1 L’émergence du régime national d’assistance médicale pour les plus pauvres au Mali

Laurence Touré et Valéry Ridde

Contexte

Les textes universitaires traitant des politiques de protection sociale dans les pays à faible revenu restent rares, en particulier ceux qui concernent les groupes les plus vulnérables comme les plus pauvres ou les personnes âgées (Kadio, 2018)[1]. Récemment, cependant, l’Afrique a vu se développer de nombreuses politiques d’exemption du paiement des frais d’utilisation des services de santé pour les enfants et les femmes enceintes, et ces politiques ont été très largement analysées tant du point de vue de leur émergence (agenda-setting) que de leurs effets (Robert, Samb et al., 2017). Mais le coordinateur et la coordinatrice d’un récent numéro spécial confirment que « les conditions d’émergence et de développement des systèmes de protection sociale en Afrique sont encore mal connues » (Dupuis & Fagnani, 2018 : 9). En effet, pendant longtemps, la question de la pauvreté, et de l’accès aux soins de santé en particulier, n’a que rarement été une question publique (Ridde, 2006). Le discours international appelant à une couverture santé pour les plus pauvres, notamment dans le cadre de la Couverture Santé Universelle (CSU et son slogan : « Ne laisser personne derrière »), équivaut encore à des déclarations de principe[2], malgré leur répétition régulière depuis des décennies. Le constat, fait au cours des années 1990, d’une rareté des mécanismes destinés aux pauvres reste valable aujourd’hui (Stierle et al., 1999).

En Afrique du Nord, le Maroc fait figure d’exception grâce au déploiement généralisé de son système d’assistance médicale (RAMED) à partir de 2012, après une phase expérimentale lancée en 2008. Le RAMED est une politique de soins médicaux qui, à l’origine, ne concernait que les soins hospitaliers. Elle s’adresse aux personnes dites vulnérables qui cotisent modestement, et aux personnes pauvres qui ne cotisent pas du tout. La différenciation entre ces deux catégories est basée sur un score de ciblage spécifique aux zones urbaines et rurales. Le financement des politiques provient principalement de l’État et des autorités locales, mais aussi des personnes vulnérables. Le RAMED est géré par l’Agence nationale d’assurance maladie (ANAM). L’émergence de cette politique est le résultat d’un long processus de maturation, d’essais et de projets de loi qui ont été parfois oubliés avant d’être repris. Le RAMED répond fondamentalement à la nécessité d’« assurer la stabilité du système politique – c’est-à-dire la protection du leadership de la monarchie dans le cadre d’un processus déterminé de libéralisation de l’autoritarisme » (Ferrié et al., 2018 : 130). L’objectif semble véritablement axé sur la nécessité de « relégitimer la monarchie » (Ferrié & Omary, 2019 : 21).

En Afrique subsaharienne, quelques pays se sont engagés dans ces politiques publiques de protection sociale pour les plus pauvres. Au Burkina Faso, les acteurs nationaux et internationaux et les actrices nationales et internationales se sont mobilisé-e-s et se sont regroupé-e-s pour développer une telle politique de protection sociale (Kadio et al., 2018b). Cependant, la formulation de son contenu peut être classée davantage comme une compilation des actions préexistantes, dans un contexte de dépendance à l’aide, plutôt que comme une véritable réflexion cohérente sur les interventions à organiser pour répondre aux besoins des plus pauvres (Kadio et al., 2018a). Au Bénin, le vaste processus de ciblage des plus pauvres, observé depuis 2013, résulte principalement de l’impulsion de la Banque mondiale (Deville, Escot et al., 2018). Au Sénégal, l’État a mis en place depuis la même année un programme destiné aux plus pauvres qui leur permet, non seulement de bénéficier de transferts directs en espèces, mais aussi d’adhérer gratuitement aux mutuelles de santé. L’émergence de ce programme au Sénégal a été largement politique et « sans aucune concertation » (Ferrié & Omary, 2019 : 22). Au Ghana, les personnes classées comme les plus pauvres (également bénéficiaires d’un programme de transfert d’argent) sont inscrites gratuitement au régime national d’assurance maladie, sur le papier depuis 2004 mais en réalité depuis 2013 (Umeh, 2018). Les questions politiques sont les principales raisons de l’émergence de cette politique, même si la décision semble plus symbolique que fondée sur un véritable engagement (Kotoh & Van der Geest, 2016). Au Rwanda, les plus pauvres bénéficient également de l’exonération du paiement des cotisations des mutuelles de santé et, là aussi, c’est l’idéologie du parti au pouvoir après 1994 et le rapport de force avec le Fonds mondial de lutte contre le sida qui ont permis l’émergence de cette politique et le financement de cette subvention pour les pauvres à partir de 2007 (Chemouni, 2018).

À notre connaissance, le Mali est un des rares pays d’Afrique occidentale francophone à avoir mis en place, depuis 2011, une politique nationale ambitieuse et autofinancée visant spécifiquement à offrir aux plus pauvres une couverture médicale gratuite. L’objectif de ce chapitre est de comprendre le processus qui a conduit le Mali à procéder à l’élaboration d’une politique de protection sociale de ce type.

