50 Québec, ville ouverte. Portraits d’immigrant·e·s préparés par mes étudiant·e·s (2016; 2018)

Florence Piron

De 2016 à 2018, le projet Québec, ville ouverte a permis de concevoir des livres présentant les portraits de personnes immigrantes ou réfugiées de différentes régions du monde qui, pour une raison ou pour une autre, vivent actuellement à Québec, que ce soit depuis 50 ans ou depuis quelques mois. Tous les portraits ont été réalisés par des étudiantes et étudiants en communication publique de l’Université Laval dans le cadre du cours de premier cycle intitulé « Éthique de la communication publique » que je donnais chaque année au Département d’information et de communication de l’Université Laval.

Il s’agissait d’un travail d’équipe noté, représentant 25 % de la note finale. Il consistait à réaliser par équipe autant de portraits que de membres de l’équipe (quatre ou cinq) et à y ajouter une réflexion collective dont les meilleurs extraits figurent dans la dernière partie du livre. Les étudiants et étudiantes ont d’abord bénéficié d’une séance d’information sur le processus d’immigration en général à Québec. Puis, s’appuyant sur un guide d’entrevue et des conseils d’ordre éthique, chacun a pris rendez-vous avec la personne ou la famille dont il ou elle allait faire le portrait. Ces personnes ont été soit des volontaires, soit des amis ou des amis d’amis. Les rencontres d’une ou deux heures ont eu lieu au domicile des personnes choisies, dans un café, à l’Université Laval. Les étudiants et étudiantes étaient en solo ou en duo, tout comme les personnes interviewées qui pouvaient être seules, en couple ou en famille. En général, chaque rencontre était enregistrée pour faciliter la rédaction du portrait. La personne rencontrée pouvait choisir l’anonymat. Dans ce cas, nous lui avons donné un pseudonyme suivi de la lettre X et nous avons effacé du portrait ce qui pouvait l’identifier.

Le travail d’écriture a lui aussi été balisé par quelques consignes. Par exemple, je proposais d’utiliser le passé simple de la narration (pas facile!), une trame chronologique et d’inclure quelques mots ou phrases dans la langue d’origine de la personne, une photo de la rencontre ou des photos souvenirs et de nombreux extraits verbatim de la discussion. J’ai ensuite lu, évalué, corrigé et parfois complètement récrit chaque portrait, avec l’aide de réviseuses, avant de le faire valider. Les portraits qui n’ont pas pu être validés figurent tout de même dans les livres en format anonymisé. Chaque étudiant ou étudiante avait la possibilité d’approfondir sa réflexion sur ces rencontres dans son journal de bord, une autre activité obligatoire du cours d’éthique. Des extraits anonymes de ces réflexions figurent dans les épigraphes des livres.

Cette activité pédagogique originale visait à sensibiliser les étudiants et les étudiantes aux enjeux éthiques de l’exclusion et du racisme, à l’expérience de l’immigration, au pouvoir de la rencontre pour chasser les préjugés, à la force de l’écriture pour construire des outils de lutte contre le racisme et à la difficulté et au bonheur de l’écoute authentique d’autrui. Cette activité s’inscrivait dans ma pratique délibérée d’une pédagogie active, tournée vers l’extérieur des murs de la classe, qui vise à former des citoyens et citoyennes vigilantes, sensibles à autrui et intéressées par les enjeux collectifs. Comme le montrent les témoignages des étudiants-auteurs et des étudiantes-autrices rassemblées dans les conclusions de ces livres, cette expérience leur a effectivement permis de découvrir la richesse du vivre-ensemble et les empêchera de demeurer dans l’indifférence à ce qui la menace. Ces futurs communicateurs et communicatrices, qu’ils ou elles deviennent journalistes, publicitaires ou relationnistes, feront preuve de vigilance face aux dérives racistes et à l’exclusion ou à l’injustice qui pourraient hélas croiser leur chemin. Nous espérons que la lecture de ces portraits aura le même effet sur leurs lecteurs et lectrices!

Les personnes présentées dans ces livres offrent un festival de culture, d’intelligence, de bonté et de générosité. Les récits présentés mettent de la chair autour des portraits statistiques des personnes immigrantes ou réfugiées, montrant, par exemple, les difficultés à acquérir la fameuse première expérience de travail québécoise indispensable pour obtenir un emploi, l’impossibilité de faire reconnaître ses diplômes ou son expérience antérieure, l’importance d’acquérir un diplôme local et autres expériences typiques de l’immigration à Québec.

