28 Le point de vue des décisionnaires du Burkina Faso sur l’utilisation de la recherche au ministère de la Santé

Christian Dagenais

Introduction

Depuis l’émergence du mouvement de la médecine fondée sur des preuves dans les années 1990, la tendance à fonder les pratiques et la prise de décision sur des données probantes a connu un essor remarquable (Bowen & Graham, 2013; Kitson et al., 2013)[1]. Néanmoins, malgré tous les efforts consentis, l’écart persiste entre les connaissances scientifiques disponibles et leur utilisation (Kothari et al., 2014; Leijen-Zeelenberg et al., 2014; Lysenko et al., 2014; Nutley, 2011). Les écrits scientifiques sur le transfert de connaissances (TC) présentent encore peu de données probantes sur les processus qui mènent à l’utilisation des connaissances scientifiques dans un contexte donné et sur leur efficacité (Breckon et al., 2016; Cherney et al., 2013; Cooper, 2014; Dagenais et al., 2013; Langer et al., 2016).

En février 2017, le ministre de la Santé Nicolas Méda, lui-même médecin et chercheur, envisageait de créer une unité destinée à favoriser l’utilisation de la recherche pour la prise de décision au sein de son Ministère. Il m’a alors mandaté pour en accompagner la mise en œuvre. Le 27 septembre 2017 (Burkina Faso, 2017), le gouvernement a entériné par décret la réorganisation du Ministère proposée par le ministre et la création d’une Unité de Gestion et de Transfert des Connaissances (UGTC) directement rattachée à son cabinet. Cette unité vise à développer une meilleure prise en compte des données de recherche dans la prise de décision et la gestion du système de santé à tous les niveaux. Elle a pour mission d’éclairer, par des données probantes et dans un environnement complexe, la prise de toutes les décisions publiques en matière de santé.

Ce chapitre présente les résultats d’une étude menée à la suite de plusieurs années de recherche au Burkina Faso. Tout au long de ces années, les équipes avec qui j’ai travaillé ont déployé des efforts considérables pour favoriser l’utilisation de nos résultats en mettant notamment en place des activités de courtage de connaissances (Dagenais et al., 2015, 2016; D’Ostie-Racine et al., 2016). Ces efforts ont souvent produit des impacts positifs aux niveaux local et régional, mais on a peu de traces d’une utilisation des résultats au niveau central (Dagenais et al., 2013; McSween-Cadieux et al., 2017; Ridde & Dagenais, 2018), car il a toujours été difficile d’impliquer des haut-e-s dirigeant-e-s dans nos activités de restitution et à obtenir quelques minutes d’entretiens avec eux ou elles[2]. On commence à peine à identifier les conditions d’utilisation de la recherche par les décisionnaires politiques, mais on sait que leurs attitudes et opinions face à la recherche constituent un des principaux déterminants (Nabyonga-Orem et al., 2015; Oliver et al., 2014; Rütten & Gelius, 2014; South & Cattan, 2014). 

Méthode

Avant la mise en place de l’UGTC, il est apparu important d’étudier l’attitude face à la recherche au sein des hautes instances du ministère de la Santé du Burkina Faso. J’ai mené une série d’entretiens individuels en mai 2017 auprès de 14 décisionnaires du cabinet du ministre. Ces entretiens, d’une durée moyenne d’environ 45 minutes, ont été enregistrés sur support numérique avec l’accord explicite des participant-e-s à qui l’on a garanti l’anonymat. L’entretien visait à recueillir leur point de vue sur l’utilisation de la recherche pour la prise de décision. Les principaux thèmes abordés lors de ces rencontres portaient sur : 1) la perception de l’attitude générale face à la recherche; 2) les obstacles; 3) et les éléments qui pourraient favoriser une plus grande utilisation de la recherche au sein du Ministère. J’ai également demandé aux personnes interrogées de 4) fournir des exemples concrets de résultats de recherche qui avaient été utilisés dans leur direction et 5) d’explorer des moyens d’améliorer la participation des décisionnaires aux activités de transfert des connaissances issues de la recherche. Les entretiens ont été partiellement retranscrits le jour même où ils ont été réalisés et une analyse thématique de contenu (Patton 2002) a été appliquée à l’ensemble du matériel recueilli.

