12 Mobiliser le récit de vie pour appréhender le rapport non traditionnel avec les études. Retour réflexif sur une démarche de recherche
Isabelle Vachon et Claire Moreau
Résumé
Dans le cadre d’une recherche portant sur le parcours et l’expérience d’apprenantes et d’apprenants au rapport non traditionnel avec les études, 40 récits de vie ont été recueillis par trois chercheuses aux affinités différentes avec l’entrevue de type récit de vie et l’approche biographique. En tout, 21 personnes inscrites dans un programme d’enseignement collégial[1] et 19 personnes inscrites dans un programme d’enseignement universitaire « se sont racontées » entre décembre 2021 et février 2022 au Québec (Canada) en mode virtuel. Ce chapitre propose un retour réflexif sur la démarche mise en œuvre. Il porte un regard sur les éléments essentiels de la collecte de récits, sur les particularités de la rencontre avec les participants et les participantes dans un contexte pandémique, ainsi que sur l’analyse des données et le développement de l’identité des chercheuses.
Abstract
As part of research on the pathway and experience of learners who have a non-traditional relationship with education – fourty life stories were collected by three researchers. These researchers all had different approaches to this type of life story interview as well as the biographical approach. Between December 2021 and February 2022, 21 individuals enrolled in a college education program[2] and 19 individuals who were enrolled in a university education program in province of Quebec (Canada) spoke online about their life experience. This chapter offers a thoughtful review of the approach implemented. It highlights the essential elements in the participants’ life stories, including the specific nature of conducting interviews in the context of a pandemic. It also presents the analysis of the data and the development of the researchers’ identity.
Remerciements
Les autrices ne sauraient passer sous silence la contribution essentielle de Diane Yao et la remercient chaleureusement pour sa collaboration et son apport au projet ainsi qu’aux réflexions qui en ont découlé.
Le récit de vie, comme outil de collecte de données et dispositif de recherche, est approprié pour « ouvrir des lieux de paroles mal recensées et des univers socioculturels difficiles d’accès » (Bah, Ndione et Tiercelin, 2015, p. 5). C’est dans cette perspective qu’une recherche basée sur le récit de vie (Bertaux, 2016; Desmarais, 2021) a été réalisée au Québec entre l’automne 2021 et l’hiver 2022. Cette étude visait à saisir l’incidence du rapport non traditionnel avec les études sur les parcours d’apprenant·e·s du postsecondaire. Alors que le rapport non traditionnel avec les études se traduit par le fait de ne pas se situer dans la trajectoire postsecondaire linéaire traditionnellement attendue et de concilier sa scolarité avec la parentalité ou une activité professionnelle (Paquelin, 2020; Soares, 2019), le récit de vie a permis de mettre au jour les voix et les réflexions sur l’expérience et les parcours de ces apprenant·e·s dont le vécu est plus souvent appréhendé à partir d’indicateurs d’échec et d’abandon scolaires (Babb, Rufino et Johnson, 2021). En plus de révéler les situations de vulnérabilité et les obstacles, parfois systémiques, auxquels les apprenant·e·s au rapport non traditionnel avec les études sont confronté·e·s, la recherche menée grâce aux récits de vie offre un regard nouveau sur cette population qui fait encore l’objet de peu d’attention de la part des milieux d’enseignement postsecondaire.
Ce chapitre rend compte de la démarche de recherche mise en œuvre pour appréhender le rapport non traditionnel avec les études d’apprenant·e·s du postsecondaire. La recherche menée et ses lignes directrices sont d’abord explicitées. Un retour réflexif est ensuite proposé sur le dispositif de recherche autant au regard de la collecte des données et de leur analyse, que sur la façon dont la relation entre les chercheuses et les personnes interrogées teinte le récit (Bah, Ndione et Tiercelin, 2015; Demazière, 2011). Enfin, la conclusion met en lumière l’occasion de réflexion sur soi qu’apportent les approches narratives autant pour les personnes interrogées que pour les chercheuses.
La recherche menée et ses lignes directrices
Le phénomène à l’étude
Traditionnel ou non, le rapport avec les études est une notion issue de la sociologie de l’éducation qui permet de caractériser les apprenant·e·s au postsecondaire pour en explorer l’hétérogénéité (Julien et Gosselin, 2015). Est qualifiée d’apprenante au rapport traditionnel avec les études, toute personne inscrite en formation initiale qui s’investit exclusivement dans ses études et suit un « cheminement ininterrompu, linéaire et collé à la structure éducative nationale » (CSE, 2013, p. 12). Par opposition, les apprenant·e·s au rapport non traditionnel avec les études sont généralement âgé·e·s de plus de 25 ans, ont retardé leur fréquentation de l’université d’un an ou plus et doivent répondre à plusieurs obligations professionnelles ou familiales (parentalité ou proche-aidance) qui les contraignent à étudier à temps partiel la plupart du temps (ACDEAULF, 2012; Babb, Rufino et Johnson, 2021; CSE, 2013; Remenick, 2019). En ce sens, elles ne sont pas exclusivement engagées dans leurs études.
