5 La narration de la souffrance. Soutenir les mots du deuil
Livia Cadei
Résumé
Parler du deuil n’est pas facile : que dire? Comment exprimer la souffrance? Et que dire quand on est à côté de quelqu’un qui souffre? Face au paradoxe du deuil qui, d’un côté, diminue la possibilité de communiquer, mais de l’autre aiguise la recherche profonde de sens, les gens ont besoin de nouveaux mots, de récits qui leur permettent d’attribuer un nouveau sens à leur expérience et qui les soutiennent dans l’exercice d’une tâche évolutive importante, bien que difficile et dramatique. Une approche de recherche qualitative a été choisie, afin de recueillir les représentations de la souffrance des sujets. Des récits écrits ont été demandés aux étudiant·e·s de première année du baccalauréat en sciences de l’éducation, qui suivaient le cours de pédagogie générale à l’Università Cattolica del Sacro Cuore de Brescia.
Riassunto
Parlare del dolore non è facile: cosa dire? Come esprimere la sofferenza? E cosa si può dire quando si è accanto a qualcuno che soffre? Di fronte al paradosso del dolore, che da un lato diminuisce la possibilità di comunicare, ma dall’altro acuisce la profonda ricerca di senso, le persone hanno bisogno di nuove parole, di narrazioni che permettano di attribuire un nuovo significato alla loro esperienza e che le sostengano nell’esercizio di un compito evolutivo importante, anche se difficile e drammatico. Per raccogliere le rappresentazioni della sofferenza dei soggetti è stato scelto l’approccio della ricerca qualitativa. Le narrazioni scritte sono state richieste agli studenti del primo anno del Corso di Laurea in Scienze dell’Educazione dell’Università Cattolica del Sacro Cuore di Brescia, seguendo il corso di Pedagogia Generale.
Introduction
Le chagrin a disparu. Notre société a depuis longtemps initié un processus culturel dans lequel la maladie et la mort tendent à être dissimulées, si bien que Philippe Ariès, paraphrasant Geoffrey Gorer, a déclaré : « ce ne sont plus les enfants qui naissent sous les choux, mais les vieillards qui disparaissent parmi les fleurs » (Ariès, 2009, 214; Gorer, 1965).
Si une expérience n’est pas soutenue par le langage et si les mots pour l’exprimer ne sont pas disponibles, sa signification s’estompe également. En effet, les mots, en tant qu’organisation signifiante, rendent accessible l’expérience et son élaboration.
En particulier, le phénomène auquel nous assistons est l’absence d’un langage socialement partagé qui peut fournir aux gens les schémas mentaux et les mots capables d’exprimer la souffrance. La disparition de la douleur et de la mort est mise en évidence par la maladresse de l’utilisation des termes appropriés et par le glissement sémantique qui en résulte, de sorte que, par exemple, de nos jours, l’infinitif « mourir » perd ses modes et ses temps au profit de l’impersonnel « on meurt ».
La souffrance : contexte problématique et cadre conceptuel et théorique
Parler de la douleur n’est pas chose aisée : que dire? Comment exprimer la souffrance? Et que peut-on dire quand on est à côté de quelqu’un qui est dans la douleur?
Nous savons que la douleur plie, casse; le deuil isole, sépare et empêche la participation à la vie des autres, il exclut. Il ferme des possibilités qui sont considérées comme connues et établies, il change les conditions de l’expérience. Dans la douleur et la souffrance, quelque chose se produit qui interrompt le rythme habituel de la vie et perturbe sa routine quotidienne.
