2 Les régimes narratifs. Une alliance entre la description phénoménologique et la narration biographique

Hervé Breton

Résumé 

Dans la littérature anglophone, le tournant narratif a été mentionné dès la fin des années 1990, notamment par Denzin en 1989, puis par Kreiswirth en 1994. Situés à la croisée de la recherche narrative et des approches biographiques et éducation et formation, les travaux scientifiques sur les fonctions du récit dans les processus d’enquête en sciences humaines et sociales, mais également en éducation et formation d’adultes, convoquent différentes disciplines : sciences de l’éducation et de la formation, philosophie de l’esprit, sciences du langage, narratologie contemporaine, sciences cognitives. Ce chapitre s’inscrit dans ces courants, en interrogeant deux régimes narratifs de manière croisée : le récit de vie; la description microphénoménologique.

Introduction

L’enquête narrative peut être appréhendée comme un type d’enquête inscrite dans une épistémologie du singulier. En effet, en prêtant attention à la vie de sujets singuliers, les approches narratives permettent de mettre au jour des processus qui participent de la mise en forme de soi et la constitution des savoirs expérientiels. Cependant, et paradoxalement, comme l’ont souligné Pineau et Marie-Michèle en 1983 (1983/2012), il est possible de considérer que la mise au jour de la singularité du vécu manifeste dans le même mouvement, les milieux de vie, les modes de participation à la vie collective, l’écologie de l’histoire de vie.

Ces processus par lesquels le singulier révèle les dimensions collectives et écologiques du vécu sont examinés dans le texte proposé dans ce chapitre[1]. Cet examen est produit à partir de la mise en perspective de deux modalités distinctes pour la mise en mots du vécu : la description microphénoménologique et la narration biographique. Par la mise en perspective de ces deux approches de la narration, l’une ancrée dans les théories de la phénoménologie expérientielle (Depraz, 2009), la seconde ancrée dans la philosophie herméneutique (Dilthey, 1910/1988; Ricœur, 1986; Zaccaï-Reners, 1995), l’étude présentée thématise les processus dialectiques entre les vécus singuliers et l’écologie des biographies. Ainsi, la narration du vécu oscille entre description détaillée et narration de l’expérience dans sa durée. Et, selon cette perspective, les dynamiques de formation par le récit de soi alternent pour ce qui concerne l’appréhension du vécu entre durée et détail.

Les régimes narratifs : du descriptif au biographique

Tout vécu se constitue en tant qu’unité temporelle, soit comme fragment plus ou moins étendu de l’histoire du sujet. Cette dimension temporelle du vécu mérite maintenant un examen approfondi, car elle conditionne les procédés narratifs qui vont être mobilisés pour son exploration. C’est en effet l’une des propositions de Ricœur que d’envisager la réciprocité des formes de temporalisation de l’expérience avec celle de la mise en récit :

Mon hypothèse de base est à cet égard la suivante : le caractère commun de l’expérience, qui est marqué, articulé, clarifié par l’acte de raconter sous toutes ses formes, c’est son caractère temporel. Tout ce qu’on raconte arrive dans le temps, prend du temps, se déroule temporellement; et ce qui se déroule dans le temps peut être raconté. Peut-être même tout processus temporel n’est-il reconnu comme tel que dans la mesure où il est racontable d’une manière ou d’une autre. Cette réciprocité supposée entre narrativité et temporalité est le thème de Temps et récit. (Ricœur, 1986, 14)

Ainsi, il est possible, à partir de la théorie ricœurienne, de postuler l’existence de régimes narratifs, le critère de différenciation étant caractérisé par la durée du vécu de référence à partir duquel la narration se déploie.

Schéma 1 : Dialectiques temporelles entre Vécu de référence [VR] et Vécu narré [VN]

Le schéma proposé ci-dessus propose de différencier le vécu de référence [VR] du vécu narré [VN] pour ensuite formaliser différents régimes narratifs en fonction des dialectiques temporelles entre VR et VN. La variation de rapports entre la durée du VR et celle du VN permet en effet de caractériser des vitesses de textes et ainsi d’interroger les effets de la narration selon ces vitesses sur les processus de formation de soi et/ou de caractérisation des savoirs expérientiels.

