7 L’utilisation de la science pour formuler la politique d’exemption du paiement des soins de 2016 au Burkina Faso

Valéry Ridde et Pierre Yaméogo

À Gaëtan Mootoo, chercheur à Amnesty International

Introduction

Fin 2017, dans une interview à TV5 Monde, la chaîne internationale francophone la plus regardée en Afrique, le nouveau président de la République du Burkina Faso a mis en avant la politique de gratuité des soins de santé décrétée par le gouvernement le 2 mars 2016, comme l’une de ses actions politiques clés pour lutter contre la pauvreté[1]. Si la question du journaliste était surprenante, reprochant au Président que la pauvreté n’avait pas diminué après deux ans de mandat, la réponse est particulièrement intéressante à étudier. Cette décision politique en Afrique, soulignée par un président, mérite une analyse réflexive, encore peu pratiquée en santé publique (Tremblay & Parent, 2014). En effet, l’institutionnalisation du paiement direct pour les soins de santé au début des années 1990 en Afrique[2] et les premiers projets pilotes d’exemption du paiement direct à la fin des années 2000 au Burkina Faso (Ridde, 2015) s’inscrivent dans un processus long et complexe qui a abouti à l’adoption de la politique de gratuité des soins en 2016.

En Afrique, « 80% des pays (37 des 41 pays qui avaient des frais d’utilisation) ont mis en œuvre des réformes pour réduire ou éliminer les frais d’utilisation » (Cotlear & Rosemberg, 2018 : 14). Cependant, plusieurs études ont montré que les décisions d’introduire ces politiques d’exemption du paiement des frais d’utilisation en Afrique étaient souvent motivées par des raisons électorales, soudaines, suscitées par des pressions extérieures, et par conséquent très chaotiques dans leur mise en œuvre, même si leurs effets ont souvent été bénéfiques pour les populations (Gautier & Ridde, 2017; Olivier de Sardan & Ridde, 2015). C’était encore le cas fin 2017, comme au Gabon, où le Président a soudainement annoncé l’exonération du paiement des frais d’utilisation sans que rien n’ait été préparé sur le terrain. Ces politiques sont évidemment essentielles, car on sait que demander aux patient-e-s de payer sur place est l’un des plus grands obstacles à l’accès aux soins (Robert et al., 2017). Pourtant, contrairement aux recommandations et discours internationaux (Robert & Ridde, 2013), de nombreux pays d’Afrique continuent d’imposer des frais d’utilisation pour certains services ou catégories de personnes, entravant ainsi la réalisation de la couverture universelle en santé (CSU) et de l’objectif trois du développement durable. Par exemple, dans certains pays africains, la pratique persiste de retenir les patient-e-s parce qu’ils ou elles ne peuvent pas payer leurs soins (Yates et al., 2017), et on assiste à un retour à certaines formes de frais d’utilisation pour les patient-e-s atteint-e-s du VIH[3], qui a été dénoncé lors du Forum du CSU à Tokyo en décembre 2017. Ainsi, le droit d’accès aux soins est encore loin d’être respecté dans de nombreux pays, et il existe un décalage persistant entre les décisions et leur mise en œuvre effective. Le rôle des idées préconçues par rapport à cet instrument politique n’est certainement pas négligeable (Ridde & Ouattara, 2015).

Contrairement à certains pays qui se sont précipités dans de telles décisions, l’histoire du Burkina Faso est assez exceptionnelle et mérite la présente analyse. Le processus a duré près de 10 ans, depuis les premières discussions et les projets pilotes jusqu’à la décision de supprimer, à l’échelle nationale, les frais d’utilisation pour les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes. L’objectif de cet article est de décrire et d’analyser cette histoire en utilisant une approche réflexive.

Méthodes

Dans ce chapitre, nous analysons ce processus sur la base de notre participation en tant que chercheur de longue date (Valéry Ridde, VR) et conseiller technique et décideur impliqué dans ce processus politique (Pierre Yaméogo, PY). Notre approche est réflexive, définie comme « une activité intellectuelle intentionnelle et consciente dans laquelle des individus (ou des groupes) explorent ou examinent leurs expériences pour développer de nouvelles compréhensions qui, en fin de compte, façonnent leurs actions » (Tremblay & Parent, 2014 : 221). La réflexivité est essentielle au développement professionnel, en particulier pour les chercheurs et chercheuses en santé publique (Tremblay & Parent, 2014). Dans cet article, nous adoptons a posteriori une posture réflexive sur l’action qui, dans ce cas, est le processus qui a mené à la décision d’abolir les frais d’utilisation.

Les données utilisées pour cette analyse proviennent de nos notes et réflexions compilées au cours de notre implication dans cette politique depuis 2008, ainsi que de l’observation (parfois participante) de tous les événements que nous présentons ci-dessous. Nous avons utilisé tous les écrits disponibles pour étayer notre analyse. La rédaction de cet article a également été un processus de soutien à notre réflexion. Tout d’abord, nous nous sommes mis d’accord sur le contenu de l’article dans les trois dimensions du cadre conceptuel choisi (voir ci-dessous). Ensuite, pour la rédaction, sous la direction de VR, nous avons partagé le contenu et comparé nos perspectives tout au long de la rédaction des différentes versions de l’article, y compris sa révision après les commentaires des personnes qui ont évalué anonymement l’article. La rédaction de la discussion nous a permis d’associer la réflexion à des concepts plus largement utilisés en science politique. Nous avons présenté les résultats préliminaires de nos réflexions lors de deux conférences internationales au Sénégal et au Japon en 2017.

