20 L’utilisation des services de santé par les indigent-e-s du Burkina Faso
Yvonne Beaugé, Manuela De Allegri, Samiratou Ouédraogo, Emmanuel Bonnet, Naasegnibe Kuunibe et Valéry Ridde
Introduction
Les exemptions du paiement des frais d’utilisation visent à faciliter l’accès aux services de santé en supprimant les barrières financières au point d’utilisation des services (Hatt et al., 2013)[1]. Malgré la mise en œuvre croissante de ces exemptions, peu d’attention scientifique est accordée aux personnes indigentes au Burkina Faso et on ne sait pas si l’utilisation des services de santé augmente effectivement. La plupart des preuves proviennent d’autres pays tels que le Cambodge, le Cameroun, le Maroc et la Zambie, qui montrent généralement une augmentation de l’utilisation des services parmi les plus pauvres (Cottin, 2018; Flink et al., 2016; Hardeman et al., 2004; Jacobs et al., 2007; Jacobs & Price, 2006) ou au sein d’autres groupes de population comme les femmes enceintes et les enfants (Nguyen et al., 2018; Ridde et al., 2013; Zombré et al., 2017). Au Burkina Faso, seuls Atchessi et al. (2016) ont mené une étude sur l’utilisation des services de santé par des personnes indigentes dans un district et ont rapporté que la distribution des cartes d’exemption de frais n’augmentait pas l’utilisation des soins de santé.
Compte tenu de la très faible utilisation des soins de santé par les plus pauvres, le gouvernement du Burkina Faso a adopté diverses politiques pour les exempter du paiement des services de santé au niveau primaire, d’abord dans le cadre de la mise en œuvre l’initiative de Bamako, puis à d’autres occasions. La loi actuelle sur l’assurance maladie universelle, adoptée en septembre 2015, reconnaît également la responsabilité de l’État de payer intégralement les frais d’utilisation des soins de santé des indigent-e-s. Cependant, presque toutes les politiques ciblant spécifiquement les indigent-e-s ont jusqu’à présent été plutôt inefficaces, en raison d’une mise en œuvre chaotique, de processus technocratiques et d’un financement insuffisant (Ridde, 2015).
En plus des nombreuses tentatives politiques, le gouvernement burkinabè a mis en place plusieurs programmes pilotes d’exemption du paiement des frais d’utilisation à plus petite échelle dans le pays. En 2014, le Burkina Faso a testé le financement basé sur la performance (FBP) (Ridde et al., 2014; Turcotte-Tremblay et al., 2017) en combinaison avec des exemptions ciblées de frais d’utilisation (De Allegri et al., s.d.) à plus grande échelle dans huit districts sanitaires (Diébougou, Batié, Kongoussi, Kaya, Ouargaye, Tenkodogo, Gourcy et Ouahigouya)[2]. Un ciblage communautaire a été utilisé pour identifier jusqu’à 20% de tous et toutes les individus résidant dans les districts considéré-e-s comme étant extrêmement pauvres, donc indigent-e-s. Des comités de sélection communautaires (CSC) ont été mis en place dans tous les districts au niveau des villages pour sélectionner les pauvres. Toutes les personnes indigentes identifiées étaient censées recevoir une carte d’exemption qui prouvait leur statut d’indigent-e (tableau 1) et leur permettait d’accéder gratuitement à tous les services inclus dans l’ensemble des prestations du FBP (Beaugé et al., 2018). L’ensemble des prestations du FBP couvrait les services de soins maternels, les consultations curatives générales, les services liés au VIH, les services liés à la tuberculose et le planning familial (De Allegri et al., 2018). Les établissements de soins ont reçu une somme forfaitaire pour compenser la perte de revenus provenant de l’exemption des frais d’utilisation. Néanmoins, les éléments de l’évaluation du processus ont montré que toutes les personnes indigentes initialement sélectionnées n’avaient pas reçu une carte d’exemption.
L’objectif de la présente étude était d’examiner les facteurs associés à la réception de cartes d’exemption de frais d’utilisation des services de santé et de comprendre quelles personnes étaient susceptibles de la recevoir. L’étude a aussi évalué si les exemptions du paiement des frais d’utilisation ciblées pour les personnes indigentes ont augmenté l’utilisation des services de santé. Sur la base d’études antérieures concernant les effets des politiques de réduction/suppression des frais d’utilisation[3], l’hypothèse était que la possession de la carte entraînerait une augmentation de l’utilisation des services pour les indigent-e-s exempté-e-s.