Le contexte du RAMED au Mali

Depuis 1968, un décret s’applique à la réglementation de l’aide aux plus pauvres mais les fonds mis à disposition par l’État pour l’octroi de secours sont toujours restés très faibles. Dans les années 1980, le Mali a été l’un des premiers pays à mettre en place un système de recouvrement des coûts, dans lequel les usagers et les usagères des services de santé sont invité- e-s à payer au point d’utilisation des services de santé (Maïga et al., 1999). Depuis, le pays a connu de multiples processus de réforme de la santé, que ce soit pour améliorer la gouvernance et la décentralisation du système de santé, pour former le personnel ou pour améliorer la qualité des soins. Face au défi de l’accessibilité financière, le Mali a mis en place plusieurs politiques d’exemption des frais d’utilisation des services de santé de 2000 à 2010. Cependant, ces politiques n’ont pas été aussi efficaces que prévu (Ravit et al., 2018), et les difficultés liées à leur mise en œuvre et au financement restent considérables (Touré, 2015). Le recours aux soins de santé pour les malades est toujours aussi faible et les plus défavorisé-e-s éprouvent toujours de grandes difficultés à se faire soigner dans le secteur formel.

Ainsi, dans le cadre gouvernemental de la création de l’assurance médicale obligatoire (AMO) pour couvrir le risque maladie des fonctionnaires et employé-e-s du secteur formel (17% de la population), l’État a organisé la mise en place d’un système non contributif (le régime d’assistance médicale ou RAMED, anciennement le fonds d’assistance médicale (FAM)), visant à fournir des soins médicaux gratuits aux plus pauvres (5% de la population). Afin de couvrir les 78% restants de la population malienne relevant du secteur informel, le gouvernement a décidé de s’appuyer sur les mutuelles de santé (Deville, Hane et al., 2018).

Le RAMED est géré par l’Agence Nationale d’Assistance Médicale (ANAM), un organisme administratif public doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. Lors de sa création en 2009, l’ANAM, qui est chargée de l’enregistrement des bénéficiaires, a été placée sous la tutelle du ministre chargé de la solidarité et de l’Action humanitaire (MSAH). Le RAMED est un dispositif destiné aux plus pauvres (indigent-e-s), à savoir « toute personne privée de ressources et reconnue comme telle par la collectivité locale dont elle relève » (loi 09-030, 2009). L’offre de soins proposée est équivalente à celle reçue par les bénéficiaires de l’AMO, à l’exclusion du remboursement des médicaments de spécialité. Le RAMED est financé exclusivement par des fonds publics, l’État en fournissant 65%. Il était initialement prévu que les 35% restants proviennent des collectivités locales, mais cette disposition, qui dans de nombreux cas n’a été ni acceptée ni appliquée, a été révisée en mai 2017 et la part payable par les collectivités territoriales a été ramenée à 15%.

Méthodes

Il s’agissait d’une recherche qualitative menée sous la forme d’une étude de cas holistique (Yin, 2009), le cas concerné étant le RAMED. Sans tomber dans « l’étapisme » de l’analyse des politiques publiques, nous nous sommes intéressé-e-s à son émergence (c’est-à-dire à la définition de l’agenda (Kingdon, 1995)). Les données empiriques résultent de deux méthodes complémentaires.

Dans un premier temps, onze entretiens individuels qualitatifs et approfondis ont été menés de janvier 2017 à mars 2018 à Bamako, capitale du Mali, en utilisant une stratégie d’échantillonnage qualitative (Palinkas et al., 2015) basée sur les critères de connaissance et d’implication dans l’émergence du RAMED et, par la méthode boule de neige, en suivant les recommandations de nos premiers et premières interviewé-e-s. Ainsi, nous avons rencontré les principales personnes ayant joué un rôle central dans l’émergence de cette politique et représentant toutes les institutions impliquées, à savoir le ministère de la Santé (n=1), le ministère de la Solidarité et de l’Action Humanitaire (n=9), et l’Union Technique de la Mutualité (n=1). Les entrevues ont été menés en français par Laurence Touré. Elles ont toutes été enregistrées et transcrites intégralement afin de faciliter leur analyse.

Deuxièmement, les données empiriques proviennent de nombreux (n=29) documents relatifs à la protection sociale en général et au RAMED en particulier. Servant à faciliter la compréhension de l’évolution historique du processus et des différent-e-s acteurs et actrices impliqué-e-s, il s’agit principalement de documents de politique publique, de documents législatifs et d’articles et d’études sur le sujet ou sur la politique sociale et de santé de la période concernée.

Une analyse qualitative inductive du contenu des données issues de ces deux outils de collecte a été réalisée (Paillé & Mucchielli, 2003), tandis que les processus de triangulation entre ces données et les discussions sur les analyses préliminaires avec les parties concernées ont permis d’améliorer la validité interne de la recherche. Les résultats préliminaires ont été présentés au cours de deux ateliers délibératifs tenus à Bamako en présence des différent-e-s acteurs et actrices concerné-e-s par l’analyse (juin 2018 (n= 16) et février 2019 (n= 33)). Des notes d’information ont également contribué à faciliter les discussions avec les parties prenantes concernant nos analyses.