Alors que la diversité en enseignement postsecondaire est souvent étudiée sous l’angle de la diversité des besoins (Philion, 2020), de la diversité ethnoculturelle et sociale (Bikie Bi Nguema et al., 2020; Kanouté et Lafortune, 2020; Kanouté et al., 2020; Lafortune, Prosper et Datus, 2020) ou encore de la diversité de genre, notamment en lien avec l’homophobie et la transphobie dans les milieux d’études (Chamberland et Puig, 2016), les études n’incluent pas (ou ne considèrent pas) le rapport non traditionnel aux études comme une composante de la diversité de la population apprenante. Pourtant, de plus en plus nombreuses à fréquenter les établissements d’enseignement supérieur, la présence grandissante d’apprenant·e·s qui ne s’inscrivent pas dans les trajectoires traditionnellement attendues, mais surtout leur rapport non traditionnel avec les études, redéfinit le contour de la population apprenante inscrite dans les programmes de premier cycle (Paquelin, 2020; Soares, 2019).
D’ailleurs, si de manière générale, les études soulignent les enjeux vécus par les enseignants et par les enseignantes quant à la diversité (Dubé et al., 2016), les enjeux vécus par les apprenant·e·s sont, quant à eux, rarement documentés à partir de leur expérience de personne apprenante. Il existe donc encore peu de connaissances sur le rapport non traditionnel avec les études. C’est pour combler ce manque de connaissances sur une population apprenante de plus en plus présente dans les milieux d’enseignement postsecondaire que la recherche poursuit l’objectif de décrire les parcours des apprenant·e·s au rapport non traditionnel avec les études au postsecondaire.
La méthode utilisée
Une recherche qualitative a été menée pour faire émerger de nouvelles connaissances à partir de l’expérience vécue et du sens donné aux phénomènes par les apprenant·e·s au rapport non traditionnel avec les études (Creswell, 2012; Lincoln, 2010). Par son approche inductive, cette recherche a ouvert une porte pour entrer dans le monde des personnes participantes, pour l’appréhender et pour le représenter, mais aussi pour expliquer et comprendre la signification de leurs émotions, de leurs croyances, de leurs valeurs, de leurs actions et de leurs comportements, et ce, depuis leur perspective de participants et de participantes (Anadón et Guillemette, 2007; Corbin et Strauss, 2008; Morse, 2011; Yin, 2011).
C’est dans ce contexte que le récit de vie a été mobilisé comme outil de collecte de données. À travers « la production dialogique d’un discours improvisé sans notes […] se fondant sur la remémoration spontanée des principaux évènements tels qu’ils ont été vécus […] dans un souci réel de véridicité/véracité » (Bertaux, 2016, p. 79), les participant·e·s ont été invitées à témoigner de leur expérience singulière d’apprenant·e au rapport non traditionnel avec les études. Le récit, provoqué, a donc pris forme dès que la personne « s’est racontée » à travers un moment particulier de son vécu dans un contexte spécifique à un moment donné, soit alors qu’elle était apprenante inscrite dans un programme de premier cycle universitaire ou dans un programme d’études au collégial (Bertaux, 2016).
Les récits recueillis ont été construits par les participant·e·s à partir de leur parcours. Les participant·e·s se sont dévoilé·e·s et ont précisé les détours, les moments-charnières ou les personnes clés qui ont contribué à leur expérience, et ce, grâce aux encouragements des chercheuses qui ont recueilli leur récit. Ainsi, ce dispositif de recherche, ancré dans les approches narratives, aura permis de saisir autant les situations vécues et les actions entreprises que les moments suspendus (Bertaux, 2016). Dans cette perspective, laisser parler les apprenant·e·s de leurs parcours scolaire et de vie a non seulement fait émerger leurs savoirs d’expérience, mais a aussi amené à se centrer sur les éléments de leur réalité telle que vécus (Thériault, 2020).
Dans ce contexte, les questions posées avaient toutes pour intention de faire parler les participant·e·s pour les faire raconter leur histoire. En ce sens, ces personnes pouvaient choisir de raconter leur parcours à partir du moment où elles le souhaitaient et d’aborder différents éléments de leur vécu (leurs relations avec les collègues étudiantes et étudiants, avec les professeures et professeurs, l’accompagnement reçu ou encore la conciliation des différentes sphères de leur vie personnelle et professionnelle). Une fois l’entrevue formellement terminée, et à micro fermé, les participant·e·s étaient invité·e·s à dire comment elles avaient vécu l’entrevue. Chaque entrevue a duré de 25 minutes à deux heures selon ce que les personnes ont souhaité partager à ce moment-là.