Méthodes
Conception de l’étude et population
Cette étude s’est appuyée sur des données collectées auprès de 1652 personnes indigentes. Ces personnes ont été interrogées avant et après la distribution de carte d’exemption des paiements, respectivement entre février et avril 2015 puis entre février et mars 2017. Elles résidaient dans les districts sanitaires de Diebougou, Gourcy, Kaya et Ouargaye, dans les régions du sud-ouest, du centre-nord, du centre-est et du nord du Burkina Faso. Toutes les personnes interrogées ont été initialement identifiées comme étant des indigentes lors d’un processus de ciblage communautaire intégré au programme FBP.
Les indigentes interrogées ont été sélectionné-e-s selon une technique d’échantillonnage aléatoire à plusieurs degrés. La première étape a consisté à sélectionner au hasard les districts de résidence de ces personnes, à savoir quatre districts parmi huit. Ces quatre districts comprenaient un total de 1 032 541 habitant-e-s, dont 51 267 personnes ont été identifiées comme indigentes. La deuxième étape a été la sélection aléatoire de communes et de villages au sein de chaque district. Les villages n’ont été inclus que s’ils contenaient un minimum de 10 personnes indigentes. Cinquante-huit villages répondaient à ce critère. La troisième étape a consisté à sélectionner des personnes indigentes âgées de 18 ans et plus, dont le nom figurait sur la liste originale des indigent-e-s qui ont été recrutées pour l’enquête de base[4]. Des détails supplémentaires sur les procédures d’échantillonnage sont décrits ailleurs (Ouédraogo et al., 2017; Pigeon-Gagné et al., 2017).
Résultats
Sur les 1 652 indigent-e-s recruté-e-s pour l’enquête de base en 2015, 1 260 (76,27%) ont répondu à l’enquête finale en 2017. En effet, après la première collecte de données en 2015, 124 (32%) répondant-e-s ont été perdu-e-s lors de l’enquête de suivi en 2017, et 144 (37%) ont été physiquement absent-e-s lors de visites répétées de l’équipe d’enquête. Les répondant-e-s qui n’ont pas pu participer à l’enquête de suivi ont été exclu-e-s de l’étude : 10 (3%) souffraient d’une maladie; 5 (1%) étaient à un âge avancé; 8 (2%) étaient mentalement malades; 6 (1%) avaient un handicap auditif; 90 (23%) étaient décédé-e-s, et 5 (1%) ont refusé de répondre au questionnaire. Le nombre de données des répondant-e-s pour l’analyse était de 1652 en 2015 et de 1260 en 2017, ce qui donnait un ensemble de données de panel non équilibré de 2912 observations.
Caractéristiques de l’échantillon
Le tableau 2 présente les statistiques descriptives et comparatives de toutes les variables inclues dans les analyses pour 2015 et 2017. Au départ, l’âge moyen de l’échantillon était de 55,13 ans (SD = 16,96), dont 67,6% étaient des femmes. La majorité des répondant-e-s vivaient dans le district de Diébougou (33,17%), n’étaient pas alphabétisé-e-s (93,70%), n’avaient aucune d’éducation (94,79%) et indiquaient ne souffrir d’aucune forme de handicap (76,45%). Environ 60% étaient marié-e-s, 42,80% étaient chefs de famille et 75,85% vivaient dans un rayon de 5 km autour du centre de santé le plus proche. Il y avait une forte concentration géographique des répondant-e-s sélectionné-e-s autour des centres de santé primaire (CSPS) à Diébougou, Gourcy, Kaya et Ouargaye (Figure 1, 2, 3 et 4).
Au moins 75,51% des répondant-e-s ont déclaré avoir reçu (possession de la carte) la carte d’exemption de frais d’utilisation des services de santé lors de l’enquête de suivi en 2017. En comparant les fréquences rapportées de 2015 avec celles de 2017, on constate une différence significative pour les variables âge (p = 0,00), taille du ménage (p = 0,00), santé perçue (p = 0,01), déclaration de maladie (p = 0,00) et utilisation des services de santé (p = 0,05). La taille moyenne des ménages en 2015 était de 1,61 (ET = 1,58) membres, contre 2,57 (ET = 1,97) en 2017. Au total, 19,49% des répondant-e-s en 2015 ont déclaré être en bonne santé, contre 23,49% des répondant-e-s en 2017 (p = 0,01). En 2015, 70,70% des répondant-e-s ont déclaré avoir eu au moins un épisode de maladie au cours des six derniers mois, contre 62,78% des répondant-e-s en 2017 (p = 0,00). Au départ, 64,21% ont signalé une utilisation des services de santé, contre 59,92% au moment du suivi (p = 0,05).
