ne visent-ils pas à réduire tout écart inacceptable par rapport à cette norme? S’élabore ainsi, au sein même de l’action et des discours, y compris « scientifiques », de l’État, une conception spécifique de la citoyenneté qui produit des effets politiques complexes et paradoxaux, notamment un risque d’exclusion ou de « citoyenneté de deuxième ordre » pour toustes celles et ceux qui continueraient d’échouer à se conformer à la norme privilégiée. D’où vient cette norme? Comment s’est-elle constituée? Quelle est sa légitimité démocratique? Qu’est-ce qui la nourrit et lui permet de se perpétuer?

Si on définit l’État comme un mode d’organisation des citoyennes et citoyens qui veulent réaliser ensemble leur « bien commun » conformément aux valeurs collectives qu’ielles privilégient, c’est ce bien commun, débattu démocratiquement dans le respect concomitant de l’intérêt public et de la pluralité des points de vue, qui devrait être au fondement de la norme de citoyenneté promue par et dans l’action de l’État. Mais ce n’est guère le cas : la norme de citoyenneté qui oriente les politiques et les programmes semble surtout produite par le corps politique et administratif, sans débat public. Certes, dans l’État démocratique libéral contemporain, les citoyennes et citoyens délèguent l’exécution des actions nécessaires pour réaliser le bien commun à quelques personnes qui sont alors leurs « fiduciaires »[3] : il s’agit du corps politique et du corps administratif public, organisés dans des institutions publiques et faisant appel à l’expertise d’équipes de recherche pour guider leurs actions. Mais les corps politique et administratif public ainsi que leurs groupes d’expertise-conseil tendent à oublier leur statut de fiduciaires et à se croire seuls constituants de l’État, ce qui justifie de faire l’impasse sur la nécessité de débattre publiquement des conceptions de la citoyenneté mises en œuvre par les politiques et programmes publics proposés et mis en œuvre[4]. Quelle est la place des sciences sociales et humaines dans ce dispositif?

Productrices d’informations et de recommandations sur l’objet privilégié de l’action individualisante et normalisatrice de l’État, les sciences empiriques de l’individu sont nécessairement partie prenante dans la conception de la citoyenneté qui s’élabore au fil de ces interventions étatiques. De ce point de vue, ces sciences constituent un puissant instrument de contrôle social. Cette situation soulève un problème éthique fondamental pour ceux et celles qui ont choisi comme métier la pratique des sciences sociales et humaines et qui s’efforcent de produire des connaissances empiriques sur des sujets humains : veulent-ielles ou non contribuer à cette forme de contrôle social? Endossent-ielles la conception de la citoyenneté qui y est associée dans l’État (néo-)libéral contemporain? Existe-t-il une autre manière de mettre le savoir des sciences sociales et humaines au service du bien commun que pourrait construire l’État?

Pour explorer ce questionnement éthique et politique, je pars d’une réflexion sur les transformations contemporaines de l’État et leurs effets sur les différentes conceptions de la citoyenneté. Je montre ensuite les conséquences de ces transformations sur la pratique de la recherche sociale empirique. Bien que privilégiant une posture éthique, celle du souci des conséquences, ce texte cherche avant tout à mettre en lumière les différents éléments d’une situation très complexe qui fait surgir, pour les scientifiques, au-delà de leur responsabilité de réfléchir et de déterminer librement le sens de leur pratique et la finalité de leurs recherches, la nécessité de trancher entre des options porteuses de conceptions très différentes du bien commun. L’éthique est la « pratique réfléchie de la liberté »[5], disait Foucault. La réflexion éthique dans l’univers de la recherche scientifique est toujours déjà politique.

Le gouvernement par l’individualisation

Dans Le sujet et pouvoir, Foucault décrit le « gouvernement par l’individualisation »[6] comme une forme d’exercice du pouvoir qui combine « techniques d’individualisation et […] procédures totalisatrices »[7]. Avatar du pouvoir pastoral « qui ne se soucie pas seulement de l’ensemble de la communauté, mais de chaque individu particulier, pendant toute sa vie » et, en particulier, de son salut dans l’autre monde[8], ce pouvoir, typique de l’État moderne, a défini sa finalité comme étant le « bien-être » et la « bonne santé » de chaque individu et, en même temps, de la « population » en général : ces deux « instances » sont la cible de l’action du biopouvoir qui tente de les guider vers un état idéal de bien-être physique et social, état qui fait désormais partie de la norme de citoyenneté régulant l’action de l’État. Comme le dit si bien Giorgio Agamben[9], le pouvoir étatique individualisant vise à faire « émerger au sein même du peuple une population; autrement dit, [il] transforme un corps essentiellement politique en un corps essentiellement biologique dont il s’agit de régler la natalité et la mortalité, la santé et la maladie ».

Parmi bien des conséquences politiques, retenons que l’atteinte de la « finalité du bien-être » a suscité l’élaboration de procédures administratives qui assignent à l’individualité des citoyennes et citoyens « une forme nouvelle », pouvant être soumise « à un ensemble de mécanismes spécifiques »[10] d’intervention sociale, économique ou médicale: l’assurance-chômage, la sécurité du revenu, l’aide « personnalisée » à la réinsertion professionnelle, etc. Ces personnes deviennent alors prestataires, bénéficiaires, participants, définis par leur sexe, leur âge, leur état de santé (leurs « aptitudes »), leurs degré d’instruction ou d’« employabilité ». Elles doivent remplir les conditions se rattachant à ces identités (par exemple, ne pas voyager, être disponible, être pauvre, ne pas partager de logement, s’inscrire dans un centre de formation, etc.) pour avoir « droit » à ces programmes qui sont aussi, rappelons-le, l’expression de la solidarité sociale dans un contexte d’État-providence.

Or cette nouvelle identité « étatique », administrative ne peut être constituée qu’en leur imposant « une loi de vérité qu’il leur faut reconnaître et que les autres doivent reconnaître en eux »; elle conduit à « isoler l’individu, le couper des autres, scinder la vie communautaire, contraindre l’individu à se replier sur lui-même et l’attacher à son identité propre »[11]. Autrement dit, la forme d’individualité que l’État attribue à celles et ceux dont il veut modifier le comportement apparaît incompatible avec l’individualité « sociale », ancrée dans des rapports sociaux et des réseaux interpersonnels, qui est au fondement de l’identité individuelle, alliant la singularité de chacun à son appartenance à une communauté.

