39 « Le passé ». Une expérience éthique en forme de film (2015)

Florence Piron

Courte biographie accompagnant le texte dans sa publication originale : Française d’origine, j’ai grandi dans une famille intellectuelle et cultivée qui a éclaté alors que le divorce n’était pas encore un « choix de vie » très accepté dans ce milieu et à cette époque. La recomposition de ma famille m’a cependant permis d’ouvrir mes horizons en me faisant découvrir qu’il existait de multiples façons de vivre et non pas une seule. C’est peut-être ce qui m’a entrainée par la suite à vouloir devenir anthropologue! Je me suis installée au Québec à l’âge de 19 ans, après être tombée en amour avec le Québec et un Québécois. Je suis désormais mère de cinq enfants au sein d’une famille recomposée qui en compte sept!

Source : (2015). Le passé : une expérience éthique en forme de film. Dans Marcel Gaumond (dir.), Le cinéma du XXIe siècle, des hommes et des femmes à la recherche de leur âme perdue. Québec : Éditions L’instant même.

Télécharger ce texte en format PDF

Filmographie : Le passé (France, 2013); réalisation : Asghar Farhadi; scénario : Asghar Farhadi; production : Mémento Films Production; direction de la photographie : Mahmoud Kalari; musique : Evgueni Galperine; acteurs principaux et actrices principales : Bérénice Bejo, Tahar Rahim, Ali Mossafa, Pauline Burlet, Babak Karimi.

Afin de préparer cette réflexion sur Le Passé, j’ai lu plusieurs critiques de ce film et de nombreux commentaires de spectateurs et spectatrices sur le site Allo-cine.fr. La plupart des personnes rapportaient avoir été époustouflées par la justesse et le naturel des acteurs et des actrices et par la mise en scène juste et sans artifice d’Asghar Farhadi; le film les avait beaucoup « touchées ». Une phrase recueillie résume bien le sentiment dominant : « Le passé est de ces films à la fin desquels on se sent grandi; on a aussi l’impression d’en sortir plus humain ».

Pourquoi? Pourquoi ce film a-t-il eu cet effet sur tant de personnes? Comment a-t-il pu en toucher autant sans même utiliser de trame musicale, alors que la musique est souvent utilisée pour souligner les émotions des personnages et influencer celles du public? C’est la question que je me suis posée et qui guide la réflexion proposée ici.

Bien sûr, puisque je suis moi-même une fille de famille recomposée, une mère de famille recomposée et une maman de cinq enfants, j’ai spontanément ressenti de l’empathie pour Marie, mais aussi pour sa fille Lucie, les deux personnages auxquels je me suis le plus identifiée. Mais puisque, selon les témoignages que j’ai lus, cette empathie semble avoir été partagée par toutes sortes de personnes, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, de famille recomposée ou non, je me suis mise à chercher ailleurs la source de l’émotion universelle suscitée par le film. Et je pense l’avoir trouvée dans l’éthique et, plus précisément, dans une « émotion éthique » bien précise que le film met en scène en l’ancrant dans la vie quotidienne, en la montrant en actes et à travers différents personnages : la responsabilité pour autrui.

Écrite et pensée par le philosophe juif Emmanuel Lévinas au fil d’une œuvre imprégnée de judaïsme, la responsabilité pour autrui est une émotion éthique qu’une personne ressent de manière immédiate, sans aucune médiation consciente, à la suite de la rencontre avec un « visage », celui d’autrui, qui lui demande une réponse : « dès lors qu’autrui me regarde, j’en suis responsable, sans même avoir à prendre de responsabilité à son égard; sa responsabilité m’incombe », écrit Lévinas (1982 : 92). La responsabilité pour autrui propose une méditation philosophique sur le thème de la réponse et non sur celui de la culpabilité ou même de la reddition de compte, deux notions avec lesquelles la notion de responsabilité est souvent associée. La métaphore du visage n’est pas un détail : un visage s’anime autour d’un regard qui exprime une multitude d’émotions, de savoirs, de questions, de réponses; c’est le miroir de l’âme, dit-on parfois; c’est une partie du corps qui porte dans chaque pore les traces d’une existence. Regarder vraiment un visage, se laisser interpeller par un visage, c’est atteindre l’être de la personne qui a et qui est ce visage.