La douleur pure est difficile à raconter. Son impact est l’ennemi de toute consolation facile. L’intense récit autobiographique de Clive S. Lewis présente ce thème de manière lucide :
Entre moi et le monde, il y a une sorte de couverture invisible. J’ai du mal à donner un sens à ce que les autres disent. Ou, peut-être, que j’ai du mal à trouver la volonté de comprendre. C’est tellement inintéressant. Malgré cela, j’ai envie d’être entouré de gens. Je redoute les moments où la maison est vide. Mais je voudrais qu’ils se parlent entre eux et pas à moi[1]. (Lewis, 1990, p. 85)
Ainsi, l’auteur met en garde contre un premier paradoxe auquel expose la douleur : dans l’état de celui qui en souffre, le langage semble défaillir; dans la « douleur sourde », inexprimable et difficile à entendre, la parole montre son insuffisance. Pourtant, en même temps, celui ou celle qui souffre ressent le besoin de parler et entrevoit dans l’échange relationnel le fil subtil qui le·la maintient lié·e aux autres êtres humains.
L’exposition à la douleur semble priver la personne du langage dont elle disposait jusqu’alors et impose l’urgence d’une réappropriation progressive.
Un alphabet devient alors nécessaire, avec lequel réarticuler le babillage qui a envahi le langage.
Avec la parole, la personne rétablit les liens et peut accéder à nouveau au réseau de relations. Il s’agit d’un processus lent, dans lequel la personne s’engage dans la recherche de nouvelles façons d’être au monde.
Le deuxième paradoxe du deuil expose la personne à une double expérience : d’une part, le deuil rend muet, mais d’autre part, le même deuil aiguise la perception dans la recherche profonde du sens. À cet égard, Virginia Woolf déclare :
Dans la maladie, les mots semblent posséder une qualité mystique. Nous saisissons ce qui se trouve au-delà de leur signification superficielle, nous saisissons instinctivement ceci et cela et l’autre – un son, une couleur, ici un accent, là une pause. (Woolf, 2016, p. 551)
Face à ce manque d’expression qui se manifeste en même temps que le désir de communiquer, les personnes ont besoin de nouveaux mots, de récits qui leur permettent d’attribuer un nouveau sens à leur propre expérience de la douleur et qui les soutiennent dans l’exercice d’une tâche évolutive importante, bien que difficile et dramatique.
La personne qui souffre n’exige pas tant des réponses que de pouvoir disposer d’une autre façon de s’exprimer et de trouver des lieux et des moments où cette souffrance peut être chérie et traitée; car s’il est vrai que la personne fuit l’isolement, elle ne craint pas la solitude; si elle évite l’inertie et le désespoir, elle est ouverte à la réflexion et à la méditation; si elle craint de rendre publique sa douleur, elle souhaite pouvoir la communiquer à des personnes qui savent l’écouter et la respecter.
Dans son essence, la douleur ne concerne que ceux et celles qui souffrent, mais elle pose une question qui pèse sur le sens de l’existence de chacun·e. Pour le philosophe Salvatore Natoli, la dimension universelle est celle du dégât, tandis que le singulier est le sens qui est attribué à la souffrance et qui permet de la vivre différemment. Les dégâts peuvent prendre les mêmes formes, mais le sens attribué à cette lacération est différent selon le temps et le contexte dans lesquels se trouve la personne qui en souffre.
Ainsi, l’expérience de la souffrance prend forme à partir de la relation circulaire entre le dégât et le sens. L’humain, en tant qu’être vivant, est déjà toujours « placé dans un réseau de sens : pour cette raison, malgré la lacération, il a encore le besoin de demander quelque chose, quelque chose est attendu (…) dans le sens lacéré il y a une attente de sens » (Forte & Natoli, 1997, p. 13-14).
Le sujet attribue une signification « personnelle » aux situations douloureuses, ce qui affecte l’expérience émotionnelle, la motivation à agir et la façon dont il agit dans diverses situations.
Par conséquent, la manière dont l’entourage est capable d’accompagner les personnes en souffrance devient importante. Bien évidemment ce n’est pas une tâche facile. Répondre au besoin des personnes de se réapproprier un alphabet relationnel ne correspond souvent pas aux possibilités offertes par la société qui semble elle-même manquer de codes à partager. « La crise dans laquelle se trouvent les rituels traditionnels et le manque de nouveaux scripts sociaux » (Testoni, 2015, p. 99) provoquent une sorte de « conspiration du silence » autour de ces conditions inévitables et naturelles.