La recomposition en « groupes » ou en « populations » de ces individus tels que redéfinis par l’État est un autre processus intrinsèque de cette technologie de pouvoir individualisante et totalisante à la fois. Il s’agit en fait de regrouper les individus selon certains critères issus de leur identité bureaucratique : les assistées sociales et les assistés sociaux, les chômeuses et les chômeurs, les décrocheuses et les décrocheurs, les inaptes au travail, les jeunes, les immigrantes et les immigrants, etc., indépendamment de leurs rapports sociaux réels ou de leurs aspirations. Ce processus reproduit le modèle plus fondamental du biopouvoir qui s’intéresse bien plus au corps des citoyennes et citoyens qu’à leur parole et qui les traitent comme des « mineurs », selon l’image qu’utilise Emmanuel Kant dans Qu’est-ce que les Lumières?[12].

Sur le plan politique, cette technologie de pouvoir, en individualisant et en « biologisant » les citoyennes et les citoyens, tend à démembrer et à désarticuler la masse solidaire et potentiellement contestatrice que forme le « peuple » comme ensemble politique pour en faire une population d’individus sans cesse surveillée par des expertes et des experts qui sont à l’affût de tout « problème » à régler, de tout écart par rapport à la norme. L’État espère ainsi plus facilement gouverner une population obsédée par les risques qu’elle court, notamment pour sa santé et son bien-être; cette population normalisée est destinée à garantir et à protéger la puissance de l’État ainsi qu’à servir le marché et la production.

L’ensemble de l’action étatique contemporaine ne se réduit pas à cette technologie politique : la préservation des droits individuels et collectifs des citoyennes et citoyens, la redistribution équitable de la richesse collective, les efforts pour donner à toustes au moins une égalité des chances, font aussi partie de la mission de l’État. Toutefois, en cette ère de démocratie libérale à forte teneur individualiste, les conditions semblent propices à la survie et même à l’épanouissement de cette technique d’assujettissement des citoyennes et citoyens à l’État au moyen de leur individualisation et de leur recomposition en « populations ».

Transformations contemporaines de l’État « gestionnaire »

Les analyses de Foucault sur l’exercice du pouvoir de l’État ne semblent pas désuètes dans le contexte contemporain, pourtant marqué par le rétrécissement (proclamé) du rayon d’action de l’État (néo)libéral contemporain « post-providentiel ». Certes, la forme de l’action de l’État a changé, les tactiques se sont ajustées et, de fait, ressemblent de plus en plus à la « gouvernementalité » pure, à l’art de « gouverner » les conduites : n’est-ce pas là la signification de la « gestion », terme désormais omniprésent dans le vocabulaire de l’administration publique? Mais sa finalité reste la même : la gestion des individus et de la population[13] de manière à les rendre toujours plus productifs, productives et autonomes, c’est-à-dire sans « problème » et satisfaits de leur sort (ou croyant l’être).

En effet, le mot clé de l’action étatique est désormais « gestion » : au lieu de « ramer », selon le célèbre slogan tiré du livre de David Osborne et Ted Gaebler[14], c’est-à-dire de tout faire lui-même, l’État cherche désormais à « gouverner », à orienter l’action des autres, à « gérer ». C’est là le credo du Nouveau management public (NMP), cette idéologie de gestion étatique adoptée par de nombreux pays de l’OCDE, y compris le Québec[15], depuis les années 1990.

Inspiré par les théories contemporaines du management dans le secteur privé[16], donc à but lucratif, le Nouveau management public, symbole de la modernisation de l’État contemporain, propose un mode de gestion qui aspire à être débureaucratisé, plus souple et plus efficace tout en étant moins onéreux, pour les contribuables, que l’administration « procédurière » classique. Cette vision repose sur plusieurs tactiques : la planification stratégique jumelée au rapport annuel, la gestion par résultats accompagnée d’une autonomie accrue des travailleuses et des travailleurs, la reddition de comptes systématisée, la simplification de la hiérarchie, la priorité donnée à la « clientèle » ( voir les déclarations de services), mais aussi l’autonomie accrue (dans des « agences ») ou la privatisation de certains services, les partenariats public-privé, la sous-traitance, la diminution de la taille de la fonction publique, la méfiance face à la participation citoyenne[17]. Plusieurs de ces caractéristiques sont directement issues du Nouveau management privé qui mise lui aussi sur l’autonomie accrue des travailleuses et travailleurs et sur une plus grande flexibilité des conditions de travail pour augmenter la productivité et le rendement des investissements, comme le montrent, entre autres, le travail de Stanley Deetz[18] sur les nouvelles stratégies de pouvoir utilisées dans les organisations pour accroître la productivité des travailleuses et travailleurs en faisant croire à chacun que sa situation ne cesse de s’améliorer, si bien qu’il n’a pas de « raisons » de contester la situation, ou les propositions de Dean[19] sur les « technologies du citoyen » ou les « technologies de la performance » qui produisent ce même type d’effet.

Or une analyse des modes de problématisation utilisés par les textes et discours produits par le NMP montre clairement qu’y domine la figure individualisée de la « clientèle», ces individus consommateurs qui ne s’intéressent qu’à ce qui « peut avoir une incidence sur sa vie »[20], au détriment de la figure de la « concitoyenne » ou du « concitoyen », c’est-à-dire de la citoyenne ou du citoyen doté·e de droits et de responsabilités qui veut débattre, délibérer avec ses concitoyennes et concitoyens, afin de réaliser ensemble le bien commun[21]. Autrement dit, les tactiques du Nouveau management public (NMP) ont pour unité de base l’individu ou, plus précisément, l’individu consommateur, dont le bien-être est redéfini sous la forme de la « satisfaction », en particulier de la satisfaction des « besoins ». À travers la rhétorique quasi-incantatoire du NMP, relayée par le corps politique sans jamais être débattue, se consolide encore davantage le projet du gouvernement par individualisation, selon la géniale formule de Foucault.