Pour Emmanuel Lévinas, la responsabilité pour autrui commence quand « je » découvre et rencontre le visage d’un ou d’une autre que moi, d’un « autrui », qui a besoin de moi ou en tout cas qui a besoin d’une réponse de ma part qui le reconnaît comme visage, comme être humain, d’une humanité commune à la mienne. Dès cette rencontre, je deviens inéluctablement responsable « pour » cette autre personne, avant tout contrat, toute entente rationnelle, tout calcul, tout sens du devoir et de la charité : « le visage du prochain me signifie une responsabilité irrécusable, précédant tout consentement libre, tout pacte, tout contrat » (Lévinas 1978 : 141). L’altérité du visage d’autrui constitue une obligation qui ne peut être effacée, une responsabilité non mesurable et non calculable, antérieure à toute délibération morale et décision raisonnée. Cette responsabilité première nourrit ensuite le désir de prendre soin, la capacité d’aimer, de vouloir le bonheur de l’autre.

Cette responsabilité nait de la découverte du visage d’autrui, mais est encore plus acérée quand cet autrui est vulnérable. Elle devient alors le moteur de la sollicitude, du souci de l’autre, du care. C’est ce qui se produit quand une femme porte un bébé. Bien sûr, elle ne voit pas le visage de son enfant, mais elle ne cesse d’y penser, de l’imaginer, cet autre être qui grandit et vit en elle et qui va bientôt naitre. Elle l’aime de manière éthique même sans le connaître, parce que ce fœtus la constitue déjà comme mère et comme responsable pour lui, pour son bien-être, par le biais de son propre corps. C’est pour cette raison que les mères sont si touchantes dans leurs efforts pour prendre soin d’elles pendant leur grossesse : c’est de cet autrui au visage espéré qu’elles prennent soin. C’est pourquoi aussi elles sont si vulnérables aux conseils, y compris à la surmédicalisation de leur grossesse, dans leur désir de réponse au regard de l’enfant si fragile qu’elles imaginent bien au chaud dans leur corps.

Cet amour éthique se transforme en coup de foudre quand la mère voit et touche enfin l’enfant, à la naissance. La femme renait comme maman en même temps que nait l’enfant; une maman éternellement responsable pour ce petit être si fragile, prête à être toujours là pour lui ou elle, à toujours « répondre » à son visage. Cette dimension éthique de l’expérience parentale va bien au-delà du narcissisme parfois évoqué pour rendre compte du désir d’enfant et donne un sens profond à la vie – pour qui se laisse émouvoir par la nudité symbolique et la vulnérabilité du bébé. La même chose arrive au père quand il le veut, quand il se laisse happer par cette responsabilité, cette nécessité de prendre soin, pour l’autre et pas pour soi. Elle arrive à tous ceux et toutes celles qui s’y ouvrent.

Cette responsabilité pour autrui, c’est aussi le moteur ou l’énergie derrière le désir d’aider les personnes vulnérables, ce qu’on appelle aussi l’éthique de la sollicitude ou du care, dont relèvent de nombreux métiers occupés surtout par des femmes : sollicitude pour les malades, pour les personnes souffrantes, mais aussi pour les étudiantes et étudiants angoissé·e·s, pour les mères débordées, pour les personnes âgées qui perdent contact avec la réalité, avec leurs repères.

Paul Ricoeur, philosophe protestant, a répondu à Emmanuel Lévinas, dans son livre Soi-même comme un autre (1990), que cette responsabilité pour autrui peut nous miner, nous étouffer, si elle n’est pas « équilibrée » par le souci de soi, par la « responsabilité de soi pour soi » qui nous conduit à nous traiter nous-même comme « un autre ». Or, ce souci de soi peut nous amener à parfois à détourner le regard de visages qui souffrent, par exemple quand nous avons tendance à éviter le regard de ceux et celles que nous ne pourrons pas aider, comme les mendiantes et mendiants croisé·e·s dans la rue.