Il est nécessaire de donner des mots à la douleur et d’encourager son expression. Cela signifie offrir le temps et l’espace nécessaires pour exprimer l’expérience et permettre à une pensée d’émerger.
Questions théoriques et épistémologiques de la narration
Les récits ne se contentent pas de représenter la réalité, mais la construisent, dans la manière dont les sujets donnent un sens à leur propre vie et à leurs expériences. Les récits sont basés sur des mots, et non sur des faits, et le temps raconté ne se compose pas d’une simple chronologie des événements, qui prend plutôt la forme d’une énumération, mais élabore des images cohérentes et acquiert un sens identitaire. Libéré d’une objectivité présumée, le mot représente une ressource heuristique qui favorise les interprétations multiples. En soi, la relation entre l’expérience vitale et la possibilité d’expression atteste d’une fonction créatrice inépuisable.
La narration fournit donc un lieu où l’expérience peut être déposée et révisée. Que ce soit sous forme orale ou écrite, elle peut offrir un outil précieux pour identifier les significations.
La narration est reconnue comme ayant la qualité d’être un détecteur aigu des motifs d’une existence et un puissant opérateur de synthèse entre le passé, le présent et le futur du sujet : loin d’être la simple restitution d’un passé factuel, elle inscrit l’existence et l’histoire individuelle dans une dynamique prospective et ouvre ainsi l’avenir du sujet, avec des ‘soi-même’ possibles, au projet et à l’action (Delory-Momberger, 2010, p. 101).
Tout cela signifie reconnaître que le langage est plus qu’une simple description et qu’il « crée » des choses, ce qui conduit à accorder une attention particulière à la narration de la douleur qui peut produire des significations.
Avec Bruner, nous avons appris que dans la narration, au-delà de la détection du vrai ou du faux, c’est l’intrigue qui détermine le pouvoir des histoires. L’intrigue permet de donner un sens à des événements spécifiques, autrement représentés en séquence ou en chronique. Il y a une différence dans la manière d’établir les liens entre les événements. Il est possible, en effet, d’inférer une causalité entre ceux-ci ou de laisser ouverte la nature de la connexion étudiée; dans ce dernier cas, le même ensemble d’événements peut être organisé à travers différentes intrigues (Bruner, 1986, p. 25).
L’explication est donc enrichie lorsque les « raisons » peuvent être combinées aux « causes » dans le récit. Pour la forme de connaissance logico-scientifique, l’explication est formulée à partir de la reconnaissance d’un événement comme l’expression d’une loi générale; pour la forme de connaissance narrative, l’explication consiste à retracer un événement dans un projet humain (Polkinghorne, 1987, p. 21).
Trois éléments nous semblent caractériser une narration : la production de soi, la réarticulation de la temporalité et la recherche et l’interprétation du sens (de Villers, 1996).
En ce qui concerne la production de soi, le sujet occupe une fonction centrale dans la narration : il est, d’une part, le sujet énonciateur et, d’autre part, l’objet de la connaissance.
Le moment de réflexion du narrateur sur sa propre expérience est filtré à travers le prisme du langage. Le mot, comme organisation signifiante, rend accessible l’expérience du soi-même. Libérée d’une objectivité présumée, elle représente une ressource heuristique qui favorise les interprétations multiples. En soi, la relation entre l’expérience vitale et la possibilité d’expression atteste d’une fonction créatrice inépuisable. L’identité et la multiplicité de toutes les expériences réalisées et de tous les liens tissés s’entremêlent dans le parcours de récupération de l’intégrité personnelle du sujet. Dans la reconnaissance de l’appartenance à son monde et à son existence, il existe une possibilité de développement éducatif (Demetrio, 1995).