La description et l’analyse que nous présentons s’inscrivent dans le cadre de l’étude des politiques publiques et, plus précisément, du rôle des données probantes dans la définition de politiques publiques solides, la formation d’idées et le soutien de coalitions plaidantes pour faire passer la question à l’ordre du jour politique (Béland, 2016; Sabatier & Weible, 2014). Il est souvent recommandé que l’analyse des changements politiques couvre une longue période d’au moins dix ans (Sabatier & Weible, 2014). C’est ce que nous avons fait dans notre analyse.

Dans ce chapitre, nous utilisons l’approche proposée par Hassenteufel (2010) car elle est la plus propice à notre approche descriptive et réflexive. D’autres cadres sur l’émergence des politiques exigent une approche empirique et analytique qui va au-delà de l’intention de notre chapitre. Selon le modèle de Hassenteufel (2010), le processus qui conduit à cette décision de politique publique comporte trois phases : la mobilisation (attirer l’attention sur le problème et ses solutions), la médiatisation (les rendre publics, en particulier avec les médias) et la politisation (obtenir des avantages politiques). Cette triple dynamique non linéaire s’est évidemment inscrite dans un contexte spécifique, que nous allons d’abord présenter.

Contexte

Le Burkina Faso est un pays aux ressources limitées pour le financement de santé, avec seulement 46,8 dollars de dépenses de santé par habitant-e en 2016 (Ministère de la Santé, 2017). Le système de santé est donc entravé par l’insuffisance des ressources. Le paiement direct des frais d’utilisation des soins de santé est une source importante de financement de la santé. La politique de santé est axée sur les soins de santé primaires, la base du système de santé.

Malgré les efforts déployés au cours des dix dernières années, le niveau de couverture des soins de santé dans la population reste très faible, aux alentours de 39% selon l’indice de couverture des services de santé de 2017 (WHO & World Bank, 2017). Les ressources médicales humaines, matérielles et techniques sont insuffisantes en quantité et en qualité et souvent mal réparties. Les régions du Nord, du Centre-Nord et du Sahel concentrent les maigres ressources humaines pour répondre aux besoins fondamentaux en matière de santé génésique, précisément là où les premiers projets pilotes d’exemption de frais d’utilisation ont débuté en 2008. Le Burkina Faso ne dispose pas d’une assurance maladie fonctionnelle, c’est pourquoi les frais d’utilisation des soins de santé sont le mécanisme promu par la politique de santé pour aider à financer le secteur de la santé. Si certaines formes d’exemption de frais d’utilisation existent depuis longtemps pour certaines maladies (tuberculose, VIH, malnutrition), une première politique de subvention ambitieuse a été lancée en 2006 pour les accouchements et les nouveau-nés de moins de sept jours; il ne s’agissait cependant pas d’une exemption (c’est-à-dire d’une subvention totale). Entièrement financée par l’État, elle a été relativement bien mise en œuvre et s’est avérée très efficace, y compris pour les plus pauvres (Nguyen et al., 2018; Ridde et al., 2015), et très efficiente (Nguyen et al., 2020)[4]. Néanmoins, les obstacles financiers restent élevés pour les femmes et les enfants.

Début 2012, un rapport a émis l’hypothèse que, malgré l’abondance des données produites sur le financement de la santé au Burkina Faso, peu de connaissances semblent avoir été mobilisées par les décideurs et décideuses (Ridde et al., 2012). Les deux mondes ne semblaient pas s’être beaucoup influencés l’un l’autre. Cependant, l’histoire a changé depuis, comme nous le verrons dans ce chapitre.

Mobilisation

Expériences pilotes et coalition d’ONG

C’est dans ce contexte que l’Union européenne et son Office d’aide humanitaire (ECHO) ont lancé en 2008 un vaste plan de réduction de la malnutrition. Leur objectif était de soutenir les ONG souhaitant organiser des projets pilotes pour mettre en œuvre l’exonération des frais d’utilisation des services de santé, l’un des principaux déterminants de la lutte contre la malnutrition (DG ECHO, 2007). Des expériences pilotes de gratuité des soins financées par ECHO dans le cadre de ce plan Sahel ont été menées par plusieurs ONG internationales (HELP, Terre des hommes (Tdh), Action Contre la Faim (ACF), Save the Children International (SCI) et Médecins du Monde (MdM)) dans un nombre limité de districts sanitaires (Tougan, Séguénéga, Dori, Sebba, Diapaga, Fada et Kaya). Elles ont été d’ampleur et de durée variables, mais certaines ont été maintenues pendant plus de huit ans. Ces interventions pilotes ont été largement étudiées.

D’une part, si les preuves scientifiques ont montré les difficultés de mise en œuvre de l’exemption, elles ont également révélé sa capacité à réduire les dépenses de santé catastrophiques, à améliorer l’utilisation des centres de santé et à corriger les inégalités (Ridde et al., 2014). Une simulation publiée en 2014 a montré que si la stratégie d’exemption testée dans les projets pilotes était mise en œuvre à l’échelle nationale, elle permettrait de sauver entre 14 000 et 19 000 enfants de moins de cinq ans par an, soit une réduction de 16% du taux de mortalité infantile (Johri et al., 2014). Des études qualitatives ont également montré que l’exemption du paiement des frais d’utilisation peut renforcer l’autonomisation des femmes (Samb & Ridde, 2018).

