22 Les dépenses excessives de santé des indigent-e-s après l’arrêt du FBR au Burkina Faso
Yvonne Beaugé, Valéry Ridde, Emmanuel Bonnet, Sidibé Souleymane, Naasegnibe Kuunibe et Manuela De Allegri
Introduction
Le gouvernement du Burkina Faso a reconnu la nécessité des politiques d’exemption du paiement des soins pour mieux protéger les plus vulnérables contre l’impact économique de la maladie[1]. De nombreuses politiques ont été adoptées au fil des années pour garantir aux plus démuni-e-s la gratuité de l’ensemble des services essentiels (Kadidiatou et al., 2018; Ridde, 2011), notamment le nouveau régime d’assurance maladie universelle obligatoire (RAMU) dont la législation a été adoptée en septembre 2015. Cependant, la mise en œuvre effective de ces mesures en faveur des indigent-e-s a été pour la plupart du temps en retard par rapport à l’engagement politique (Kadidiatou et al., 2018; Ridde, 2011; Kagambega, 2020). Parallèlement à la formulation de nouvelles politiques, le gouvernement du Burkina Faso a lancé plusieurs projets pilotes d’exemption pour protéger les plus pauvres du fardeau financier induit par les paiements directs (Ridde, Rossier et al., 2014; Ridde, Turcotte-Tremblay et al., 2014; Simporé et al., 2013).
En 2014, une intervention de financement basée sur la performance (PBF) en combinaison avec des exemptions du paiement des paiements directs pour les indigent-e-s a été mise en œuvre dans huit districts (Mwase et al., 2018; Ridde, Turcotte-Tremblay et al., 2014). Le ciblage communautaire a été utilisé pour identifier jusqu’à 20% de la population la plus pauvre vivant dans le bassin de desserte des établissements de santé. Les comités communautaires ont sélectionné les indigent-e-s dans leurs villages. À l’issue du processus de ciblage (janvier 2016), chaque indigent-e identifié-e était censé-e recevoir une carte d’exemption, lui permettant de bénéficier de services de santé de base gratuitement dans tous les établissements de santé publics (Beaugé et al., 2018). Les exemptions du paiement des paiements directs ne couvraient pas les frais de transport jusqu’à l’établissement. L’intervention a officiellement pris fin en juin 2018. Une transition vers le prochain projet de la Banque mondiale avait été prévue, mais n’était pas encore réalisée au moment de la rédaction de ce manuscrit (Thinkwell, 2020)[2].
À notre connaissance, il n’y a eu aucune étude mesurant les dépenses directes parmi les indigent-e-s ciblé-e-s pour suivre les progrès vers la protection financière contre les risques au Burkina Faso. Notre étude visait à combler ce manque de connaissances en utilisant des données transversales pour évaluer l’ampleur des dépenses pour les services de santé formels parmi les indigent-e-s qui avaient été ciblé-e-s et exempté-e-s dans le contexte de l’intervention de financement basée sur la performance (FBR) au Burkina Faso. En outre, nous avons cherché à estimer les facteurs qui expliquent la probabilité que les indigent-e-s subissent une dépense de santé dite excessive. Nous avons défini les « dépenses excessives » comme des dépenses supérieures ou égales à deux fois le montant médian des dépenses (Ameur et al., 2012). En 2019, les indigent-e-s de la région d’étude disposaient de cartes d’exemption dans le cadre du programme FBR et non de la RAMU (pas encore opérationnelle dans le district étudié).