Ce critère, celui de la vitesse du récit, produit potentiellement des effets qui peuvent être différenciés selon que l’expérience est dite de manière détaillée ou qu’elle est narrée « en bloc », tenant ensemble en peu de mots, de longues périodes de vécu. Ainsi, le récit lent, telles les descriptions microphénoménologiques (Vermersch, 2000), permet potentiellement d’accéder et de mettre en mots des « strates de vécus » (Petitmengin, 2010) relevant de la sphère de l’expérience sensible. À l’inverse, la mise en récit de périodes de vie procède d’un travail de configuration d’événements arrivés dans le cours de la vie (Pineau et Legrand, 2007). Ainsi, lors de l’activité de description microphénoménologique du vécu, le rapport VR/VN peut être inversé, le temps dédié à la mise en mots [le VN] pouvant excéder très largement la durée du vécu de référence [VR]. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un·e patient·e décrit les effets de l’ingestion d’un médicament pendant près de trente minutes alors que l’expérience réellement vécue de l’ingestion n’a duré que trois minutes. C’est également le cas lorsqu’un·e professionnel·le décrit les signaux (bruits ou odeurs perçus durant quelques secondes) qu’elle ou il a pris en compte pour réparer une machine ou pour réparer un moteur d’une automobile. La description détaillée du vécu, qui se caractérise par une lenteur narrative parfois extrême produit des effets dont nous proposons l’examen : appréhension des qualités sensibles de l’expérience vécue, appréhension des ambiances, vécus du corps, structure du perçu…  Entre durée et détail, la narration comporte ses régimes et produit ses effets : de formation de soi, de compréhension des dimensions écologiques de l’existence, de reconnaissance des savoirs biographiques.

Expérience sensible, strates du vécu et microphénoménologie

La sphère du sensible constitue le sol fondationnel de l’existence, ce par quoi le logique et le catégorial s’édifient (Bégout, 2000). Cette dimension primordiale de l’expérience se donne à vivre sur le mode de l’évidence, du présentationnel : « Au lieu de dire que nous avons l’expérience de représentations, il serait préférable de dire que nos expériences sont présentationnelles, et qu’elles présentent le monde comme ayant certaines caractéristiques » (Zahavi, 2015, p. 91). En clair, la manière dont le monde se donne au sujet, et, par extension, la manière par laquelle le sujet vit le monde et l’habite (Berque, 2000) est avant tout perçu sur le mode du déjà-là, du pré-donné. Avant d’être représentée ou pensable, la chaire du monde est d’abord vécue. Cette pré-donation a pour effet de rendre transparents et perçus les modes de relations écologiques qui régissent les interactions entre le sujet et son environnement. En clair, l’accès au pré-donné suppose de redevenir attentif à ce qui constitue le plus proche et le plus évident de l’existence : les choses, les matières, les ambiances… Pour accéder à ces dimensions sensibles du vécu, le sujet doit exercer son attention aux détails (Cohen, 2017), à ce qui, tellement proche et familier, est devenu banal, au point de ne plus être remarqué. Cette saisie attentionnelle peut s’exercer au cours de l’activité narrative. C’est notamment l’objet de la description phénoménologique que d’explorer des vécus dont la durée est restreinte dans le temps, ceci afin d’examiner les strates de l’expérience jusqu’aux dimensions sensibles : vécus du corps, perceptions des lieux, ambiances ressenties… Ces dimensions de l’existence, qui se présentent au sujet sur le mode de l’évidence naturelle (Schütz, 1953/1987), sont difficilement thématisables, par le fait même qu’elles sont constitutives de la quotidienneté la plus banale.

L’enquête sur les modes de donation de l’expérience au sujet comporte ainsi une dimension éminemment écologique. En effet, l’exploration microphénoménologique sur le vécu permet de mettre au jour les dimensions énactives de l’existence (Varela, 1989). Nous voyons ici se dessiner un champ de recherche singulier :  celui de la compréhension de ce qui est vécu dans le cours de l’expérience, selon différentes dimensions : ce à quoi « je » suis sensible (processus affectif), ce à quoi « je » suis attentif (dynamique attentionnelle); ce que je me dis lorsque je perçois, délibère, décide (processus cognitifs et langagiers); ce que j’attends et anticipe (dynamique temporelle)… Et via la phénoménologie descriptive (Depraz, 2013), s’ouvrent des perspectives de recherche en vue de recherches sur l’expérience vécue (Petitmengin et al., 2015). Ainsi, la microphénoménologie se donne pour projet, dans la continuité des travaux de Francisco Varela (1989) et Varela et al. (2003) sur l’énaction, d’étudier dans le cours de l’expérience, non pas les représentations du sujet sur ce qu’il vit ou agit, ni non plus ses opinions, jugements, ou théories sur l’action en situation, mais les processus de couplage par lesquels ledit sujet se trouve engagé dans ces situations. Ce faisant, elle ouvre une voie pour des recherches sur l’expérience qui ne penchent ni du côté d’un subjectivisme particulier, fragmentaire et privé, ni du côté d’un objectivisme identitaire et réifiant.