D’autre part, ces ONG ont également produit des connaissances tacites qu’elles ont exploitées au fur et à mesure de l’avancement de leurs projets et qu’elles ont partagées avec les technicien-ne-s du ministère de la Santé et les décideurs et décideuses aux niveaux central, régional et local. Ces connaissances étaient liées à des sujets tels que : les processus de suivi et de vérification de l’exemption, les méthodes de remboursement forfaitaire, le contenu du paquet de services, les dossiers médicaux informatisés, les outils de suivi, les approches pour cibler les indigent-e-s, etc. En conséquence, plusieurs guides de bonnes pratiques ont été rédigés par ces ONG en collaboration avec les acteurs et actrices du système de santé.

Sur la base de leur expérience d’interventions réussies, ces ONG ont lancé diverses actions de sensibilisation avec le soutien d’Amnistie Internationale et de donateurs et donatrices (ECHO, UNICEF, OMS) en vue de développer les soins de santé gratuits.

Les ONG ont organisé de nombreuses réunions pour discuter et présenter les résultats au niveau du ministère de la Santé. Par exemple, en 2009, les résultats ont été présentés lors de la réunion annuelle de tous et toutes les médecins de district et des directeur-e-s régionaux et régionales de la santé de tout le pays. Certaines ONG ont apporté un soutien en amont aux présentateurs et présentatrices, qui étaient les médecins chef-fe-s des districts où les projets pilotes étaient mis en œuvre.

En juillet 2010, une mission conjointe (PY, VR, ONG et autres chercheurs et chercheuses) a participé à la 20e conférence mondiale de l’Union internationale de promotion de la santé et d’éducation pour la santé. Les premiers résultats des expériences pilotes ont été portés à l’attention des participant-e-s (en particulier des chercheurs et chercheuses et des ONG internationales) par le biais de présentations et de posters.

Étude de faisabilité de la stratégie nationale en 2012

Fin 2011, les bailleurs de fonds ont organisé une réunion spéciale de plaidoyer pour les partenaires techniques et financiers (PTF) sur le renforcement de l’exemption des frais d’utilisation pour les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes. Le ministère de la Santé a accueilli favorablement ce plaidoyer et a entamé un processus d’étude de la faisabilité de la gratuité des soins de santé au niveau national. L’objectif principal de cette étude, menée en 2012, était d’estimer les coûts de la suppression du paiement direct à l’échelle nationale et d’identifier les conditions de succès. Un consultant international de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, rémunéré par Tdh, a été mis à la disposition de l’équipe du ministère de la Santé pour mener cette étude.

Le rapport de cette étude a été soumis aux décideurs et décideuses du ministère de la Santé (les directeurs centraux et directrices centrales) en décembre 2012. L’étude indique notamment que

l’extension de la gratuité des soins aux enfants de moins de 5 ans coûte entre 9,89 milliards de FCFA et 12,18 milliards de FCFA par an. Cependant, il convient de noter que ces chiffres ne sont plausibles que si un contrôle rigoureux et efficace accompagne l’introduction de la gratuité dans les centres de santé. (Ministère de la Santé, 2012 : 35)

La principale recommandation de cette réunion de restitution de l’étude de faisabilité est l’élaboration d’un document de stratégie nationale pour la mise en place de la gratuité des soins pour les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes.

Développement de la stratégie nationale

Avec le soutien technique et financier de l’UNICEF, d’ECHO, de l’OMS et des ONG, le ministère de la Santé a poursuivi sa réflexion en élaborant un document de stratégie pour la mise en œuvre de la gratuité des soins au niveau national. Une équipe d’acteurs et actrices clés (prestataires de services, ONG, niveau central du ministère de la Santé, bailleurs de fonds internationaux) s’est réunie en atelier dans la ville de Koudougou du 12 au 15 mars 2013. La stratégie (contenu) et un document de plaidoyer (pour influencer les décideurs et décideuses à adopter le contenu) ont été élaborés au cours de cet atelier. Les deux documents ont été présentés lors de la réunion du cabinet du ministère de la Santé en août 2013, puis officiellement transmis aux PTF par l’OMS (lettre du 7 octobre 2013) pour avis. Trois des 13 références citées dans le document stratégique proviennent de recherches sur l’intervention pilote de HELP dans la région du Sahel, ce qui reflète l’utilisation des preuves scientifiques produites.

En décembre 2013, dans une correspondance, les PTF se sont prononcés en faveur de la mise en œuvre de l’exonération des frais d’utilisation. Les partenaires ont souligné le souhait que cela soit fait au niveau national dès le départ, en s’appuyant sur l’expérience acquise par les ONG et en plaçant le financement de cette stratégie dans le cadre global d’une stratégie nationale de financement de la santé pour la CSU.

