Mélanie Arsenault, enseignante d’architecture

Un jour, mon père m’a appris à conduire une voiture manuelle. Ce qui m’a marquée, c’est comment il s’y est pris pour me faire faire cet apprentissage. J’avais déjà mon permis de conduire, mais je conduisais juste automatique. Mon père avait une voiture manuelle, et ma mère, une voiture automatique, ce qui fait que c’était compliqué, des fois, pour le partage des voitures. Alors mon père m’a dit : « Là, il faut que tu apprennes à conduire manuel. » Et il a été vraiment patient. Mais moi je ne voulais pas conduire manuel parce que ma mère avait tout le temps dit que c’était difficile, alors j’avais zéro confiance en moi. J’étais sûre que c’était vraiment difficile, je la croyais! Je voyais ça comme une montagne.

Je me rappelle la façon dont mon père me l’a montré, avec beaucoup de patience. Il a déconstruit l’idée que je n’étais pas capable, il m’a donné confiance en m’accompagnant là-dedans. Il venait tout le temps avec moi, mais je ne voulais jamais aller toute seule avec la voiture. Un moment donné, quand il a senti que j’étais prête, il a utilisé un truc… Au lieu de venir me reconduire à mon travail, il a dit : « Aujourd’hui, si tu veux y aller, tu vas être obligée de prendre le char[1]! » Et il m’a dit ça dix minutes avant mon travail. Il savait que j’étais prête, que j’étais capable de le faire et que tout ce qui me manquait, c’était la confiance en moi, puis un petit coup de pouce. Finalement, ça a très bien fonctionné. J’avais peut-être dix-sept ans — j’ai eu mon permis de conduire à seize ans —, j’étais à la maison, c’était l’été. C’était dans la Baie-des-Chaleurs, en Gaspésie. Il n’y avait pas de trafic, mais il y avait une côte. Le défi de la côte, avec la conduite manuelle! Mon frère, lui, n’avait pas son permis — je ne sais pas si je devrais dire ça —, mais il savait déjà conduire manuel et il était plus jeune que moi, alors ça me faisait une petite pression supplémentaire!

Mon père utilisait peu de mots. Il s’assoyait à côté de moi et il me disait : « OK, c’est beau, tu peux y aller, tu es capable. » Il observait ce que je faisais, il commentait les choses que je faisais, en hochant la tête pour me dire « c’est bon ». Mais il ne se perdait pas dans mille commentaires. Il était plus là pour me dire si c’était correct. De temps en temps un petit commentaire, mais très peu, alors ceux qu’il m’a donnés m’ont marquée. Entre autres, un conseil pour quand tu es arrêté à un stop et que tu veux repartir. Il m’avait dit : « Si tu hésites, vas-y pas, pis si tu y vas, n’hésite pas! » Ça, c’est mon père!

Je repense souvent à ça. Quand on veut faire quelque chose, notre plus gros obstacle, c’est notre confiance. C’est quand on est obligé de le faire qu’on fait le pas. En étant consciente de ça, des fois, j’essaie de ne pas me rendre jusque-là et de prendre les devants, et de prendre plus d’initiatives. « Si tu hésites, vas-y pas, pis si tu y vas, n’hésite pas » : ça aussi, j’y pense souvent, et pas juste dans la conduite automobile, dans les projets où je m’implique aussi.

Comme professeure d’architecture, j’essaie de valoriser ce que mes étudiant·e·s font déjà bien, de le dire à haute voix. Je les encourage, je leur dis souvent aussi : « Tu peux être fier de toi », pas juste : « Je suis fière de toi. » J’essaie de miser sur ce qu’ils ou elles font de bien. Ça fonctionne, je crois. Parfois, il y en a qui sont surpris·e·s qu’on leur dise des choses comme ça, on dirait qu’ils et elles sont étonné·e·s, qu’ils et elles s’attendent qu’on leur montre tout le temps leurs erreurs au lieu de leur dire : « Ça, c’est bon. » J’essaie de mettre l’accent sur le positif.


  1. Automobile (québécisme, familier).

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