La collecte de données s’est déroulée à distance au Québec entre l’automne 2021 et l’hiver 2022, et ce, grâce à une application en ligne. Les participant·e·s ont été sollicité·e·s dans les milieux d’enseignement collégial et universitaire grâce une invitation lancée dans leurs institutions respectives. Ces personnes avaient toutes les caractéristiques suivantes :
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Être inscrites dans un programme au postsecondaire (collégial ou universitaire), et
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Avoir complété au moins deux sessions d’études à temps plein ou à temps partiel, et
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Être inscrites à au moins un (1) cours dans son programme pendant la session d’hiver 2022.
Les personnes interrogées avaient également au moins une des caractéristiques suivantes :
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Ne pas avoir été élèves ou étudiantes dans un établissement d’enseignement secondaire ou collégial au cours de l’année au cours de l’année 2020-2021, ou
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Avoir 25 ans et plus, ou
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Occuper un emploi rémunéré à temps plein, ou
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Être parents aux études d’un enfant mineur en garde pleine ou partagée, ou
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Avoir un parent proche à charge (père, mère, frère, sœur, grand-mère, grand-père).
Au total, 21 personnes au collégial (dont 4 s’identifiant comme apprenants et 17 s’identifiant comme apprenantes) et 19 personnes à l’université (dont 8 s’identifiant comme apprenants et 11 s’identifiant comme apprenantes) ont participé à la recherche. Les profils d’études des participant·e·s étaient très variés au niveau collégial (techniques en soins de santé, en bureautique ou en informatique). Au niveau universitaire, les participant·e·s étaient exclusivement inscrit·e·s dans l’un des baccalauréats en enseignement de la formation professionnelle offerts à travers le Québec, mais les secteurs de formation professionnelle étaient eux aussi très variés (soins à la personne, mécanique, coiffure, agriculture, etc.). En sus, ces dernières et ces derniers sont à la fois apprenant·e·s en formation à l’enseignement et – pour la plupart – enseignant·e·s en formation professionnelle dans leur secteur, à temps plein ou partiel dans les centres de formation professionnelle du Québec.
Trois chercheuses ont mené les entrevues et analysé les données. Leur rapport à la méthode et à l’entretien de type récit de vie diffère au regard de leur propre expérience de chercheuse. La chercheuse principale est professeure adjointe. Ses travaux ont permis la compréhension de l’expérience d’éducatrices de jeunes enfants, apprenantes au rapport non traditionnel avec les études inscrites dans une formation continue en ligne, entre autres grâce à la mobilisation du récit de vie (Moreau, 2017; Moreau, Royer et Royer, 2019). La seconde chercheuse, doctorante en éducation, était stagiaire doctorale en recherche au moment de la mise en œuvre de l’étude. Enseignante en sociologie au cégep, elle prend également part à divers projets de recherche à titre d’enseignante-chercheuse. Il s’agissait pour elle d’un premier contact avec les approches biographiques et le récit de vie. La dernière chercheuse était assistante de recherche dans le cadre du projet de recherche. Enseignante en sciences économiques au cégep, elle est étudiante au doctorat professionnel en éducation dans le cadre duquel elle travaille sur la pédagogie inclusive et son implantation avec des enseignantes et des enseignants du milieu collégial. Elle n’avait jamais utilisé le récit de vie auparavant.
Tout au long du projet, ces trois chercheuses se sont réunies pour échanger et faire le point sur les enjeux qu’elles rencontraient et sur leur expérience de personnes engagées dans l’écoute du vécu des participant·e·s à la recherche. Elles ont également mené ensemble la première partie de l’analyse des données. À ce jour, les récits recueillis en milieu collégial sont toujours en cours d’analyse. Les données recueillies au niveau universitaire ont été traitées en alternant les moments d’analyse individuelle et les moments d’analyse collective. Les chercheuses ont d’abord réalisé individuellement des analyses diachroniques et thématiques de quelques entrevues (Bertaux, 2016). Elles se sont ensuite réunies pour mettre en commun le fruit de ces premières analyses. Chacune a alors pu rendre compte aux deux autres de la reconstitution des premiers parcours diachroniques et des thèmes ayant émergé de manière inductive. Ces échanges menant à une analyse collective ont permis de faire émerger les prémisses de moments-clés liés aux parcours des apprenant·e·s ainsi que de préciser certains des enjeux vécus par les apprenant·e·s. Cela fait, les chercheuses ont poursuivi individuellement les analyses diachroniques et thématiques des récits restants. Le dernier moment d’analyse collective a permis de faire ressortir les récurrences dans les parcours des apprenant·e·s au rapport non traditionnel avec les études et les enjeux inhérents à ces parcours. C’est ainsi qu’ont été créés trois parcours généraux d’apprenant·e·s au rapport non traditionnel avec les études, inscrites au baccalauréat en enseignement de la formation professionnelle, chacun ayant permis de spécifier un moment clé déterminant dans les parcours. De plus, quatre enjeux spécifiques ont été identifiés comme essentiels dans le cadre de ces trois parcours généraux (Yao, Vachon et Moreau, 2022). Au cours de ce processus (voir figure 1), les chercheuses ont confronté leurs points de vue sur les données. À la suite de cette étape nommée « interanalyse » (Legrand, 1993), les résultats s’en sont trouvés plus robustes et rigoureux puisque ces trois chercheuses, aux profils différents, ont pu valider leurs analyses et leurs interprétations.