De manière délicate, la plupart de ces récits rapportent des expériences de racisme ou de rejet vécues à Québec ou dans un autre pays occidental. Les narrateurs et narratrices attribuent poliment ces gestes ou phrases racistes à l’ignorance d’individus qui ont peu voyagé ou peu rencontré la différence. Toutefois, la fréquence de ces épisodes d’un récit à l’autre fait réfléchir, interpelle, interroge. Leur violence, bien que masquée dans les récits par la résilience des narrateurs et des narratrices promptes à « passer à autre chose », en ressort clairement. Ces récits montrent aussi, à l’inverse, de nombreux gestes d’accueil généreux et réconfortants, qu’il s’agisse de voisins et de voisines, de collègues ou des organismes officiels d’accueil des personnes immigrantes et des personnes réfugiées.

Ce projet pédagogique original a bénéficié de l’appui d’Accès savoirs, la boutique des sciences de l’Université Laval qui aide les enseignants et enseignantes à développer des projets pédagogiques tournés vers la communauté en les associant à des organismes à but non lucratif de la région de Québec. Les livres existent en format imprimé, mais aussi en libre accès, comme tous les livres des Éditions science et bien commun. Le format numérique libre leur permet de circuler allègrement sur tous les continents et d’être lus en particulier par tous ceux et celles qui rêvent de partir au Canada, au Québec. Ils et elles y découvriront des récits qui montrent clairement ce qui se perd et ce qui se gagne dans l’expérience de l’immigration et qui pourraient les aider à faire un choix éclairé en fonction de leurs priorités.

Sources :
– Collectif d’écriture sous la direction de Florence Piron. (2017). Québec ville refuge. Série « Québec, ville ouverte ». Québec : Éditions science et bien commun. https://www.editionscienceetbiencommun.org/?p=646
– Collectif d’écriture sous la direction de Florence Piron. (2017). Québec africaine. Série « Québec, ville ouverte ». Québec : Éditions science et bien commun. https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/quebecafricaine/
– Collectif d’écriture sous la direction de Florence Piron. (2018). Québec arabe, tome 1. Série « Québec, ville ouverte ». Québec : Éditions science et bien commun. https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/quebecarabe1/

Télécharger ce texte en format PDF

Introduction de Québec ville refuge

Les années 2016 et 2017 ont été marquées par une intense discussion publique au Canada et au Québec à propos de l’accueil des personnes qui y demandent l’asile ou qui y ont obtenu le statut de personne réfugiée, notamment celles en provenance de Syrie, d’Afrique francophone subsaharienne ou d’Haïti. Les conventions internationales qui protègent les réfugié·e·s du monde entier fuyant la guerre ou les persécutions dans leur pays créent en effet des situations complexes où des femmes, des hommes et des enfants se retrouvent obligés de reconstruire leur vie dans un pays qu’ils n’ont pas choisi et dont la majorité des habitants et des habitantes ne connaissent souvent pas grand-chose ni à leur vie d’antan ni à leur parcours, long, complexe et douloureux, jusqu’à leur destination finale.

De nombreux citoyens et citoyennes de Québec, qu’ils et elles soient franco-descendantes ou issues d’une immigration plus récente, souhaitent faire preuve d’hospitalité, d’empathie et s’efforcent de réconforter ou d’aider les personnes réfugiées, que ce soit dans le cadre de leur travail, de leur engagement civique ou de leur vie privée. Mais comment comprendre et appuyer des personnes souvent non francophones, dont la vie a été brutalement chamboulée par une violence inimaginable et qui sont en train de faire un deuil forcé de la vie qui était tout simplement la leur?