Méthodes
L’étude a été menée dans le district de Diébougou, dans la région du Sud-Ouest du Burkina Faso, l’un des huit districts où le FBR a été combiné avec le ciblage et l’exemption du paiement des indigent-e-s. En 2017, le district comptait une population totale de 139 824 habitant-e-s, dont plus de 40% vivaient en dessous du seuil national de pauvreté (Institut national de la statistique et de la démographie (INSD), 2015). Diébougou compte 24 établissements de santé publics en fonctionnels (4 dispensaires, 19 centres de soins de santé primaires (CSPS) et un hôpital de district), avec un total de huit médecins généralistes et deux pharmaciens (Ministère de la Santé du Burkina Faso. Annuaire Statistique 2017., 2017). En 2016, le nombre annuel moyen de contacts avec les services de santé par habitant-e était de 1,68 (Ministère de la Santé du Burkina Faso. Annuaire Statistique 2017), ce qui est élevé par rapport à la moyenne nationale de 1,02 contacts. Le processus de ciblage communautaire a identifié 6034 personnes à Diébougou comme étant indigent-e-s en 2015, ce qui correspondait à l’époque à environ 9% de la population du district (SERSAP, 2015). Début février 2016, la direction du district a reçu les cartes d’exemption pour les distribuer, via le CSPS, aux personnes indigentes.
Les données et leurs sources
L’étude a utilisé un ensemble de données transversales de 292 indigent-e-s vivant dans le district sanitaire de Diébougou, préalablement identifiées par une étude menée en 2015. À l’origine, une procédure aléatoire en trois étapes a été appliquée pour identifier les individus de l’étude dans différents districts FBR avec un ciblage au Burkina Faso. En bref, au cours de la première étape, quatre districts sur huit ont été sélectionnés. Au cours de la deuxième étape, les villages comptant plus de dix personnes indigentes ont été sélectionnés puis, lors de la troisième étape, seul-e-s les indigent-e-s âgé-e-s de 18 ans et plus et dont le nom figurait sur la liste originale des indigent-e-s ont été recruté-e-s pour l’enquête (Pigeon-Gagné et al., 2017). L’enquête a été menée du 10 au 25 juin 2019 par cinq enquêteurs et enquêtrices formé-e-s, parlant couramment la « langue locale », sous la supervision d’un coordinateur d’étude. Les données ont été collectées numériquement à l’aide de tablettes. L’enquête comprenait les cinq sections suivantes : identification des indigent-e-s, y compris leur localisation géographique; informations sociodémographiques; utilisation de la carte d’exemption des services de santé; signalement des maladies et des besoins en matière de soins de santé; capacités fonctionnelles et le réseau de soutien.
Analyse des données
Pour l’analyse, nous avons utilisé l’échantillon tronqué de répondant-e-s ayant utilisé des services de santé formels dans l’établissement de santé sous réserve de la déclaration de la maladie au cours des six mois précédents (N=110), car les cartes d’exemption de paiements directs étaient réservées uniquement aux soins fournis par les établissements de santé officiels. Premièrement, nous avons effectué des statistiques descriptives pour identifier la distribution de l’échantillon pour toutes les variables incluses dans l’analyse. Deuxièmement, nous avons effectué une régression logistique multivariée pour étudier les facteurs liés à une dépense de santé excessive parmi les indigent-e-s ayant bénéficié de services de santé formels pour un seul épisode de maladie au cours des six derniers mois. Troisièmement, nous avons géolocalisé les répondant-e-s et transféré leurs informations GPS dans un système d’information géographique afin de mieux comprendre les tendances entre le lieu de résidence des répondant-e-s et le centre de santé primaire (CSPS). Les détails de l’approche méthodologique et de la modélisation statistique ont été présentés dans l’article original publié en anglais[3].
Résultats
Caractéristiques socio-démographiques de la population étudiée
Le tableau 1 fournit des statistiques descriptives, des fréquences et des pourcentages pour l’échantillon de l’étude.