Sur un plan plus concret, le travail de conception de politiques publiques qui s’effectue de plus en plus intensivement dans les ministères et organismes gouvernementaux, ainsi que dans les « agences » autonomes du gouvernement, est un élément important de cette transformation de l’État : une action planifiée et coordonnée, comportant des objectifs (en général quantifiés), des échéances et des ressources qui ont été précisés d’emblée, et qui fonctionne avec la gestion par résultats, a plus de chances, selon les expertes et experts du NMP, de produire des résultats qu’une suite de procédures gouvernementales isolées les unes des autres. De manière métaphorique, on peut dire que l’État, obligé ou choisissant de diminuer la quantité de soldates et soldats ainsi que d’armement dont il dispose, s’efforce de créer, pour compenser, une culture stratégique permettant à celles et ceux qui restent d’être plus efficaces. En effet, s’il ne peut ou ne veut plus être la grosse machine bureaucratique qu’il a été, l’État prétend pouvoir être tout aussi efficace en « ciblant » mieux ses actions et interventions[22].

Remarquons que, dans ce contexte, jamais la question de la finalité de l’intervention individualisante et normalisatrice de l’État n’est clairement posée ou débattue dans l’espace public, comme si elle allait de soi, était inévitable ou faisait consensus sauf chez quelques personnes marginales non encore captées par la norme. Où se trouvent le débat, la contestation, la résistance? Une autre finalité, une autre conception de la citoyenneté sont-elles possibles? Question politique aussi cruciale que silencieuse.

Les sciences empiriques de l’individu et l’État

Dans ce nouvel État « gestionnaire », le savoir est plus nécessaire que jamais. Comme l’écrivent Louis Maheu et Jean-Marie Toulouse, « la grande organisation contemporaine est passée maître dans l’art de colliger des informations et des connaissances sur les problèmes et les tendances sociales, sur les acteurs et leurs besoins. Elle sait de surcroît inscrire, avec une constante récursivité, ces informations dans les programmes, dans la formulation d’objectifs et de voies d’actions »[23]. Ce savoir doit, entre autres, fournir à l’État les instruments de mesures et les indicateurs lui permettant de suivre l’évolution de la population qu’il gouverne. Il doit comprendre des informations de nature empirique permettant à l’État de mieux ajuster ses politiques publiques à leur « cible », par exemple les personnes bénéficiaires de l’aide sociale, les familles monoparentales, les travailleuses et travailleurs saisonniers, les immigrantes et immigrants, les jeunes de la rue, les fumeurs et fumeuses, les personnes obèses, et autres catégories « consommant » les services publics.

De la même manière que l’individu est l’unité de base de l’action normalisatrice de l’État, il devient aussi l’unité de base des recherches empiriques, et en particulier des « recherches qui s’appuient sur des catégories statistiques[24] [dont le propre] est d’agréger et de discriminer des groupes de personnes »[25]. De quelle manière sont construits ces « groupes de personnes »? En regroupant, parmi les habitantes et habitants d’un territoire quelconque, celles et ceux qui partagent certains traits pouvant être traduits en indicateurs statistiques. Les traits qui servent à définir ces collectivités statistiques sont principalement biologiques (sexe, âge, poids, état de santé, couleur « visible » de la peau, patrimoine génétique, etc.), mais aussi économiques (statut d’emploi, revenu) ou familiaux (situation conjugale, nombre de personnes à charge). Incapables de prendre en compte la manière dont ces personnes définissent elles-mêmes leur identité, leurs appartenances et leurs rapports sociaux, ces indicateurs statistiques servent à baliser les parcours d’intervention qui visent à ramener les « écarts » dans la norme acceptable.

À ce propos, Foucault rappelle que :

On ne saurait isoler […] l’apparition de la science sociale de l’essor de cette nouvelle rationalité politique ni de cette nouvelle technologie politique. Si l’homme – nous, êtres de vie, de parole et de travail – est devenu un objet pour diverses autres sciences, il faut en chercher la raison, non pas dans une idéologie, mais dans l’existence de cette technologie politique que nous avons formée au sein de nos sociétés[26].

La science empirique qui s’est développée au sein de cette technologie de pouvoir n’est certes pas assimilable à la totalité des formes de pratique des sciences sociales et humaines. Centrés sur son effort d’adéquation aux besoins de l’action étatique ciblée, elle ne peut pas prendre en compte la manière dont les citoyennes et citoyens définissent et analysent leur contexte de vie, ni même leurs aspirations normatives. Pour bien fonctionner, elle ne peut les traiter que comme des individus dont la somme constitue une masse anonyme mais statistiquement organisée de corps ayant plus ou moins de problèmes de santé, de relation aux autres, d’éducation, d’emploi, d’alimentation, de respect des lois, etc.

L’enjeu n’est évidemment pas ici le degré de vérité de l’un ou l’autre de ces regards sur les citoyennes et citoyens : ils et elles sont à la fois des corps assujettis au pouvoir de l’État et des acteurs sociaux et actrices sociales. L’enjeu réside surtout dans la conception de la citoyenneté qui est ainsi utilisée et donc promue au détriment de l’autre. Deux choix, au moins, coexistent : une citoyenneté « individualisée », réductible à la notion de « clientèle » centrée sur ses intérêts et besoins privés, et une citoyenneté « collective », qui part de la nécessité de construire le bien commun ensemble et de faire alliance, de coopérer pour réaliser cette finalité. Le pouvoir « individualisant » contemporain privilégie clairement la première conception; les sciences empiriques de l’individu qui nourrissent de leurs savoirs cette forme d’exercice du pouvoir semblent donc elles aussi destinées à promouvoir cette même conception de la citoyenneté.

La pratique des sciences empiriques de l’individu

À quoi ressemble le savoir des sciences empiriques de l’individu? Premièrement, il doit être crédible et scientifiquement légitime, de manière à minimiser les risques de contestation, pour des raisons d’ordre épistémologique, des interventions étatiques qu’il propose ou appuie. On remarque ainsi que nombre de projets de politiques publiques s’appuient sur des « études » réalisées par des expertes et experts[27] qui légitiment ainsi le projet proposé, notamment aux yeux des citoyennes et citoyens persuadés qu’ielles sont celles et ceux qui savent le mieux ce qui est bon pour la société en général. Deuxièmement, ce savoir doit être compatible avec le mode de pensée « administratif » : il doit proposer des catégories stables et homogènes, des indicateurs apparemment objectifs et utiliser une procédure classique d’élaboration. Troisièmement, ce savoir doit être utilisable : ses conclusions et ses recommandations doivent être en harmonie minimale avec les normes qui animent les projets étatiques d’intervention ou, en tout cas, ne pas les contredire.