Analyse concernant la possession de cartes d’exemption de frais d’utilisation
Le tableau 3 présente les résultats du modèle identifiant les déterminants de la possession d’une carte d’exemption de frais d’utilisation. L’alphabétisation de base (p = 0,03), la distance inférieure à 5 km du centre de santé le plus proche (p = 0,02) et la résidence dans le district sanitaire de Diébougou (p = 0,00) et de Gourcy (p = 0,01) étaient positivement associées à la possession d’une carte.
Analyse concernant l’utilisation des services conditionnellement à la déclaration de maladie
Le tableau 4 présente les résultats du modèle à effets aléatoires prédisant l’utilisation des services de santé conditionnellement à la déclaration de maladie et la possession d’une carte d’exemption de frais d’utilisation des services de santé (modèle 2). Ces analyses ont été contrôlées sur toutes les autres variables explicatives. Aucune association n’a été trouvée entre la possession de la carte d’exemption de frais et l’utilisation des services de santé (p = 0,73). En outre, l’éducation, l’alphabétisation de base, l’état civil et la distance entre le lieu d’habitation et le centre de santé n’étaient pas non plus associés à l’utilisation des services de santé. Le fait d’être chef de ménage (p = 0,00), d’être un homme (p = 0,04) et d’avoir une plus grande taille de ménage (p = 0,02) étaient associés positivement à l’utilisation des services de santé, tandis qu’une meilleure perception de la santé était associée négativement. En revanche, le fait d’être handicapé-e (p = 0,00) et d’être d’un âge avancé (p = 0,00) étaient associés négativement à l’utilisation des services de santé.
Discussion
Une constatation essentielle de cette recherche est que la majorité des indigent-e-s identifié-e-s ont reçu les cartes d’exemption. En outre, la possession de cartes d’exemption était positivement associée au fait d’avoir reçu une l’alphabétisation de base, au fait de résider à une distance inférieure à 5 km du centre de santé le plus proche et au fait de résider dans les districts sanitaires de Diébougou et de Gourcy. Contrairement à l’hypothèse initiale, les résultats indiquent que la possession des cartes d’exemption n’a pas augmenté l’utilisation des services de santé par les indigent-e-s. Le fait d’être chef de ménage, d’être un homme, d’avoir une mauvaise perception de la santé, d’être plus âgé-e, de ne pas souffrir d’un handicap et d’avoir un ménage plus important étaient positivement associés à l’utilisation des services de santé.
Les résultats semblent contredire les conclusions tirées d’études antérieures menées dans d’autres contextes qui suggéraient une augmentation substantielle de l’utilisation des services par les pauvres après l’introduction d’exemptions de frais d’utilisation (Cottin, 2018; Flores et al., 2013; Garchitorena et al., 2017; Jacobs et al., 2007; Lagarde et al., 2012; Ridde, 2015). Par exemple, Jacobs et al. (2007) ont examiné l’impact des fonds d’équité en matière de santé au Cambodge sur l’utilisation des services de santé. En utilisant des analyse de séries chronologiques interrompues d’utilisation mensuelle des services de santé entre 2006-2013, ils ont montré une augmentation de leur utilisation par les pauvres. Cependant, cette politique nationale au Cambodge s’attaque également aux obstacles non financiers et prévoit le remboursement des frais de transport des bénéficiaires vers l’établissement de santé ou des allocations alimentaires quotidiennes pour les soignant-e-s (Jacobs et al., 2007), ce qui n’a pas été le cas au Burkina Faso. Les données de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest sur les interventions pilotes d’exemption de frais ont généralement tiré des conclusions positives et démontré une augmentation de l’utilisation des services parmi les pauvres (Abdu et al., 2004; Flores et al., 2013; Garchitorena et al., 2017; Ridde, 2015). Une étude de Cottin réalisée en 2018 a estimé qu’un programme national d’exemption du paiement des frais avait un effet positif modeste sur l’utilisation des soins de santé par les pauvres au Maroc. Cependant, aucune de ces études sur les plus pauvres n’a utilisé un modèle de panel pour mesurer l’effet des exemptions sur l’utilisation.