Avec réflexivité et volonté, le narrateur donne vie à un texte par la parole, une « parole herméneutique » qui se déplace du sujet pour y revenir. Dans cette perspective, l’acte de se raconter à travers un récit ne constitue pas un mouvement circulaire fermé sur lui-même, produit dans une situation de solitude épistémologique. C’est plutôt l’image d’un mouvement en spirale, où le point d’arrivée ne coïncide pas avec le point de départ, signale la présence de l’autre, qui donne à la narration une qualité immédiatement relationnelle. L’autre, dans la narration, est celui qui se place initialement dans une position d’écoute. Le mot évoque un destinataire (imaginaire ou réel) dont le rôle est déterminant pour l’activation du processus de signification. Le sujet narrateur, en effet, en adressant son message à un autre, prend conscience de la distance qui existe entre ce qu’il est et la représentation narrée de lui-même. L’expérience de l’irréductibilité de soi à soi est en quelque sorte une expérience d’excès du sujet de la parole par rapport à ce qui est noué, pour ainsi dire, avec la signification du message.
Cela signifie que le sujet se positionne au-delà de sa propre énonciation. Cet écart, qui est douloureux et fécond dans le même temps, favorise la volonté de dire et le projet d’exister. Si notre être coïncidait parfaitement avec nos mots, c’est-à-dire si ce que nous disons était équivalent à ce que nous sommes, aucun processus de recherche ne pourrait être activé : ce serait de l’inertie.
Dans cette perspective, il est évident que le récit ne se termine pas par une reconstruction chronologique, mais par la réarticulation temporelle de l’expérience personnelle. L’imbrication des significations possibles avec la dimension du temps ouvre le récit à la possibilité, ou plutôt à la dimension du projet. Dans la narration, lieu où les récits peuvent raconter la circularité, le paradoxe, l’ambiguïté, la récurrence et les « anneaux étranges » qui composent nos vies, la logique rigoureuse de modèles paradigmatiques serait réductrice.
Le récit représente une synthèse entre le registre temporel et celui de l’articulation signifiante. Ils existent deux modes d’analyse souvent opposés : l’analyse structurelle, qui écarte la dimension chronologique, propre à ce dont parle le récit, pour privilégier la structure qui préside à l’organisation signifiante; l’analyse phénoménologique, qui se réfère au temps vécu par le narrateur, comme « descripteur temporel » et ancrage sémantique du récit.
Dans la sphère de la pensée philosophique contemporaine, on attribue à Paul Ricœur le mérite d’avoir articulé une synthèse entre le temps et le récit (Ricœur, 1982) à travers la médiation de la représentation de l’expérience vécue (mimesis) et l’interprétation du texte narratif comme action. Comprendre le récit comme une mimesis signifie reconnaître le récit comme une activité qui, tout en imitant la vie, crée quelque chose qui n’existait pas auparavant dans la vie.
Les caractéristiques indiquées font du récit quelque chose de plus qu’une succession ordonnée d’idées et de faits et le caractérisent plutôt comme une recherche et une interprétation du sens.
Dans le récit, le sujet parlant met en relation les éléments narratifs, récupère leurs instances, détecte leur éventuelle redondance et perçoit une direction de sens, un projet ou du moins une énigme suffisamment stimulante pour l’orienter vers une nouvelle hypothèse de projet.
Narrer la souffrance : la recherche
Les recherches sur le phénomène de la souffrance et les traitements de l’expérience douloureuse ne sont pas choses aisées. Dans le domaine spécifique de la recherche en éducation, il est possible d’aborder la problématique de la souffrance à travers une clé interprétative originale. Elle s’appuie sur une conception dynamique du processus d’élaboration de la dimension subjective de l’expérience. On peut profiter de la production de soi acquise dans un processus de réarticulation temporelle qui peut « dissoudre » la communication et soutenir le partage de la recherche d’une identité commune vers de nouvelles significations pour les événements.
Dans cette direction, le processus de reconfiguration des schémas interprétatifs de l’expérience douloureuse pourrait être étudié afin de trouver la présence ou l’absence d’un « espace éducatif » favorable ou préjudiciable à la transformation de la douleur.
