Fabius Permélus, enseignant d’espagnol et de musique
Je suis Permélus Fabius, et mes ami·e·s me connaissent sous le nom d’Archange, un nom d’enfance. Je suis un professeur de musique et de langue vivante, plus précisément d’espagnol. J’ai vécu pas mal d’expériences avec les étudiant·e·s et les élèves… Et parmi ces expériences, il y en a deux qui m’ont plus marqué.
J’avais un élève ici, au Collège La Sainte-Famille, qui était en classe de 7e année. Je lui ai appris quelque chose et il a mis ça en pratique. Maintenant il n’est plus au Collège, il vit à la Guyane. Il faut dire que j’étais son professeur d’espagnol. Je lui avais dit qu’il n’existe pas un document, un livre dans lequel il est écrit : « Ne lisez pas ces pages. » Parce que nous nous limitons nous-mêmes, mais les ouvrages ne nous limitent pas. On peut lire n’importe où, on peut faire les recherches n’importe où, sur l’Internet, par exemple. Alors c’est nous qui nous limitons. Il a appris les mots, en quelque sorte les conseils que je lui ai prodigués. Et jusqu’à présent, il m’écrit toujours en espagnol. Je lui ai dit : « Mais quelle langue parle-t-on là-bas? » Alors il m’a dit aussi vite que possible : « Là-bas, on parle le français, mais moi je veux vous écrire en espagnol! » Et je lui ai dit : « Pourquoi? » Il a répondu : « N’oubliez pas, professeur, n’oubliez pas, professeur, je suis votre élève, j’ai appris quelque chose avec vous, et j’ai mis en application les conseils que vous m’avez donnés, c’est pourquoi, moi, je veux toujours vous écrire en espagnol. »
En deuxième lieu, à l’école de musique, il y avait un élève en salle de classe qui était, je peux dire, de niveau moyen. C’est qu’il ne comprenait pas les choses à première vue, mais il se donnait toujours, il était toujours en classe et il persévérait. Je lui ai dit que la musique, il ne faut pas la regarder à distance, c’est en quelque sorte une pièce de théâtre dans laquelle on se fait acteur principal. L’élève était toujours là, il venait toujours, il assistait toujours à ses cours. Aux examens, il a écrit quelque chose de surprenant. Je me suis mis à songer : « Mais comment a-t-il réussi à faire une telle réflexion à son âge? C’est une réflexion mature, que je n’ai jamais vue dans les partitions que j’exécute. » Il avait mis une pause doublement pointée. J’ai dû penser, penser, penser, pour voir s’il avait trouvé la réponse. Et il l’avait trouvée, il l’avait trouvée…
Ça m’a appris beaucoup de choses parce que dans la vie, comme je l’ai déjà dit, nous nous limitons nous-mêmes, mais les documents ne nous limitent pas. Les instruments de musique ne nous limitent pas non plus. Il faut lire, il faut s’adonner à la lecture, il faut s’adonner à l’apprentissage parce qu’à mon avis, la vie est ainsi. La connaissance! Au fond, une personne ne doit pas se contenter d’un métier.
Je vais prendre un autre exemple. Pythagore, qui a parlé en géométrie de la loi de l’hypoténuse : le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés de deux de ses côtés. C’est le même Pythagore qui a contribué à la loi de l’échelle musicale. Comment? Il a observé un forgeron alors qu’il coupait le fer. Plus le fer était long, plus le son était grave, et plus le fer était court, plus le son produit était aigu. Ces hommes-là, ils optaient pour tout, ils n’ont pas choisi un domaine quelconque, mais ils s’adonnaient à tout pour la poursuite de la connaissance. Ça m’a appris beaucoup de choses. Il n’existe pas de personnes nulles en ce monde. On peut faire n’importe quoi, n’importe quand. Mais il faut avoir le dévouement, le désir. Il faut manifester en quelque sorte la volonté, la motivation, dans la recherche.
Il y a quelque chose de plus que j’ai failli oublier. C’est que je dis en tout temps à mes élèves que la folie, c’est l’une des étapes qu’il faut franchir. La découverte de l’Amérique, à mon avis, est passée par la folie. Le père de Christophe Colomb, il était un tisserand. Colomb, lui, s’est dirigé vers l’Amérique et pourtant, il s’est trompé. Ses compagnons le traitaient de fou. Pourquoi? Parce qu’il n’avait pas les moyens pour effectuer un tel voyage. Les mêmes hommes qui ont traité Colomb de fou ont pu dire plus tard que Colomb avait le mérite d’avoir été ferme dans son projet, jusqu’au triomphe de son point de vue.
Quelques fois, lors de mon apprentissage de la musique ou de la langue, on a dit à mon sujet : « Ce type-là, il semble fou! Regardez bien, il s’adresse à lui-même. » C’est une folie, mais ce n’est pas la vraie folie. Peut-être que je suis en ce monde, mais que je ne suis pas de ce monde. Parfois, il faut laisser le monde dans lequel nous vivons pour partir vers un autre monde, un monde imaginaire, un monde intellectuel. Surtout quand on veut partir à la recherche, à la quête de la connaissance. J’ai eu pas mal d’élèves dans ma salle de classe. Ils et elles ont appris quelque chose : je leur dis que l’originalité n’est pas la matière, mais la manière. On a tous et toutes les mêmes points de départ, mais pas les mêmes points d’arrivée. Je peux arriver à dix mètres, et il y a les autres à trente, quarante, cinquante mètres. Dans une même salle de classe, une même université, avec les mêmes professeur·e·s, tout le monde ne fait pas les mêmes apprentissages et tout le monde n’atteint pas le même niveau dans la mise en œuvre de sa compétence. La vie est un train, un autobus dans lequel on monte, mais on n’arrive pas tous et toutes à la même destination. Les élèves ont pris ces conseils.