La responsabilité pour autrui donne un sens à la vie, parce qu’elle donne des raisons d’agir et une énergie vitale étonnante, furieuse, puissante, bien connue chez les mères. Elle peut évidemment conduire ces dernières à la « surprotection » ou à l’enfermement symbolique de leur enfant dans une zone d’hyper-sécurité. Si les choses se passent mal, si l’enfant ne va pas bien, elle peut aussi susciter un sentiment de culpabilité tout aussi puissant, même si, rationnellement, il n’y aucune raison de le ressentir. La responsabilité pour autrui est, je pense, une des conditions de la survie de l’humanité parce qu’elle est fondatrice du lien, du lien affectif et du lien social.

Tout au long de mon explication, vous, lecteur ou lectrice, étiez certainement en train de vous demander quel est le lien entre ce concept et le film, ou du moins comment s’est manifestée cette responsabilité pour autrui dans Le passé. Ce faisant, vous avez (re)commencé à vivre par la pensée l’expérience éthique que ce film nous a proposée : des retrouvailles avec cette responsabilité pour autrui viscérale, non rationnelle ni raisonnée, qui constitue le fondement de notre humanité commune. Il me semble en effet que ce film propose des variations très contemporaines sur la responsabilité pour autrui et que c’est pour cette raison qu’il nous touche si profondément. Ce film n’est pas qu’une histoire de famille un peu compliquée ou même une histoire d’amour tragique. Il propose aux spectateurs et spectatrices une authentique expérience philosophique et éthique, une réflexion sur la force des liens qui nous unissent.

L’ouverture du film nous l’annonce : elle nous montre, sans musique ni explication, deux visages qui se rencontrent et sur lesquels nous pouvons lire plusieurs émotions complexes et intrigantes, sans vraiment toutes les comprendre. D’ailleurs, est-ce qu’on finit vraiment par toutes les comprendre? Il y a un mystère dans tous les visages, que ce film ne cherche nullement à résoudre.

Ahmad est le porteur principal de la responsabilité pour autrui dans ce film. Il n’est pas du tout le rival amoureux de Samir, au contraire de ce que laisse entrevoir l’affiche. Ahmad arrive de loin — on n’apprendra d’ailleurs presque rien de sa vie à lui — en réponse à un appel à l’aide de Marie, appel qui dépasse clairement la nécessité de signer les papiers du divorce. Dès leur première conversation dans la voiture, Marie exprime sa détresse face à la vulnérabilité de sa fille Lucie, son sentiment d’inadéquation à y répondre et sa culpabilité d’être ainsi. Elle voudrait continuer à être responsable pour sa fille, mais elle n’y arrive plus ou en tout cas, pas d’une manière qui la satisfait. On comprend alors qu’elle a fait appel à Ahmad pour qu’il l’aide « avec » sa fille. Elle lui demande très vite : « peut-être que tu peux lui parler? ». Cette demande d’aide est redoublée par un service concret qu’il rend très vite à Marie, dont le poignet est très douloureux : il passe les vitesses de sa voiture pendant qu’elle conduit, geste immédiat et vital de sollicitude.

Puis Ahmad rencontre tous les visages si fragiles de cette famille qui, pour toutes sortes de raisons qu’on découvre au fil de l’histoire, ont d’immenses difficultés à vivre leur responsabilité les un·e·s pour les autres. Marie ne lui raconte rien, ne donne aucune information rationnelle ou systématique; elle a même du mal, au tout début du film, à lui parler de son nouvel amoureux, Samir. Ahmad doit tout déduire des visages qu’il regarde, qu’il lit, et des scènes qu’il observe, posant de douces, petites questions avec une tendresse immense. Il apprendra petit à petit ce qui se passe, ce qui s’est passé, quel est le passé de cette famille, tout en faisant constamment preuve de sollicitude, par exemple en réparant le dégât de peinture du petit Fouad. « Tu les surveilles? », demande Marie. « T’inquiète pas », répond Ahmad.

Ahmad est notre regard et découvre avec nous la tragédie de cette famille. Il a de l’avance sur nous puisqu’il aime déjà profondément Marie et ses filles. Comme nous nous identifions à Ahmad, nous aimons ces trois femmes et sommes en l’état, tout comme Ahmad, d’être touché·e par leur tragédie. Car il s’agit bien d’une tragédie, avec tous ses ingrédients classiques : un amour conjugal impossible, des amours maternel et filial troublés, des choix déchirants à faire, de la culpabilité, des difficultés à communiquer, la mort qui plane, redoutée et désirée à la fois, le sentiment de blocage, d’impasse, l’incapacité d’agir des personnages, toujours en attente.