Résultats

Une attitude mitigée face à la recherche

Si plusieurs affirment qu’il y a, d’une manière générale, une bonne acceptation de la recherche et qu’elle est nécessaire à la planification, d’autres personnes la considèrent comme le parent pauvre du système. D’une part, l’utilisation de la recherche est encouragée et certain-e-s affirment même qu’elle fait partie des priorités de tous les cadres du ministère de la Santé. On cite pour preuve le fait que trois centres de recherche sont sous la tutelle du Ministère.

D’autre part, c’est pourtant une majorité des personnes interrogées qui considèrent que la recherche influence très faiblement les décisions, sauf peut-être en ce qui concerne certaines directions telles que la direction générale de la santé, et la direction des études et statistiques sectorielles. Pour les autres décisionnaires, c’est un peu l’indifférence qui domine. On rapporte que certaines personnes ont parfois même une attitude hostile face à la recherche. Pour plusieurs, la recherche est vue comme un monde à part, une « chasse gardée » qui ne constitue pas une priorité. Selon une personne interrogée, on aurait tendance à s’appuyer beaucoup plus sur les recommandations des grandes ONG et de l’OMS plutôt que sur la recherche, sauf quand il y a urgence, comme par exemple lors de la dernière flambée de dengue en 2016. Mais certaines personnes expliquent que la situation évolue, grâce entre autres aux deux derniers ministres qui avaient un profil de chercheur.

D’importants obstacles à l’utilisation de la recherche

Outre l’ouverture parfois mitigée face la recherche, les deux principaux obstacles relevés par les personnes rencontrées portent sur les difficultés d’accès aux résultats de recherche et sur le fait que des pistes d’action pour appliquer les résultats ne soient souvent pas proposées par les équipes de recherche. Puisqu’on « ne peut pas utiliser ce dont on ne connait pas l’existence », dit l’un des répondant-e-s, la question de l’accès aux résultats de recherche est fondamentale et il doit survenir au moment opportun. Or, la majorité des personnes interrogées ont affirmé avoir des difficultés à repérer les études qui pourraient les aider à prendre des décisions. Ceci s’explique en partie, selon certaines personnes, par le fait que les scientifiques n’ont souvent pas la préoccupation de communiquer leurs résultats autrement que par des publications dans les revues avec comité de pairs : « […] le chercheur fait ça pour ses galons; ils vont diffuser ailleurs, mais pas ici ». Même si une quantité importante d’études sont menées, il n’existe pas de répertoire qu’on pourrait consulter pour retracer celles qui seraient utiles le cas échéant. On souligne l’absence d’une stratégie claire de communication autour de la recherche. L’autre principal obstacle à l’utilisation est lié aux scientifiques et au fait que souvent, ils et elles ne formulent pas de recommandations au sujet de la mise en œuvre des résultats, ce qui réduit les chances que des changements découlent des études menées. Puisque « dans les écoles [de formation] on ne met pas l’accent sur l’utilisation », un accompagnement est souvent nécessaire pour mettre en œuvre les changements qui pourraient découler d’une étude.

Un autre obstacle important à l’utilisation liés aux scientifiques touche leur mode de communication qui utilise trop souvent un jargon spécialisé, difficile d’accès. On souligne également la pertinence des études disponibles qui ne sont pas toujours en phase avec les réalités auxquelles fait face le Ministère : « […] on fait des recherches utiles pour le chercheur, pas nécessairement pour le Ministère », ainsi que les problèmes de financement non seulement de la recherche, mais aussi de l’application de ses résultats.