La majorité de l’échantillon (60,91%) était composée de femmes dont l’âge moyen était de 55,11 ans. Seul-e-s 12,73% ont atteint le niveau d’éducation formel. La moitié de l’échantillon était mariée. Environ un tiers de l’échantillon de l’étude était le chef de ménage. Seules 19,09 % des personnes interrogées ont déclaré être en bonne santé et 27,27% ont déclaré être handicapées. Les personnes interrogées vivaient dans des ménages assez grands, comptant en moyenne 14 membres, ce qui est typique des zones rurales du Burkina Faso. Plus de 80% ont déclaré avoir reçu une carte d’exemption. 29,09% appartenaient aux plus pauvres, 34,55% au quantile de pauvreté moyenne et 36,36% au quintile le plus pauvre. La distance moyenne entre le domicile du ou de la répondant-e et le CSPS le plus proche était de 4,45 km. La figure 1 illustre la concentration géographique où certaines des personnes interrogées sont concentrées autour des centres de santé, mais aussi dans des régions éloignées.
Dépenses de santé pour les services de santé formels et les transports
La moyenne des dépenses directes pour les services de santé formels en incluant les zéros (les indigent-e-s exempté-e-s étaient censé-e-s être traité-e-s gratuitement) était de 20424,45 FCFA (34,72 USD) et de 2134,18 FCFA (3,62 USD) pour le transport. En comparaison, si l’on exclut les zéros et les valeurs extrêmes, les dépenses sont de 9861,35 FCFA (16,76 USD) pour les services de santé formels et de 1969,68 FCFA (3,35 USD) pour le transport.
Dans le tableau 3, nous avons calculé la prévalence des dépenses excessives parmi les indigent-e-s et la moyenne des dépenses de santé pour différents seuils. En utilisant le seuil de dépenses élevé, 29,09% des personnes interrogées ayant eu un épisode de maladie avaient des dépenses que l’on pouvait qualifier d’excessives.
Résultats du modèle de régression sur les facteurs liés à l’excès des dépenses
Le tableau 4 présente les résultats de la régression logistique explorant les facteurs liés aux dépenses excessives au niveau individuel. Nous présentons d’abord les résultats de notre modèle principal en utilisant les dépenses médianes multipliées par plus de 2 comme seuil pour des dépenses élevées.
Nous avons constaté que le fait d’avoir une carte d’exemption avait un effet protecteur sur les dépenses excessives pour les indigent-e-s. La probabilité de faire face à une dépense dite excessive est plus faible de 28% pour ceux et celles qui ont reçu une carte d’exemption. Nous avons également constaté que la probabilité d’une dépense excessive diminuait de 32% si la personne interrogée était une femme. Tous les autres facteurs inclus dans le modèle principal étaient non-significatifs. Les résultats sont restés stables dans les deux modèles choisis pour l’analyse de sensibilité, dans laquelle nous avons utilisé le seuil de dépenses moyen et extrêmement élevé. Il est intéressant de noter que le facteur de l’âge a considérablement augmenté la probabilité d’encourir une dépense excessive uniquement dans les modèles 2 et 3 (voir les fichiers additionnels 1 et 2 de l’article original). Dans le modèle principal, l’âge était insignifiant. Les résultats sont également restés stables si l’on exclut les trois cas extrêmes (voir le fichier additionnel 3 dans l’article original).
Discussion
Notre étude apporte une contribution unique à la littérature existante en étudiant les dépenses de santé des indigent-e-s au Burkina Faso, une partie de la société qui vit dans l’extrême pauvreté et qu’il est le plus difficile d’atteindre. Ils et elles sont donc souvent négligé-e-s dans le paysage scientifique car les données sur ces personnes exclues sont peu disponibles (Ridde et al., 2019). Par conséquent, même un petit ensemble de données comme le nôtre est précieux pour suivre et comprendre de près les progrès pour ces personnes et intégrer les connaissances acquises dans la planification et la hiérarchisation des interventions futures afin de ne laisser personne de côté, comme le prévoit « l’Agenda 2030 pour le développement durable». Notre étude est la première qui évalue l’ampleur des dépenses pour les services de santé formels parmi les indigent-e-s ciblé-e-s et exempté-e-s. Compte tenu des dépenses étonnamment élevées des indigent-e-s, nous avons également cherché à estimer les facteurs qui expliquent la probabilité que les indigent-e-s encourent une dépense excessive. Les résultats de notre étude convoquent des implications pratiques et politiques précieuses pour les pays qui s’orientent vers un régime national d’assurance maladie avec l’aspiration d’inclure également les membres les plus pauvres de la société[4]. Cependant, en raison de la petite taille de l’échantillon, les résultats doivent être interprétés avec prudence.