Cette tragédie familiale se laisse découvrir au fil du film, épaisseur par épaisseur, montrée et montée comme une fugue musicale : chaque motif tragique s’imbrique dans le précédent pour le développer et ainsi l’approfondir, ce qui permet au public de s’en imprégner progressivement, en même temps qu’Ahmad, et de se sentir, comme lui, responsable pour ces êtres en détresse.

La tragédie de Marie, c’est qu’elle aime un homme, Samir, qui l’aime, mais qui vit lui-même une immense tragédie à laquelle elle ne peut échapper, ne serait-ce que parce qu’elle l’aime. Cette deuxième épaisseur de tragédie, c’est l’état comateux de Céline, la femme de Samir, qui, tant qu’elle est en vie, l’empêche de s’engager durablement avec Marie. Pourtant, on devine qu’il le souhaite, puisque leur mariage à venir, annoncé par Marie à Ahmad, est même le prétexte officiel de la venue de ce dernier en France. Samir est donc tragiquement prisonnier de l’attente de la mort de Céline, attente qui lui inspire à la fois compassion, responsabilité et colère – et le met dans une situation intenable face à leur petit garçon, Fouad. Cet adorable enfant, dont la mère est mourante, est lui-même dans une situation tragique, mais sans le savoir vraiment, ce qui suscite des émotions intenses chez les deux adultes qui prennent soin de lui, Samir et Marie, mais aussi chez nous, les spectateurs et spectatrices. On ne sait plus si on doit souhaiter que sa mère revive et reprenne sa place dans la vie de son enfant, au risque que ce dernier soit déchiré entre ces deux femmes qu’il aime, ou qu’elle meurt afin qu’il puisse définitivement prendre place dans cette nouvelle famille. La présence de Fouad, balloté entre la maison de Marie et l’appartement de son père, est le rappel constant, redouté et incontournable, que cette nouvelle famille est à la fois possible et impossible, et que sa possibilité se fonde sur la mort, celle de sa maman. L’état comateux de Céline a pourtant déjà fait mourir sa capacité d’être une maman, d’être responsable pour son enfant. Marie, on le voit bien à travers ses colères et ses gestes de tendresse envers Fouad, est en attente de savoir si elle va (pouvoir ou devoir) prendre le relais de Céline dans la vie de ce petit garçon ou si ça n’arrivera pas. Samir cherche à l’éduquer malgré tout et la petite Léa est devenue son amie et sa complice. Le film nous pose ainsi une question philosophique universelle : comment, à travers tous leurs tourments, les humains peuvent-ils maintenir leur responsabilité pour les plus vulnérables? Ahmad, qui ne connaissait pas l’existence de Fouad avant d’arriver en France, se retrouve tout à coup en train d’exercer pour cet enfant cette responsabilité qui lui est incombée de manière immédiate, sans explication, dès qu’il a croisé le regard furieux de cet enfant qui, comme le montre le problème du choix du lit, n’a pas encore de place claire dans la maison, dans cette famille, dans la vie, mais la désire ardemment.

Non seulement Samir ne peut pas faire abstraction de sa responsabilité pour Céline, car s’il le faisait, il perdrait son humanité, mais il découvre – autre épaisseur de tragédie – qu’il est peut-être aussi responsable de la situation de Céline à cause de sa relation clandestine avec Marie et de toutes les passions ainsi éveillées, notamment la jalousie de son employée Naïma, elle aussi amoureuse de lui, à son insu. Naïma, personnage secondaire du film, est aussi un personnage tragique en raison de son incapacité de communiquer et d’agir pour construire son bonheur.

Marie non seulement ne peut pas faire abstraction du souci de Samir pour Céline, mais elle partage peut-être son sentiment de culpabilité, décuplé quand elle découvre le rôle que Lucie, sa fille, a peut-être joué dans l’état de Céline. Ahmad et nous, le public, comprenons alors le déchirement de Marie entre sa responsabilité éthique, de maman, pour Lucie, qui la conduit à s’inquiéter et à appeler à l’aide, et sa colère contre le rôle que Lucie a peut-être joué dans la tragédie qui les mine tous. Nous comprenons tout autant le désespoir de Lucie qui aime passionnément sa maman, même si c’est encore, à la manière d’une enfant, de façon possessive et égoïste. Avec l’aide d’Ahmad, Lucie découvre, au fil du film, qu’il existe une autre manière d’aimer sa mère, plus généreuse, plus altruiste, plus « responsable » et nous l’accompagnons dans cette dure découverte essentielle.