Je me rappelle une expérience également en musique. Il y avait une petite fille qui s’exerçait au piano. Elle avait toujours tendance à dire : « Je ne peux pas, je ne peux pas! Comment obtenir ce doigté? » J’ai demandé : « Est-ce que tu veux y arriver? » Elle m’a répondu : « Oui. » « Ne t’inquiète pas », lui ai-je répété. Elle travaillait, elle travaillait, elle travaillait. Et elle est maintenant l’une des meilleures de l’école de musique, surtout en piano classique.
Je dis également que la musique nous apprend tout. Parce que toute la réalité de la vie quotidienne se retrouve dans la musique. Il y a toujours une relation entre les éléments d’une famille. C’est le cas, par exemple, si on parle de la gamme. La gamme, c’est une famille de notes placées selon les lois de la tonalité. Les notes ont toutes un nom. Chaque membre d’une famille a un nom. Le premier degré, le deuxième degré, le troisième, jusqu’au huitième. Qu’est-ce qu’il faut comprendre? Les degrés n’ont pas la même importance. La tonique, c’est le degré le plus important parce qu’il donne son nom à la gamme et il résume, à la fin, la tonalité de la chanson. Mais chaque degré de la gamme a son importance, il est porteur d’un message pour le musicien ou la musicienne et pour l’auditeur ou l’auditrice. Et nous, nous sommes les membres d’une famille. Quand on travaille en équipe, il faut comprendre que nous n’avons pas vraiment la même potentialité. Si nous travaillons dans une salle de classe, les élèves n’ont pas la même capacité d’apprentissage. Il faut les mettre à leur place, dans le sens d’accorder beaucoup plus d’attention aux plus faibles pour les mettre au pas, sans donner moins d’importance aux élèves les plus fort·e·s. C’est ça, le rôle des professeur·e·s.
Je peux dire que moi, je n’ai pas grandi avec ma mère. J’ai été élevé par ma belle-mère. Cependant, après la mort de mon père, j’étais seul, dès l’âge de 17 ans. Et les membres de la famille de mon père m’ont fait pas mal de promesses. Si je voulais continuer mes études, je devais persévérer, rester dans la tranquillité, loin de la débauche et du vagabondage. J’ai tout mis en application, pourtant ils n’ont rien fait, ne m’ont jamais aidé. Quelques fois, je me sentais triste et parfois, j’ai eu de l’inspiration. Par exemple, mes premières pièces de musique, je les ai écrites surtout en ton mineur. La mélancolie de la vie et les difficultés ne manquaient pas de me visiter. Ça tournait autour de moi, ça rôdait autour de moi, les difficultés. Je dirais que ce n’est pas possible de laisser, ou du moins de déposer son destin sur le dos de n’importe qui. Quoi qu’il en soit, j’ai persévéré. Je me suis transposé ou transporté dans un autre monde. Je le fais encore aujourd’hui, en tout temps et en tout lieu.
J’ai appris autre chose pendant que j’étais à l’école. Parce que j’ai étudié pas mal de textes. Mais tous les élèves n’en tiraient pas le même profit que moi. Il y avait un texte parlant de Robert Bruce, un roi d’Écosse, je ne sais pas s’il s’agissait de quelque chose d’imaginaire. Robert Bruce, un roi d’Écosse qui a fait environ six fois une bataille, mais échoué six fois. L’histoire commençait avec Robert Bruce caché au fond d’une vallée, assis sur une souche, la tête entre les mains. Il réfléchissait : « Moi, Robert Bruce, roi d’Écosse, six fois j’ai approché l’envahisseur anglais, six fois j’ai vu tomber mes valeureux compagnons! » Mais tout à coup, qu’est-ce qu’il a observé? Une araignée qui essayait d’accrocher sa toile. Six fois l’araignée a échoué, et la septième fois, elle a réussi. Eh bien, Robert Bruce avait trouvé l’inspiration : « Je livre une septième bataille à mes ennemis et je serai vainqueur. » Tant de choses, des textes, tous les textes étudiés en salle de classe, je pourrais dire que ça constitue en quelque sorte un monde d’inspiration, un monde d’inspiration. Et, en plus, les expériences qu’on a… Il n’y a pas un lieu où on ne fait pas d’expériences. On fait des expériences dans la vie, mais il n’y a pas une école qui les remplace toutes.
Je sais qu’avec la musique, on peut tout comprendre. Par exemple, il y a les jazzmans, les bluesmans, ceux et celles qui pratiquent le rock, le rock and roll, le bebop… Ce sont autant de rythmes que l’on peut pratiquer, dans une même famille. Surtout, il faut s’entendre. Si on veut faire du jazz, on va jusqu’au septième degré. Pour une septième majeure, cela veut dire un demi-ton à la tonique. Alors que si on fait du blues, on va jusqu’au septième degré, de la manière la plus simple possible si on est de niveau débutant. Il y a le free jazz, le jazz improvisé, le blues du bebop. Ce sont des rythmes qui se ressemblent. Les musicien·ne·s doivent s’entendre sur le style de musique qu’ils et elles veulent improviser. Ils et elles essaient d’éviter la cacophonie, mais recherchent la dissonance et la consonance. Grâce à la musique, j’ai compris que mes compatriotes, contrairement aux musicien·ne·s, ne veulent pas s’entendre sur ce qu’ils et elles veulent faire.