À la suite de cet avis, l’Agence Française de Développement (AFD) a sollicité à plusieurs reprises entre 2013 et 2015 le ministère de la Santé pour lui proposer un soutien financier afin de démarrer cette stratégie. En effet, l’AFD venait de décider de déployer une intervention de 30 millions d’euros, financée par la taxe sur les transactions financières, pour soutenir les pays du Sahel engagés dans des politiques d’exonération des frais de santé : l’Initiative Santé Solidarité Sahel (I3S). Le Burkina Faso était éligible. En décembre 2013, un projet de 5 millions d’euros pour le Burkina Faso a été présenté au comité d’identification de l’I3S à Paris. Cependant, en mai 2014, le ministère de la Santé a informé l’AFD qu’il souhaitait attendre les résultats des discussions et évaluations internes de sa stratégie nationale de subvention des accouchements avant de lancer une étude de faisabilité sur le financement de l’I3S. L’AFD a répondu cinq mois plus tard, en prenant acte de cette position mais en annonçant qu’elle ne financerait pas cette étude de faisabilité. Il est apparu que les responsables de l’AFD basés au Burkina Faso, contrairement à ceux et celles du siège parisien, n’étaient pas favorables à l’investissement dans le secteur de la santé (HERA, 2018). Ainsi, l’appui financier prévu pour le Burkina Faso a été réorienté vers d’autres pays du Sahel (Deville et al., 2018). Ce désintérêt pour la santé semble toujours le cas en 2021 puisque ce secteur n’est pas une priorité de soutien au Burkina Faso pour l’AFD.

Puis, il y a eu un ralentissement. Comme le financement d’ECHO pour le projet pilote devait prendre fin en 2014, le ministère de la Santé a demandé une prolongation et ECHO a accordé une année supplémentaire de financement aux ONG. Début 2015, le ministère de la Santé a également demandé à l’AFD de prendre le relais, après cette année supplémentaire accordée par ECHO, dans le cadre de son initiative I3S. Cependant, en fin de compte, aucun financement I3S n’a été accordé (HERA, 2018).

Médiatisation

Courtage de connaissances

Pendant quatre ans, l’ONG HELP a financé la présence d’un courtier en connaissances pour aider les chercheurs et chercheuses à rendre leurs travaux pertinents et surtout à mettre en œuvre des stratégies de transfert de connaissances (Dagenais et al., 2013). Entre 2008 et 2013 (mais les activités se sont poursuivies, voir ci-dessous), cette ONG, avec l’aide de chercheurs et chercheuses (l’équipe de VR) et du courtier (Ludovic Queuille), a mobilisé au moins 1 million d’euros pour mener à bien cette recherche (pour un total de 9 millions d’euros de projets pilotes finançant l’exonération des frais d’utilisation) et a produit une vingtaine d’articles scientifiques, quatre thèses de doctorat, deux livres, 25 notes de politique, cinq films et une quarantaine de présentations lors de conférences scientifiques. Les recherches sur ce processus ont montré que les acteurs et actrices impliqué-e-s (ONG, Ministère, chercheurs et chercheuses, etc.) ont confirmé l’importance de son impact sur le plaidoyer (Queuille et al., 2013).

Coalition d’ONG

Les quatre principales ONG (Tdh, HELP, ACF, SCI) impliquées dans la mise en œuvre des projets pilotes depuis le début ont convenu en 2008 de créer une coalition informelle pour renforcer leur plaidoyer. Cela n’a évidemment pas été facile, car les ONG ont souvent leur propre agenda et cherchent parfois à se mettre en avant des autres. Il y a eu des tensions occasionnelles, mais l’importance du sujet, la conviction des ONG que les décisions politiques pouvaient être influencées par leur travail et le soutien du donateur (ECHO) à ce processus ont tous contribué à l’efficacité de la coalition. Puis d’autres ONG ont rejoint le groupe, dont Amnistie Internationale (AI) et MdM. À notre connaissance, c’était la première fois que des chercheurs et chercheuses d’AI s’engageaient dans le domaine de la santé, qui n’est pas leur domaine de compétence habituel. Ils et elles ont largement collaboré avec la coalition d’ONG sur le terrain ainsi qu’avec les chercheurs et chercheuses afin d’utiliser des données probantes pour étayer leur rapport (Amnesty International, 2009). Ce rapport a non seulement donné lieu à de nombreuses activités internationales de plaidoyer, mais il a également été particulièrement utile au bureau local d’Amnistie Internationale et à d’autres ONG.

Médias et conférences de presse

Les différentes ONG ont également entretenu des relations étroites avec les médias internationaux, nationaux et régionaux. La stratégie déployée a été large afin de ne pas dépendre d’un seul média, car les décideurs et décideuses de la capitale sont plus enclin-e-s à lire les journaux papier, tandis que le grand public est plus influencé par la télévision en ville et la radio dans les zones rurales. Ainsi, à partir de 2010, de multiples conférences de presse, des ateliers pour les journalistes et des émissions de radio internationales (RFI) et nationales/régionales ont été organisés. À trois reprises au moins, les acteurs et actrices impliqué-e-s dans l’exemption du paiement des frais d’utilisation (dont PY, VR et le courtier) ont participé au programme de santé RFI, qui est largement écouté au Burkina Faso, en Afrique et en France. En avril 2014, MdM a réalisé un reportage sur la gratuité des soins et a payé pour sa diffusion à la télévision nationale. Mais, au bout de 48 heures, les responsables du ministère de la Santé ont demandé à MdM d’arrêter la diffusion afin de ne pas entraver les discussions internes. Il semble que ce reportage exacerbait les débats contentieux. Dans le même temps, le ministère de la Santé a demandé à HELP de cesser de diffuser sa documentation.