D’autres citoyens et citoyennes de Québec ont exprimé des peurs et de la colère à l’endroit de ces personnes qu’ils et elles considèrent comme des intruses menaçant l’équilibre local de leur vie, de leur culture. Ce qui prend parfois la triste forme du racisme ou de la xénophobie haineuse exprime-t-il une peur sincère (même si mal avisée) de voir disparaître le monde qui était le leur ou s’agit-il d’une manifestation de cette tendance de la pensée humaine à rejeter tout ce qui est trop différent de soi et qui parait menaçant? Quoi qu’il en soit, ces personnes sont citoyennes d’un pays qui a des obligations juridiques envers les personnes demandant l’asile au sens de la Convention relative au statut des réfugiés (article 33) et de la Convention contre la torture (article 3). Comme le rappelle le Conseil canadien pour les réfugiés, la Cour suprême du Canada a confirmé que la Charte canadienne des droits et libertés garantit aux personnes demandant l’asile les principes de la justice fondamentale pour que leurs demandes devant les tribunaux soient entendues et évaluées en toute impartialité. La Convention relative au statut des réfugiés (article 31) et la loi canadienne (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, s. 133) interdisent aussi aux gouvernements de pénaliser les personnes réfugiées qui entrent ou séjournent de façon irrégulière sur leurs territoires. Elles les obligent plutôt à mettre en place des institutions d’accueil, incluant des processus d’examen des demandes d’asile qui peuvent conduire à un refus en principe argumenté.

Rappelons ici que le Québec a été construit par des générations successives d’immigrants et d’immigrantes et par leurs descendances, en relation plus ou moins harmonieuse avec les Premières Nations qui vivaient sur le territoire. Sans ce premier accueil fondateur, la Nouvelle-France n’aurait pas existé, ni le Québec moderne. La tradition d’hospitalité qui en est issue fait partie de l’histoire et de la culture du Québec et explique que de nombreux Québécois et Québécoises se réjouissent de la diversité culturelle croissante de leur ville ou de leur pays et voient en chaque personne qui vient s’y installer ce qu’elle apporte avec elle comme nouvelles idées, compétences et potentialités. Il est triste que d’autres l’aient oublié et se réfugient dans une conception figée de l’identité culturelle québécoise qui la réduit à du folklore et se méfient des « nouveaux et nouvelles » qui, fuyant la guerre ou la misère ou à la recherche d’aventure et d’une vie meilleure, continuent d’arriver du monde entier. Des idées qu’on croyait révolues, qui parlent à mots couverts de « pureté » d’un peuple menacé par des personnes étrangères, refont surface dans l’espace public, dans les discours des élus, hommes ou femmes, dans les politiques publiques. Ces idées nourrissent un désir de fermeture des frontières et de rejet des personnes réfugiées, au mépris des conventions internationales et de la solidarité humaine. Pourquoi ne pas voir l’identité culturelle comme un processus infini qui absorbe sans cesse de nouvelles références dans une synthèse toujours en mouvement, inclusive?

L’ignorance et la méconnaissance mutuelles empêchent cette synthèse, cet enrichissement réciproque des cultures. La méfiance envers l’autre qui est différent de soi se nourrit de l’ignorance. Les stéréotypes remplissent le vide créé par le manque de contacts et de rencontres ou les échanges superficiels. « Qui sont ces personnes étrangères qui viennent s’installer dans ma ville? », se demandent les habitants et habitantes qui y sont nées ou qui y ont grandi. « Qui sont ces personnes qui habitent la ville où je souhaite m’établir? », se demandent les immigrantes et immigrants. L’absence de réponse à ces questions peut engendrer la méfiance et le repli sur soi et nuire à la construction collective du vivre-ensemble harmonieux auquel nous aspirons tous et toutes.

Des organismes comme le Conseil canadien pour les réfugiés tentent de répondre à cette ignorance en luttant contre les mythes qui empoisonnent l’accueil des personnes réfugiées :

Le présent livre est également une contribution à ce combat, non pas sous la forme de statistiques, mais de portraits de personnes issues des différents groupes qui ont trouvé refuge à Québec au fil des décennies, ainsi que de ceux et celles qui les ont accueillis et aidés. Ils permettront d’humaniser l’image des personnes réfugiées et serviront d’inspiration ou de modèle aux lecteurs et lectrices, en montrant des personnes engagées dans le vivre-ensemble de manière très concrète. Comme le dit Vincent Message à propos de la conférence des réfugiés organisée par l’Université Paris Vincennes en 2016, faire des portraits est une occasion de donner la parole à des gens qui l’ont très peu : « les rencontres de ce type [sont aujourd’hui décisives], quand l’opinion publique tend à s’en tenir aux images médiatiques simplistes et aux fantasmes misérabilistes ou xénophobes, sans se faire d’idée précise des trajectoires que les réfugiés ont pu connaître, ni des causes de leur exil. On parle d’eux partout, mais on leur donne peu la parole – et le combat se joue aussi dans l’inversion de cet état de faits ». […]

En terminant, je tiens à remercier mes deux collègues qui ont participé avec enthousiasme à la finalisation de ce livre : Caroline Dufresne et Sarah-Anne Arsenault.