Nos résultats concordent cependant avec ceux d’autres études antérieures. Par exemple, en utilisant une méthode de contrôle synthétique commune, Lépine et al. (2018) ont indiqué que la suppression des frais d’utilisation en Zambie n’avait pas entraîné une augmentation de l’utilisation des soins de santé par les personnes indigentes. Par rapport à la superficie du Cambodge, dont les résultats d’une étude présentée plus haut étaient contradictoires, la Zambie est quatre fois plus grande, ce qui pourrait avoir contribué aux différences d’impact de la suppression des frais d’utilisation entre les pays, puisque la population est répartie sur une plus grande superficie, ce qui rend l’accès aux services de santé plus difficile. Atchessi et al. (2014) ont mené une étude pré-post à Ouargaye (Burkina Faso) et ont rapporté une augmentation de l’utilisation des services de santé parmi les indigent-e-s de 2010 à 2011, qui n’était toutefois pas associée à la possession de cartes d’exemption. Conformément à nos conclusions, l’étude soutient que les facteurs socioculturels tels que le sexe et les croyances culturelles, ainsi que des transports abordables, auraient pu être des déterminants plus influents[5].
Le rôle de la conception et de la mise en œuvre des interventions
Pour mieux comprendre pourquoi la possession de cartes d’exemption de frais d’utilisation n’a pas augmenté l’utilisation des services de santé par les plus pauvres au Burkina Faso, les résultats doivent être interprétés en fonction du contexte de l’intervention et de sa mise en œuvre[6].
Premièrement, il est important de considérer que les responsables de la mise en œuvre ont dû réduire deux fois le niveau des prix de remboursement (y compris les incitations financières pour atteindre les pauvres) pour tous les services en raison de contraintes budgétaires (Turcotte-Tremblay et al., 2017). En examinant les 18 premiers mois de mise en œuvre (janvier 2014 à mai 2016), Turcotte-Tremblay et al. (2017) ont rapporté que certain-e-s prestataires de soins de santé étaient insatisfait-e-s des compensations reçues pour le traitement des indigent-e-s. Ils et elles ont fait valoir que puisque cette population est affectée par de multiples morbidités, les remboursements forfaitaires basés sur les cas et fixés autour du coût moyen du traitement n’étaient pas suffisants pour couvrir leurs coûts réels de prestation de soins de santé (Turcotte-Tremblay et al., 2017). Par conséquent, on émet l’hypothèse que les incitations perçues par les prestataires étaient trop faibles et que, pour cette raison, les prestataires n’étaient pas suffisamment motivé-e-s pour prendre l’initiative d’attirer des plus pauvres dans les établissements comme prévu par le programme FBP. Bien qu’une enquête plus approfondie soit certainement nécessaire, des ajustements généraux des niveaux de prix de remboursement sont recommandés, en tenant compte du profil de morbidité complexe des indigent-e-s.
En outre, en raison de retards importants dans les remboursements[7], certains établissements de soins ont facturé les indigent-e-s indépendamment de leur carte d’exemption (Turcotte-Tremblay et al., 2017). Dans le même temps, il faut noter qu’un quart des indigent-e-s identifié-e-s initialement n’ont jamais reçu de carte d’exemption, en particulier ceux et celles qui vivent loin de l’établissement de santé et ceux et celles qui sont moins alphabétisé-e-s. Il n’est donc pas surprenant que l’impact de l’intervention soit en retard sur les attentes. Ces circonstances suggèrent la nécessité de respecter les directives de mise en œuvre et de concentrer les efforts pour atteindre les personnes éloignées du centre de santé.
Un autre élément de conception qui pourrait expliquer le manque d’efficacité signalé de l’intervention concerne la possibilité de fraude par les prestataires de soins de santé qui pourrait être une conséquence non intentionnelle du FBP[8]. Cette préoccupation a conduit les concepteurs du projet FBP à introduire un plafond qui rationne les services fournis aux indigent-e-s dans les districts ciblés à un maximum de 10% de toutes les consultations dans les établissements de santé (Fritsche et al., 2014; Ministère de la Santé Burkina Faso, 2013; Ridde et al., 2014). Pour mieux comprendre cette décision, il est important de rappeler que le processus initial d’identification et de ciblage a permis d’identifier jusqu’à 20% des personnes vivant autour des établissements de santé comme étant indigent-e-s et éligibles à une carte d’exemption. Cependant, les comités de sélection communautaires n’ont retenu qu’entre 5% et 10%. Seule une incidence très élevée de maladie (qui serait inhabituelle) émanerait les consultations des indigent-e-s à représenter plus de 10% de tous les services fournis. L’imposition de ce plafond aurait pu mettre en garde les prestataires contre la fourniture de soins de santé aux pauvres, ce qui aurait eu pour conséquence de limiter l’accès observé plutôt que d’agir uniquement comme un moyen de dissuasion contre la fraude, comme prévu initialement. Il est intéressant de noter qu’une étude parallèle portant spécifiquement sur les fausses déclarations suggère que, contrairement aux attentes, il est peu probable que le jeu et des fraudes importantes aient eu lieu dans ce contexte (Kuunibe et al., 2019).