La recherche a été approuvée par le comité d’éthique de l’Institut national de recherche en santé publique (INRSP) du Mali (N°24/2015/CE- INRSP).

Résultats

L’histoire de l’émergence du RAMED s’étend sur une période de près de 20 ans, entre 1991 et 2009, année où les textes législatifs ont été définitivement adoptés. Cette histoire a été ponctuée par quatre grandes périodes.

1991 à 1997 : une certaine volonté politique

Alpha Oumar Konaré, le premier président démocratiquement élu après le coup d’État de 1991 qui a mis fin à 23 ans de dictature militaire, se montre ouvert aux questions sociales. En 1980, alors fonctionnaire de l’éducation nationale, il est l’instigateur de la première mutuelle de santé du Mali, la MUTEC. En 1992, le président exprime le désir de séparer le département des affaires sociales du ministère de la Santé et de le placer sous le contrôle du ministère des Collectivités Locales. Mais cette initiative n‘est pas accueillie favorablement et le syndicat du personnel de santé et d’action sociale organise des marches pour s’y opposer, ce qui conduit à l’abandon du projet. Après un voyage d’étude en Tunisie pour observer le système de protection sociale, le président exprime alors le souhait de développer la protection sociale au Mali. Cela aboutit à la déclaration de politique de développement social et de solidarité en 1993.

Cette période est caractérisée par un niveau élevé d’activités de planification. Dans le domaine de la santé, cela se traduit par des réformes institutionnelles et par l’élaboration du plan de développement sanitaire (PDS) 1998-2007, qui, pour la première fois, fait référence à une couverture universelle assurée à terme par la mutualité (pour les professions libérales et les indépendant-e-s), à l’assurance maladie obligatoire (pour les salarié-e-s et les fonctionnaires) et à un fonds d’assistance médicale pour les personnes non couvertes par un autre régime d’assurance et reconnues indigentes.

Les partenaires techniques et financiers (PTF) soutiennent techniquement toute cette phase de planification du PDS, mais ils se concentrent davantage sur le renforcement de l’offre par la mise en œuvre de l’ambitieux programme de décentralisation sectorielle du domaine de la santé, affichant un désintérêt marqué pour les questions sociales. Le gouvernement malien est même contraint d’imposer l’inclusion du secteur social dans le Programme de Développement Sanitaire et Social (PRODESS 1998-2002).

Les partenaires ont considéré les affaires sociales comme une extension de la santé. Même la Banque mondiale ne souhaitait pas à l’époque que l’action sociale soit incluse dans le PRODESS. Ses représentants disaient qu’il n’était pas possible de prélever des impôts sur les gens pour venir aider les plus pauvres au Mali alors qu’ils avaient leurs propres pauvres. C’est l’idée qu’ils ont mise dans la tête des partenaires et il a fallu toute l’énergie de Modibo Sidibé au ministère de la santé pour faire inclure l’action sociale. (Ancien cadre du ministère du Développement Social et de la Solidarité)

Un groupe ad hoc, créé dans le cadre de l’élaboration d’un plan décennal et placé sous la responsabilité directe du Premier ministre, est donc chargé d’élaborer une politique de protection sociale.

Dans un contexte d’ajustement structurel, les experts étrangers et expertes étrangères, mobilisé-e-s pour l’élaboration du plan décennal, amènent l’idée de prévoir un troisième volet au PRODESS intitulé « modes alternatifs de financement de la santé avec les AMO, FAM et mutuelles » (Responsable de la DNDS).

La capacité technique de gestion de l’assurance maladie au Mali était alors pratiquement inexistante (Letourmy & Ouattara, 2006). En 1997, le groupe ad hoc commande une étude de faisabilité qui présente un montage institutionnel des différents régimes envisagés (AMO et FAM) et une estimation des coûts techniques et des cotisations en fonction des différents paniers de soins. Sur cette base, le groupe ad hoc propose un projet de loi établissant un code de protection sociale, qui ne sera pas adopté par le gouvernement ni soumis à un vote par crainte des conséquences financières pour l’État. La seule véritable réalisation de la période est la production, en 1996, d’un système législatif et réglementaire régissant les mutuelles. L’Union Technique de la Mutualité (UTM) sera créée plus tard, en 1998, avec l’aide française et belge.

En ce qui concerne les plus pauvres, les résultats obtenus pendant cette période restent faibles. La volonté politique du gouvernement de mettre en place une véritable politique de solidarité se traduit seulement par la toute première inscription au budget de l’État d’une ligne de financement consacrée aux actions et programmes de solidarité, à hauteur de 43 millions de francs CFA en 1992 et jusqu’à 110 millions en 1997 (Sidibe, 2017).