Il est intéressant pour la recherche en éducation d’enquêter sur l’expérience de la souffrance telle qu’elle est représentée et sur l’attribution d’un sens par les acteurs interpelés. Le mode de relation avec les choses, les personnes, les événements et les situations représentent l’objet de l’enquête, non comme une traduction fidèle de la réalité des faits, mais plutôt comme une représentation vitale de l’expérience vécue.
Par conséquent, nous avons choisi d’adopter une stratégie de collecte de récits élaborés sous forme écrite par les sujets interrogés avec une intention exploratoire de l’expérience de souffrance.
Dans ces pages, sans présenter l’ensemble de la recherche effectuée (pour laquelle nous vous renvoyons à la publication à la fin), nous nous attarderons seulement sur quelques parties en particulier qui sont utiles pour se référer au processus de reconfiguration.
Pour notre recherche, nous nous sommes adressés aux étudiant·e·s inscrit·e·s en première année en Sciences de l’éducation au cours de pédagogie générale à l’Università Cattolica del Sacro Cuore de Brescia. L’échantillon de référence était composé de 69 étudiant·e·s de première année, dont 61 femmes et 6 hommes (données absentes dans deux questionnaires). L’âge moyen des sujets interrogés était de 20,05 ans.
Plus de trois cents pages écrites ont été recueillies.
La première question proposée aux étudiant·e·s avait pour but d’identifier leur représentation du thème de la souffrance; la deuxième question portait sur l’identification des ressources; la troisième question visait à faire réfléchir les étudiant·e·s sur la perception de leurs besoins et éventuellement de leurs besoins dans le décalage temporel, afin de réfléchir également à l’élaboration de la souffrance et aux stratégies mises en œuvre pour faire face aux situations douloureuses.
Analyse des données
En ce qui concerne la première phase de codage des données[2], nous avons essayé d’identifier un certain nombre de domaines à catégoriser les expériences racontées. Le codage des documents collectés a permis de mettre en évidence la composition des expériences comme suit : expériences qui racontent de la souffrance causée par le décès d’un proche, 19 récits; à partir de situations de mal-être personnel (par exemple, difficulté à s’accepter; désorientation vis-à-vis de son propre avenir…), 11 récits; problèmes liés à la dynamique familiale (difficultés dans la relation avec un parent, divorce des parents…), 11 récits; situations de maladie, 8 récits; problèmes concernant les relations amicales ou amoureuses, 6 récits; non déclarés, 10 récits.
En raison de la nature qualitative de notre enquête, il est évident que la somme des récits attribués à chaque catégorie ne correspond pas au nombre total des récits collectés. En fait, certain·e·s répondant·e·s n’ont pas opté pour une seule expérience au moment de la narration.
À la première lecture des récits recueillis, on note une certaine fragilité émotionnelle et expressive des personnes interrogées. Il semble que l’expérience de la mort prenne ces jeunes gens au dépourvu. À titre d’exemple, nous en citons quelques extraits : « Au revoir grand-père, tu étais très important pour moi, je t’aime » [doc. 28]; « Cela fait déjà 11 ans et entre-temps deux autres grands-parents sont morts et j’ai beaucoup souffert… » [doc. 17]; « Je souffrirai toute ma vie de la perte de mon grand-père préféré et cela m’effraie énormément… » [doc. 13]. De même, dans le domaine des compétences relationnelles, la disproportion du langage semble prévaloir : « Après un certain temps, il y a désormais 7-8 ans, cela me donne un certain sens d’en parler, même si je l’ai fait de nombreuses fois. Un ami, peut-être par envie ou je ne sais quoi, s’est mis en travers de mon chemin et de certains de mes des amis proches dans tous les domaines, ce qui m’a causé beaucoup de détresse. Je tiens beaucoup à la valeur de l’amitié et malheur à ceux qui y touchent! » [doc. 48].
La deuxième question (dans les moments de souffrance, qui/quoi t’a aidé? De quelle manière?) avait pour but d’entrer dans le sujet des ressources pour soutenir le sujet dans une situation de souffrance. Le codage a été effectué en fonction de deux aspects principaux : les sujets et les actions. Nous rapportons ici uniquement les données concernant les actions mentionnées par les sujets interpellés.
