Magnès Cossier, enseignant de littérature
Je souhaite témoigner de mon expérience d’enseignant, mais aussi de ce que j’ai vécu lorsque j’étais l’élève d’une enseignante particulière que j’ai eu la chance de rencontrer sur mon chemin. Tout ce que je vais dire n’est pas pour faire de belles phrases, mais pour raconter quelque chose que j’ai vécu et qui m’a marqué quand j’étais étudiant et qui m’inspire encore aujourd’hui, alors que j’exerce ce métier.
Je suis né dans un pays où il y a des difficultés, mais mes parents, même s’ils n’avaient pas de grands moyens, même s’ils ne savaient pas, ont fait beaucoup d’efforts pour me mettre à l’école. Je dois préciser que la majorité des écoles haïtiennes sont privées. Lorsqu’un enfant est à l’école en Haïti, les raisons d’abandonner sont nombreuses. Mais la merveilleuse expérience que j’ai vécue ressemblait plus à une aventure qui me donnait envie de continuer. J’étais comme un explorateur, je voulais découvrir ce qui m’attendait. Je ne peux pas m’empêcher de parler de ma rencontre avec une enseignante, une mademoiselle, comme nous en Haïti. Notre pays est l’un des rares pays où le salaire d’un·e enseignant·e est si bas, mais j’ai été étonné de voir comment cette jeune femme a mis son âme, mis son corps, mis son cœur dans ce qu’elle faisait. Même si je n’avais pas beaucoup d’esprit, je pouvais percevoir ces choses. Aujourd’hui, je comprends encore plus.
J’étais à l’école primaire. Ce que je vais raconter, c’est l’une des cent histoires que je pourrais raconter… Cette professeure, comme je l’ai déjà dit, s’est entièrement investie dans son travail. Vous aviez l’impression qu’elle travaillait pour quarante enfants de plus que ce que nous étions, et nos classes avaient déjà un bon nombre d’élèves. Je ne mentionnerai pas son nom… Peut-être qu’elle ne se souvient même pas de quoi je parle. Une des choses qui m’a le plus frappé, c’est qu’un jour, malgré son enfant malade, elle a préféré négliger la santé de ses enfants pour pouvoir nous aider à grandir. J’ai ressenti cela parce que je pouvais lire la tristesse et le chagrin sur son visage, surtout quand elle nous expliquait ce qu’elle traversait même si elle n’avait pas la certitude que nous arriverions à comprendre.
Cette expérience et bien d’autres m’ont motivé à poursuivre une carrière dans l’éducation. Je suis fier aujourd’hui de dire que je suis enseignant. Je suis également fier de dire que je suis un bon professeur. Il est vrai que ce métier n’est pas facile à peu près partout dans le monde, notamment en Haïti, mais je le vis comme un sacerdoce. Nous devons travailler presque toute la journée et, plusieurs fois, sans repos. Nos classes ont beaucoup d’élèves, le matériel manque, les enfants ne sont pas non plus capables d’apprendre pour des raisons qu’on peut deviner. Malgré toutes ces difficultés, je tiens à dire que c’est pour moi un honneur et un privilège de participer à la construction de la société dans laquelle je vis.
J’enseigne le français dans plusieurs écoles de la ville des Gonaïves à un niveau élevé. J’accompagne les étudiant·e·s principalement en matière de production et d’interprétation de textes. Souvent, lorsque je les rencontre, ce qu’ils et elles ont comme condition préalable ne suffit pas du tout. Mais comme mon métier me demande d’être patient, j’aime les aider à découvrir ce qu’ils et elles ont déjà comme compétence. Aujourd’hui, je suis heureux et fier de dire qu’ils et elles s’améliorent vraiment.
Nous avons un pays à construire. Cela ne sera pas possible sans des enseignant·e·s qui sont de bons citoyen·ne·s. Je suis touché quand je vois à quel point les enfants ont soif de notre présence, combien ils et elles ont envie de nous écouter. Cela me fait aussi comprendre que ma place n’est pas ailleurs qu’en Haïti.