Les grandes lignes de la recherche maintenant dessinées, les prochaines parties du texte mettent en lumière les réflexions suscitées pendant et après la démarche de collecte et de coanalyse des récits recueillis auprès d’apprenant·e·s au rapport non traditionnel avec les études, plus particulièrement auprès de ceux et de celles engagé·e·s dans un baccalauréat en enseignement de la formation professionnelle.
Quand recueillir un récit signifie accéder à l’autre et à soi
Alors que les trois chercheuses ont réalisé les entrevues de type récit de vie, le recours à cette méthode a suscité chez elles maintes réflexions sur la profondeur des données recueillies, la relation entre chercheuses et personnes interrogées et leur posture de chercheuses. Les chercheuses ont également pu apprécier les particularités de cet outil méthodologique et de l’approche biographique qui leur a permis d’accéder petit à petit à plusieurs espaces liés à des moments d’autoanalyse des personnes, à une partie de leur intimité (leur expérience, leur vécu), mais aussi de mieux se connaitre comme chercheuses. Les prochaines sections présentent les résultats de ces réflexions.
Accéder à la dynamique identitaire de l’autre
Alors que la présente étude se voulait exploratoire, le canevas d’entrevue de type récit de vie comprenait des questions non dirigées invitant les participant·e·s à raconter leur parcours, sans préciser le point de départ du récit ni imposer de thèmes. Seules les grandes lignes étaient annoncées et les chercheuses restaient alertes pour encourager les participant·e·s à préciser leurs réponses ou à donner plus de détails si elles le souhaitaient. Ce choix méthodologique a permis de faire ressortir ce qui semblerait être vraiment significatif pour la personne et de faire émerger des thèmes inattendus.
À titre d’exemple, les chercheuses n’avaient pas anticipé que les apprenant·e·s, faisant un retour aux études pour devenir enseignantes et enseignants à la formation professionnelle, leur parleraient autant de leur sentiment d’être entre deux mondes : celui du métier, de la pratique, et celui de l’universitaire, de la théorie. Dans leurs récits, les chercheuses ont décelé toute une réflexion des apprenant·e·s sur leurs habiletés et une identité professionnelle d’enseignant·e·s construite lors de leur insertion tardive dans le monde universitaire. Ayant d’abord opté pour des études professionnelles (par exemple en mécanique, en esthétique, en bureautique ou en charpenterie-menuiserie), ces personnes percevaient les études universitaires comme inaccessibles et se définissaient davantage comme « manuelles ». Cet univers auquel elles ne pensaient pas appartenir au départ s’ouvre maintenant à elles. C’est ce que raconte Joël dans son récit :
Mon expérience comme étudiant à l’université, moi c’est un petit peu paradoxal, si je peux dire ça comme ça, parce que quand j’avais fini mes formations professionnelles, j’avais toujours dit « Jamais ils vont me voir la face à l’université. Jamais. » Mais là, j’ai une job, pis je suis obligé d’y aller. […] Aujourd’hui, je suis un peu plus vieux. C’est sûr que j’ai maturé […] Est-ce que ça me dérange d’y aller? Ça ne me dérange pas. […] Mon bacc., que je suis en train de faire là, je le vois comme des portes qui peuvent s’ouvrir à moi après. (Joël)
Ces apprenant·e·s se retrouvent maintenant entre deux mondes, avec une double identité, celle construite autour de l’artisanat et celle construite autour de l’enseignement. Le récit permet de faire ressortir cette dualité de l’identité, qui se construit à travers le temps et le parcours de la personne. Au-delà de la reconstitution du parcours de façon diachronique et de l’identification de moments clés ou de facteurs influençant le vécu de la personne, le récit de vie a permis de porter un regard sur la dynamique identitaire vécue par ces apprenant·e·s au rapport non traditionnel avec les études.