L’équité dans l’accès aux soins de santé
Le fait que l’étude n’ait constaté aucun effet significatif des cartes d’exemption de frais d’utilisation sur l’utilisation des services de santé remet sans aucun doute en question la conception et le contenu de l’intervention, surtout si l’on tient compte des coûts financiers et économiques de l’identification des indigent-e-s (respectivement 6 et 12 USD) (Beaugé et al., 2018). En outre, l’exemption de frais d’utilisation n’était pas un projet autonome, mais intégrée dans le cadre d’une intervention plus large. Cette intervention complétait déjà la demande (exemptions de frais d’utilisation) par des incitations du côté de l’offre (FBP) et visait à remédier aux inégalités d’accès aux soins de manière plus holistique. C’est particulièrement dans ce contexte que ces résultats sont alarmants, bien qu’ils fassent écho aux résultats d’études antérieures qui montrent que les mesures d’équité mises en œuvre parallèlement au FBP n’ont pas réussi à réduire les écarts (Allegri et al., 2018; Lannes et al., 2016; Mwase et al., 2020; Ridde et al., 2018) à quelques exceptions près (Binyaruka et al., 2018; Flink et al., 2016). Les implications de ces résultats pour les responsables de la mise en œuvre et le gouvernement sont que les stratégies existantes du FBP doivent être mieux adaptées aux besoins spécifiques des pauvres. Les exemptions de frais d’utilisation représentent, en effet, un premier pas vers la réduction du déficit d’équité[9]. Toutefois, pour obtenir les résultats escomptés et ne pas gaspiller les ressources, il est essentiel que les recherches futures explorent et informent les décideurs et décideuses politiques sur le rôle et la contribution de tous les obstacles financiers et non financiers pertinents à l’accès des pauvres aux soins de santé (Thiede & Koltermann, 2013).
Il est intéressant de noter que les résultats suggèrent que dans ce contexte spécifique, ce ne sont pas seulement les dispositions financières mais aussi les dispositions individuelles telles que la position dans le ménage, la taille du ménage, l’état de santé perçu, l’âge et l’existence d’un handicap qui pourraient être des déterminants plus influents de l’utilisation des services de santé parmi les pauvres. Cela est conforme aux modèles et cadres théoriques qui expliquent la nature complexe de l’accès aux soins et les multiples déterminants de l’utilisation des services de santé (Andersen, 1995; Levesque et al., 2013; Robert et al., 2017). Tous et toutes soulignent que l’accès et l’utilisation des services de santé ne dépendent pas seulement des moyens financiers des pauvres[10].
Malgré la complexité bien connue de la question, les décideurs et décideuses politiques et les bailleurs de fonds ont souvent tendance à trop insister sur l’importance de l’accès financier, car son degré de changement est élevé par rapport, par exemple, à l’évolution des normes et des structures sociales. Pourtant, l’équité de l’accès aux soins est dans l’œil de celui qui les regarde (Andersen, 1995), et ce sont finalement les plus pauvres qui peuvent le mieux présenter les facteurs qui expliquent leur utilisation. Par conséquent, pour promouvoir un accès équitable aux soins, les acteurs de la santé mondiale et les gouvernements doivent tenir compte des contextes locaux et s’adapter à ces réalités lors de la conception des interventions de santé publique et, en fin de compte, des politiques (Aboagye et al., 2019; Thiede & Koltermann, 2013). Pour orienter les politiques, les recherches futures, avec l’application de méthodes mixtes, doivent se concentrer sur l’évaluation de la perspective locale du rôle et de l’interrelation des divers obstacles financiers et non financiers à l’accès et à l’utilisation des soins de santé de manière globale.