Et bien sûr, mille mercis aux hommes et femmes qui ont partagé avec sincérité une expérience humaine complexe, parfois douloureuse, parfois heureuse, mais toujours bouleversante, et aux étudiants et étudiantes qui ont si bien relevé le défi de ces rencontres et de l’écriture de ces portraits. Une expérience inoubliable pour tous et toutes!

Introduction de Québec africaine

En ce début du 21e siècle, les débats autour de l’immigration sont intenses, passionnants et déchirants. Les populations sont divisées. D’un côté, de nombreux citoyens et citoyennes d’Amérique du Nord se souviennent que leur pays actuel a été fondé par des immigrants et des immigrantes, célèbres ou inconnus. Ils et elles veulent perpétuer la tradition d’ouverture et d’hospitalité qui a permis à leurs ancêtres, générations après générations, de construire leur pays. Ils et elles se réjouissent de la diversité culturelle croissante de leur ville ou de leur pays et voient en chaque personne qui vient s’y installer ce qu’elle apporte avec elle comme nouvelles idées, compétences et potentialités. Ils se souviennent aussi, parfois, que l’installation de leurs ancêtres s’est faite aux dépens des Premières Nations qui vivaient sur ces territoires.

De l’autre côté, des citoyens et citoyennes estiment que les siècles passés leur ont donné un statut d’« autochtone » ou de « propriétaire » de leur pays et de ses institutions. Cette ancienneté leur donnerait le droit légitime de se méfier des « nouveaux » qui, fuyant la guerre ou la misère ou affamés d’aventures et de nouvelles idées, continuent d’arriver du monde entier. Ces nouveaux arrivants et arrivantes ne pourraient-ils pas vouloir transformer le pays où ils s’installent? En fait, ils le transforment par leur simple présence. Pour ceux et celles qui craignent le changement, cette présence devient inquiétante, menaçante. Des idées qu’on croyait révolues, qui parlent à mots couverts de « pureté » d’un peuple menacé par des étrangers, refont surface dans l’espace public, dans les discours des élu·e·s, dans les politiques publiques. Ces idées nourrissent un désir de fermeture des frontières et de rejet des personnes immigrantes ou réfugiées.

Les guerres du 20e siècle et du début du 21e siècle nous ont fait connaître la triste et profonde dangerosité de ces idées. Comment leur répondre? Avec quelles armes? Le Québec et la ville de Québec, bâtis par de nombreuses générations d’immigrants et d’immigrantes, sont-ils vulnérables à ces idées qui incitent à la méfiance et au rejet de ceux et celles qui viennent d’ailleurs? De nombreuses analyses et reportages montrent l’importance des préjugés, des idées reçues et des fantasmes dans la représentation mentale que se font certains Québécois et Québécoises, notamment franco-descendantes, des « étrangers », ces nouveaux arrivants qu’ils et elles ne connaissent pas et ne rencontrent pas. La méfiance envers l’autre qui est différent de soi se nourrit de l’ignorance. Les stéréotypes remplissent le vide créé par le manque de contacts et de rencontres ou les échanges superficiels. « Qui sont ces étrangers qui viennent s’installer dans ma ville? », se demandent les habitants qui y sont nés ou qui y ont grandi. « Qui sont ces personnes qui habitent la ville où je souhaite m’établir? », se demandent les immigrantes et immigrants. L’absence de réponse à ces questions peut engendrer la méfiance et le repli sur soi et nuire à la construction collective du vivre-ensemble harmonieux auquel nous aspirons tous et toutes.