Accéder à l’autoanalyse de l’autre en cours de récit
Le récit est une production particulière, créée dans le dialogue entre la chercheuse et la participante ou le participant, qui vise à répondre à des intérêts précis de recherche (Bernard, 2011). Dans ce contexte, les chercheuses et leurs interlocutrices ont signé une forme de contrat au cours duquel il est entendu que les participant·e·s peuvent filtrer leur vécu et ne divulguer que ce qu’ils et elles considèrent comme à la fois important à retenir du récit et comme pertinent pour répondre aux intérêts de la recherche (Bertaux, 2016). Ainsi, le récit « ne rend pas compte des expériences passées qui seraient “conservées” et “récupérées” dans leur intégralité. Il procède plutôt d’une mémoire réactivée qui reconfigure le temps en faisant des sélections, des tris, des réductions » (Bernard, 2011, p. 135). Les entrevues réalisées auprès d’apprenant·e·s inscrit·e·s au baccalauréat en enseignement professionnel se sont avérées riches en informations personnelles touchantes. Triées sur le volet, consciemment ou inconsciemment par les participant·e·s, elles reposent sur une forme d’autoanalyse qui a permis aux chercheuses de relever ce qui s’avère crucial et déterminant dans le parcours d’apprenant·e·s au rapport non traditionnel avec les études, parcours qui se combine souvent avec diverses difficultés vécues.
Premièrement, leur autoanalyse a fait ressortir des freins institutionnels à leur parcours. En effet, les participant·e·s ont, d’une part, parlé de leur réussite et leur motivation dans les études, et, d’autre part, de leurs critiques quant au fonctionnement institutionnel ou à l’organisation des formations. À titre d’exemple, au baccalauréat en enseignement de la formation professionnelle, comme dans tout baccalauréat menant à l’obtention d’un permis d’enseignement au Québec, il est impératif de réussir un test de français, jalon déterminant dans leur parcours. En effet, les apprenant·e·s ne peuvent reprendre le test que deux fois en cas d’échec au premier. Le fait de ne pas le réussir les empêche de poursuivre leurs études, d’obtenir leur diplôme et de poursuivre leur carrière d’enseignant·e·s. Pour des personnes qui effectuent un retour aux études tardif, combiné à un changement de carrière, cette situation génère beaucoup d’appréhension et de stress.
Deuxièmement, les participant·e·s ont identifié des personnes clés qui ont joué un rôle majeur dans leur choix de changer de carrière et de retourner aux études. C’est le cas notamment de Catherine :
Quand j’étais en infirmière auxiliaire, étudiante encore à l’école, j’ai eu une enseignante, puis elle a vraiment changé ma perspective d’où je m’en allais, parce que je n’avais pas vraiment beaucoup d’attentes sur mon futur à ce moment-là. […] Puis, elle, elle a vu un potentiel. Puis, elle m’a encouragée là-dedans. Puis, elle m’a poussée à aller toujours plus loin. […] Elle m’a rappelée, puis elle me dit « Là, ça fait 5 ans, tu as sûrement ton 3000 heures. Envoie ton CV, c’est le temps. Je sais que tu ferais une bonne enseignante, puis let’s go! » (Catherine)
Troisièmement, en racontant leur histoire, les participant·e·s ont aussi signalé divers événements (deuils, grossesses, séparation, mise à pied, déménagement, entre autres) ou conditions (par exemple des difficultés financières, des problèmes de santé mentale ou des troubles d’apprentissage) qui ont fait bifurquer ou mis sur pause leur parcours professionnel et scolaire. Le témoignage de Nadia en est un exemple :
Dans le fond, moi j’ai commencé en avril 2008, l’université. J’ai eu droit — parce que je suis tombée en maladie à travers mon parcours d’enseignante, avec t’sais, bon, l’université à temps plein — c’est à temps partiel, mais on considère quand même que c’est beaucoup d’heures —; plus le travail à temps plein, une tâche à temps plein en enseignement. Mon fils, lui, son école que ça va moins bien, tombe dans l’adolescence, donc ça a été un moment ardu, alors j’ai tombé deux ans en arrêt de travail. (Nadia)
Leur autoanalyse a facilité l’analyse des parcours par les chercheuses puisque les participant·e·s ont été parties prenantes de l’identification des moments forts et des éléments déterminants de leur vécu. Pour les chercheuses, cette contribution des participant·e·s s’est avérée un précieux atout pour l’élaboration de types généraux de parcours (voir Yao, Vachon et Moreau, 2022).