La nécessité de la production de ce savoir selon ces critères précis rend indispensable l’établissement de liens très étroits entre le monde de la recherche (notamment de la recherche sociale empirique) et celui des politiques publiques, fenêtre officielle de l’intervention étatique dans la vie des citoyennes et citoyens. Ces liens prennent différentes formes selon le type d’influence que l’État cherche à exercer sur les personnes produisant potentiellement des informations dont il a besoin. Ainsi, il peut exercer une influence directe en aménageant des services de recherche de haut calibre au sein de ses ministères et organismes ou en commanditant des projets de recherche. Mais il peut aussi exercer une influence plus indirecte, quoique très efficace, en créant des « initiatives stratégiques » de recherche ou en finançant des réseaux de chercheurs et chercheuses dont les finalités rejoignent les siennes. Voyons cela plus en détail, à partir d’exemples tirés de l’action de l’État fédéral canadien :

La recherche dans les ministères

Voici la description du système mis en place, selon un sous-ministre fédéral : « Dans chaque ministère, [on] a créé un service de recherche dont tous les membres détenaient un doctorat. Le gros de la recherche était confié à des universitaires contractuel·le·s. […] La recherche à contrat devient très rentable si celui qui la commande détient un doctorat et s’il en résulte une publication arbitrée »[28]. Retenons que le niveau élevé d’études des fonctionnaires chargé·e·s de préparer les contrats de recherche renforce probablement la position de l’État face aux chercheuses et chercheurs contractuels.

Les commandites de projets de recherche, parfois baptisées du nom de « partenariat »

Il s’agit de contrats donnés par l’État à des scientifiques, travaillant ou non dans une université, sur des sujets précis. Le ou la commanditaire contrôle les résultats de la recherche : ielle peut refuser de les publier, les modifier et exiger un engagement à la confidentialité des chercheuses et chercheurs ainsi que de leurs assistantes et assistants. Rappelons, à ce propos, ce témoignage percutant publié dans Le Devoir du 12 juillet 2004 par Jean-Philippe Pleau et qui dénote un autre point de vue que celui du sous-ministre évoqué ci-dessus :

Un assistant de recherche souhaite inclure, dans un rapport d’enquête sur la conciliation travail-famille, des recommandations critiques à l’égard de la politique familiale du gouvernement québécois. Toutefois, il est contraint par le chercheur principal de ne pas les intégrer puisque le ministère de l’Emploi, de la Solidarité et de la Famille est le partenaire officiel de l’étude en la finançant. Le professeur, dans ce cas-ci, est-il un sociologue ou un business man? La question est intéressante. Un [autre] exemple devrait suffire. Un professionnel d’un centre de recherche universitaire en sociologie travaille en partenariat avec un organisme communautaire qui se consacre aux problèmes de l’itinérance. Dans une étude, le chercheur constate que le nombre d’itinérants du quartier desservi par l’organisme diminue considérablement. Or, puisque les subventions de l’organisme dépendent de la présence d’itinérants sur son territoire, le professionnel de recherche doit donc, sous la pression de l’organisme, majorer virtuellement dans son rapport le nombre d’itinérants afin que l’organisme en question puisse continuer de toucher son financement, voire d’exister. Le constat est stupéfiant. […] Plusieurs chercheurs et étudiants en sociologie de même qu’en sciences sociales connaissent l’existence de ce phénomène en pleine expansion. Mais devant la crainte de perdre un contrat de recherche ou encore d’être vilipendé par un collègue ou un professeur, c’est l’omerta. Résultat : on assiste, anesthésié par l’état de nos conditions précaires, à une production industrielle ainsi qu’à une mise en tablette d’études orientées, nettement subjectives et instrumentales, étant les uns et les autres davantage préoccupés par la prochaine demande de subvention à remplir, qui assurera d’éventuelles rentrées d’argent, que par la qualité des recherches produites. Ainsi, les professeurs, les chercheurs et les titulaires de chaires sont devenus des gestionnaires de PME intellectuelles.

La création et le financement de réseaux

Ces réseaux réunissent scientifiques et « décideuses et décideurs » (fonctionnaires) en vue d’améliorer la pertinence des travaux des premier·e·s pour l’élaboration des politiques publiques dont sont responsables les second·e·s. Le Projet de recherche sur les politiques (PRP) mis sur pied en 1996 par le gouvernement canadien est à la fine pointe de cette collaboration. Le but de ce grand réseau désormais affilié au Bureau du Conseil privé est d’« approfondir, de rassembler et d’intégrer les connaissances sur des questions de recherche intersectorielles pertinentes pour la planification des politiques à moyen terme du Gouvernement du Canada »[29]. Le PRP a un bulletin, Horizons, bilingue, gratuit et désormais relié, qui « présente les travaux de chercheurs des ministères fédéraux et d’experts externes sur des sujets liés aux activités de recherche du PRP »[30]. Le sigle du gouvernement du Canada est apparent sur la page couverture, à l’inverse de la revue savante (mais gratuite) Isuma, revue canadienne de recherche sur les politiques, autre rejeton du PRP, dont on apprenait l’ancrage gouvernemental seulement en lisant la politique éditoriale : cette revue était « publiée par les Presses de l’Université de Montréal pour le Projet de recherche sur les politiques du Gouvernement du Canada »[31]. À noter que cette revue n’est plus publiée depuis l’automne 2002.

Le financement d’initiatives stratégiques de recherche

Ce financement se fait en particulier par le biais des organismes fédéraux qui distribuent les subventions de recherche (Instituts canadiens de recherche en santé, Conseil de recherches en sciences humaines, Conseil de recherches en science et génie). Ces initiatives de recherche offrent de généreuses subventions aux chercheuses et chercheurs qui réussissent à préparer des projets de recherche capables de répondre à la soif d’informations de l’État et de ses partenaires. Selon les termes élogieux utilisés par un pamphlet du CRSH (n.d.), « des programmes comme l’Initiative de la nouvelle économie, les Alliances de recherche universités-communautés et les Grands travaux de recherche concertée abordent des questions sociales importantes et complexes et sont destinés à avoir une influence en dehors du monde universitaire. Ils permettent de forger de nouveaux liens entre les chercheurs et les utilisateurs des connaissances », c’est-à-dire, pour ce qui est du domaine social, l’État. Les transformations de ces organismes au cours des dernières années montrent un accroissement des programmes de subvention consacrés à la recherche « stratégique » par rapport à ceux qui financent la recherche « ordinaire ». Les premiers, initiés par les organismes subventionnaires, proposent aux chercheuses et chercheurs des subventions dans des domaines de recherche auxquels est attribuée une importance « stratégique » pour le « bien-être des Canadiens », c’est-à-dire pour l’État; les résultats de la recherche ordinaire, c’est-à-dire dont le sujet dépend des chercheuses et chercheurs qui postulent, ne sont pas d’emblée utiles au gouvernement.