À la lumière des résultats, une stratégie complémentaire aux mesures existantes pourrait consister à mieux lutter contre les inégalités entre les sexes par des interventions axées sur l’autonomisation, car les femmes sont encore moins susceptibles d’utiliser les services de santé en raison de leur pouvoir d’agir limité (Nanda, 2002). Pour améliorer radicalement la capacité des femmes à prendre des décisions en matière de santé, les gouvernements devront aller au-delà de simples réformes dans le secteur des soins de santé et introduire des politiques sociales et économiques qui renforcent la position des femmes dans l’ensemble de la société (Samb & Ridde, 2018). Une intervention axée sur les obstacles pourrait organiser des navigateurs et navigatrices en santé[11] au sein du système de soins de santé primaires qui serviraient de lien entre les pauvres et les prestataires de soins de santé en déterminant les obstacles à l’utilisation des services et en coordonnant et facilitant les soins nécessaires (Wells et al., 2017). Cela pourrait être particulièrement efficace non seulement pour les femmes, mais aussi pour les personnes âgées. L’étude a mis en évidence leur diminution de probabilité d’utiliser les services de soins de santé. Un autre facteur important dans l’augmentation de l’utilisation est la suppression de la barrière du transport, qui reste un défi important pour les personnes indigentes.
Conclusion
Les indigent-e-s sont la population la plus vulnérable et la moins bien desservie en soins de santé de l’Afrique subsaharienne. En décidant de mettre en œuvre des exemptions ciblées de frais d’utilisation, le Burkina Faso a franchi une étape décisive pour surmonter les obstacles à un accès équitable aux services de santé. Contrairement à l’objectif initial de l’intervention de FBP, l’étude a révélé que l’utilisation des services de santé par les plus pauvres n’était pas adaptée à l’introduction d’une exemption ciblée des frais d’utilisation pour ces personnes. Cette constatation ne remet toutefois pas en cause l’importance de telles stratégies pour la poursuite de la couverture universelle en santé (CSU), mais implique qu’il existe d’autres obstacles sous-jacents, plus ou tout aussi importants, que les obstacles financiers à l’accès universel aux soins de santé, en particulier dans les contextes où les inégalités initiales sont importantes. Bien que les résultats soient basés sur un petit échantillon et se rapportent à un champ géographique limité, ils sont très pertinents puisque les indigent-e-s constituent un groupe fortement sous-représenté dans le paysage scientifique en raison de la difficulté à les atteindre. En conséquence, l’étude offre des orientations pratiques et politiques précieuses qui se font attendre depuis longtemps.
L’étude sert en fin de compte au développement de futures interventions de santé publique pour ne laisser personne de côté, un principe au cœur de l’Agenda 2030 pour le développement durable. Pour améliorer efficacement les conditions de vie des pauvres, trois recommandations politiques peuvent être formulées. Premièrement, il est essentiel de comprendre précisément, au niveau local, les obstacles pertinents à l’accès aux services de santé pour les plus pauvres. Deuxièmement, il est nécessaire d’entamer un dialogue avec les prestataires de soins de santé afin de trouver un terrain d’entente sur les tarifs de remboursement de leurs prestations. Troisièmement, il est essentiel de préparer soigneusement, de planifier, de mettre en œuvre et de financer des exemptions de frais d’utilisation pour les plus démuni-e-s, ainsi que des mesures supplémentaires du côté de la demande, telles que la navigation en santé[12], afin de s’attaquer simultanément à tous les obstacles pertinents à l’accès aux soins de santé.
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- Ce chapitre est la traduction d'un article publié à l'origine en anglais et édité/réduit pour ce livre : Beaugé, Y., De Allegri, M., Ouédraogo, S., Bonnet, E., Kuunibe, N. & Ridde, V. (2020). Do targeted user fee exemptions reach the ultra-poor and increase their healthcare utilisation? A panel study from Burkina Faso. International Journal of Environmental Research and Public Health, 17(18). doi : 10.3390/ijerph17186543. ↵
- Voir le chapitre de Ridde et al. ↵
- Voir le chapitre de Nguyen et al. ↵
- Voir l'article original en anglais. ↵
- Voir le chapitre de Louart et al. ↵
- Voir les chapitres de Ridde et al. et de Turcotte-Tremblay et al. ↵
- Voir le chapitre de Ridde et al. ↵
- Voir le chapitre de Turcotte-Tremblay et al. ↵
- Voir le chapitre de Louart et al. ↵
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- Voir le chapitre de Louart et al. ↵
- Voir le chapitre de Louart et al. ↵