En ce qui concerne les modalités de soutien dont les étudiant·e·s disent avoir bénéficié, dans le but de connaître la fréquence des actions rappelées, nous nous référons au tableau ci-dessous, dans la colonne de gauche, par ordre décroissant, la fréquence des actions auxquelles les sujets de notre enquête ont fait référence; dans la colonne de droite, le chiffre indique l’impact des actions spécifiées sur le nombre total d’actions de soutien rappelées par les participant·e·s.
D’après les récits recueillis, la principale forme de soutien reçue est la proximité et l’intimité (36%), [doc. 32] : « Ma famille a toujours été là pour moi et me soutient à tout moment ».
La possibilité de parler est également importante (23%), [doc. 13] « Dans les moments de détresse, cela m’a aidé de parler et de sortir avec des amis, de parler – parfois – même avec les parents ».
Afin d’examiner la qualité du soutien offert, il est utile de se référer à la littérature scientifique (Stylianos & Vachon 1993) qui distingue quatre types de soutien social : emotional support, c’est-à-dire le soutien qui favorise les actions visant à renforcer l’estime de soi; appraisal support, c’est-à-dire le soutien qui se concentre sur la signification de l’événement survenu; informational support, c’est-à-dire le soutien qui implique des conseils ou des informations encourageant la résolution de problèmes; instrumental support, c’est-à-dire le soutien qui fournit une aide tangible.
Ainsi, en résumé, les formes de soutien reçues peuvent être envisagées dans les modalités suivantes :
- le type de soutien « émotionnel » est reconnaissable dans 27 récits sur un total de 69 documents (39%);
- le type de soutien « évaluatif-cognitif » est repérable dans 14 récits (20%);
- le type de soutien « informatif » se retrouve dans 13 récits (19%);
- le type de soutien « instrumental » est présent dans 21 récits (30%).
L’analyse du corpus concernant les réponses à la troisième question a permis d’approfondir la capacité des étudiant·e·s à retravailler et reconfigurer le sens de l’expérience douloureuse.
Pour chaque cas, il a été possible de comparer les actions de soutien avec les besoins déclarés. Dans le schéma suivant on met en évidences les quatre catégories de soutien déjà notées. Pour chacun de cette catégorie on précise les questionnaires qui, sur la base des actions de soutien reçues, appartiennent à la catégorie spécifique. Grâce à l’analyse des besoins déclarés, il est toutefois possible de détecter la correspondance entre le soutien déclaré et le besoin exprimé.
Le schéma est à interpréter comme suit : les récits, représentés par la numérotation correspondante, sont placés dans le quadrant relatif au type de soutien dont le répondant a déclaré avoir bénéficié. La déclaration, par le même sujet, de besoins différents est représentée par le quadrant se référant à la catégorie de soutien souhaitée.
La lecture globale du tableau permet de considérer que pour la plupart des étudiant·e·s, il existe un décalage entre le soutien reçu et le besoin ressenti. Par exemple, en ce qui concerne les 24 récits dans lesquels les sujets interpellés déclarent avoir reçu un soutien émotionnel, 16 sujets ont exprimé des besoins de nature différente. Pour le soutien de type évaluation reçu par 16 sujets, 13 parmi eux ont déclaré des besoins différents. Pour le soutien de type informationnel, 13 étudiant·e·s étaient concerné·e·s, mais les besoins de 12 d’entre elles et eux étaient différents. Enfin, le soutien de type instrumental concernant 22 sujets ne correspond pas aux besoins perçus de 16 sujets.
Conclusion
Avec la conception dynamique et subjective du processus d’attribution d’un sens aux expériences douloureuses, la recherche en éducation apporte une contribution pour des nouvelles perspectives de recherche. Le modèle homéostatique, qui vise à rétablir l’équilibre personnel perturbé par la douleur en tant que facteur de stress, est remplacé par des formulations théoriques intégrées capables de représenter la complexité et la « multidimensionnalité des réactions à la douleur » (Stroebe et al., 2001).