Selon cette perspective, les dimensions expérientielles du vécu apparaissent comme thèmes lorsque le sujet prête attention à la manière dont il se trouve immergé dans les lieux, vit les expériences au sein des collectifs, conscientise les rapports entretenus avec le milieu et l’environnement (Berque, 2000). Est posée ici la question de l’agentivité du sujet. La théorie de la vie passive assume le fait que le vécu se compose pour partie d’un « pâtir », apparaissant sous la forme du monde pré-donné perçu par le sujet comme une donnée constituante des situations éprouvées. En d’autres termes, ce qui est perçu des situations constitue le monde tel qu’il se donne à vivre, sans que ces processus ne fassent l’objet d’un travail actif du sujet lui-même. La vie passive (Husserl, 1918-1926/1998) – soit la dimension préréfléchie du vécu – se compose des impressions, affections, intérêts, perceptions diffuses et transmodales[2], formant en quelque sorte l’ambiance du vécu[3] – sa dimension sensible et ressentie.

Nous voyons ici émerger les différentes strates précédemment évoquées. Une manière de les distinguer pourrait être la suivante :

  • La strate du vécu réfléchi, portant sur la situation concrètement éprouvée, dans ses enjeux, sa spatialité et sa temporalité, ponctuée par des faits marquants, des actions concrètes, et empruntée de jugement. Cette sphère a été modélisée par Vermersch dans son tableau intitulé « Le système des informations satellites de l’action » (Vermersch, 2000, p. 94).
  • La strate de ce qui est perçu en situation : l’exploration peut ici porter sur ce qui fait « saillance », ce qui se détache en tant qu’objet parmi l’ensemble de ce qui se donne à vivre dans le cours de l’expérience. En d’autres termes, il s’agit de comprendre ici ce qui organise et structure la vie intentionnelle, ce qui est attendu, anticipé, et par contraste, ce qui relève de formes de cécité attentionnelle dans le cours de l’expérience vécue.
  • La strate de ce qui est ressenti : ici s’ouvre un monde, celui des impressions, sensations, affections éprouvées au contact des objets perçus : les sons entendus (les voix, le bruit des machines…), la luminosité de la salle, la texture des matières, les rythmes des gestes… Ici, le vécu se compose des sensations du corps, de perceptions diffuses, d’appréhensions sensorielles, de proprioceptions…

La description du sensible suppose des formes de ralentissement qui permettent au sujet de réduire l’empan du vécu de référence ceci afin de rendre possible la mise au jour les données expérientielles propres aux sphères de son vécu. Ces données sont révélées par la description du fait du travail de mise en mots d’aspects de l’expérience qui, en se donnant dans le présent vivant, sont vécus avant de pouvoir être narrés. De ce point de vue, la description de l’expérience sensible via l’enquête par description phénoménologique constitue un mode d’accès aux dimensions écologiques de l’existence, telle qu’elles se donnent sur le mode de l’immédiateté, dans le « présent vivant ». Cette sphère écologique peut alors être reconnue et conscientisée comme le sol premier de l’existence, la participation du sujet au monde étant continue : interaction avec les choses, les autres, les collectifs, les institutions…

La narration biographique et les histoires de vie en formation

Si l’enquête microphénoménologique cherche à appréhender les dimensions écologiques de l’existence située dans le domaine de la sphère du sensible, l’enquête biographique met au jour les dimensions sociales et historiques de l’existence. Plus que d’une différence d’objets ou de contenus, il faut ici souligner que ce sont les différences de modes d’appréhension du vécu qui conduisent à produire cette distinction. En effet, et cela a été dit au cours des sections précédentes, si l’examen des modes de donation de l’expérience suppose, au cours de l’enquête narrative de « dilater le temps » pour le travail de mise en mots des « strates du vécu » (vécu du corps, perception des lieux, états internes, objets de pensée), l’enquête biographique procède à l’inverse d’une compression temporelle pour tenir dans un récit les différentes sphères de la vie adulte (sphères du familial, du social, du professionnel…). En d’autres termes, tandis que la description microphénoménologique explore de manière détaillée la manière dont l’expérience se donne à vivre au cours de moments situés, la narration biographique interroge le vécu dans la durée de l’histoire de vie : histoires, parcours, périodes de vue.