Politisation

La phase de politisation a été largement menée par cette coalition d’ONG, tant au niveau européen que national.

Au niveau européen

ECHO a joué un rôle important non seulement dans le financement des interventions et des actions de sensibilisation, mais aussi dans l’avancement du processus de politisation. Cela n’a pas été facile, car il a également fallu convaincre leurs collègues des bureaux d’aide au développement (différents de ceux de l’office d’aide humanitaire), qui étaient assez résistants à cet instrument politique (Howlett, 2011), c’est-à-dire l’exemption des frais d’utilisation des soins de santé.

Fin 2012, ECHO a organisé avec succès une visite du commissaire européen à la coopération internationale et à l’aide humanitaire, membre de la Commission européenne, dans la zone d’intervention HELP. Dans une lettre envoyée début 2013, elle a félicité les ONG pour ce travail de subventionnement des frais d’utilisation des soins de santé, ce qui a permis d’aller au-delà de la déclaration de principe émise par la direction générale ECHO en 2008 (DG ECHO, 2008) à ce sujet et d’ouvrir toute la Commission à cet instrument.

En février 2013, ce même commissaire a discuté des « résultats exceptionnels » de cette expérience pilote au Sahel lors d’un sommet du Programme alimentaire mondial à Rome. Dans sa déclaration, elle a même cité l’étude, non encore publiée à l’époque (Johri et al., 2014), qui a montré une réduction de la mortalité infantile associée à la mise en œuvre nationale d’exemptions de frais d’utilisation des soins de santé. L’utilisation par une responsable de haut niveau de résultats de recherche non encore publiés dans une revue scientifique démontre également la pertinence de produire des notes politiques avant les publications scientifiques afin que les résultats puissent être rapidement mis à profit par les décideurs et décideuses (Dagenais & Ridde, 2018). Une évaluation de la campagne de sensibilisation de Save the Children pour 2015 a montré l’efficacité des notes de politique pour influencer la prise de décision (Baptist & Miletzki, 2017). En outre, la coalition d’ONG, accompagnée de PY et du courtier en connaissances, s’est rendue à Bruxelles en septembre 2012 pour rencontrer les décideurs et décideuses afin de plaider en faveur du financement d’ECHO, car le financement de l’exemption des frais d’utilisation restait en débat et sa pérennité n’était pas assurée.

Au niveau national : de la présidence à la révolution

Un grand nombre d’activités de plaidoyer basées sur des données probantes (parfois en utilisant des notes de politiques) ont été menées pour politiser la question au niveau national. L’investissement d’AI a culminé avec la visite de ses délégué-e-s et chercheurs et chercheuses au Président de la République en 2010. L’engagement du président en faveur de la gratuité des soins a été annoncé par AI aux médias et sur Internet. AI a également organisé une caravane en 2010 pour se rendre dans les zones rurales et attirer l’attention des autorités régionales et des décideurs et décideuses sur cet instrument politique. En 2010, HELP a produit un rapport de capitalisation sur son expérience après deux ans, qu’elle a remis à la Première Dame en 2011, car il n’était pas possible de rencontrer directement le Président. Tdh a également remis cette année-là son rapport d’activité sur les soins gratuits. Le Président a répondu par une lettre de félicitations et d’encouragement pour leur engagement en faveur des plus pauvres. L’ONG a été décorée cette année-là du grade de Chevalier de l’Ordre national.

En 2013, les ONG ont soutenu des groupes de femmes dans la région du Sahel pour qu’elles interpellent le président de la République lors de sa visite dans la région. La même année, une communauté de pratique d’Harmonization for Health in Africa a organisé une conférence sur les politiques d’exemption du paiement des frais d’utilisation en Afrique[5], où plus de 300 chercheurs et chercheuses, expert-e-s et parties prenantes ont débattu de ces questions. Ce fut également l’occasion pour le vice-ministre français du développement, en présence du ministre de la santé du Burkina Faso, d’annoncer le lancement par la France de l’I3S, qui n’a finalement pas soutenu le pays dans ses efforts. Au cours de cette conférence, des chercheurs et chercheuses canadien-ne-s[6] ont dispensé une formation sur les pratiques de transfert de connaissances et la rédaction de notes de politiques.

Malgré tout ce plaidoyer entrepris avec des preuves scientifiques, il est resté une certaine prudence ou résistance, et le processus s’est ralenti en 2014. Puis, un événement majeur a changé le cours de l’histoire. Le 30 octobre 2014, alors que l’Assemblée nationale devait débattre de la politique d’assurance maladie universelle (AMU), le président, au pouvoir depuis 27 ans, a décidé de changer l’ordre du jour et a demandé aux parlementaires de voter sur un amendement à la Constitution qui lui permettrait de se représenter à la prochaine élection présidentielle. Finalement, ni l’AMU ni l’amendement n’ont été discutés. L’Assemblée nationale a été brûlée lors d’une révolte citoyenne qui a chassé le président. Un gouvernement de transition a été mis en place. C’est ce gouvernement qui a voté en septembre 2015 une loi sur l’AMU, dans laquelle l’exemption du paiement des frais d’utilisation pour les indigent-e-s a été incluse dans l’article 18. Si l’exemption ne s’appliquait pas encore aux femmes et aux enfants, cette décision, avec l’acceptation de cet instrument politique, a marqué le début d’un changement de paradigme de politique (Hall, 1993).