La première conclusion cruciale de notre étude est que 90% de la population étudiée a encouru des dépenses supérieures à zéro, alors que seulement 10% ont déclaré des dépenses nulles. Le plus frappant est que ces indigent-e-s identifié-e-s et anciennement exempté-e-s ont dû payer une somme moyenne totale substantielle de 23051,62 FCFA (39,19 USD) pour couvrir leurs frais de santé officiels pour un seul épisode de maladie au cours des six derniers mois. Pourtant, Beogo et al. (2016) ont évalué la moyenne des dépenses directes de santé publique des individus vivant dans la capitale du Burkina Faso à 8404 FCFA (14,29 USD). Nakovics et al. (2019) ont utilisé des données au niveau des ménages pour 24 districts (un tiers du pays) et ont calculé une dépense directe moyenne globale de 9362 FCFA (USD 15,92) (quel que soit le type de soins utilisés) pour la population rurale générale. Le quintile socio-économique le plus bas de l’étude réalisée par Nakovics et al. (2019) a déclaré une dépenses de santé au même niveau que le reste de la population. Ce qui est évident, c’est le décalage de nos valeurs avec celles des études précédentes. Il est essentiel de noter ici que notre calcul a inclus trois cas extrêmes, mais validés, où des indigent-e-s ont été évacué-e-s pour une opération chirurgicale avec des coûts d’accompagnement extrêmement élevés. Lorsque nous avons retiré ces cas, la moyenne a été calculée à 10188,87 FCFA (17,32 USD), ce qui correspond presque à celle rapportée par Beogo et al. (2016) et Nakovics et al. (2019). Quelle que soit l’approche adoptée, les deux montants de 39,19 USD et 17,32 USD imposent une charge économique considérable aux indigent-e-s qui vivent déjà en dessous du seuil de pauvreté national de 1,90 USD par jour (Banque mondiale, 2020). En outre, ces chiffres démontrent le caractère injuste des mécanismes actuels de financement de la santé au Burkina Faso.
Notre étude révèle également que près de la moitié des personnes qui font appel à des services de santé formels (45%) ont eu une dépense de transport avec une moyenne de 2178,65 FCFA (3,70 USD). Non seulement les indigent-e-s sont plus nombreux et nombreuses à encourir des frais de transport, mais en même temps, le coût moyen est 27% plus élevé que ce que les habitant-e-s des zones rurales du Burkina Faso paient pour le transport des soins de santé (1670,83 FCFA) (2,84 USD) (Nakovics et al., 2019). Cette constatation semble tout à fait plausible à première vue car on sait que les indigent-e-s vivent généralement isolé-e-s socialement dans des zones reculées (Ridde et al, 2013). Ils et elles ne possèdent pas de moyens (par exemple, bicyclette, moto ou ânes) pour se rendre au centre de santé, ce qui pourrait entraîner un besoin accru d’utiliser d’autres moyens de transport, faisant augmenter les coûts. La carte (figure 1) de la répartition des CSPS et de la densité des indigent-e-s a confirmé l’éloignement géographique. Cependant, si l’on compare la différence moyenne entre les résident-e-s ruraux et rurales et les indigent-e-s identifié-e-s entre leur lieu de résidence et les centres de santé les plus proches, on ne voit pas de différence importante. Ce constat nous laisse croire que la distance seule n’est peut-être pas le principal facteur d’augmentation des coûts de transport. Nous supposons plutôt que leur âge avancé, la gravité de la maladie et un éventuel stade tardif de la recherche de soins (incapacité de marcher, de se tenir debout, de s’asseoir seul sans assistance) pourraient exiger que les indigent-e-s soient transporté-e-s d’une manière spécifique, par exemple en rendant nécessaire un transport accompagné avec un véhicule emprunté (impliquant des frais de carburant) (Atchessi et al., 2014, 2016; Kadio, 2013)[5].
