Gina Lévesque, enseignante de soins infirmiers
À l’école primaire, une enseignante offrait des ateliers après l’école. C’était pour initier les élèves à l’écriture cursive, mais seulement quelques élèves qui avaient plus de facilité, pour les aider à avancer. Elle voulait donner de son temps pour leur faire pratiquer l’écriture en lettres attachées parce qu’en troisième année, on écrivait seulement en lettres détachées. Je n’avais pas été choisie… Je trouvais ça dommage parce que j’avais l’impression que la professeure choisissait ceux et celles avec qui elle s’entendait le mieux. Puis une de mes amies m’a dit tout bonnement : « Je ne comprends pas pourquoi elle ne t’a pas prise. Tu devrais venir avec nous. » J’ai accepté. L’enseignante a dit : « Mais c’est moi qui avais choisi les élèves! Il ne faut pas inviter du monde comme ça! » Même si elle était offusquée de l’invitation surprise, elle s’est bien rendu compte que j’étais aussi capable d’apprendre cette forme d’écriture. J’ai donc fait partie du groupe, finalement. Ça m’a fait réaliser que c’est important d’inclure l’ensemble des élèves dans les activités que l’on fait et de croire au potentiel de chacun·e de nos élèves. Si un·e professeur·e juge qu’un·e élève a moins de facilité, au lieu de l’exclure, il ou elle peut essayer de trouver une activité qui va lui permettre de participer, et encore mieux, qui va favoriser l’entraide et l’apprentissage des élèves entre eux et elles. C’est le principe du socioconstructivisme. Je crois que de privilégier certain·e·s élèves peut atteindre l’estime des élèves mis·es de côté, en plus de créer un écart entre ces élèves : on favorise le sentiment de supériorité chez certain·e·s, et d’infériorité chez d’autres. C’est une expérience qui m’a vraiment marquée.
À un autre moment, nous avions un spectacle de danse à faire, et il avait été diffusé à la télévision communautaire. À l’écran, on voyait la plupart du temps les deux mêmes couples d’élèves. J’avais dit : « On voyait beaucoup telle et telle personne. » Ma professeure avait répondu : « Ils ont juste montré les plus beaux. » Je suis certaine qu’elle a dit ça pour faire plaisir aux élèves concerné·e·s, mais cela m’a appris à faire attention à ce qu’on dit pour ne pas blesser les autres.
Une autre enseignante au primaire m’a démontré l’importance de la notion de respect et d’égalité, un peu dans le même sens que les valeurs enseignées dans les cours de pédagogie : ne pas se penser, en tant qu’enseignant·e, comme une personne supérieure à nos élèves, mais plutôt comme un·e guide. Elle enseignait en deuxième ou troisième année. Elle parlait aux enfants comme à des « grand·e·s ». Elle leur demandait leur avis, leur parlait avec un vocabulaire d’adulte. Elle les prenait comme des êtres à part entière, elle prenait le temps de les écouter et d’échanger avec eux et elles. Il y avait aussi du respect quand elle parlait d’eux et d’elles.
Cet amalgame de faits vécus m’a aidée à être plus sensible à l’idée d’intégrer et de respecter tou·te·s mes élèves. Si j’en vois qui ont plus de difficultés, qui sont plus en retrait, j’essaie de favoriser leur intégration. Dans le même sens, dans mon métier d’infirmière, je tiens à respecter également tou·te·s mes patient·e·s, peu importe leur statut social, leur éducation. Je me souviens du commentaire d’un professionnel de la santé avec qui je travaillais. Il y avait parmi nos patient·e·s une dame plus exigeante et il avait dit : « Je comprends qu’elle soit comme ça, as-tu vu d’où elle vient? » Il disait ça parce qu’elle était originaire de la campagne, d’un rang éloigné[1], parce qu’elle provenait probablement d’un milieu défavorisé. Pourtant, ce n’est pas parce qu’une personne demeure à la campagne, a moins de sous[2] ou moins d’influence sociale qu’elle mérite des soins différents ou une considération moindre de la part des autres. Malheureusement, on observe parfois cela dans la vie, des gens qui vont traiter avec plus d’égards les personnes les mieux nanties ou les plus influentes.
Pendant mes études en soins infirmiers au cégep, les enseignantes étaient des modèles pour moi. Elles avaient les mêmes valeurs que moi : le respect et l’équité. Je me souviens d’enseignantes qui rendaient le cours dynamique, qui faisaient parler les élèves également en allant chercher ceux et celles qui participaient moins. Dans ce temps-là, je m’en rendais compte, mais aujourd’hui je comprends encore plus l’importance de cette attitude. Si c’était les mêmes élèves qui levaient la main, elles disaient : « On va laisser parler les autres ». Plusieurs de mes enseignantes en soins infirmiers étaient particulièrement attentives à ça.
Je trouve qu’il est important d’être sensible à ce que les élèves vivent. Parfois, on ne le sait pas et on va juger : « Il me semble qu’elle fait moins ses travaux, qu’elle a moins fait sa préparation de stages cette semaine. » Dans certains cas, on sait par après que la personne a vécu quelque chose. Souvent, on dit aux élèves : « Parlez-nous-en. On essaie de s’imaginer que ce n’est pas toujours égal dans votre vie, mais quand on sait la raison, ça nous aide encore plus à comprendre. » Ce n’est pas tout le monde qui est extraverti de la même façon. Il y en a qui vont le dire et même justifier beaucoup leur retard. Et il y en a d’autres qui vont vivre la même chose et qui n’en parleront pas. Par exemple, les étudiant·e·s de première année ont moins d’outils. Souvent, ils et elles viennent d’arriver au cégep, certain·e·s sont loin de leur famille, commencent la vie en appartement. Je dirais que c’est pire à cause du contexte. En deuxième et troisième années, ils et elles peuvent vivre des choses difficiles aussi, mais souvent ils et elles ont eu le temps de s’habituer à leur nouveau milieu, de se développer des outils, des ressources autour. La maturité joue aussi, même si quelqu’un peut être déjà mature en première année, grâce à un contexte plus favorable.