Cependant, la stratégie nationale d’exemption de frais d’utilisation pour les enfants et les femmes n’a toujours pas été adoptée. En 2015, Save the Children a pu obtenir un financement de 110 000 euros pour mener de nombreuses activités de plaidoyer dans le cadre de la coalition des ONG. Ces activités ont pris la forme d’une vaste campagne médiatique « Ma Voix, la santé des enfants », qui comprenait l’organisation de visites de journalistes sur le terrain. L’organisation a également produit des notes de politiques et mobilisé le secrétariat national permanent des ONG (SPONG) (Baptist & Miletzki, 2017). Ainsi, la coalition d’ONG s’est remise sur les rails et a développé de nombreuses activités de plaidoyer à l’intention des candidat-e-s à la nouvelle (et sans précédent) campagne présidentielle. Tous et toutes les candidat-e-s ont été rencontré-e-s et invité-e-s à prendre position publiquement. La coalition d’ONG a mis en place un comité chargé de suivre les engagements présidentiels dans ce domaine. Une évaluation a montré que

le message de la campagne a été programmé pour avoir un impact maximal […] Le moment était opportun dans le sens où après le soulèvement populaire de 2015, il y avait un appétit de changement politique et la voix du peuple avait un poids et une importance accrus dans le discours politique national. (Baptist & Miletzki, 2017 : 5)

La politique de gratuité des soins a finalement été décrétée le 2 mars 2016, lors du Conseil des ministres du nouveau gouvernement, quatre mois seulement après les premières élections libres, mais huit ans après les premiers projets pilotes organisés par les ONG. Le ministre de la santé de l’époque aurait préféré une mise en œuvre en deux étapes, d’abord pour supprimer les frais d’accouchement pour les femmes, puis, six mois plus tard, pour les enfants de moins de cinq ans. Mais le président de la République voulait que ces mesures soient mises en œuvre en même temps et dans le mois suivant la déclaration du Conseil des ministres. Ainsi, en avril 2016, tous les districts sanitaires des régions du Centre, des Hauts-Bassins et du Sahel ont lancé la politique nationale. Puis, en mai 2016, elle a été appliquée dans tous les hôpitaux régionaux et universitaires. Enfin, à partir du 1er juin 2016, tous les autres districts du pays ont organisé des exemptions de frais d’utilisation.

La figure 1 présente un résumé de la chronologie des événements importants et des principales parties prenantes.

Figure 1. Chronologie des événements importants et des principales parties prenantes

Réflexion conceptuelle et théorique

Plus encore que les idées et les institutions (Béland, 2016), le rôle du pouvoir dans les décisions politiques est évident, comme l’a montré le cas du Rwanda et de son système d’assurance mutuelle à adhésion obligatoire (Chemouni, 2018). Le rôle prépondérant des président-e-s dans les décisions de lancement de politiques de gratuité des soins en Afrique a été largement démontré (Ghana en 2008, Ouganda en 2001, Zambie en 2005, etc.). En effet, des travaux en Afrique ont montré que « le moteur de la réforme a été l’intégration de l’assistance sociale comme élément des stratégies de survie politique employées par les élites politiques nationales pour renforcer la légitimité du régime, assurer l’allégeance politique ou gagner le soutien électoral » (Hickey et al., 2018 : 8). Toutefois, dans le contexte du Burkina Faso, alors que le nouveau président a demandé que la mise en œuvre commence rapidement, le processus n’a pas été précipité. Ainsi, il a fallu huit ans pour que la politique nationale soit décidée après les premiers projets pilotes, ce qui, dans le domaine du changement des politiques publiques, n’est pas si long en fin de compte (Sabatier & Weible, 2014). Les changements ont été progressifs, en fonction de la dépendance au sentier et, notamment, de l’évolution des idées des décideurs et décideuses, et ont confirmé que « la continuité, à première vue, l’emporte de loin sur les ruptures » (Lascoumes, 2006 : 405). Les instruments politiques (frais d’utilisation) ont été modifiés au fil des années, étant d’abord réduits, puis supprimés pour une partie de la population, façonnée notamment par les manœuvres politiques, les idées des acteurs et actrices influent-e-s, et le contexte des institutions d’aide au développement et de leurs multiples projets (le rôle d’ECHO étant central en raison de l’ampleur de son financement). La production de preuves scientifiques par des acteurs et actrices légitimes pouvant être mobilisées par des courtiers de connaissances, des ONG et des militant-e-s a également été déterminante.

Si l’on se réfère aux propositions de Hall (1993) sur les paradigmes de politique publique, on pourrait dire que nous assistons à un changement de troisième ordre, puisque l’abolition du paiement des frais d’utilisation et l’évolution de la réflexion autour de cette question ont conduit à la formulation d’une nouvelle politique publique d’exemption des frais d’utilisation dans le but explicite de réaliser la CSU. Ce changement de paradigme a été rendu possible en partie grâce à la mobilisation de coalitions plaidantes (Lemieux, 2002) agissant comme des entrepreneurs et entrepreneuses politiques (Béland, 2016; Ridde, 2009), ainsi que par le nombre croissant d’acteurs et d’actrices au fur et à mesure de l’avancement du processus et du dépassement des seuls débats techniques, comme l’a suggéré Hall (1993). Une analyse approfondie sera nécessaire pour explorer le rôle des « entrepreneur-e-s politiques à succès » (Weible & Cairney, 2018) dans la définition de l’agenda politique. Notre réflexion nous amène à penser que les ONG internationales et nationales (avec leur expertise spécifique) ainsi que leurs donateurs et donatrices (notamment ECHO) ont largement joué ce rôle d’entrepreneurs et d’entrepreneuses politiques. Des recherches indépendantes seront nécessaires pour mieux comprendre ce rôle (Gautier & Ridde, 2017; Khan et al., 2018).