En examinant spécifiquement les résultats des modèles de régression, il est frappant de constater que la carte d’exemption que les répondant-e-s ont reçue début février 2016 à Diébougou dans le cadre de l’intervention FBR (trois ans avant la collecte des données) a diminué la probabilité de subir une dépense excessive de 28%. Cette constatation montre le potentiel de l’exemption dans la réalisation de la protection financière des plus pauvres, qui est un objectif clé de la première stratégie de financement de la santé du Burkina (2017-2030). Ceci est remarquable, surtout si l’on considère que l’intervention s’est terminée en juin 2018 avec la fin du financement de la Banque mondiale[6], où les prestataires de soins de santé ont reçu les derniers remboursements du programme en janvier 2018. Notre collecte de données a commencé presque exactement un an après la fin officielle du projet. Bien que d’autres études qualitatives supplémentaires soient nécessaires pour clarifier les raisons spécifiques de cette évolution positive, les premiers retours d’information sur le terrain ont mis en évidence des processus de solidarité de certain-e-s professionnel-le-s de la santé et leur adhésion à l’exemption des paiements directes après l’arrêt du FBR. En effet, on suppose que certain-e-s professionnel-le-s de la santé continuent à se sentir responsables de la santé de leur communauté et à faire preuve de compassion et de gentillesse envers les indigent-e-s. En conséquence, ils et elles pourraient encourager des actions de soutien en collaboration avec les comités de gestion ou, de manière autonome, fournir des services de santé aux indigent-e-s. Nous pensons également à la politique d’exemption mise en œuvre par le gouvernement en 2009 qui a demandé aux agent-e-s de santé au niveau primaire d’exempter les indigent-e-s, mais qui n’a jamais abouti. Des situations similaires ont été notées au Burkina Faso et Mali où certains personnels de santé, dans leurs bonnes volonté, ont continué à assurer l’exemption des soins de santé pour les indigent-e-s identifié-e-s (Ridde & Girard, 2004). En effet, après l’arrêt du FBR au Mali, ce sont principalement les activités avec un degré plus élevé de motivation autonome qui sont plus durables (Seppey et al., 2017). Dans le cas des exemptions des paiements directs, le personnel de santé pourrait être poussé à continuer de fournir des services aux indigent-e-s, même en l’absence de financement d’un projet, car cela correspond à leurs croyances et valeurs.
En outre, une association positive entre l’âge et les dépenses excessives pour les services de santé formels a émergé des conclusions. Cette tendance n’est pas surprenante. Elle est cohérente avec l’état des connaissances (Mugisha et al., 2002), car un âge avancé est un facteur prédisposant à des taux plus élevés de (multi)-morbidités et d’invalidités (Audain et al., 2017; WHO, 2020). Par conséquent, les personnes âgées font un usage important des services de santé formels (Agyemang, Duah et al., 2020), nécessitent des diagnostics spéciaux et, par conséquent, encourent des dépenses plus élevées (Atchessi et al., 2016; National Research Council, 2001). De même, nous nous attendions à ce que les hommes soient plus susceptibles de dépenser excessivement pour les services de santé formels pour trois raisons principales. Premièrement, le Burkina Faso a mis en place plusieurs mécanismes d’exemption et de suppression des paiements directs et des politiques ciblant les femmes, notamment la politique de gratuité en avril 2016[7] pour couvrir les frais de santé pour les soins préventifs et curatifs des femmes enceintes et allaitantes, ce qui rend les dépenses excessives moins probables (Ministère de la Santé Burkina Faso, 2016). Deuxièmement, comme les hommes sont généralement le soutien de la famille et que leur santé est essentielle pour la survie du ménage, ils pourraient utiliser davantage les services de santé formels que les femmes indigentes (Chen et al., 1981; Mugisha et al., 2002; Sen & Östlin, 2008). Troisièmement, Atchessi et al. (2016) ont mis en évidence les inégalités de pouvoir qui prévalent dans les relations entre les sexes dans ce contexte particulier au Burkina Faso où le pouvoir de décision appartient généralement aux hommes, ce qui place généralement les femmes dans une position sociale subordonnée affectant leur accès aux ressources rares (Sen & Östlin, 2008).