Le financement d’instituts, de groupes ou de réseaux qui ont les mêmes finalités explicites que l’État : travailler à « l’amélioration du bien-être des Canadiens »

C’est le cas, par exemple, des Réseaux canadiens de recherche sur les politiques publiques, entité à but non lucratif financée par diverses sources : gouvernement fédéral, provinces, fondations, entreprises, syndicats et individus. Selon leur site Internet, ces réseaux réunissent

des représentants des gouvernements, des syndicats, des entreprises, des organisations non gouvernementales, des organismes bénévoles, des milieux universitaires et d’autres centres de recherche pour former des réseaux d’utilisateurs et de chercheurs pour chacun [des] programmes de recherche. Le milieu neutre [offert] permet à tous ces intervenants de participer directement au processus de recherche et de tirer avantage du transfert de connaissance en « temps réel ». [Il y a] à l’heure actuelle quatre Réseaux dans les domaines suivants : famille, santé, participation publique et main-d’œuvre. Depuis que les RCRPP ont ouvert leurs portes, des milliers de personnes ont participé [aux] tables rondes, [aux] ateliers de travail, [aux] dialogues et [aux] rencontres de comités consultatifs. Plus de 100 ministères et organismes privés ont assuré le financement de [ces] travaux. Des centaines de chercheurs provenant de plus de 20 universités ont pris part [aux] projets de recherche (www.cprn.com/).

Ce rapide tableau montre bien l’ampleur des connections entre l’État fédéral et les chercheuses et chercheurs des universités canadiennes et permet de comprendre comment se développe actuellement le champ des sciences empiriques de l’individu.

Non seulement les recherches empiriques se multiplient-elles, mais leur capacité de générer, de stocker et de diffuser de l’information augmente rapidement grâce aux nouvelles technologies de l’information. On peut donc considérer les sciences empiriques de l’individu comme l’embryon d’un gigantesque service de renseignements qui pourrait être mis au service des « décideuses et décideurs », des conceptrices et concepteurs de politiques publiques, qu’on pourrait aussi appeler les « agentes et agents de normalisation » de l’État. Celles et ceux qui produisent ces informations deviendraient alors les nouvelles « policières » et « policiers » de l’État contemporain, au sens précisé par Foucault bien sûr : ielles auraient pour mission de « policer » la société civile en débusquant les personnes marginales et les non-conformes, en analysant leur existence dans ses moindres recoins, en évaluant leurs « besoins » (mais de quel point de vue?), en proposant des programmes de normalisation et en « vendant » toutes ces informations à l’État qui les subventionne ou les commandite, et ce, dans le but d’améliorer le « bien-être » des Canadiennes et Canadiens, y compris celui des non-conformes, jugés d’emblée comme étant nécessairement en situation de « mal-être ».

L’« éthique du bien-être »

Élément clé de la rhétorique politique dont le « bien-être » semble être le concept-pivot, l’idéal normatif de la citoyenne et du citoyen d’un État de type gestionnaire néolibéral pourrait être décrit comme suit : tous ses besoins personnels et privés étant régulièrement et rapidement satisfaits, y compris dans ses relations de services avec l’État, la citoyenne-cliente ou le citoyen-client en état de bien-être ne peut plus avoir de problème l’empêchant de produire ou de consommer et ainsi de participer à la prospérité de l’État et du marché; ielle est, de plus, tellement centré sur son monde privé qu’ielle se désensibilise progressivement à la souffrance d’autrui et se satisfait de cette nouvelle forme de bien commun qui lui est proposée. Selon cette rhétorique, la responsabilité morale de l’État consiste à faire le maximum pour répondre vite et bien aux besoins privés des individus et pour résoudre les problèmes d’écarts normatifs posés par certains individus ou groupes d’individus.

Si cette norme régulatrice des nombreux programmes étatiques d’intervention était le fruit légitime d’un débat public éclairé, si l’État acceptait qu’elle puisse être contestée et questionnée par toute citoyenne et tout citoyen qui le souhaite, alors on pourrait considérer que les sciences empiriques de l’individu, en appuyant cette norme par le biais de leurs savoirs, ne font qu’aider les corps administratif et politique à réaliser le bien commun tel que choisi par la collectivité. Mais ce n’est pas le cas. L’éthique du bien-être est subtile et puissante. Elle masque les autres aspirations possibles de l’État, les autres formes de vivre-ensemble. Le bien-être est une expression floue et passe-partout, très utile à la rhétorique étatique pour rendre incontestable ce qui pourrait l’être. En fait, la norme régulatrice est constamment présentée dans un langage qui vise à étouffer dans l’œuf toute velléité de contestation : qui oserait s’opposer à l’objectif du « bien-être de tous les citoyens »? Est-ce que tout ne paraît pas acceptable en son nom, y compris nombre de projets de recherche menée par des scientifiques sur certaines de leurs concitoyennes et concitoyens et qui ne sont jamais débattus ou discutés sur ce plan?

Cette rhétorique est si puissante et efficace pour faire taire la contestation ou le désir de débat que les efforts de celles et ceux qui en appellent au bien commun et à l’intérêt public à long terme pour débattre de certains projets de recherche comme les banques de données génétiques de type populationnel, ou qui cherchent à débattre de tels enjeux d’éthique publique, paraissent vieillots et démodés.

L’éthique officielle de la recherche, en voie d’être instaurée en système de gouvernance au Canada, n’aide guère à stimuler de tels débats. En fait, l’Énoncé des trois conseils : éthique de la recherche avec des sujets humains, document fédéral qui encadre désormais sur le plan éthique les recherches sociales empiriques (donc impliquant des sujets humains), n’inclut pas dans l’évaluation des projets de recherche par les comités d’éthique de la recherche leurs effets possibles sur la société ou sur les rapports sociaux, les amenant à se centrer seulement sur les sujets de recherche. En fait, nulle part dans le dispositif n’est prévu de lieu d’interrogation sur les effets politiques des sciences empiriques de l’individu. Si le sens ainsi que les effets sociaux et politiques des projets de recherche issus des sciences empiriques de l’individu ne peuvent être abordés par les comités d’éthique de la recherche, comment imaginer qu’ils le soient spontanément par les autrices et auteurs ou les promotrices et promoteurs des projets?