Les investissements considérables, consentis non seulement pour générer des connaissances, mais aussi pour les mobiliser par le biais d’activités de courtage de connaissances, de techniques de narration et de promotion ont certainement contribué à cette décision politique et à l’évolution des idées (Davidson, 2017; Weible & Cairney, 2018). De plus, ces investissements ont été réalisés sur une très longue période, mobilisant non seulement des scientifiques internationaux, internationales et nationaux, nationales reconnu-e-s, mais aussi des acteurs et actrices de la société civile. La légitimité de ceux et de celles qui ont produit et présenté les résultats de la recherche a certainement été un facteur positif dans la prise en compte des preuves. La patience, l’accumulation des preuves et l’organisation d’une large coalition d’acteurs et d’actrices ont certainement été des facteurs de succès. Nous avons vu que des obstacles étaient parfois dressés pour empêcher la diffusion des preuves dans les médias, et les ONG ont dû accepter que, pour que leur plaidoyer soit efficace, elles devaient prendre en compte les questions politiques.

Les partenariats entre chercheurs et chercheuses et ONG peuvent être avantageux et, comme en Ouganda et en Éthiopie, les efforts coordonnés des acteurs transnationaux et actrices transnationales sont un facteur de réussite pour influencer les États (Hickey et al., 2018). Au cours du processus décrit ici, des recherches sur les activités de transfert de connaissances ont même été menées pour améliorer la stratégie et la rendre plus efficace (Dagenais et al., 2013; D’Ostie-Racine et al., 2016). La science de l’utilisation de la science (Langer et al., 2016) a donc été d’une aide indéniable, et « enfin, il est important de reconnaître le rôle central que jouent les chiffres et le raisonnement scientifique dans de nombreux problèmes publics » (Neveu, 2017 : 13). Il était également essentiel de travailler avec des chercheurs et chercheuses ouvert-e-s (et d’autres qui le sont devenu-e-s), prêt-e-s à s’investir dans cette aventure de longue haleine, acceptant de publier les résultats d’abord auprès des décideurs nationaux et décideuses nationales (en français et en utilisant un vocabulaire profane[7], avant de les diffuser dans des revues scientifiques internationales de renom —des stratégies pour lesquelles les institutions académiques ne sont pas encore très bien préparées.

Le changement de paradigme politique ne peut s’expliquer uniquement par les développements pratiques des instruments politiques, mais aussi, comme le suggère Hall (1993) par le fait que « l’apprentissage social en tant que mécanisme causal suggère que le changement de paradigme se produit par une délibération fondée sur des preuves de la réussite ou de l’échec des politiques (« apprentissage »), complétée par une lutte externe pour les ressources institutionnelles (« prise de pouvoir ») » (Wood, 2015 : 6). Ainsi, l’évolution des idées concernant les instruments politiques a certainement été un facteur d’influence aussi essentiel (Béland, 2016) que l’évolution du pouvoir et des intérêts (Béland, 2010); cela a été clairement démontré en ce qui concerne la politique de CSU au Rwanda où l’analyse historique a montré qu’« outre le pouvoir, les idées comptaient »[8]. En ce qui concerne l’exemption de frais d’utilisation, l’abondance de preuves produites localement a certainement eu un impact pour contrer les idées préconçues. Ainsi, l’utilisation des résultats de la recherche dans ce contexte a non seulement contribué à faciliter la prise de décision, mais a certainement aussi permis de changer les idées sur le plan conceptuel (Weiss, 1979). En particulier, elle a nécessité « le travail de séduction des journalistes » (Neveu, 2017 : 14) et des décideurs et décideuses politiques pour « considérer les “biais cognitifs” du point de vue des décideurs politiques au lieu de les déplorer du nôtre » (Cairney & Kwiatkowski, 2017 : 4). Contrairement au Rwanda, où les idées des fonctionnaires sur les frais d’utilisation sont restées statiques et se sont concentrées sur un autre type de politique pour la CSU [9], les idées des décideurs et décideuses au Burkina Faso ont évolué vers l’acceptation de l’abolition du paiement des frais d’utilisation.

Par ailleurs, il ne faut pas minimiser le rôle essentiel du soulèvement de fin 2014, la fameuse « fenêtre d’opportunité » de Kingdon (1995), entre autres facteurs, pour expliquer l’émergence des politiques publiques. Le défi consiste maintenant à mieux comprendre le rôle de ce type d’événement dans une société burkinabè caractérisée à l’époque comme semi-autoritaire (Hilgers & Mazzocchetti, 2010) étant donné que le concept et l’approche de Kingdon (1995) ont été développés aux États-Unis d’Amérique, une démocratie libérale, dans les années 1980.