Conclusion
Un suivi rigoureux des dépenses de santé parmi les ménages pauvres est essentiel pour comprendre les améliorations de la protection financière et de la CSU (Organisation mondiale de la santé, 2019). À notre connaissance, il s’agit de la première étude examinant le niveau de difficultés financières au sein d’une population d’indigent-e-s en Afrique. Les résultats mettent en évidence le montant élevé de dépenses que les indigent-e-s doivent engager pour couvrir leurs frais de santé. Nous avons démontré que les dépenses pour les personnes indigentes sont à peu près au même niveau que celles des personnes appartenant aux groupes socio-économiques plus favorisés, ce qui démontre clairement l’injustice des systèmes de financement de la santé actuellement en vigueur au Burkina Faso. En incluant des valeurs extrêmes valables, les indigent-e-s ont même en moyenne des dépenses plus élevées que la population générale, probablement en raison de leur âge avancé, de la gravité de la maladie et de la complexité des profils médicaux. La présente étude souligne que les cartes d’exemption avaient un effet protecteur contre les dépenses de santé excessives malgré la fin de l’intervention du FBR, ce qui montre la pertinence de la gratuité des soins pour une population vulnérable.
Les décideurs et décideuses politiques du Burkina Faso doivent reconnaître les besoins particuliers des personnes indigentes pour une protection financière mieux adaptée. Une étude des modèles de service spécifiquement destinés aux indigent-e-s est urgente[8]. Il faut une couverture améliorée et élargie pour cette population compte tenu des risques élevés dus à la multimorbidité et aux maladies chroniques. Si l’on ne tient pas compte de ces réalités lors de l’allocation des budgets, il est peu probable que les soins de santé soient réellement inclusifs pour les personnes vivant en marge de la société comme le sont les indigent-e-s.
Références
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Seppey, M., Ridde, V., Touré, L. & Coulibaly, A. (2017). Évaluation de la durabilité d’un projet financé par un donateur : Une étude de cas qualitative d’un projet pilote de financement basé sur les résultats dans la région de Koulikoro, au Mali. Mondialisation et santé, 13(86). https://doi.org/10.1186/s12992-017-0307-8
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Simporé, L., Ridde, V., Queuille, L. & Hema, A. (2013). Évaluation de l’efficacité du ciblage communautaire des indigents bénéficiaires de la gratuité des soins dans les districts sanitaires de Dori et de Sebba au Burkina Faso. Dans P. Fournier, S. Haddad & V. Ridde (dir.), Santé maternelle et accès aux soins en Afrique de l’Ouest. L’Harmattan.
- Ce chapitre est la traduction d'un article publié à l'origine en anglais et édité/réduit pour ce livre : Beaugé, Y., Ridde, V., Bonnet, E. et al. (2020). Factors related to excessive out-of-pocket expenditures among the ultra-poor after discontinuity of PBF: A cross-sectional study in Burkina Faso. Health Economics Review, 10(36). https://doi.org/10.1186/s13561-020-00293-w ↵
- Voir le chapitre de Seppey et al. sur la question de la pérennité. ↵
- Voir la première note de bas de page. ↵
- Voir le chapitre de Ridde et al. sur les mutuelles de santé. ↵
- Voir le chapitre de Louart et al. ↵
- Voir le chapitre de Ridde et al. ↵
- Voir le chapitre de Ridde et Yaméogo. ↵
- Voir le chapitre de Louart et al. ↵