Accéder à l’intime, aux épreuves, aux émotions : une responsabilité éthique
Dans les récits de ces apprenant·e·s au rapport non traditionnel avec les études postsecondaires, la vulnérabilité est palpable. En effet, alors que les participant·e·s étaient invité·e·s à raconter leur parcours, toutes (ou presque) ont révélé quantités d’obstacles qui ont parsemé leur cheminement scolaire et professionnel. Souvent, des épreuves de vie, des difficultés scolaires ou des troubles de santé mentale sont évoqués pour expliquer une décision, un changement de cap, une remise en question ou une pause dans le parcours. Certaines personnes interrogées ont exprimé une grande détresse et de la pression à réaliser leurs études pour éviter de perdre leur travail ou leur poste. Le témoignage de Kevin illustre cet état d’esprit :
Si j’ai pas 49 crédits, ils coupent ma permanence. Je m’en retourne, je tombe en bas de l’échelle, dans le fond, avec les autres profs. Dans le fond, je ramasse les miettes. Les autres profs passent en avant moi, pis je perds ma permanence. C’est ça que je trouve difficile. L’épée de Damoclès au-dessus de ma tête. (Kevin)
Pour les chercheuses, ces informations et ces confidences mènent à penser qu’elles ont réussi à les mettre suffisamment en confiance pour que les participant·e·s se livrent à elles. Bien que les conditions favorisant la communication entre personne interrogée et celle qui interroge fassent l’objet de réflexions théoriques (Boutin, 2018; Savoie-Zajc, 2021; Seidman, 2013), les chercheuses ont, elles aussi, expérimenté l’importance de maintenir un équilibre dans la relation par une interaction « entre le corps, les émotions et les idées de chacun des participants » (Boutin, 2018, p. 62). Plutôt que de viser l’objectivité, parfois perçue comme de la froideur aux yeux de la personne participante, elles ont su faire preuve d’empathie afin de bien « comprendre la personne en se plaçant dans son propre point de vue » (Boutin, 2018, p. 63), notamment à partir du schème de référence de l’interrogée. Il apparait également essentiel de tenir compte de la vulnérabilité de l’interrogée qui partage avec une personne inconnue un pan de sa vie et présente ses difficultés. Toutefois, la personne qui écoute le récit, tout en étant sensible aux confidences, doit aussi veiller à respecter l’intimité de la personne qui livre le récit (Boutin, 2018; Kaufmann, 2004).
Laisser les personnes raconter ce qu’elles trouvent pertinent de communiquer a permis un plus grand respect de l’intimité, toutefois certaines confidences, tels des aveux de dépression majeure ou d’idées suicidaires, ont amené les chercheuses à faire face à leurs responsabilités éthiques. En ce sens, les ressources fournies dans le formulaire de consentement n’ont pas paru suffisantes et ces dernières ont fait des suivis post-entrevue pour s’assurer du bien-être des personnes les plus vulnérables rencontrées. Certaines confidences et détresses avouées des participant·e·s continuent d’ailleurs d’habiter les chercheuses. Elles contribuent toutefois à attiser leur volonté de s’engager à porter leur voix pour améliorer leurs conditions d’apprenant·e·s au rapport non traditionnel avec les études. À cet effet, lors de la constitution des parcours types ayant émergé de l’analyse des données, chaque chercheuse a voulu que les récits des participant·e·s qu’elles avaient respectivement interrogé·e·s soient bien représentés et se faisaient un devoir de transmettre avec fidélité leurs messages pour qu’ils soient pris en compte dans les résultats de la recherche.
Accéder à l’autre dans un dialogue empreint de soi comme chercheuse
Le récit de vie est ancré dans un dialogue et dans une relation sociale « où toute interaction s’inscrit dans des rapports sociaux distribuant des rôles, des pouvoirs, des ressources, et ordonnés par des normes, valeurs et règles » (Demazière, 2011, p. 65). Dans cette perspective, la démarche est empreinte de soi comme chercheuse, de son positionnement, de sa réflexion sur son rôle mais aussi d’intersubjectivité. Trois exemples tirés de cette démarche de recherche illustrent ce dialogue empreint de l’identité des chercheuses et du rapport entre chercheuses et participant·e.s.
D’abord, les chercheuses ont tenté de mettre les participant·e·s à l’aise en menant l’entrevue comme une conversation en posant solidement les bases du dialogue. Néanmoins, l’entrevue non directive a semblé étrange aux premières personnes interrogées. La question de départ, sous la forme « Racontez-moi votre parcours scolaire et professionnel », question qui ne donnait aucun repère temporel précis ni sujet particulier à aborder, a déstabilisé beaucoup de personnes. Celles-ci ne s’attendaient pas à des questions aussi ouvertes et craignaient de ne pas fournir d’informations pertinentes aux chercheuses.
Après quelques entrevues, les chercheuses ont convenu d’avertir les participant·e·s que l’entrevue comprendrait des questions non directives et que la visée de l’étude était exploratoire. Les chercheuses ont insisté sur le fait qu’il n’y avait aucune bonne ou mauvaise réponse. Avec cette introduction préalable, les participant·e·s ont semblé mieux comprendre le contexte de la recherche, prendre plus plaisir à raconter leur vécu et être davantage détendu·e·s. C’est donc l’insécurité ressentie par les participant·e·s qui a amené les chercheuses à mieux expliquer les objectifs et la méthode de la recherche pour les rassurer. Développer une relation empathique, près de la conversation informelle, mais tout en guidant la personne interrogée vers les visées de la recherche s’est donc avéré crucial pour obtenir un récit riche et authentique des participant·e·s (Bertaux, 2016; Boutin, 2018; Kaufmann, 2004).