Plusieurs idées pour favoriser l’utilisation de la recherche

Pour contourner l’obstacle que constitue l’accès aux résultats de recherche, la plupart des personnes interrogées ont proposé des solutions. La principale concerne la coordination de la diffusion et le rôle que pourrait avoir la direction des archives et de la documentation qui, même si leur mandat précis est peu connu, pourrait mettre en place un répertoire des études disponibles. Selon certaines, cette direction devrait se charger de faire connaître les résultats : « […] ils doivent prendre le leadership pour faire connaître les résultats. Si cette direction se donne cette prérogative, certainement elle trouvera le moyen ». Les résultats de recherche devraient être publiés sur le site du Ministère : « Il faut d’abord savoir que l’étude existe et après y accéder […] ». Il faudrait utiliser les réseaux sociaux pour diffuser sous forme de résumés d’une page, de bulletins, les résultats les plus pertinents et organiser des restitutions ciblant spécifiquement l’équipe technique susceptible d’utiliser les résultats. Mais pour que les décisionnaires accèdent aux résultats de recherche, il faut leur parler de leurs utilités, montrer ce que la recherche peut apporter de positif. Il faut les convaincre qu’ils et elles ont intérêt à l’utiliser : « Ça prendrait un genre de lobbying de la recherche; il faut arriver à expliquer l’intérêt ou l’impact que cette étude pourrait avoir ou pourrait être utilisée ». Ceci pourrait susciter la « soif d’aller chercher l’information » et il faut développer les compétences pour aller la chercher.

Une autre partie des solutions proposées vise les scientifiques et notamment ceux et celles des centres sous la tutelle du ministère de la Santé : « Il faut rappeler aux centres qu’ils relèvent du Ministère; ils vont diffuser ailleurs, mais pas ici… Il faudrait que les centres focalisent sur des thématiques prioritaires pour le Ministère ». Plusieurs insistent sur l’importance de développer les capacités des scientifiques pour « traduire en adages très simples » et mieux communiquer leurs résultats : « […] il faut parler de comment communiquer les résultats. Les gens, ils sont là et ils s’ennuient parce qu’ils ne comprennent pas, on ne s’adresse pas à eux ». Il faudrait aussi que les scientifiques n’attendent pas que les non scientifiques aillent vers eux et elles, qu’ils et elles soient pro-actifs et pro-actives, « ils connaissent les personnes qui peuvent utiliser ». Quelques personnes considèrent qu’il appartient aux scientifiques de démontrer en quoi la mise en œuvre peut impacter positivement les décisions. On souligne également l’avantage d’impliquer les décisionnaires dans la recherche pour faciliter l’utilisation des résultats et l’importance que les haut-e-s responsables du Ministère soient au cœur de la communication.

Enfin, on suggère la mise en place d’un cadre d’échanges pour créer une dynamique d’interaction entre scientifiques et décisionnaires: « […] il faut que le politique voie que la recherche c’est important et que les chercheurs voient que c’est important de partager […] pour alimenter ceux qui peuvent s’en servir ». Selon certain-e-s, les scientifiques et les décisionnaires devraient se rencontrer sur une base régulière et on pourrait profiter des mécanismes en place, tels que le conseil d’administration du secteur ministériel (CASEM) ou le cadre sectoriel de dialogue (CSD), pour inviter des scientifiques à venir présenter leurs travaux.

Relativement peu de traces de l’utilisation de la recherche rapportées par les répondant-e-s

Près de la moitié des personnes interrogées n’ont pas été en mesure de citer une étude qui avait servi à prendre une décision ou à guider des actions au sein de leur direction. Lorsque ça a été fait, le plus souvent, on évoquait des données populationnelles ou épidémiologiques ayant servi, par exemple, à identifier des districts qui performent moins bien que d’autres. Certaines personnes ont cité des politiques adoptées récemment, mais n’ont pas été en mesure de citer une seule étude qui en avait influencé la formulation.