[…] En plus des portraits, nous avons aussi décidé d’inclure dans le livre une carte et des fiches décrivant les 16 pays d’origine des personnes présentées. Ces fiches très brèves ont été rédigées par une étudiante à partir de l’encyclopédie Wikipédia et d’articles complémentaires, puis corrigées et complétées par des ressortissants ou des spécialistes des pays décrits. La version en ligne de ces fiches peut être différence de la version imprimée, en raison de leur possible mise à jour. […]

Les 36 hommes et 18 femmes présentés dans ce livre, issus de 16 pays différents d’Afrique subsaharienne, sont très instruits puisque onze d’entre eux détiennent un doctorat et cinq sont en train d’en faire un. Parmi les 38 autres, 18 détiennent une maîtrise ou ou sont en train d’en faire une, certains détenant deux maîtrises, et la plupart ont un baccalauréat. Nous avons compté que 39 d’entre eux sont venus pour étudier! Ils sont donc conformes au Portrait de la population immigrante de la Ville de Québec publié en 2009[1] qui établissait qu’en 2006, 65,3 % des 22 160 immigrants et immigrantes établis à Québec avaient un diplôme post-secondaire et que, globalement, ils présentaient une scolarité supérieure à celle de la population d’accueil (p. 26). Ce Portrait rapporte aussi que ces personnes ont un revenu médian moindre que les autres citoyens et citoyennes de Québec et que leur taux de chômage est presque le double (9,7 % au lieu de 5 %). […]

En terminant, je tiens à remercier tous ceux et celles qui ont participé avec enthousiasme à la finalisation de ce livre : Caroline Dufresne, Sarah-Anne Arsenault, Élisabeth Arsenault, Raymon Dassi, Frédérick Madore, Jean Jacques Demba, Lindsay Gueï, Jean-Baptiste Batana, Émilie Tremblay et la graphiste Kate McDonnell, ainsi plusieurs des personnes présentées.

Et bien sûr, mille mercis aux 53 hommes et femmes qui ont partagé avec sincérité une expérience humaine complexe, parfois douloureuse, parfois heureuse, mais toujours bouleversante, et aux étudiants et étudiantes qui ont si bien relevé le défi de ces rencontres et de l’écriture de ces portraits. Une expérience inoubliable pour tous et toutes!

Introduction de Québec arabe, tome 1

En ce début du 21e siècle, les débats autour de l’immigration sont intenses, passionnants et déchirants. Les populations sont divisées. D’un côté, de nombreux citoyens et citoyennes d’Amérique du Nord se souviennent que leur pays actuel a été fondé par des immigrants et des immigrantes, célèbres ou inconnus. Ils veulent perpétuer la tradition d’ouverture et d’hospitalité qui a permis à leurs ancêtres, génération après génération, de construire leur pays. Ils se réjouissent de la diversité culturelle croissante de leur ville ou de leur pays et voient en chaque personne qui vient s’y installer ce qu’elle apporte avec elle comme nouvelles idées, compétences et potentialités. Ils se souviennent aussi, parfois, que l’installation de leurs ancêtres s’est faite aux dépens des Premières Nations qui vivaient sur ces territoires.

De l’autre côté, des citoyens et citoyennes estiment que les siècles passés leur ont donné un statut d’« autochtone » ou de « propriétaire » de leur pays et de ses institutions. Cette ancienneté leur donnerait le droit légitime de se méfier des « nouveaux » qui, fuyant la guerre ou la misère ou affamés d’aventures et de nouvelles idées, continuent d’arriver du monde entier. Ces nouveaux arrivants ne pourraient-ils pas vouloir transformer le pays où ils s’installent? En fait, ils le transforment par leur simple présence. Pour ceux et celles qui craignent le changement, cette présence devient inquiétante, menaçante. Des idées qu’on croyait révolues, qui parlent à mots couverts de « pureté » d’un peuple menacé par des étrangers, refont surface dans l’espace public, dans les discours des élus, dans les politiques publiques. Ces idées nourrissent un désir de fermeture des frontières et de rejet des personnes immigrantes ou réfugiées. Le terrible attentat du 29 janvier 2017, survenu alors que le présent livre était en cours de fabrication, est-il un exemple de ce que peut générer une telle attitude?