Deuxièmement, avec un regard rétrospectif sur leur démarche, les chercheuses sont d’avis qu’il se pourrait que les participant·e·s aient dévoilé différents éléments de leur vécu selon qu’ils et elles s’adressaient à la chercheuse-professeure, à la chercheuse-stagiaire ou à la chercheuse-assistante, et ce, pour diverses raisons. Du fait que les chercheuses-étudiantes, elles aussi enseignantes, et les participant·e·s avaient en commun le rapport non traditionnel avec les études, les rapports de pouvoir entre chercheuses-étudiantes et participantes ont peut-être été atténués davantage. Par exemple, au fil des entretiens, des participant·e·s interpelaient la chercheuse-stagiaire en faisant référence à leur possible vécu commun ou à leur âge similaire.
Troisièmement, les chercheuses ont mis en commun leurs constats respectifs sur l’appréciation de l’expérience d’entrevue des participant·e·s. En effet, après chaque entretien, à micro fermé, les chercheuses s’assuraient du bien-être des personnes à la suite des récits dévoilés et leur demandaient de s’exprimer sur leur expérience d’entrevue. Les participant·e·s ont souligné aux chercheuses avoir énormément apprécié raconter leur histoire. Nombreuses sont les personnes qui espéraient que leur témoignage serait utile pour la recherche, tout en soulignant leur insécurité quant à la pertinence de leurs propos. Quelques personnes nommaient également leur espoir que leur contribution permette d’améliorer les conditions d’études d’autres apprenant·e·s. Elles confiaient, en quelque sorte, une mission à la chercheuse, celle de porter leur voix. Ce rôle que leur ont attribué les participant·e·s a entraîné chez les chercheuses une réflexion sur leur identité. Plutôt que d’être seulement en train d’étudier un phénomène dans une posture interprétative (Anadón, 2018), les chercheuses ont réalisé qu’elles avaient aussi le rôle de transformer les conditions étudiantes de ces personnes et de représenter leur position. Les participant·e·s ont donc amené les chercheuses vers une posture plus critique en recherche.
En somme, l’entrevue de type récit de vie, avec ses questions peu dirigées, constitue un puissant outil d’exploration en recherche et les chercheuses ont grandement apprécié la richesse des données qu’il a permis de recueillir. Il reste toutefois nécessaire de bien préparer les participant·e·s à cette forme d’entrevue pour qu’elles en comprennent les tenants et aboutissants et qu’elles se sentent à l’aise de partager leur récit. Il est aussi essentiel de tenir compte de la relation spécifique entre chercheuse et participant·e et des effets possibles de rapports entre elles tout au long du recueil des récits, mais aussi lors de leur analyse et de leur interprétation.
La recherche en temps de pandémie et l’entrevue virtuelle
Fait non négligeable et qui amène son lot de réflexions, la présente collecte de données s’est déroulée pendant la pandémie de COVID-19. Les restrictions sanitaires ont donc obligé les chercheuses à réaliser toutes les entrevues à distance avec une application en ligne ou par téléphone plutôt qu’en présence. Si ces médias ont comme avantages de réduire les coûts et le temps de déplacement pour les équipes de recherche, cette façon de faire peut comporter certaines limites. Parmi celles-ci, il y a le fait que les participant·e·s puissent être mal à l’aise que leur image soit enregistrée ou le risque d’accéder à un niveau moins élevé de confidence de la personne interrogée qu’en présence (Boutin, 2018). Plusieurs stratégies ont été mises en place par les chercheuses pour contrecarrer ces effets potentiellement négatifs et mener à bien la recherche malgré le contexte pandémique.
D’abord, afin d’éviter les malaises, mais aussi pour minimiser les risques pour la personne concernant son anonymat, ses données personnelles et son droit à l’image, seule la voix des participant·e·s a été enregistrée dans le cadre de cette recherche. De plus, une fois le verbatim retranscrit, l’enregistrement était détruit, tel que le préconisent les règles d’éthique de la recherche (Crête, 2021).
Deuxièmement, au regard du niveau de confidence, et donc de la relation créée entre les participant·e·s et les chercheuses, ces dernières ont d’abord pensé que la relation en entrevue pouvait être grandement affectée par l’aspect virtuel de la rencontre. Toutefois, force est de constater que, dans cette recherche, les participant·e·s ont livré des récits très intimes de leur vie, ont exprimé leurs sentiments et émotions et n’ont aucunement mentionné cette limite dans le retour sur leur expérience d’entrevue à micro fermé.
Il n’en demeure pas moins que le fait de réaliser des entrevues avec des apprenant·e·s inscrit·e·s dans des cours en ligne au moment de la collecte et donc déjà à l’aise avec ces technologies a peut-être réduit la limite soulevée par d’autres chercheurs et chercheuses. La qualité des outils utilisés, l’appropriation desdits outils par les participant·e·s pour organiser les rendez-vous virtuels, accepter les rencontres et se connecter n’ont pas suscité de problèmes techniques majeurs lors de la collecte de données, et ce, même s’il s’agit d’un risque associé au recours à ces médias (Boutin, 2018). Il est à souligner, néanmoins, que certain·e·s participant·e·s ont fait part de la fatigue pandémique des écrans et du mode virtuel. De ce fait, deux personnes ont préféré faire une entrevue par téléphone plutôt que par vidéoconférence.