Mais certaines personnes, même si peu nombreuses, sont très au fait des études produites au sujet de la gratuité de soins et sont en mesure de nommer les résultats qui ont été pris en compte dans la politique mise en place[3]. Ces études ont permis de bien comprendre les avantages de la gratuité et ont guidé les actions pour améliorer la santé des mères et des enfants. L’une des personnes rencontrées a tout lu et est en mesure de citer la plupart des études à ce sujet. D’autres études récentes au sujet de la dengue ont servi à faire connaître la présence de cette maladie au Burkina et à sensibiliser la population. Mais on ne sait pas nécessairement jusqu’où se sont rendu ces informations. D’autres études sont signalées par les personnes interrogées au sujet d’un vaccin contre le paludisme, par exemple. La plupart du temps, il s’agit d’une seule étude à laquelle ils ou elles ont participé. Ou encore une étude a permis de comprendre ce qu’il fallait mettre en place (sur la rétention du personnel en région rurale par exemple), mais les ressources pour le faire n’ont pas suivi.

Favoriser l’engagement des acteurs et actrices politiques dans des activités de transfert des connaissances

En fin d’entretien, j’ai raconté aux personnes interrogées les difficultés que nos équipes ont rencontrées au cours des dernières années pour amener les décisionnaires à participer à des activités de transfert de connaissances lors d’ateliers de restitution ou de dialogues délibératifs. Malgré nos efforts répétés, la plupart du temps, le ou la décisionnaire invité-e déléguait un ou une collègue ou subalterne ou se présentait au début de l’activité et quittait aussitôt après son discours d’ouverture.

Pour les personnes interrogées, cette situation est une réalité du Ministère et c’est, selon certaines, « le mal de l’Afrique »; les dirigeants et dirigeantes sont très occupé-e-s. Ils et elles ont par conséquent tendance à déléguer ce qu’ils et elles connaissent le moins et prioriser ce qu’ils et elles connaissent. Il faut donc arriver à les sensibiliser pour qu’ils et elles puissent prioriser cette activité; aller les inviter directement, les rencontrer pour leur expliquer pourquoi ils ou elles devraient venir. La moitié des personnes interrogées suggèrent d’utiliser le poids de la hiérarchie, que les plus haut-e-s dirigeant-e-s donnent la consigne : « […] si ça vient du ministre ou du secrétaire général (SG) ça va marcher; il faut que le grand chef passe un message clair ».

Pistes de réflexion et d’action

Un travail colossal de synthèse réalisé récemment par l’« Alliance pour des connaissances utiles » porte sur l’efficacité de différents mécanismes qui visent à augmenter l’utilisation de la recherche par les décisionnaires (Breckon et al., 2016; Langer et al., 2016). Cette synthèse reprend les résultats de 23 revues systématiques dans le domaine du TC et elle a été complétée par une revue exploratoire dans d’autres domaines des sciences sociales. C’est en fonction des six mécanismes de TC identifiés comme étant efficaces dans cette « revue des revues », qu’une série de pistes de réflexion et d’action ont été proposées au ministre.