Leçons tirées pour une prise de décision fondée sur des données probantes

À la suite des résultats de notre réflexion, nous proposons quelques enseignements pour les quatre principaux types d’acteurs et d’actrices concerné-e-s par le désir de mieux prendre en compte les données probantes dans la prise de décision politique.

Pour les États et les décideurs et décideuses des bailleurs de fonds

  • Financer et évaluer des projets pilotes afin de produire des preuves d’innovation tout en impliquant les chercheurs et les chercheuses à tous les stades;
  • Attendre les résultats des projets pilotes avant de passer à une plus grande échelle;
  • Inclure systématiquement dans les budgets d’intervention le financement des évaluations et des activités de transfert de connaissances;
  • Recruter, former et mobiliser les personnes ou les services responsables des activités de transfert de connaissances;
  • Prendre en compte la source de production des preuves scientifiques dans un contexte où il y a une forte présence de multiples donateurs internationaux et donatrices internationales.

Pour les chercheurs et chercheuses

  • Identifier les entrepreneurs et entrepreneuses politiques et établir des partenariats avec eux et elles de manière précoce et régulière;
  • Persévérer et être cohérent-e dans la production de preuves rigoureuses et utiles;
  • Tenir compte du contexte lors de la production de preuves (qui finance quoi, à quelles fins et utilisations prévues, etc.);
  • Privilégier les équipes indépendantes pour l’évaluation des interventions et promouvoir l’utilisation de méthodes mixtes;
  • Valoriser la validité externe des résultats de la recherche de la même manière que la validité interne;
  • Diffuser régulièrement les résultats de la recherche sous une forme adaptée au public cible;
  • Anticiper les besoins en connaissances des décideurs et décideuses et formuler des recherches qui tentent d’y répondre.

Pour les courtiers et courtières de connaissances

  • Être bien formé-e aux processus et aux outils de transfert de connaissances;
  • Former les décideurs et décideuses et les chercheurs et chercheuses au transfert de connaissances;
  • Former les chercheurs et chercheuses aux processus de décision politique et les décideurs et décideuses aux questions de production de connaissances;
  • Adapter (contenu, format, vocabulaire, langue, etc.) les données probantes en étroite collaboration avec les chercheurs et chercheuses et les diffuser auprès de différents publics cibles;
  • Comprendre les différentes logiques des chercheurs et chercheuses et des décideurs et décideuses et agir comme intermédiaire entre ces deux mondes pour favoriser leur interaction;
  • Analyser les processus de décision politique spécifiques au contexte national ainsi que les contextes sociaux et politiques favorables (ou non) à la prise de décision, afin de pouvoir saisir les opportunités;
  • Comprendre le contexte dans lequel les médias opèrent;
  • Établir des partenariats avec des organisations de la société civile spécialisées dans ce domaine (santé, éducation, transport, etc.).
Pour les acteurs et actrices de la société civile
  • Mettre en commun les efforts sous la forme d’un consortium pour stimuler les actions de sensibilisation;
  • Travailler en étroite collaboration avec les chercheurs et chercheuses afin d’établir des preuves pour faciliter les actions de sensibilisation;
  • Identifier et collaborer avec les acteurs et actrices clés, les décideurs et décideuses et les fonctionnaires qui sont en mesure de s’engager dans des actions de sensibilisation fondées sur des données probantes afin de changer les mentalités et les méthodes de travail;
  • Soyez patient-e et persévérant-e dans votre plaidoyer pour un changement social et comportemental afin d’améliorer la santé de la population.

Conclusion

Il y a plus de dix ans, nous avions montré comment le manque de considération pour l’équité dans les politiques de santé au Burkina Faso s’expliquait en partie par l’absence d’entrepreneurs et d’entrepreneuses politiques mobilisé-e-s pour saisir les opportunités (Ridde, 2008). L’histoire ne semble pas s’être répétée. Néanmoins, le processus a pris un temps relativement long et a nécessité un ensemble très important de preuves générées par des interventions financées de manière fiable par des donateurs et donatrices motivé-e-s par le changement, la mise en œuvre de multiples stratégies de transfert de connaissances, les efforts d’entrepreneurs et d’entrepreneuses politiques collectifs et individuels, des coalitions de plaidoyer efficaces et patientes, aidés par une importante fenêtre d’opportunité qu’ils et elles ont saisie et utilisée à bon escient. Le rôle de la preuve dans la prise de décision autour de cette politique nationale d’exemption du paiement des soins de santé au Burkina Faso était donc essentiel, mais certainement ni plus ni moins que tous ces autres facteurs dont les contributions individuelles sont certainement impossibles à évaluer.

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  1. Ce chapitre est une traduction d’un article publié en anglais et remanié/réduit pour cet ouvrage : Ridde, V. & Yaméogo, P. (2018) "How Burkina Faso used evidence in deciding to launch its policy of free healthcare for children under five and women in 2016", Palgrave Commun 4(119) :https://doi.org/10.1057/s41599-018-0173-x.
  2. Voir l'introduction de l'ouvrage
  3. Voir le chapitre de Carillon et Ridde
  4. Voir les deux chapitres de Hoa T. Nguyen
  5. Disponible sur : https://ouagadougou2013.sciencesconf.org
  6. Disponible sur : http://www.equiperenard.ca
  7. Voir, par exemple, le cas nigérien (Dalglish et al., 2017).
  8. Voir le chapitre de Chemouni
  9. Voir le chapitre de Chemouni

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