Ainsi, comme l’a montré Baudouin (2010) dans ses différents travaux, la variation des régimes cinétiques des textes peut servir de critères à la différenciation de régimes narratifs[4] au cours de l’enquête en sciences sociales. Ces régimes sont ainsi identifiés dans son étude qui porte sur les facteurs de ralentissement ou d’accélération du « temps narré » dans des textes autobiographiques. Ces variations cinétiques ont été modélisées Baudouin (2010) dans le tableau ci-dessous, à partir des travaux de Genette (1972). Quatre modalités de composition du récit de vie sont ainsi mises au jour :

Tableau 1 : Procédés narratifs et variations cinétiques du récit (Baudouin, 2010, p. 419)

Ce tableau différencie quatre modes de composition du récit en fonction de leurs effets cinétiques : la « pause » dont la caractéristique est de produire une rupture de continuité dans le déroulement du récit, ouvrant ainsi la possibilité de description de l’expérience, de ses strates et aspects; la « scène » qui procède d’une description détaillée tout en préservant la dynamique de déroulement temporel. Ainsi, il est possible de considérer que les passages de pause signalent un moment d’arrêt du déroulement temporel tandis que la scène procède d’une dynamique d’étirement du temps (voire de dilatation).

Troisième procédé narratif, le « sommaire », qui procède d’une forme d’accélération du récit. Le processus à l’œuvre est celui de la composition entre événements. Il génère la mise en intrigue (Ricœur, 1983) en opérant une synthèse.  Dernier procédé, « l’ellipse », qui constitue un temps occulté de l’histoire. Ce procédé est l’opérateur permettant la compression maximale du temps dans le texte.  La conjugaison de ces quatre procédés est de nature à générer des effets singuliers : effets de compréhension; possibilité d’appréhension des savoirs expérientiels; mise au jour des dimensions sociales et collectives des trajectoires individuelles; reliance écologique du sujet avec son milieu.

Narration du vécu, modes d’existence et vie des collectifs

De ce point de vue, il est possible de considérer que les phénomènes de contraction, de dilatation, de compression du temps dans le récit font osciller les régimes narratifs entre deux grands types d’enquêtes : l’enquête microphénoménologique; l’enquête biographique. La première procède d’un mouvement qui vise la mise en mots détaillée de l’expérience (Cohen, 2017), la seconde accordant de l’importance à l’appréhension du vécu dans la durée (Demazière, 2007).

Cette variation des régimes narratifs « entre durée et détail » mérite un examen approfondi. En effet, il est possible de construire des stratégies d’exploration du vécu dont les procédés permettent de mettre au jour de manière particulière, les dimensions collectives et écologiques de l’existence. Ainsi, en ralentissant à l’extrême le temps, et en saisissant des moments très courts en vue d’une description détaillée des modes de donation de l’expérience, le sujet qui s’exerce à ce type de narration en première personne découvre et met en mots des strates qui relèvent de sa vie sensible. Et, nous l’avons signalé précédemment, l’exploration expérientielle et réflexive de la vie sensible est de nature à produire des processus de compréhension sur les rapports les plus concrets entre soi et l’environnement. En d’autres termes, la mise en mots des sphères du sensible s’accompagne de la mise au jour des processus énactifs (Varela, 1989) par lesquels le monde se donne à vivre dans ses composantes premières : relation aux éléments, à l’environnement, aux êtres vivants, aux objets…

Sur un autre plan, la narration biographique qui procède de l’exploration de l’expérience vécue dans la durée apparaît propice pour la compréhension de l’évolution des modes d’existence (Lapoujade, 2017) et de leur socle écologique et social : rapport au corps et à la santé; succession des lieux habités; solidarité effective dans les sphères du conjugal, du familial et du social; formes d’implication dans la vie professionnelle.