De 1998 à 1999 : la première phase d’interruption

On note une première interruption dans le processus d’émergence de la politique de protection sociale. Le plan décennal dans lequel elle s’inscrit fait l’objet d’une longue concertation qui retarde la progression des travaux (Sidibe, 2017). De plus, ce plan doit être décliné en deux programmes quinquennaux (PRODESS), dont la finalisation tarde. La mise en place de l’architecture institutionnelle du PRODESS s’avère laborieuse.

Il y a eu un manque de proactivité en ce qui concerne la mise en place des différents organes du PRODESS. Tous ces organes devaient être mis en place, mais cela n’a pas été fait avant 1999 et 2000. Et puis les fonds n’étaient pas entièrement disponibles parce qu’il y avait plusieurs partenaires impliqués et que l’aide multilatérale devait être coordonnée. Tout cela a fait que ce n’est qu’en 2000 que la question a pu être résolue, avec beaucoup de retard. (Ancien cadre du MDSSSPA)

Enfin, la tendance réformiste suscite quelques inquiétudes. La vision présidentielle de la protection sociale parait avant-gardiste Des doutes quant à la volonté et à la capacité technique de l’État à mettre en place de tels systèmes au profit de la population sont clairement exprimés. Dans un contexte démocratique nouveau, l’imposition par l’État d’un système obligatoire pour les fonctionnaires et salarié-e-s semble anachronique et suscite une certaine résistance.

En fin de compte, on a développé que la mutualité. L’AMO et le fonds d’assistance médicale ont dû être arrêtés, car les gens ne comprenaient pas qu’on veuille instaurer une assurance maladie obligatoire. Le travail ad hoc du groupe a commencé en 1996, cinq ans seulement après la révolution de 1991, qui a conduit à un coup d’État et à l’instauration de la démocratie. En fait, le peuple avait commencé à se sentir libre et cette promesse de liberté ne correspondait à aucune notion d’obligation. Les gens se disaient donc que plus rien ne devait être obligatoire. (Ancien cadre ministériel du MSSPA)

Le bouleversement institutionnel attendu dans le domaine de la santé suscite également des inquiétudes, notamment la décentralisation administrative et sectorielle qui confère certains pouvoirs aux acteurs et actrices communautaires et aux élu-e-s.

De 2000 à 2005 : une période de forte activité de réflexion et d’études pour convaincre

En 2000, le gouvernement réalise une importante réforme institutionnelle : la création d’un ministère du Développement Social, de la Solidarité et des Personnes Âgées (MDSSPA). Son objectif est de développer une nouvelle conception du secteur social.

Le nouveau pouvoir estime que les formes anciennes de solidarité, dont l’efficacité et la qualité humaine restent indéniables, ne peuvent plus couvrir tout le champ. Il veut impulser une politique de protection sociale qui se dégage de la simple assistance et implique les intéressé-e-s et la population (Sidibe, 2017 : 16).

Deux initiatives fortes soulignent la volonté d’émancipation de ce nouveau ministère, freiné par le manque de moyens humains, techniques et financiers :

  • La recherche de l’assistance technique de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui finance la réalisation de trois études sur le diagnostic de la situation du système de protection sociale;
  • La mise en place d’un Conseil d’orientation de la protection sociale (COPS) par le MDSSPA.

Parallèlement, l’année 2001 voit la tenue des premières assises du développement social avec pour objectif de donner du contenu à la politique de ce nouveau ministère.

C’est à ce moment que l’idée d’avoir une couverture médicale garantie par un régime de sécurité sociale a été relancée. Mais on ne savait pas quel instrument utiliser, c’est pourquoi nous avons fait appel à une expertise française pour une évaluation préliminaire de ce qui pourrait être mis en place au Mali comme mécanisme de lutte contre l’insécurité médicale. (Ancien cadre du MDSSPA)

La tenue de ces assises marque un tournant important dans le domaine du développement social. Trois grandes orientations sont adoptées par le gouvernement à la suite des travaux menés lors de cet évènement national : la consolidation de la solidarité nationale et le renforcement de la lutte contre l’exclusion, le renforcement de la protection sociale, et la lutte contre la pauvreté.

Afin de garantir la fiabilité du système communautaire déployé dans le domaine de la santé, l’intérêt pour la protection sociale s’est clairement accru, centré sur l’efficacité, en se demandant comment prendre en charge les plus pauvres (Maïga et al., 1999).

Avec la nouvelle politique, le CSCOM doit vivre sur les recettes issues de ses prestations…. Toutes les études qui ont été faites ont été bonnes sauf la question de l’indigence…. Les plus pauvres ne pouvaient pas payer. Il était clair que si l’adhésion gratuite était introduite, le CSCOM ne survivrait pas. Il fallait donc leur trouver une solution. L’indigence constituait une pesanteur pour la mise en place et l’évolution correcte des associations de santé communautaires. Afin d’éviter d’exclure les plus pauvres, il a été conclu lors du premier PRODESS que le système alternatif devait comporter deux volets : les mutuelles pour ceux qui peuvent cotiser et, deuxièmement, pour les autres pour que le système reste viable, on prend en charge la question de l’indigence. (Cadre du DNDS)

En 2002, la déclaration d’une politique d’extension de la protection sociale est adoptée par le Conseil des ministres. Elle sera suivie en novembre 2004 par un plan d’action national d’extension de la protection sociale au Mali (2005-2009).