L’adéquation des projets évalués aux préoccupations de l’État, c’est-à-dire à ses efforts pour mieux connaître, comprendre et régler les problèmes des citoyennes et citoyens et ainsi assurer leur bien-être, est même parfois présentée comme un « avantage » de la recherche et donc comme un indice de sa haute qualité morale! Plusieurs projets s’efforcent ainsi d’expliquer en quoi leurs résultats pourraient améliorer le « bien-être » de tel ou tel sous-groupe de Canadiennes et Canadiens : les jeunes, les enfants, les malades, les chômeuses et les chômeurs, etc… C’est comme si ce qu’on appelle dans certains formulaires la « pertinence sociale » des projets ne pouvait qu’avoir des retombées politiques et sociales positives, comme si l’action de l’État, orientée par la finalité du bien-être de ses citoyennes et citoyens, ne pouvait qu’être bonne. Où se trouve le débat sur les normes et les finalités de l’État, sur les différentes normes de citoyenneté?

Technologie politique des individus-chercheurs?

Si la technologie politique contemporaine des individus vise à les normaliser en résolvant leurs problèmes, notamment de santé ou sociaux, de manière à les rendre sains, productifs et dociles, c’est-à-dire sans aucune envie ou capacité de contester les régimes de vérité et de pratiques dans lesquels ils vivent, si, pour mettre en œuvre cette technologie politique, l’État a besoin de savoirs pertinents et utilisables, ne peut-on pas imaginer que s’exerce sur celles et ceux qui produisent ces savoirs, les scientifiques ielles-mêmes, une telle technologie politique visant à les rendre utiles, productifs, productives et dociles?

Explorons cette hypothèse. Cette technologie s’appuierait sur différents nœuds facilement identifiables. D’une part, une puissante normalisation des pratiques de recherche empirique à l’intérieur d’un format uniforme, imposé par les organismes subventionnaires. Ce format est celui du protocole de recherche : subventionné pour une durée de trois à quatre ans, fondé sur une revue de littérature spécialisée, il énonce des hypothèses à vérifier en utilisant des outils de recherche crédibles, annonce des résultats possibles ou probables, et prévoit produire plusieurs textes eux aussi encadrés par des processus normalisés. En effet, les produits de ces protocoles doivent être publiés dans une revue savante qui les soumet à une évaluation par les pairs, et suivre un plan systématique comportant une introduction, un exposé de la problématique, de la méthode et des résultats, un style neutre et terne et de nombreuses références bibliographiques (surtout récentes et en anglais). Ce modèle est tellement généralisé qu’il est utilisé pour les projets de thèse estudiantin, ainsi que pour les formulaires soumis aux comités d’éthique de la recherche. Mais est-il vraiment le seul qui ait de la valeur? Doit-on accepter cette uniformisation de la recherche sous la forme de protocoles standardisés?

Un autre nœud relève de l’influence exercée par les organismes subventionnaires sur les pratiques de recherche. La tenue de compétitions entre les scientifiques pour des subventions (ou des contrats) de recherche, ainsi que l’esprit de rivalité qui naît de la nécessité de publier le plus et le plus vite possible pour espérer obtenir de tels fonds (esprit que les autorités des universités s’empressent d’instiller à toustes leurs chercheuses et chercheurs recrutés), ont pour effet, d’une part, de les « individualiser » et de les isoler les uns des autres, et, d’autre part, de les orienter vers des expertises très pointues, bien éloignées du questionnement sur le bien commun. Parallèlement, les initiatives stratégiques proposant des mises en réseau de chercheuses et chercheurs partageant le même objet de recherche tendent à noyer leur individualité dans des regroupements artificiels destinés à augmenter leur productivité et à construire un immense savoir commun, totalisant, visant l’accumulation de connaissances homogènes et utilisables par les politiques publiques. Individualisation et totalisation.

Remarquons ici deux tactiques de l’État visant à naturaliser et masquer cette technologie politique : d’une part, sa rhétorique évoque régulièrement la compétition entre États, ou avec le privé, dans la course à la production de connaissances; « l’État gouverné doit tenir tête aux autres » rappelait Foucault à ce sujet[32]. Et d’autre part, il rappelle sans cesse les bienfaits de la recherche pour améliorer le bien-être collectif en utilisant une rhétorique qui reprend directement le thème du pouvoir pastoral : pour trouver une solution à un problème, il faut faire plus de recherche, entend-t-on régulièrement[33]. Les chercheuses et chercheurs, harcelé·e·s par l’administration universitaire et leurs nouveaux bureaux institutionnels de la recherche, dont l’embauche ou l’avancement dépend de « leur capacité à obtenir du financement », ne cessent de préparer des projets de recherche, des demandes de subvention et des articles présentant leurs résultats. Ce processus, ponctué de dates limites à l’année longue, en vient à régir leur travail intellectuel.

Plusieurs se plaignent de ces nouvelles conditions de travail. Il ne faut pas entendre ces lamentations comme un simple symptôme de dégradation des conditions de travail : il s’agit aussi de preuves d’une résistance que ces scientifiques, sujets libres, tentent d’articuler face au dispositif de savoir-pouvoir qui encadre leur pratique.

Il est probable que, pour le moment, les chercheuses et chercheurs des sciences empiriques tirent assez d’avantages de leur alliance avec les gestionnaires du social pour endurer cette forme d’assujettissement. Mais, ce faisant, ielles endossent, plus ou moins passivement, le projet de gestion du social qu’ielles nourrissent par leurs connaissances. Vont-ielles un jour commencer à la refuser et à revendiquer une liberté de recherche qui soit autre chose qu’une forme de « néolibéralisme scientifique » où chacune et chacun se dit libre d’entreprendre un projet de recherche mais est encadré par une compétition organisée par l’État, officiellement dédiée à un bien-être collectif mais jamais mise en débat public, démocratique?

Éthique réfléchie de la recherche

Foucault m’aide ici à proposer une autre manière de comprendre la liberté de recherche et l’éthique de la recherche. Réutilisant certaines phrases magnifiques du volume IV de Dits et écrits, je voudrais essayer dans ce qui suit d’en donner le sens, l’« êthos ».