      1. Accroître la sensibilisation et promouvoir une attitude positive envers la prise de décision éclairée par les données probantes;
      2. Construire un consensus sur ce qui constitue des questions de politique publique en lien avec les données adaptées;
      3. Communiquer sur et fournir un accès aux données probantes;
      4. Faciliter les interactions entre décisionnaires et scientifiques;
      5. Développer les compétences pour accéder aux données probantes et donner un sens à la preuve;
      6. Influencer les structures et les processus décisionnels.
  1. Le premier mécanisme regroupe les stratégies visant à sensibiliser les utilisateurs et utilisatrices à l’utilité de la recherche et à modifier leur opinion face à celle-ci. Il existe de solides données probantes sur l’efficacité de stratégies telles que le marketing social et les campagnes de sensibilisation. De telles stratégies pourraient être explorées et adoptées par l’Équipe de l’UGTC afin de développer des attitudes plus positives face à la recherche au sein du Ministère.
  2. Le deuxième mécanisme porte sur le développement d’une compréhension commune des questions d’intérêt auxquelles la recherche devrait répondre. Les limites liées au mandat qui m’a été confié n’a pas permis d’accéder à un « plan d’action de la recherche » qui aurait pu éclairer mon équipe et moi-même au sujet de l’adéquation entre les questions de recherche explorées par les scientifiques burkinabè et les besoins d’information du Ministère. Mais selon le discours tenu par plusieurs, les études menées dans les centres de recherche sous la tutelle du Ministère ne répondraient pas toujours à ses priorités. Bien sûr, la recherche dite « libre » est nécessaire et ce ne sont pas toutes les études qui devraient faire l’objet d’un transfert. Cependant, un consensus pourrait être créé autour des questions d’intérêt pour le Ministère en mettant à profit des méthodologies démontrées efficaces telles que les groupes Delphi ou la cartographie conceptuelle (concept mapping).
  3. Le troisième mécanisme regroupe les stratégies qui visent à améliorer l’accès et à communiquer les résultats de recherche, telles que la création de bibliothèques virtuelles permettant de repérer les informations pertinentes, des médias sociaux et d’autres médias en ligne ainsi que la transformation des résultats dans un format approprié (notes de politique, résumés de recherche, infographies, etc.). Ces stratégies sont efficaces lorsqu’elles sont utilisées au moment opportun et que la stratégie de communication emploie des moyens variés et adaptés au contexte des utilisateurs et utilisatrices (théâtre forum, bandes vidéo, ateliers délibératifs, etc.). Comme on l’a vu, au ministère de la Santé, un registre des études disponibles devra dans un premier temps être créé[4], travail qui a été amorcé par la Direction des archives et de la documentation. Le rôle de l’UGTC pour communiquer les résultats pertinents sera au cœur de la stratégie.
  4. La synthèse présente peu de données probantes concernant l’efficacité des interactions entre les scientifiques et les décisionnaires pour favoriser l’utilisation de la recherche. Même si d’autres données sont nécessaires, il demeure hautement probable que ces mécanismes puissent influencer l’utilisation. Comme mentionné, plusieurs des travaux récents auxquels j’ai pris part, en Afrique de l’Ouest et plus particulièrement au Burkina Faso, ont porté sur l’évaluation de stratégies, telles que le courtage de connaissances, pour favoriser l’interaction scientifiques/utilisateurs et utilisatrices (par exemple : Dagenais, Queuille & Ridde, 2013; Dagenais et al., 2015, 2016; D’Ostie-Racine, Dagenais & Ridde, 2021; Mc Sween-Cadieux et al., 2017; 2019). Mais comme l’analyse des discours le montre bien, ces interactions devront être considérées prioritaires pour ces derniers et dernières, et le rôle de la hiérarchie, nommément du ou de la ministre et de son SG, sera nécessaire pour assurer une participation active des décisionnaires en position d’agir. Bien que d’autres études soient nécessaires pour en démontrer l’efficacité, la mise en place de l’UGTC, qui joue le rôle d’une unité de courtage de connaissances, nous apparaît des plus prometteuses. Cette initiative est susceptible de faire école dans les pays d’Afrique et ailleurs. Un projet d’évaluation d’envergure devra être prévu pour accompagner la mise en œuvre de cette unité et en mesurer l’efficacité pour favoriser l’utilisation de la recherche au Ministère.
  5. Les mécanismes de formation et de développement de compétences des scientifiques pour communiquer à un public non-scientifique, et celles des utilisateurs et utilisatrices pour accéder aux résultats de recherche et pour les comprendre sont efficaces et nécessaires. La robustesse de ces résultats devrait inciter à développer plus de formations, mais il demeure nécessaire d’évaluer leurs effets sur l’acquisition de connaissances et le développement d’habiletés. Cependant, à elles seules, ces formations ne pourront mener à des changements pérennes si d’autres efforts ne sont pas mis en œuvre pour développer une réelle culture ouverte à la recherche au sein du Ministère.
  6. Enfin, le potentiel de réussite de l’initiative du ministre de l’époque est solidement appuyé par la synthèse de l’Alliance (Breckon et al., 2016; Langer et al., 2016). Leurs résultats montrent en effet que le sixième mécanisme permettant de favoriser l’utilisation des données probantes par les décisionnaires politiques implique des changements au niveau des structures qui influencent les processus décisionnels. Lorsque, comme dans le cas de ce qui est prévu avec l’UGTC, ces changements sont combinés à un meilleur accès aux données probantes et à des activités de formation des utilisateurs et utilisatrices, ils sont efficaces pour soutenir la prise de décision éclairée par les données probantes.