En 2005, deux experts nationaux sont désignés pour faire la synthèse des travaux menés et proposer un schéma d’organisation institutionnelle de l’AMO et du FAM. Sur la base de leurs conclusions, des études complémentaires sont demandées sur les paramètres et les éléments quantitatifs de l’AMO et du FAM (Letourmy & Ouattara, 2006). Une deuxième étude de faisabilité (Letourmy & Diakité, 2003) propose différents scénarios relatifs à l’organisation institutionnelle du système et à la mise à jour des données, suivie d’une concertation nationale autour de ses conclusions.

Concernant le FAM, qui deviendra plus tard le RAMED, nous n’avons trouvé aucune mention d’études analytiques sur le contexte, les systèmes existants ou les pratiques contemporaines concernant la couverture des plus pauvres par les structures de santé et leurs limites. À notre connaissance, une seule expérience locale de projet de fonds d’assistance médicale a été menée par MSF-Luxembourg (MSF-L), successivement dans deux hôpitaux de district (CSREF) de la région de Sikasso, à Sélingué en 2001 et à Bougouni en 2003. Après trois ans de fonctionnement, le FAM de Sélingué n’avait pris en charge que 2% des patient-e-s hospitalisé-e-s, dont seulement 9% étaient reconnu-e-s comme indigent-e-s pouvant bénéficier de l’exemption totale des frais d’utilisation (Noirhomme & Thomé, 2006).

L’État malien a du mal à établir sa crédibilité par rapport à ses objectifs déclarés, de nombreux doutes se faisant jour quant à sa capacité à doter le pays de tels systèmes : nation pauvre, problèmes de gouvernance, système de santé déficient ou corrompu, etc. Comme le dit un cadre du MSAH dans son entretien : « Un autre problème était que la population ne croyait pas en la protection sociale ».

Le contexte est aussi celui d’un secteur social qui peine à s’émanciper du domaine de la santé afin de se réinventer autour de politiques plus ambitieuses. Cette tutelle ancienne du développement social par la santé, d’abord institutionnelle jusqu’en 2000 (un-e seul-e ministre pour les deux secteurs), puis financière dans le cadre du financement du PRODESS, et enfin symbolique, entretient un certain attentisme de la part des acteurs sociaux et actrices sociales, également confronté-e-s à un déficit chronique de ressources humaines. Les financements dont bénéficie ce nouveau ministère font l’objet d’âpres débats au sein du secteur de la santé, les partenaires étant toujours plus enclins à soutenir le renforcement de l’offre que l’organisation de la demande, et sont toujours bien inférieurs à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs déclarés.

15% du budget du PRODESS a été alloué au social. Et même pour atteindre ce niveau de 15%, il a fallu une négociation entre les ministres car au départ, nous n’avions obtenu que 5%… C’était vers 2006, je crois. À l’époque, la Banque mondiale nous a défavorisés en disant qu’elle ne voulait qu’un seul interlocuteur. Et quand on s’est retrouvé avec deux ministres, la Banque mondiale a dit que son seul interlocuteur serait toujours le ministre de la Santé qui négociait toujours en sa faveur. (Ancien cadre du MDSSPA)

Un autre élément de blocage est le fait qu’il n’y a pas de partenaires disponibles, par manque de conviction. (Cadre du MSAH)

Enfin, ce nouveau ministère du Développement Social, de la Solidarité et des Personnes Âgées, chargé d’orienter et de fédérer les acteurs et actrices autour d’un processus de développement d’un système de protection sociale, doit se construire et se doter de nouvelles compétences en matière d’assurance sociale.

2006 à 2009 : la lente maturation du système dans un contexte de tensions institutionnelles

À l’époque, la CMU n’était pas une priorité internationale et les partenaires avaient peu de solutions à proposer pour assurer le soutien de l’AMO (Noirhomme & Thomé, 2006) et du RAMED. Cette période est caractérisée par la lenteur de l’avancement du projet, par manque de compétences dans le secteur social et par crainte des réactions que ces réformes sociales pourraient susciter. Le nouveau président (élu en 2002), Amadou Toumani Touré, souhaite obtenir un consensus national.

La formulation de ces politiques, et celle de l’AMO en particulier, accentue les tensions et met en évidence la faible contribution des autres secteurs.

Les prestataires de soins de santé considèrent cette initiative, qui les touche à plus d’un titre, comme une double menace :

  • en tant que fonctionnaires, ils et elles sont susceptibles d’être membres de l’AMO et craignent de perdre les avantages qu’ils et elles ont acquis par rapport aux autres corporations.
  • en tant que professionnel-le-s de la santé, car le déploiement de ces systèmes de protection sociale doit être accompagné de mécanismes de contrôle des services. Il privilégie aussi les médicaments génériques par rapport aux médicaments de spécialités et ne tient pas compte du secteur privé dans lequel les professionnel-le-s ont des intérêts particuliers (Letourmy & Ouattara, 2006).