Cette posture éthique commence par l’analyse critique de notre propre pratique de recherche, un peu sur le modèle de « l’ontologie critique de nous-mêmes » qu’il évoque dans ce texte. Cela implique d’utiliser notre pensée pour « prendre du recul par rapport à notre manière de faire ou de réagir, de se la donner comme objet de pensée, de l’interroger sur son sens, ses conditions et ses fins. La pensée, c’est la liberté par rapport à ce qu’on fait, le mouvement par lequel on s’en détache, on le constitue comme objet et on le réfléchit comme problème »[34]. Penser notre pratique de recherche, c’est prendre le temps de « dégager de la contingence qui nous a fait être ce que nous sommes, faisons ou pensons… »[35], c’est-à-dire ne pas accepter comme inéluctable ni les conditions d’exercice de cette pratique, ni la rhétorique qui justifie ces dernières. Plus spécifiquement encore, Foucault nous suggère que « le travail de l’intellectuel, c’est bien en un sens de dire ce qui est en le faisant apparaître comme pouvant ne pas être, ou pouvant ne pas être comme il est »[36], c’est-à-dire de montrer les contingences et l’arbitraire qui sont au fondement de certaines de nos pratiques et ainsi de déconstruire leur apparente « nécessité » universelle. C’est ainsi que s’ouvre « un espace de liberté, entendu comme espace de liberté concrète, c’est-à-dire de transformation possible »[37].

En ce sens, analyser le contexte politique de notre pratique de recherche nous mène, nous chercheuses et chercheurs, à faire la généalogie de l’alliance des sciences empiriques de l’individu et des pratiques contemporaines de gestion du social : « il faut essayer de faire l’analyse de nous-mêmes en tant qu’êtres historiquement déterminés »[38]. Cette « critique permanente de nous-mêmes »[39] peut nous conduire à retrouver d’autres façons de pratiquer la recherche, à sortir du modèle unique, à poser à nouveau librement la question du sens et de la finalité de la recherche. Elle peut aussi nous mener à réfléchir, en tant que citoyennes-chercheuses et citoyens-chercheurs, aux formes possible d’expression de la solidarité sociale incarnée par l’État, autres que l’intervention individualisante. Imaginer de telles formes ou donner une voix publique à celles qui s’inventent actuellement tous les jours, dans tous les milieux, ne serait-ce pas là une finalité possible de sciences empiriques du social tournées vers le bien commun?

Cette posture peut aussi conduire à exiger que soit comblé le gouffre « entre ceux qui participent à la construction des savoirs et ceux qui sont priés d’y assister en spectateurs impuissants et, si possible, administratifs », nous dit Isabelle Stengers[40], qui nous rappelle aussi qu’« aucun savoir digne de ce nom ne peut se construire à propos des humains (en tant qu’humains pensants et agissants) si sont absents les groupes réels dont ce savoir nécessiterait l’existence, groupes habilitant leurs membres à construire à propos de leur propre pratique un point de vue, des obligations et des exigences »[41]. La participation des citoyennes et citoyens aux recherches empiriques sur leur société peut aussi prendre de multiples formes et relayer dans de nombreux milieux de vie les discussions et débats sur le bien commun.

Les options sont là : collecter des informations factuelles sur le degré de normalité des individus, ou se mettre à l’écoute des paroles et des aspirations exprimées par les citoyennes et citoyens; agréger des indicateurs statistiques basés sur quelques traits communs afin de décrire une « population » ou collaborer avec les savoirs locaux des citoyennes et citoyens pour décrire un « peuple »; étudier les personnes assujetties, vulnérables, les « souris » afin que l’État, le « chat », puisse les « travailler au corps » ou décortiquer le pouvoir de l’État individualisant et ses tactiques[42], montrer la part de contingence et d’arbitraire qui en sont le fondement et déconstruire la rhétorique qui le justifie, afin d’aider les « souris » à contester ce qu’on leur offre comme étant la seule option possible, de manière à construire ensemble un autre État, plus participatif, plus proche d’un idéal de solidarité et d’équité que de l’éthique du bien-être.

Mon choix, inspiré par une réflexion critique et politique sur les conceptions de la citoyenneté qui s’offrent à nous, est clair. La réflexivité critique immanente à l’éthique de la recherche que je propose conduit à des pratiques de recherche plus ouvertes au débat public, qui veulent intéresser toustes les citoyennes et citoyens et non pas seulement les co-expertes et co-experts, qui s’intéressent plus au « peuple » qu’à la « population » et qui veulent donner à penser en plus d’informer. Les savoirs issus d’une telle pratique de recherche empirique produisent eux aussi des effets politiques : pourront-ils rappeler à la population qu’elle est aussi un peuple, que le bien-être n’est pas équivalent à la justice et à la liberté, qu’à côté de l’idéal de la citoyenne-cliente et du citoyen-client figure celle de concitoyenne et concitoyen solidaires, toujours déjà engagé·e·s dans des rapports sociaux, insaisissables dans des catégorisations rigides et qui savent qu’au nom du bien commun, ielles doivent faire alliance avec autrui et se soucier de leurs concitoyennes et concitoyens?

Le travail critique, l’analyse critique du monde dans lequel nous vivons est la plus grande tâche philosophique, nous dit Foucault. Elle peut aussi être la plus grande tâche des sciences sociales, à condition que ces dernières soient réflexives et critiques des techniques de pouvoir qui ne voudraient les voir que productives. Pour cela, elles doivent partir d’un fondement rarement évoqué, presque banal, mais crucial : les chercheuses et chercheurs sont aussi des citoyennes et citoyens. Et parce qu’ielles sont des citoyennes et citoyens, qu’ielles partagent une cité avec leurs concitoyennes et concitoyens, ielles ont une responsabilité politique pour autrui, pourrait-on dire.