Les guerres du 20e siècle et du début du 21e siècle nous ont fait connaître la triste et profonde dangerosité de ces idées. Comment leur répondre? Avec quelles armes? Le Québec et la ville de Québec, bâtis par de nombreuses générations d’immigrants et d’immigrantes, sont-ils vulnérables à ces idées qui incitent à la méfiance et au rejet de ceux et celles qui viennent d’ailleurs? De nombreuses analyses et reportages montrent l’importance des préjugés, des idées reçues et des fantasmes dans la représentation mentale que se font certains Québécois et Québécoises, notamment franco-descendantes, des « étrangers », ces nouveaux arrivants qu’ils et elles ne connaissent pas et ne rencontrent pas. La méfiance envers l’autre qui est différent de soi se nourrit de l’ignorance. Les stéréotypes remplissent le vide créé par le manque de contacts et de rencontres ou les échanges superficiels. « Qui sont ces étrangers qui viennent s’installer dans ma ville? », se demandent les habitants qui y sont nés ou qui y ont grandi. « Comment vont m’accueillir ces personnes qui habitent la ville où je souhaite m’établir? », se demandent les immigrantes et immigrants. L’absence de réponse à ces questions peut engendrer la méfiance et le repli sur soi et nuire à la construction collective du vivre-ensemble harmonieux auquel nous aspirons tous et toutes.

Ce livre répond de manière concrète et simple au besoin de mieux se connaître et se comprendre. […] Les portraits nous montrent à la fois les différences, mais aussi les ressemblances entre les aspirations, les rêves, les manières de vivre et les valeurs de tous les citoyens et citoyennes de Québec, nées ici ou ailleurs. Ils nous renseignent autant sur la culture des personnes arrivantes que sur celle du Québec telle qu’observée et analysée par ces dernières : une formidable capacité d’accueil, mais des difficultés à laisser entrer les nouveaux arrivants dans l’intimité des maisons, une crainte des débats trop vifs qui peut passer pour de l’hypocrisie, une foi en l’égalité entre tous qui permet l’épanouissement, etc. […] Les attentats du 29 janvier ont plané sur ce livre, conduisant certaines personnes à se restreindre, mais d’autres à vouloir encore plus y participer.

Les 31 hommes et 18 femmes présentés dans ce livre, issus de quatre pays de culture arabe, sont très instruits puisque sept d’entre eux détiennent un doctorat et une personne est en train d’en faire un. Parmi les autres personnes, 11 détiennent une maîtrise ou sont en train d’en faire une, certaines détenant deux maîtrises, et la plupart ont un baccalauréat. Nous avons compté que 12 d’entre elles sont venues initialement pour étudier, parmi celles pour lesquelles l’information était disponible! Ces portraits sont donc conformes au Portrait de la population immigrante de la Ville de Québec publié en 2009[1] qui établissait qu’en 2006, 65,3 % des 22 160 immigrants et immigrantes établis à Québec avaient un diplôme postsecondaire et que, globalement, ils et elles présentaient une scolarité supérieure à celle de la population d’accueil (p. 26). Ce Portrait rapporte aussi que ces personnes ont un revenu médian moindre que les autres citoyens et citoyennes de Québec et que leur taux de chômage est presque le double (9,7 % au lieu de 5 %). Les récits présentés dans ce livre mettent de la chair autour de ces chiffres, montrant les difficultés à acquérir la fameuse première expérience de travail québécoise indispensable pour obtenir un emploi, l’impossibilité de faire reconnaître ses diplômes ou son expérience antérieure, l’importance d’acquérir un diplôme local et autres expériences typiques de l’immigration à Québec. […]

En terminant, je tiens à remercier les personnes qui ont participé avec enthousiasme à la préparation de ce livre : Caroline Dufresne, Ibrahim Gbetnkom, Sarah-Anne Arsenault, ainsi que la graphiste Kate McDonnell.

Et bien sûr, mille mercis aux hommes et femmes qui ont partagé avec sincérité une expérience humaine complexe, parfois douloureuse, parfois heureuse, mais toujours bouleversante, et aux étudiants et étudiantes qui ont si bien relevé le défi de ces rencontres et de l’écriture de ces portraits. Une expérience inoubliable pour tous et toutes!


  1. Service des communications de la Ville de Québec (2009) Portrait de la population immigrante de la Ville de Québec. En ligne à http://blog.akova.ca/wp-content/uploads/2009/10/portrait_population_immigrante.pdf

Licence

Symbole de License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International

La gravité des choses Droit d'auteur © 2024 par Florence Piron est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

Partagez ce livre