Les partenaires sociaux (les syndicats en particulier, voire le cas du personnel de l’enseignement supérieur (Goita, 2018)) ont adopté une position assez ambivalente concernant la mise en place de l’AMO. Les deux grands syndicats maliens soutiennent officiellement le principe mais craignent le nivellement des situations entre fonctionnaires qu’implique l’AMO. Par ailleurs, en compétition perpétuelle, les deux syndicats défendent par principe des positions opposées et l’une des centrales n’hésite pas à mobiliser les travailleurs et travailleuses qu’elle représente contre l’AMO.

Le chef de la Confédération syndicale des travailleurs du Mali (CSTM) était contre, et tous les syndicats liés à sa confédération ont donc rejeté l’AMO. L’UNTM, l’autre grand syndicat, était pour l’AMO et tous les syndicats qui lui sont affiliés ont suivi sa ligne. Jusqu’à aujourd’hui, lorsque l’UNTM prend une direction, le CSTM prend la direction opposée. Il s’agit de conflits antérieurs à la question de l’AMO et qui sont plus ou moins imputables à des questions politiques ou syndicales ou à des oppositions entre individus. Une chose est sûre cependant, ils ne sont jamais d’accord. (Ancien cadre de la MDSSPA)

En ce qui concerne le RAMED, les enjeux sont moindres et les conflits d’acteurs et d’actrices également. Le FAM devient le RAMED lors de la réunion des secrétaires généraux des différents ministères pour l’adoption du texte. Ces responsables estiment en effet qu’il s’agit d’un régime, même s’il n’est pas basé sur des cotisations, et qu’il faut modifier son nom en conséquence. Hormis cette question, le RAMED semble très simple à mettre en place par rapport à l’AMO, construite ex nihilo. Son montage suscite très peu de débats.

Les deux dispositifs sont toujours allés de pair, les montages ont eu lieu en même temps. Mais on a fini plus rapidement les débats sur le RAMED. Les cibles étaient connues et acceptées, les contributions étaient calculées. Et c’était réglé. Mais de l’autre côté il y avait plus de débats, ça mobilisait plus l’opinion que le RAMED. (Ancien cadre du MDSSPA)

Et c’est finalement une version à la fois vague et non renouvelée du dispositif (mêmes définition de l’indigence et mode d’identification des indigent-e-s) qui évolue jusqu’à la formulation des textes législatifs soumis à l’Assemblée nationale.

Les lois et décrets relatifs à la création de l’ANAM et de la CANAM (Caisse nationale d’assurance maladie du Mali) ainsi que de l’AMO et du RAMED sont adoptés en juillet 2009. Leur adoption ne signifie pas pour autant la finalisation de la formulation de ces politiques. Les responsables sont conscient-e-s que les textes doivent être clarifiés mais considèrent que le travail de réflexion nécessaire pour améliorer la formulation des systèmes est désormais de la responsabilité des équipes recrutées, tant à la CANAM qu’à l’ANAM. 

Discussion

Cette recherche est l’une des premières études en Afrique de l’Ouest francophone à mettre en évidence un long processus d’émergence d’une politique publique en faveur de l’accès aux soins des populations les plus pauvres. Elle montre que ce processus a été long, chaotique, politique et largement ignoré par les bailleurs de fonds internationaux.

La recherche confirme l’importance de l’étude historique des politiques publiques et de la temporalité des analyses (Laborier & Trom, 2003). Le processus était discontinu, composé de périodes successives d’activités intenses et d’interruption. Ce processus est en résonance avec les propositions théoriques de True, Jones et Baumgartner (2007) concernant leur l’équilibre ponctuel. Sabatier (2014) suggère d’ailleurs d’étudier les politiques publiques sur une longue période afin de comprendre et de voir les changements possibles.