Références

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  1. M. Foucault, Dits et écrits, vol. IV, p. 826-827.
  2. Ces sciences ne correspondent pas à des disciplines spécifiques : elles sont transversales aux principales disciplines des sciences sociales et humaines, telles que la sociologie, l’anthropologie, le service social, la psychologie, la science politique, les sciences de l’administration, les sciences de l’éducation, la criminologie, la démographie, la médecine sociale, etc. Ce qui leur est commun est leur souci épistémologique plutôt essentialiste et positiviste : comment donner une image fidèle de l’« être » quasi-nouménal de ces populations — comme si cela était possible…
  3. Terry L. Cooper, An Ethic of Citizenship for Public Administration.
  4. Ce glissement de sens est très visible dans la rhétorique politico-administrative du « service aux citoyens » qui sépare totalement ces derniers de l’État, de la même façon qu’une cliente ou un client est « séparé·e » de l’entreprise dont il requiert un service; voir Florence Piron, « La production politique de l’indifférence dans le Nouveau management public ».
  5. M. Foucault, Dits et écrits, vol. IV, p 711.
  6. M. Foucault, Dits et écrits, vol. IV, p. 227.
  7. Ibid., p. 229.
  8. Ibid., p. 229.
  9. G. Agamben, Ce qui reste d'Auschwitz [...], p. 109.
  10. M. Foucault, Dits et écrits, vol. IV, p. 230.
  11. M. Foucault, Dits et écrits, vol. IV, p. 227.
  12. E. Kant, Qu'est-ce que les Lumières?.
  13. Cette finalité s’applique autant aux citoyennes et citoyens en général qu’aux citoyennes et citoyens qui administrent l’État, les membres de la fonction publique.
  14. D. Osborne et T. Gaebler, Reinventing Government [...]. Ce slogan est « not rowing, but steering ». Ce livre, qui a inspiré de nombreuses politiciennes et politiciens néo-libéraux a encore été cité récemment par la ministre québécoise Jérôme-Forget lorsqu’elle a présenté son projet de réforme de l’administration publique.
  15. Voir la Loi sur l’administration publique votée en mai 2000. À noter que la « réingénierie » proposée par le gouvernement libéral actuel n’est que la prolongation accentuée du virage vers le Nouveau management public initié par le gouvernement du Parti Québécois.
  16. Voir Ève Chiapello et Luc Boltanski, Le nouvel esprit du capitalisme.
  17. Voir par exemple Guy B. Peters et Donald J. Savoie, Les nouveaux défis de la gouvernance [...], Taking Stock [...]; La gouvernance au XXIe siècle [...]; OCDE, Construire aujourd'hui l'administration publique de demain; François-Xavier Merrien, « La nouvelle gestion publique : un concept mythique ».
  18. S. Deetz, « Discursive Formations [...] »
  19. Mitchell Dean, Governmentality: Power and Rule in Modern Society.
  20. OCDE, «Introduction». L'administration à l'écoute du public [...].
  21. À ce sujet, voir Jon Pierre, « La commercialisation de l’État [...]»; F. Piron, «La production politique de l'indifférence».
  22. Ce sont des analystes des politiques publiques qui le disent ielles-mêmes : « ce n’est pas parce qu’une politique coûte peu que son impact est faible. C’est le cas en particulier de toutes les politiques du type réglementaire qui ont pour objet de modifier le cadre juridique des différentes activités sociales » (Muller et Surel, 1998 : 27), c’est-à-dire, en d’autres termes, qui permettent à l’État de maintenir une présence normative là où il a plus ou moins les moyens d’intervenir directement.
  23. L. Maheu et J.-M. Toulouse, « Présentation. Gestion du social et social en gestation », p. 11.
  24. La racine étymologique de « statistiques » n’est-elle pas « État »? 
  25. CNDSHS, Pour une politique des sciences de l'homme et de la société, p. 100.
  26. M. Foucault, Dits et écrits, vol. IV, p. 828.
  27. Par exemple, le rapport Un Québec fou de ses enfants, publié en 1991, a servi de préalable aux politiques de la petite enfance. Son auteur, M. Camil Bouchard, est aujourd’hui député du Parti Québécois.
  28. S. Borins, « Recherche sur les politiques et gestion du savoir », p. 27.
  29. Site du PRP, Horizons, 2004, p. 2. Selon le site Internet du PRP, les « sous-ministres lui ont fixé trois grands objectifs : 1. renforcer la recherche sur les politiques horizontales émergentes et intégrer les résultats dans le programme stratégique du gouvernement; 2. communiquer les moyens de bâtir une collectivité solide de recherche sur les politiques; 3. créer une infrastructure favorisant la collaboration. Le Bureau du Conseil privé apporte au PRP le soutien administratif, mais celui-ci demeure indépendant. Le PRP doit occasionnellement faire rapport au Comité de coordination des sous-ministres. Bon nombre de ses projets et de ses programmes sont dirigés par des comités consultatifs formés de fonctionnaires fédéraux » (consulté le 20 septembre 2004).
  30. Horizons, 2004, p. 2.
  31. « Politique éditoriale » de Isuma. Revue canadienne de recherche sur les politiques, vol. 3. no. 2., p. 5.
  32. M. Foucault, Dits et écrits, vol. IV, p. 818.
  33. Cette rhétorique peut produire des effets étranges, par exemple dans le cas d’un commentaire banal mais au fond très ambigu d’un collègue anthropologue, regrettant que le président Bush n’ait pas assez lu ce qu’avaient écrit les sciences sociales sur l’Irak. Il voulait probablement dire que bien des morts auraient pu être évités si les dirigeants américains avaient été mieux informés. Mais il peut aussi avoir voulu dire que si Bush avait lu les ces textes, il aurait mieux su comment manipuler et assujettir rapidement le peuple irakien, étouffant dans l’œuf la résistance…
  34. M. Foucault, Dits et écrits, vol. IV, p. 597.
  35. M. Foucault, Dits et écrits, vol. IV, p. 574.
  36. M. Foucault, Dits et écrits, vol. IV, p. 449.
  37. M. Foucault, Dits et écrits, vol. IV, p. 449.
  38. M. Foucault, Dits et écrits, vol. IV, p. 572.
  39. M. Foucault, Dits et écrits, vol. IV, p. 572.
  40. I. Stengers, Sciences et pouvoir [...], p. 112.
  41. I. Stengers, Sciences et pouvoir [...], p. 116.
  42. Susan Wright, par exemple, rappelle aux anthropologues que s’ils et elles veulent continuer à faire de l’anthropologie une discipline « inconfortable » qui provoque, relativise et défamiliarise le monde qui lui est contemporain, il faut, de façon urgente, qu’ils et elles transforment leurs objets de recherche et se mettent à scruter les bureaucraties modernes et les programmes de gestion du social qu’elles mettent sur pied. S. Wright, « Anthropology : Still the Uncomfortable Discipline? ».

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