Préface
Ndèye Bineta MBow Sane
Depuis quelques années, la couverture sanitaire universelle (CSU) demeure un grand défi pour les pays africains. Ces pays ont commencé à mettre en œuvre des politiques publiques pouvant améliorer l’accès aux soins de santé des populations en général et des indigent-e-s en particulier. La mise en œuvre de ces politiques diffère d’un pays à un autre. À l’exception de quelques pays comme le Rwanda, qui a su asseoir à un temps record l’accès universel aux soins de santé de sa population, les autres ont du chemin à faire pour tendre vers la CSU. Pour le moment, la plupart des systèmes de protection sociale ne couvre pas une grande partie de la population. L’atteinte de la CSU exige la disponibilité d’une offre de soins de qualité, une levée des barrières financières dans l’accès aux soins de santé et une bonne gouvernance. Ceci constitue un enjeu énorme pour l’atteinte des objectifs du développement durable (ODD).
Les mécanismes développés pour tendre vers la CSU dans beaucoup de pays ont consisté à développer l’assurance maladie non obligatoire à travers l’adhésion aux mutuelles de santé communautaire du secteur informel et du monde rural. En outre, pour les couches vulnérables et les indigent-e-s, certains États ont mis l’accent sur des politiques de gratuité afin de leur faciliter l’accès aux soins de santé. Le plus souvent, ces mécanismes ont montré leurs limites. Le caractère non obligatoire de l’assurance maladie est un levier qui ne facilite pas l’atteinte d’une CSU des populations. À cela s’ajoute la non professionnalisation de la gestion des mutuelles de santé communautaire qui entraine un faible taux de pénétration, un faible taux de recouvrement et une absence de défense des droits du patient ou de la patiente. Ces limites observées devraient pousser les États à réfléchir à des reformes qui permettraient d’accéder à une CSU en s’appuyant sur la professionnalisation des structures en charge de la demande de soins mais également sur la proposition de modèle qui rendrait l’assurance maladie obligatoire.
En effet, la professionnalisation de la gestion d’une assurance maladie communautaire a montré ses preuves au Sénégal à travers la mise en place des Unités Départementales d’Assurance Maladie (UDAM). Ainsi, du côté de la demande, les UDAM de Koungheul et de Foundiougne sont une réponse adéquate pour l’objectif de couverture de 75% d’ici 2021 visé par le Plan Stratégique de Développement de la Couverture Maladie Universelle au Sénégal.
L’UDAM de Foundiougne, créée en mai 2014, est une mutuelle de santé communautaire à grande échelle, professionnalisée et agréée par le ministère de la Santé et de l’Action Sociale (MSAS). Il s’agit d’un modèle innovant d’assurance maladie qui prend le département comme zone d’intervention en impliquant les collectivités territoriales, plus précisément les Maires dans les instances de décision. Cette innovation de taille a permis d’obtenir une implication effective des collectivités territoriales dans les prises de décision et dans l’enrôlement des personnes indigentes. Par exemple, en 2020, les collectivités territoriales ont mobilisé 12 millions de FCFA pour l’enrôlement de 4000 bénéficiaires dans la mutuelle de Foundiougne.
En plus de disposer des organes statutaires régaliens des mutuelles de santé communautaire (assemblée générale, conseil d’administration, comité de contrôle), l’UDAM est dotée d’un personnel technique professionnel : directrice, gestionnaire comptable, médecin conseil, assistants administratifs et assistantes administratives ainsi qu’agents collecteurs et agentes collectrices. Ce personnel technique exerce son travail par mandat de délégation de pouvoir du conseil départemental. Dans ce système d’assurance maladie, la redevabilité est un élément de taille. La transparence et la bonne gouvernance ont permis de renforcer la confiance des populations. La bonne représentation de la population dans les instances de décision fait qu’elle participe aux prises de décision.
Le mode d’achat de soins de l’UDAM est la tarification forfaitaire. Il a permis d’apporter plus de transparence dans l’offre de soins, une rationalisation de la prescription, une prise en charge entière de l’épisode maladie, une prévisibilité des dépenses de soins et enfin, une prévision des dépenses et des recettes des structures de santé. Toutes les structures sanitaires du département appliquent la tarification forfaitaire. La portabilité des soins au niveau départemental facilite l’accès aux soins de santé aux bénéficiaires. L’UDAM exerce également un contrôle sur la qualité des soins.
La création de l’UDAM a eu des effets positifs. En six ans, le taux de pénétration est passé d’environ 2,4% en 2014 à près de 56% en 2020. La satisfaction des bénéficiaires est illustrée par un très bon taux d’utilisation des services de soins (88%) qui est le nombre de cas rapporté aux bénéficiaires en cours de droit et un taux de fidélisation (nombre de bénéficiaires de l’année N-1 ayant renouvelé leurs cotisations à l’année N) très appréciable de 78%. En outre, 80% des patient-e-s ayant utilisé les services de santé au centre de santé (hôpital de district) de Sokone sont des personnes mutualisées.
La viabilité financière du modèle est appréciable malgré le retrait d’un projet d’appui en juin 2017. Les charges de prestation et celles de fonctionnement sont bien partagées. Le taux de fonctionnement, qui est la part des cotisations réservées au fonctionnement de l’UDAM, est de 13% et le taux de sinistralité (montant des charges de prestations rapporté aux cotisations acquises) est de 53%. La professionnalisation de la gestion a certainement impacté les recouvrements des cotisations, qui sont à plus de 70%.
Au Sénégal comme ailleurs, la fragmentation du système de santé constitue un frein qui ne facilite pas le contrôle des flux financiers injectés dans le secteur de la santé. Cette fragmentation s’est amplifiée dans beaucoup d’États comme le Sénégal avec la création de 676 mutuelles de santé percevant des subventions. Les pays africains gagneraient à centraliser le financement de la santé à une seule entité capable d’absorber et de gérer tous les financements dédiés à la santé. Développer des mécanismes de financement endogènes (taxe sur la communication, taxe sur le tabac, etc.) pourrait permettre d’asseoir un système de protection sociale efficient et efficace. Avec les adhésions villageoises à travers les champs collectifs, certains villages du département de l’UDAM ont des taux de couverture de 100% depuis 2016. Dans le financement de la santé, l’UDAM a joué un rôle important dans les districts du département de Foundiougne. Ainsi, 56% de leurs recettes proviennent de l’UDAM. Entre 2014 et 2020, l’UDAM a supporté des charges de prestations de presque 900 millions de FCFA dont 47% sont liés aux charges de l’épisode de la grossesse. Les effets obtenus par l’UDAM ont conduit à l’expérimentation du modèle dans les deux autres départements de la région de Fatick (Fatick et Gossas) par l’Agence Nationale de la CMU (ANACMU) avec l’appui de LuxDev. L’UDAM a fait des émules et d’autres départements du Sénégal sont intéressés par le modèle.
L’atteinte de la CSU pourrait être une réalité dans certains pays africains à l’horizon 2030 à condition qu’il y ait une forte implication des politiques. Une approche holistique, intégrante de tous les secteurs (santé, infrastructures, demandes de soins, finances, société civile, etc.) permettrait de créer les conditions favorables facilitant la disponibilité des services de santé de qualité, l’accès équitable à la santé avec des organismes de protection sociale forts.
En ma qualité de Directrice d’une grande Unité d’Assurance Maladie (UDAM), j’invite la communauté internationale scientifique et les responsables des systèmes de santé en Afrique à lire avec beaucoup d’attention les chapitres de ce livre qui évoquent les politiques, les stratégies et les défis pour tendre vers la CSU.
Directrice de l’UDAM de Foundiougne