Notre étude confirme également les enjeux nationaux de s’inscrire dans les processus et objectifs internationaux en faveur des populations les plus pauvres et de la couverture santé universelle (CSU). Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) ont été suivis par les Objectifs de Développement Durable (ODD) et les déclarations internationales en faveur de la CSU (69ème Assemblée Mondiale de la Santé en 2016). Cependant, ces approches normatives restent déclaratives et n’ont que peu de prise au niveau national[3]. La mise en évidence perpétuelle d’une préoccupation (rhétorique) pour les populations les plus pauvres dans les déclarations internationales semble avoir du mal à se traduire par l’émergence de politiques nationales, notamment en Afrique de l’Ouest, sans parler des défis ultimes de leur mise en œuvre. L’approche axée sur l’équité et les droits humains a encore beaucoup de chemin à parcourir dans cette région (Ooms et al., 2019; Robert et al., 2017) comme au Bénin et au Sénégal (Paul et al., 2019). On est encore loin d’une définition de la CSU qui reconnaît que son objectif est la « création de sujets citoyens et de sujets autonomes » (Mladovsky, 2020 : 35). Cette étude de cas montre ainsi que malgré les déclarations internationales, le Mali s’est retrouvé la plupart du temps seul à s’attaquer au problème de l’accès aux soins pour les pauvres. Bien qu’il y ait eu quelques stratégies pour apprendre d’autres pays dans un timide processus de transfert de politique, celles-ci ont eu peu d’effets, contrairement au Rwanda où la volonté politique a été plus forte (Chemouni, 2018). Quant au programme de protection sociale du Ghana, où les responsables du Mali se sont rendu-e-s (comme au Brésil d’ailleurs (Foli, 2016)), il constitue une nouvelle démonstration du rôle des voyages d’étude dans le transfert des politiques publiques en Afrique, notamment au Mali (Gautier et al., 2019). Ce type de stratégie est si valorisée par les organisations internationales que certaines ont produit des guides pour l’organisation de ces voyages d’étude (Kumar & Watkins, 2017). Dans un contexte ouest-africain où l’aide publique au développement joue un rôle important dans les budgets des États et la diffusion des idées (voir ci-dessous), la recherche a constaté une très faible implication des partenaires internationaux dans le processus d’émergence et surtout de formulation de cette politique, à l’exception d’une brève expérience pilote menée par une ONG d’urgence qui n’a pas cherché à la poursuivre. Cette analyse montre, une fois de plus[4], le rôle crucial joué par les organisations d’aide internationale dans l’émergence des politiques en Afrique et les difficultés à obtenir leur soutien (Gautier & Ridde, 2017; Lee & Goodman, 2002).

En outre, l’absence d’investissements dans des projets pilotes en faveur des plus pauvres démontre le peu d’importance accordée à cette question par les bailleurs internationaux. En effet, cette région d’Afrique, dont le Mali, a connu un grand nombre d’expériences financées par les bailleurs de fonds concernant l’exemption du paiement des frais d’utilisation des soins de santé pour certains services ou populations (enfants, femmes enceintes) (Ridde, 2015), mais très peu, voire aucune, concernant l’accès des pauvres aux soins de santé. C’est seulement en 2019 que le Sénégal a organisé un projet pilote pour l’intégration de ces politiques de gratuité des soins de santé pour les plus pauvres dans son système national d’assurance maladie (Daff et al., 2019). Au Burkina Faso, des projets pilotes d’exemption de frais d’utilisation ont soutenu la prise de décision sur la politique nationale en faveur des femmes enceintes et des enfants (Ridde & Yaméogo, 2018), mais cela n’a pas été le cas pour les populations les plus pauvres, malgré plus de 10 ans de projets pilotes (Ouédraogo et al., 2017). À l’inverse, lorsque l’on examine la situation en Asie du Sud-Est, on voit clairement combien ces projets pilotes ont contribué à l’émergence de politiques de protection sociale en faveur des plus démuni-e-s (Asante et al., 2019).

Au Mali, plusieurs politiques d’exemption de frais d’utilisation des services de santé (VIH en 2004, césarienne en 2005, anti-paludisme pour les enfants et les femmes enceintes en 2006) ont été mises en place sans avoir bénéficié de projets pilotes. La formulation de ces politiques a été fortement contestée sur le plan politique et technique (Touré, 2015). Promues par le ministère de la Santé et largement soutenues au niveau international (Robert et al., 2017), ces initiatives ont occupé le devant de la scène politique et ont suscité une large attention, éclipsant le développement du système de protection sociale et de la couverture santé en faveur des plus pauvres.

De plus, plusieurs recherches mettent en évidence l’importance de l’appropriation des politiques publiques par les gouvernements africains et le poids des idées et des financements des partenaires internationaux dans le domaine de la santé (Gautier & Ridde, 2017; Kuhlmann et al., 2019) et de la protection sociale (Foli, 2016). Dans le cas à l’étude, et contrairement à la norme, le parti au pouvoir était en mesure de se montrer fort pour que ses idées sur la place du secteur social puissent prévaloir. Le rôle des idées dans l’émergence et le transfert des politiques publiques (Kuhlmann et al., 2019) a également été confirmé dans les politiques sociales en Afrique de l’Ouest (Béland & Ridde, 2016). La question du caractère obligatoire de l’adhésion aux mutuelles et du rôle régalien de l’État a été centrale à l’émergence de la CSU au Rwanda (Chemouni, 2018), contrairement au Mali et au Sénégal (Ridde et al., 2018). En effet, une étude menée en 2016 au Mali a démontré que c’est « l’obligation qui a été le facteur décisif dans le rejet de l’assurance sociale » (Goita, 2018 : 202). Un autre aspect frappant révélé par cette analyse au Mali est le recours répété aux mêmes expert-e-s. Il est surprenant d’observer le manque de diversité dans l’expertise déployée pour offrir des conseils au gouvernement[5]. La plupart des rapports ont été rédigés par les mêmes expert-e-s, qui sont généralement originaires de France ou formé-e-s en France. Ce manque de diversité montre à quel point le rôle des entrepreneurs et entrepreneuses techniques de diffusion des idées est central dans ce contexte (Gautier et al., 2019; 2020), comme l’est le rôle des consultant-e-s dans les politiques publiques en Afrique de l’Ouest.