Dans la logique qui reconnaît le potentiel hautement individualisé de la réponse à la souffrance et qui pousse à étudier les possibilités de changement et de transformation suite au traumatisme subi, il est nécessaire de prêter attention à la subjectivité de l’expérience pour essayer de tracer la trajectoire possible identifiée par les interlocuteurs dans la recherche de sens.
Dans cette perspective, l’adoption d’un point de vue narratif rappelle la formation comme une dimension régulatrice des parcours de développement et de changement des sujets, marquée par des processus de production et de réélaboration de significations. L’horizon narratif introduit des questions qui ouvrent la voie à un débat sur le sens de la formation. La relation entre formation et narration se déploie à travers une série de constructions et de négociations du sens attribué aux événements et à la réalité. La narration peut donc combler le fossé entre la connaissance et l’action, entre les histoires personnelles et professionnelles, entre la dimension subjective et la dimension de groupe, et retrouver l’unité en ce qui concerne le sens et la signification de ce que les gens font et des expériences professionnelles ou organisationnelles qu’ils vivent.
Références
Ariès, P. (2009). Storia della morte in occidente. BUR.
Bruner, J.S. (1986). Actual Minds, Possible Worlds. Harvard University Press.
Cadei, L., (2012) “Legami e significati nell’esperienza della sofferenza. Un’indagine qualitativa”, in L. Pati (a cura di), Sofferenza e riprogettazione esistenziale. Il contributo dell’educazione, La Scuola, Brescia, pp. 25-66.
de Villers, G. (1996). L’approche biographique au carrefour de la formation, de la recherche et de l’intervention. Le récit de vie comme approche de recherche-formation. Dans D. Desmarais & J.-M. Pilon. Pratique des histoires de vie. Au carrefour de la formation, de la recherche et de l’intervention. Paris.
Delory-Momberger, Ch. (2010). La part du récit. Dans « L’orientation scolaire et professionnelle », L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 39/1, pp. 101-109
Demetrio, D. (1995). Raccontarsi. L’autobiografia come cura di sé. Raffaello Cortina.
Forte, B. & Natoli, S. (1997). Delle cose ultime e penultime. Un dialogo. Mondadori.
Gorer, G. (1965). Death, Grief and Mourning. A Study of Contemporary Society. Cresset Press.
Lewis, C.S. (1990). Diario di un dolore. Adelphi.
Polkinghorne, D.E. (1987). Narrative Knowing and the Human Sciences. University of New York Press.
Ricœur, P. (1983-85). Temps et récit. Le Seuil.
Stroebe, M.S., Hansson, R.O., Stroebe, W. & Schut, H. (2001). Handbook of bereavement research: Consequences, coping, and care. American Psychological Association.
Stylianos, S.K. & Vachon, M.L.S. (1993). The role of social support in bereavement. Dans M.S. Stroebe, W. Stroebe & R.O. Hansson, Handbook of bereavement. Theory, research, and intervention. (396-341). Cambridge University Press.
Testoni, I. (2015). L’ultima nascita, Psicologia del morire e «Death Education». Bollati Boringhieri.
Woolf, V. (2016). Voltando pagina. Il Saggiatore.
- Traduction libre. ↵
- Pour l'analyse des données collectées, nous nous sommes appuyés sur le logiciel d'analyse qualitative nud*ist n6 (Non-Numerical Unstructured Data*Indexing, Seraching and Theorizing), conçu pour faciliter le traitement des données non numériques et non structurées dans l'analyse qualitative. Nous avons travaillé sur les matériaux textuels (entretiens, groupes de discussion, récits de vie) par la création des hiérarchies des codes obtenus du contenu du texte. Par-là, la disposition d'une structure permet d'effectuer des opérations de plus en plus complexes sur les codes et de les visualiser dans une structure arborescente hiérarchique (indexation) qui donne l'avantage de mettre à jour et de modifier progressivement le schéma créé. ↵