Conclusion

À ma connaissance, l’UGTC est une initiative innovante unique en Afrique de l’Ouest. Quelques expériences ont été mises en œuvre dans différents pays de la région. Par exemple, des services de « réponse rapide » ont été créés par l’African Population and Health Research Center dans sept pays d’Afrique : Kenya, Rwanda, Zambie, Malawi, Sierra Leone, Burkina Faso et Libéria. Le mandat de ces équipes porte sur la production, au moment opportun, de revues rapides des données probantes. D’autres initiatives de ce type ont été intégrées dans une plateforme destinée à offrir un accès rapide à des données de recherche de qualité au sujet des systèmes de santé (Zida et al., 2018). Cependant, aucune de ces initiatives n’était directement rattachée au cabinet d’un ministre, ce qui les aurait placées en position d’autorité sur les directions du Ministère, et aucune ne disposait d’un mandat clair d’éclairer la prise de décisions en matière de santé.

Cette étude visait à connaître le point de vue des décisionnaires au sein du ministère de la Santé du Burkina Faso concernant l’utilisation de la recherche. Les résultats ont permis de formuler six pistes de réflexion et d’action à l’intention du ministre en prévision de la création de l’UGTC. Malheureusement, deux ans après que le Conseil des ministres du Burkina Faso ait autorisé la création de l’UGTC, le ministre a été remplacé par un jeu de chaise musicale politique. Au moment où il a quitté, le chef d’unité est la seule personne qui avait été nommée et aucun des cinq membres du personnel pressentis n’avait été recruté. La nouvelle ministre, une médecin radiologue, a affirmé peu après son entrée en fonction avoir l’intention de maintenir l’Unité, mais les postes n’ont jamais été comblés. Ainsi, presque quatre ans après avoir créée, aucun membre du personnel n’avait été recruté et le chef d’Unité a été muté à une autre fonction. Pourtant, il est clair que cette initiative innovante aurait permis d’éclairer, par des données probantes et dans un environnement complexe, la prise de toutes les décisions publiques en matière de santé. Il n’en demeure pas moins que les réflexions et actions présentées dans ce chapitre pourraient certainement être utiles pour guider la mise en œuvre d’autres initiatives de ce type ailleurs en Afrique, au bénéfice de la couverture universelle en santé.

Références

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  1. Ce chapitre est une traduction adaptée de l’article : Dagenais, C. (2021). Research use at the Ministry of Health in Burkina Faso: The decision-makers’ perspective. Implementation Science Communications, 2(22). DOI : https://doi.org/10.1186/s43058-021-00126-9
  2. Voir le chapitre de Ridde et Yaméogo.
  3. Voir le chapitre de Ridde et Yaméogo
  4. Il y a quelques années, un registre a été créé dans le cadre du projet EvipNet, mais ce registre ne contenait aucun mot clé permettant d’y naviguer pour repérer les informations pertinentes.

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