Enfin, cette étude de cas souligne les défis de l’intersectorialité en matière de santé, malgré les appels internationaux en faveur des déterminants sociaux de la santé et de la science (Hussain et al., 2020). Au Mali, le nouveau ministère du Développement Social, de la Solidarité et des Personnes Âgées a été contraint d’imposer son leadership aux autres ministères concernés qui n’étaient pas toujours intéressés ou coopératifs. Depuis Alma-Ata en 1978 jusqu’à aujourd’hui, avec la CSU (Hussain et al., 2020), cette question de l’intersectorialité ne cesse d’émerger et est au cœur de la construction actuelle des politiques publiques en Afrique (Blas et al., 2016). L’intersectorialité reste très difficile à mettre en œuvre, et les fameuses coalitions plaidantes (Sabatier & Weible, 2014) ne travaillent pas à la prise en compte de l’équité dans ce contexte. La durée extrêmement longue du processus et des discussions ainsi que la proposition de solutions dont la stabilité va à l’encontre des changements nécessaires pour une plus grande équité rappellent les propositions théoriques de Hall (1993) et les paradigmes des politiques publiques. Hall (1993) a cependant clairement montré combien il était important de prendre en compte les tensions entre « puzzling » et « powering » et, dans le cas présent, l’asymétrie des pouvoirs entre le réseau d’acteurs et d’actrices, notamment entre les acteurs et actrices de l’international et les acteurs nationaux et actrices nationales. Il devient essentiel d’étudier le rôle des idées des parties prenantes au Mali dans le maintien d’une relative stabilité des politiques de protection sociale (Daigneault, 2014).

Toutefois, un processus de changement lent mais positif peut être observé dans le secteur de la santé en faveur des systèmes de protection sociale. Ce changement de paradigme est subtil (Daigneault, 2014), et l’analyse de ces politiques doit clairement être menée sur le long terme (Sabatier & Weible, 2014). D’un désintérêt total envers cette « utopie » de départ, la protection sociale s’est imposée comme une alternative aux politiques d’exemption du paiement des frais d’utilisation des services de santé. Imposées sans aucune consultation des plus hautes autorités du pays, ces dernières sont en effet particulièrement mal accueillies par les professionnel-le-s de santé et même considérées comme nuisibles à la viabilité des structures de santé et aux intérêts personnels des professionnel-le-s. Par ailleurs, les professionnel-le-s de santé estiment que l’articulation de ces politiques avec les mécanismes de protection sociale n’a pas été suffisamment réfléchie ou anticipée par les responsables (Touré, 2013; 2015). L’AMO apparaît donc comme la meilleure option pour les professionnel- le-s de santé, à condition que ses conditions de mise en œuvre puissent être négociées.

Conclusion 

L’analyse de l’émergence de cette politique ambitieuse pour les plus pauvres du Mali montre l’importance du rôle des entrepreneurs et entrepreneuses politiques lorsqu’il s’agit de rompre avec des processus séculaires sectoriels. Cela est d’autant plus remarquable que l’accès aux soins des indigent-e-s n’est une priorité, ni pour les autorités nationales ni pour les partenaires internationaux. Mais cette tentative de rupture se réalise sur une longue durée et dans une lutte entre les secteurs, notamment de la santé et de la protection sociale. On peut se demander si la question de l’indigence et son inclusion dans les politiques de protection sociale n’est pas un faire-valoir au principe d’universalité qui peine à prendre place dans un système bénéficiant surtout aux moins pauvres. La complexité et la faible efficacité des mutuelles communautaires ont contraint les décideurs et décideuses du Mali à développer la couverture maladie pour les deux extrêmes du continuum social, les très pauvres d’un côté, les moins pauvres de l’autre. Cependant, cette émergence d’une politique en faveur des indigent-e-s n’est pas synonyme, pour le moment, d’une véritable considération pour les plus pauvres. L’analyse de la formulation, puis l’étude de sa concrétisation dans une véritable mise en œuvre saura certainement nous montrer toute l’importance (ou pas) que les responsables donnent à leurs concitoyen-ne-s vivant dans l’indigence. Le fait que le gouvernement malien vienne de décider en juin 2019 que la protection sociale soit de nouveau intégrée au ministère de la Santé au détriment du ministère chargé spécifiquement des question sociales n’est peut-être pas de bon augure.

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  1. Ce chapitre est une traduction d’un article publié en anglais et remanié/réduit pour cet ouvrage : Touré L. & Ridde V. (2020). The emergence of the national medical assistance scheme for the poorest in Mali. Global Public Health, 1-13 DOI: 10.1080/ 17441692.2020.1855459
  2. Voir le chapitre de Paul et al.
  3. Voir le chapitre de Paul et al.
  4. Voir le chapitre de Carillon et Ridde
  5. Voir le chapitre de Gautier et al.

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Vers une couverture sanitaire universelle en 2030 ? Droit d'auteur © 2021 par Laurence Touré et Valéry Ridde est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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