Cet enchaînement de catastrophes n’a eu qu’une source : le sentiment amoureux de Marie pour Samir et son désir de bonheur, de reconstruire une famille. Nous la voyons s’efforcer de tenir ensemble cette nouvelle famille impossible et essayer d’agir, malgré l’attente insupportable, en rénovant, concrètement et symboliquement, sa maison, au risque de se blesser le poignet. Cette maison ordinaire, d’une jolie banalité, encombrée et défigurée par les rénovations, est la preuve constante de l’espérance de cette famille qui veut naître; mais le caractère inachevé de ces rénovations est en même temps le signe de l’impossibilité d’avancer, de l’attente prisonnière du passé. Personnage principal de ce décor hautement symbolique, Marie continue de vouloir être responsable pour tout le monde, malgré sa propre peine de femme. Ce personnage nous humanise, car nous nous sentons à notre tour responsable pour elle et pour sa famille, malgré ses erreurs, ses colères injustes, ses explosions de rage.

Un acte positif, porteur d’espoir est tout de même posé par Marie : l’appel à Ahmad, son « passé ». Les regards du début du film prennent alors un sens bien plus complexe que celui de retrouvailles entre deux « ex », même si on ne saura jamais exactement ce qui s’était passé entre elle et lui. Le lien qui est resté apparaît comme un lien éthique, de responsabilité pour l’autre. De la même façon, le lien d’Ahmad avec « les filles », objet de sa troisième question, n’est pas un lien de parentalité, mais un lien éthique de « souci pour l’autre », même à distance. La gentillesse de la petite Léa, la sœur de Lucie, l’amitié du restaurateur, l’écoute et l’humanité profonde d’Ahmad, le désir de bonheur de tous les personnages et leur incapacité de se débarrasser de leur responsabilité pour les autres (Céline, Fouad, Lucie notamment) au nom de ce désir de bonheur introduisent l’espoir que le « passé » et le présent immobile, prisonnier du passé, peuvent faire place à une pensée de l’avenir, comme les essuie-glaces qui, dans le générique du début du film, effacent doucement le mot « Le passé ».

Toutefois, la dernière image du film est extrêmement troublante. De quoi la larme de Céline, non vue par Samir, est-elle le signe? De la résistance de Céline à la mort, de son envie de vivre, de la possibilité de son éveil et de son retour à la vie? Ou de sa peine pour Samir qu’elle devine souffrant et malheureux, tout comme Fouad, sans pouvoir rien faire pour changer la situation, étant prisonnière de son corps et de son geste « passé »? Cette larme sur un visage endormi nous bouleverse et, alors que notre attachement à la famille de Marie s’est solidifié, interpelle de nouveau notre responsabilité pour autrui, pour Céline cette fois, sans nous donner aucune réponse…

Que s’est-il passé dans ce film? Pas grand-chose. La seule nouveauté sur le plan de l’action est cette larme, qui nous est offerte en conclusion du film. Mais nous avons accompagné des êtres humains dans leur quête de lien et dans la construction de leur humanité. Grâce à Ahmad, le révélateur et l’apaiseur, un déplacement de certains fardeaux a eu lieu, des rénovations ont pu avancer, des liens menacés ont pu se renouer, un enfant triste a été respecté, nous permettant d’espérer un dépassement de l’immobilité de la tragédie et une possibilité de bonheur.

Références

Lévinas, Emmanuel. (1978). Autrement qu’être ou au-delà de l’essence. Le Livre de Poche-Biblio essais.

Lévinas, Emmanuel. (1982). Éthique et Infini. Entretiens avec Philippe Nemo. Fayard/Le Livre de Poche-Biblio essais.

Ricoeur, Paul. (1990). Soi-même comme un autre. Seuil.

Licence

Symbole de License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International

La gravité des choses Droit d'auteur © 2024 par Florence Piron est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

Partagez ce livre