38 Faisons-nous un cadeau pour 2010 : aimons la politique! Section « Idées » d’un quotidien (2009)

Florence Piron

J’ai publié ce texte dans la section « Idées » du journal Le Devoir du 31 décembre 2010. Je me souviens avoir été agréablement surprise de découvrir la grande photo colorée représentant Obama qui avait été choisie pour accompagner mon texte.

Source : (2009). Faisons-nous un cadeau pour 2010 : aimons la politique! Le Devoir, 31 décembre 2009. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/280298/faisons-nous-un-cadeau-pour-2010-aimons-la-politique

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Innombrables sont les citoyen·ne·s dans le monde qui pensent que 2009 leur a fait un cadeau inestimable : l’arrivée de Barack Obama à la présidence des États-Unis. Mais ce n’est pas seulement en raison de tout ce qu’il a déjà fait ou pourra faire dans les années à venir pour améliorer l’état du monde. C’est aussi parce que cet homme brillant, formé dans de prestigieuses universités, a fait le choix de la politique plutôt que celui de la finance ou des affaires, malgré les sacrifices personnels et familiaux afférents ainsi que les risques physiques qu’il encourt.

Ce choix montre que se consacrer à l’intérêt général, travailler au bien commun plutôt qu’à sa fortune personnelle et servir la « Cité » reste un idéal inspirant qui tient la route, au-delà de l’image très négative (mais, hélas, parfois avérée) du ou de la politicien·ne professionnel·le qui ne songe qu’à ses performances électorales et à ses gains personnels.

Pour que d’autres Barack Obama apparaissent au Québec et ailleurs, pour que les femmes et les hommes élu·e·s partageant son idéal de service cessent de démissionner, pour que les personnes plus talentueuses et les plus dévouées à l’intérêt général restent, il faut que la politique se fasse aimer de nouveau, qu’elle soit un lieu vivant et chaleureux de renforcement des liens sociaux et des croyances dans les valeurs communes, qu’elle redevienne le creuset de rêves et d’espoirs d’un monde meilleur à construire ensemble. Il ne faut plus qu’elle soit (perçue comme) une arène cruelle, remplie de pièges et de déceptions, où dominent le conservatisme, l’ennui, l’immobilisme, la peur du changement, le mensonge et l’hypocrisie. Mais comment faire?

Plaisir civique

Commençons par aimer et faire aimer les projets de loi pour ce qu’ils expriment de nos aspirations collectives et apprenons à en discuter avec plaisir et bon sens. Un projet de loi, quel qu’il soit, n’est pas (ne devrait pas être) qu’un texte ennuyeux et austère, incompréhensible par le commun des mortel·le·s, parfois menaçant car chargé de difficultés pour tous ceux et toutes celles qui devront l’appliquer ou s’y « assujettir ».

Un projet de loi est avant tout le symptôme d’un projet collectif visant à remodeler notre société afin qu’elle soit plus juste, plus vivable, plus heureuse. Rappelons-nous encore et toujours l’extraordinaire consultation menée au Québec parmi les plus démuni·e·s par Vivian Labrie et ses collègues, pour préparer collectivement le texte d’un projet de loi qui aboutira finalement à l’adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale (2003).

Imaginer un projet de loi, en discuter d’égal à égal avec des concitoyen·ne·s, délibérer sur ses avantages et ses inconvénients, sur les valeurs qu’il promeut, voilà un plaisir « civique », distinct des plaisirs centrés sur l’ego, mais non moins gratifiant, qui peut et devrait être accessible à tous et toutes et non pas réservé aux député·e·s et aux membres du gouvernement.

Parler de plaisir civique n’a de sens que dans une démocratie vraiment ouverte à l’intelligence collective de la société civile, aux multiples savoirs des citoyen·ne·s et à l’expression de leurs aspirations par d’autres formes que par une croix sur un bulletin de vote.

Obama l’a très bien compris, lui qui, dès le premier jour de sa présidence, a publié un mémorandum sur le gouvernement ouvert qui précise ceci : « Le gouvernement [« government »] doit être participatif. L’engagement du public renforce l’efficacité du gouvernement et améliore la qualité de ses décisions. Le savoir est largement disséminé dans la société et l’administration publique a tout intérêt à y avoir accès. Les ministères et les agences doivent offrir plus de possibilités aux citoyens de participer à l’élaboration des politiques publiques et de faire profiter le gouvernement de leur expertise collective » (http://www.whitehouse.gov).

Participer

Il existe dans tout pays nombre de citoyen·ne·s qui souhaitent participer aux affaires de leur Cité sans nécessairement vouloir en faire leur activité principale en se faisant élire. Un État qui prend au sérieux leur dévouement et leurs savoirs s’efforce de proposer à ces citoyen·ne·s des lieux variés de délibération et d’expression de leurs idées et de leurs savoirs, parfois accompagnés d’un réel pouvoir décisionnel.

Des initiatives de ce genre se multiplient dans le monde. Pensons par exemple à la Californie, qui vient de mettre sur pied une commission de citoyen·ne·s pour redessiner les contours de ses circonscriptions électorales, et à la ville d’Oakland, dont la commission d’éthique publique, formée de sept citoyen·ne·s, surveille, entre autres, la gestion des contrats donnés par la Ville et l’activité des lobbyistes. Pensons à l’Espace citoyen d’interpellation démocratique du Mali, qui a permis aux paysan·ne·s du pays de rejeter les OGM.

Dans le domaine des services de santé, la participation des citoyen·ne·s peut aussi améliorer l’action publique, comme l’a compris le réseau des hôpitaux de Paris, qui est en train de mener une grande consultation publique dans Internet afin d’élaborer sa prochaine planification stratégique.

La participation accrue des citoyen·ne·s ne signifie pas que les expert·e·s ne seront plus écouté·e·s, ni que les élu·e·s (et la démocratie représentative) perdront leur légitimité au profit de la démocratie participative, non fondée sur des élections. La représentation et la participation, les deux piliers de la démocratie contemporaine, se confortent mutuellement : un·e élu·e n’a-t-il ou elle pas d’abord été un·e citoyen·ne qui « participe »?

Renforcer le pilier de la participation signifie que davantage d’intelligence collective se trouvera au gouvernail de l’État, que davantage de citoyen·ne·s auront le souci du bien commun de leur communauté, que les débats publics seront plus nombreux et plus intéressants, permettant des décisions prises en meilleure connaissance de cause.

Dans un tel État, on peut espérer que le plaisir civique se répandra et que davantage de citoyen·ne·s aimeront la politique!

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