Ainsi, la narration biographique participe de la conscientisation des modes d’inscription dans le monde et des régimes de participation du sujet au monde. Ce qui est donné, par le récit d’expérience qui appréhende l’existence dans sa durée, ce sont les processus d’édification du monde de la vie. La dimension écologique de l’existence apparaît ainsi irrémédiablement reliée à la vie du corps qui est régi par les dynamiques de croissance, de mûrissement et d’étiolement. En d’autres termes, le fond de l’existence se donne à penser, au cours de l’activité biographique, du fait de l’appréhension de la durée scandée par les âges (Houde, 1999). Cette dynamique, éminemment singulière, peut également retracer via l’histoire des lieux habités (Pineau, 2005) ainsi que par l’historicisation des formes d’engagement et de participation à la vie des collectifs (Kaufmann et Trom, 2010). Ce travail d’historicisation des régimes de participation au monde de la vie initie, lors du travail dans des sessions en histoires de vie, par exemple, des formes de compréhension sur les processus de co-dépendances qui relient toute existence singulière aux dimensions écologiques du vécu : vie du corps, manière d’habiter, relation avec les autres et les choses. La prise en compte plurielle de ces sphères de l’existence est de nature à modifier l’inscription du sujet dans le monde, et ainsi, à ouvrir des formes de participation empreintes d’éthique et de réciprocité. En d’autres termes, la capacité à prendre en compte le sensible et les dimensions écologiques de l’expérience est de nature à transformer les rapports entretenus entre soi, les autres et les choses :

S’il y a ressemblance entre la liste des lois de constitution des univers et celle des règles de composition des récits, ce n’est pas que la première trouve son fondement et sa vérité dans la seconde. Tout au contraire : on ne se construit pas en inventant des histoires sur soi, mais on raconte des histoires comme on se construit. (Fruteau de Laclos, 2016, p. 190)

Ainsi, la narration du vécu et la capacité de variation des régimes narratifs (entre durée et détail) est-elle de nature à produire des effets de compréhension, de formation de soi et de mise au jour des savoirs expérientiels. Il s’agit ici d’un paradigme de recherche (Billeter, 2012) dont les axes peuvent prendre plusieurs directions. La première concerne les croisements à poursuivre entre narration de soi et herméneutique du sujet. Ces travaux peuvent s’enraciner dans une perspective interdisciplinaire en mobilisant, outre les travaux déjà cités, des ancrages en anthropologie cognitive (Bruner, 1990; 1991), en philosophie herméneutique (Foucault,1981; 1983) et en philosophie de l’esprit (Descombes, 2016). Une seconde direction pourrait concerner un étayage des travaux sur l’activité de temporalisation du vécu au cours de la narration, en mobilisant la notion d’affordance provenant des travaux de Gibson (1979) et qui comporte une dimension spatiale et écologique, pour caractériser les procédés mobilisés par le sujet pour se penser dans le temps, pour estimer la durée nécessaire à l’accomplissement d’un geste, d’un cycle ou d’une période de vie. Il s’agirait en quelque sorte de forger un concept peut-être pivot pour les sciences narratives en éducation et formation : celui d’affordance temporelle.

Références

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  1. Le texte de ce chapitre a été publié en anglais en 2022 sous la référence suivante : Breton, H. (2021). Narrative Regimes. An Alliance between Descriptive Phenomenology and Biography. Dans A. Bainbridge, Laura Formenti & Linden West, An Ecology of Life: Discourses, dialogue and diversity in biographical research, (p. 53-64). Brill Sense Publisher. Une version en portugais a été publiée en 2023 : Breton, H. (2023). Regime narrativo : uma alliança entre fenomenologia et biografia (Traduction par T. Miranda et L. Kind). Dans M. Stengel, L. Kind, H. Cardoso de Miranda junior. Tecnologia e processos de subjectivação (50-65). Editora PUC Minas, Belo Horizonte, Brazil. Pour cette version publiée en français, le dernier paragraphe de la conclusion a été augmenté.
  2. Il faut entendre ici par « transmodalité » le fait que les perceptions mobilisent plusieurs sens (vue, ouïe, odorat) dans l’appréhension des contenus advenant au sujet dans le cours de l’expérience.
  3. Voir ici l’article de Jean-Paul Thibaud. (2004), De la qualité diffuse aux ambiances situées, dans B. Karsenti et L. Quéré (dir.), La croyance et l’enquête (p. 227-253), Paris, Éditions de l’EHESS.
  4. Baudouin (2010, p. 413) définit « les régimes d’économie cinétique d’un texte » comme « Le “rapport” entre une quantité chronique et un nombre de caractères ».

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