Les chercheuses ont constaté quelques avantages au fait de faire les entrevues à distance. Bien que des éléments en lien avec la posture, la gestuelle ou les expressions corporelles ne puissent être analysés avec autant de précision qu’en présence (Boutin, 2018), il est apparu que le fait de ne pas se rendre dans un endroit neutre et impersonnel tel un local d’une université ou d’un collège, par exemple, soit un avantage. En effet, la personne interrogée se trouve dans son propre environnement lorsqu’elle confie des choses intimes sur elle, son parcours, ses difficultés comme ses grandes joies. Elle peut être rassurée d’avoir à portée de main ses objets familiers et de se trouver dans son milieu, nettement plus chaleureux. En ce sens, l’accès à la personne dans son environnement peut être intéressant et riche en information pour la chercheuse ou le chercheur. De plus, dans ce contexte, les participant·e·s ont aussi pu avoir accès à l’intime des chercheuses, sachant qu’elles se trouvaient elles aussi dans leur lieu de résidence ou de travail personnel. L’entrevue s’est donc déroulée dans une plus grande horizontalité, de personne à personne, chacune dans leur intimité.
Enfin, par sa souplesse, l’entrevue à distance a semblé bien convenir aux participant·e·s rencontrées dans le cadre de l’étude, personnes dont les caractéristiques sont de concilier travail, famille et études.
Conclusion : Entrer en relation avec l’autre et avec soi
Le recours aux approches biographiques pour appréhender les parcours professionnels et scolaires d’apprenant·e·s aux rapports non traditionnel avec les études au postsecondaire semble avoir porté fruit dans le cadre de l’étude présentée.
De la perspective des chercheuses, le récit de vie a amené une meilleure compréhension de la réalité des apprenant·e·s au rapport non traditionnel avec les études et a ouvert à des thématiques auxquelles elles n’avaient pas pensé au départ. Tout au long des entrevues menées par les chercheuses, les récits furent riches en informations et en confidences sur le vécu et les expériences singulières de ces personnes. Le canevas d’entrevue comprenant des questions non directives a ouvert à des thématiques émergentes qui n’avaient pas été anticipées au départ. Les personnes participantes ont, entre autres, raconté leur dynamique identitaire, l’importance de personnes clés dans leur expérience, des événements de vie difficiles et autres épreuves marquantes de leur parcours, ainsi que les obstacles institutionnels qu’elles doivent affronter pendant leurs études. Elles sont allées jusqu’à révéler leur intimité, leur vulnérabilité, parfois même leur détresse.
Au-delà de l’atteinte de l’objectif visé par la recherche, l’approche biographique préconisée a suscité des réflexions chez les chercheuses, notamment sur la relation née entre les personnes qui racontent et celles qui écoutent dans un but avoué de recherche de sens et de diffusion de résultats de recherche. En ce sens, l’interaction entre les chercheuses et les personnes interrogées a eu pour effet la création d’une forme de « lien éthique, fait de don, de confiance et de responsabilité mutuelle […] au-delà du cadre scientifique ou universitaire » (Piron, 2019, p. 209). Le récit de vie comme approche méthodologique a donc mené à une réflexion des chercheuses sur leur rôle auprès des participants et participantes. D’abord affectées par le témoignage des participant·e·s, elles se sont senties impliquées et engagées auprès d’elles. En conclusion, si, au départ, la recherche se voulait exploratoire et descriptive, les apprenant·e·s au rapport non traditionnel avec les études ont amené les chercheuses à le voir comme un projet de recherche critique, à visée transformative (Anadón, 2018). C’est peut-être parce qu’elles se sont engagées dans la relation, au-delà de la posture méthodologique, dans « un acte politique de reconnaissance du sujet pensant, rivalisant avec la parole des experts » (Chartrin, 2019, p. 262) qu’elles ont senti qu’elles devaient porter leur voix. Parce que le récit reconnaît les savoirs expérientiels comme des savoirs pertinents et légitimes, il constitue, de ce fait, un « moyen de résistance aux injustices épistémiques collectives » (Piron, 2019, p. 210) et contre l’« invisibilité des savoirs » des personnes. Les chercheuses ont donc réalisé pleinement le potentiel de changement social du récit, ce récit qui permet de libérer la parole de personnes qui n’ont pas toujours l’occasion de dénoncer des injustices vécues en lien avec leur rapport non traditionnel avec les études ou avec le monde du travail.
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- In Quebec, there is a specific order of post-secondary education : college. College studies follow secondary school and precede university education. The CEGEP (french abbreviation for General and professional teaching college) offer Pre-University and Technicals Programs. For more information, readers are invited to consult the site https://www.quebec.ca/en/education/cegep/studying/overview ↵