Préface

Marie-Claude Bernard

Marie-Claude Bernard est professeure titulaire au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage, à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval (Québec).

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Le livre dirigé par Annie-Claude Prud’homme et Jean Noé Alcéus parle d’une relation qui transforme. Il a été réalisé à la suite d’un partenariat entre le Cégep de Rimouski (Québec) et le Collège La Sainte-Famille (CSF) (Haïti), favorisé par l’Entente de coopération entre le gouvernement du Québec et la République d’Haïti. L’idée du livre a pris forme lorsqu’une délégation du Cégep de Rimouski est partie aux Gonaïves pour participer au perfectionnement du personnel enseignant du Collège La Sainte-Famille. Une formation a été mise en œuvre et s’est poursuivie à distance. Le dialogue a été établi et il a porté fruit. Les savoirs d’expérience auraient pu en rester là, mais l’exercice du dialogue interculturel, les résultats des échanges de « praticiens réflexifs », comme dirait Schön, ont été mis en mots en amplifiant leur portée. La mise en contexte de l’ouvrage est présentée en forme de dialogue dans la première partie.

À l’instar de Claire et Marc Héber-Suffrin[1], j’affirme que les savoirs valent par leurs fruits. Dans ce projet, les savoirs se construisent dans le dialogue, se tissent dans des rapports de réciprocité. Les savoirs prennent racine dans les échanges des enseignants et enseignantes qui se « racontent ». Raconter comment chacun et chacune a appris, comment on lui a appris, comment on lui a enseigné et comment il ou elle enseigne, pour emprunter de nouveau les mots de Héber-Suffrin (2017, 66).  Annie-Claude Prud’homme et Jean Noé Alcéus se sont inspirés du livre de Philippe Meirieu Le plaisir d’apprendre, dans lequel le pédagogue a invité douze personnes de différents horizons[2] à exprimer leur « plaisir d’apprendre et la joie de penser » (2014, 53).

Quatorze textes sont produits par la démarche que le directeur et la directrice de l’ouvrage ont proposée à leurs pairs : se pencher sur les expériences d’apprentissage vécues à différentes étapes de leur développement (enfance, adolescence, âge adulte), à l’école ou à l’extérieur de l’école, qui ont exercé une influence sur la personne qu’ils et elles sont devenu·e·s. Sept récits d’expérience d’apprentissage d’enseignant·e·s du CSF et autant d’enseignant·e·s du Cégep de Rimouski ont ainsi été recueillis. Ces récits composent la deuxième partie de l’ouvrage, qui se termine par un échange pédagogique entre deux groupes d’enseignant·e·s du CSF et du Cégep. Une troisième partie enchaîne avec des dialogues pédagogiques entretenus par Annie-Claude Prud’homme et Marie-Ange Faro, membre de la délégation du Cégep aux Gonaïves, puis avec Jean Noé Alcéus.

Les échanges montrent bien que la rencontre n’a pas été un simple contact entre pédagogues, mais qu’un lien s’est tissé entre des personnes exerçant le métier de formateur ou formatrice dans des contextes différents avec des défis similaires. Le dialogue ouvre la voie à une réflexion pédagogique commune tout en élaborant une compréhension d’environnements culturels distincts. Au-delà des différences qui apparaissent entre le collège des Gonaïves et celui de Rimouski, ce sur quoi ces parcours réflexifs mettent l’accent est la valeur que les enseignant·e·s donnent à l’enseignement, l’importance du rôle social de l’école ainsi que l’impact des personnes qui ont contribué aux apprentissages significatifs dans leur vie. On trouve aussi, tout au long de ces récits d’expérience d’apprentissage et de ces échanges, le désir de poursuivre la formation, le goût d’apprendre et la construction d’un rapport aux savoirs qui les mobilise dans leurs actions enseignantes. On découvre des médiateurs et des médiatrices du rapport aux savoirs qui cherchent à communiquer à leurs élèves la valeur de l’école et de l’apprendre. Par ailleurs, une synthèse conceptuelle prolonge l’apport des récits d’expérience, des échanges et des dialogues pédagogiques sous la forme d’encadrés. Les lecteurs et les lectrices qui le souhaitent puiseront à ces aspects théoriques clés qui conceptualisent la démarche.

Cet ouvrage est un exemple de la réflexivité exercée par les professionnels et professionnelles de l’acte d’apprendre. Il témoigne des compétences interculturelles mobilisées par les participants et participantes[3], de la fécondité de l’écoute respectueuse et de la lucidité qu’apporte la reconnaissance à part entière d’autrui. Il illustre également la posture du directeur et de la directrice de l’ouvrage en faveur de la démocratisation des savoirs opérée par la prise en charge des savoirs d’expérience. Ce livre sensibilise à des environnements et des milieux scolaires différents et favorise les liens entre le peuple haïtien et québécois, deux peuples partageant la langue française et un territoire dans les Amériques tout en ayant une histoire qui les distingue. En somme, une des contributions majeures de ce livre est qu’il annonce l’âge de l’altérité évoqué par Jean-Yves Robin (2017) et apporte des pistes pour cheminer vers cet horizon.

Bibliographie

Dervin, Fred (2007). « Évaluer l’interculturel : problématiques et pistes de travail ». Dans Évaluer les compétences langagières et interculturelles dans l’enseignement supérieur. Sous la direction de Fred Dervin et Eija Suomela-Salmi, p. 95-118. Turku : Université de Turku, Département d’études françaises. https://www.utupub.fi/bitstream/handle/10024/69212/assessment.pdf?sequence=1&isAllowed=y

Héber-Suffrin, Claire et Marc Héber-Suffrin (2017). Penser, apprendre, agir en réseaux. Donner, recevoir, donner aussi… La réciprocité pour réussir. Lyon : Chronique Sociale.

Lani-Bayle, Martine, Maria Passeggi et Sandra Vasconcelos (coord.) (2022). Des écoliers racontent leur école. Découvertes, jeux, apprentissages. Paris : L’Harmattan.

Meirieu, Philippe (2014). Le plaisir d’apprendre. Paris : Autrement.

Pineau, Gaston et Hervé Breton (2021). Vingt-cinq ans de vie d’une collection. Quelle(s) histoire(s) en formation? Paris : L’Harmattan.

Robin, Jean-Yves (2017). « Le savoir entre saveurs et nausées ». Dans Jean-Pierre Gaté (dir.). Le rapport aux savoirs en Éducation, postface, p. 155-166. Paris : Les acteurs du savoir.

Schön, Donald Alan (1994). Le praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Montréal : Éditions Logiques.


  1. Claire et Marc Héber-Suffrin ont initié les Réseaux d’échanges réciproques de savoirs (RERS) avec Gaston Pineau, figure de proue des histoires de vie en formation.
  2. Que ce soit du domaine de l’enseignement et de la formation (au primaire, au niveau universitaire ou encore chez les Compagnons du Devoir et du Tour de France), du domaine de la sociologie, de la psychiatrie et de la psychanalyse, de la philosophie, de l’histoire, de la traduction et du journalisme, de la littérature et de la sculpture, ou en provenance de l’engagement associatif.
  3. D’ailleurs, le livre est accessible en langue française et en créole, première langue des enseignant·e·s de Haïti, mettant en valeur le dialogue interculturel.

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