Caroline Dupont, enseignante de littérature
J’ai toujours aimé le français. Ce n’est pas venu sur le tard. En secondaire 1 et 2, j’étudiais dans une petite école à Les Hauteurs, à 50 kilomètres au sud de Rimouski. Je viens des terres, moi! On avait des profs vraiment extraordinaires. En secondaire 1, j’ai eu un prof de français et de théâtre que j’ai retrouvé en secondaire 5 dans une autre école, au Mistral de Mont-Joli. Un prof passionné! Il interagissait toujours avec nous. Ce n’était pas un discours professoral qu’il nous tenait. Il habitait la classe d’une façon merveilleuse. Quand je vois ça passer, d’ailleurs, dans les documents sur la gestion de classe, l’importance d’« habiter l’espace », c’est à lui que je pense : Daniel Marchand. Il s’appelait Marchand et il marchait sa classe sur un heureux temps! Quelques fois, il se retournait spontanément pour s’adresser à nous, puis on était toujours captivés par ce qu’il avait à raconter, par sa manière d’être aussi. C’était un personnage. Mes parents ont déménagé l’année passée, mes affaires d’école étaient restées chez eux. J’ai donc retrouvé des cahiers, puis des évaluations de Daniel. J’ai relu ça : les commentaires étaient pertinents, tout le temps. En classe, on faisait des affaires habituelles, mais aussi du lettrage. Il n’y avait pas un prof qui faisait ça, nous faire apprendre à mieux écrire, en cursive! Ça ne parait plus, chez moi, aujourd’hui, mais quand même! Il nous faisait faire ce genre de choses-là. Il était très, très, très exigeant.
En français de secondaire 2, j’ai eu Renée-Jeanne Bernier, la calleuse! Quand il y a des danses traditionnelles callées ici, à Rimouski, c’est elle, Renée-Jeanne, qui souvent les anime, qui appelle, c’est-à-dire qu’elle nomme et compte les pas qu’il faut faire. Elle représente à mes yeux une autre passionnée qui était sur la fin de sa carrière, qui avait une expérience à partager. Il y a des « trucs » auxquels je pense parfois qui me viennent d’elle. Entre autres la redondance, qu’on essaie d’éviter dans un texte. En secondaire 2, c’était la première fois que j’entendais parler de ça. Elle nous disait : « Ce n’est pas compliqué, ça, la redondance, c’est comme un gros bonhomme qui rebondit sur son ventre. » Tu sais, des trucs comme ça. C’était tout le temps imagé. Je l’ai beaucoup aimée, cette prof-là. Elle a célébré son 50e anniversaire de mariage il y a quelques années. C’est Stéphanie Pelletier, animatrice de radio, qui a eu le mandat d’animer la soirée. Elle est venue interviewer d’ancien·ne·s étudiant·e·s, et j’ai eu la chance de faire un témoignage pour elle, pour dire à quel point elle avait été marquante dans mon parcours. Elle et Daniel étaient évidemment tous deux dans la salle ce soir-là.
Ce sont là des personnes qui m’ont marquée positivement. Le point commun entre elles, c’est la rigueur, la passion, parce que leur travail était une part très significative de leur vie. On se sentait vraiment aimés dans ces classes-là. Ça ne s’est pas démenti avec le temps. Des années après, Renée-Jeanne était retraitée, et moi je suis allée en Allemagne un bout de temps — quand j’étais à la maîtrise, j’avais eu la chance de passer trois mois et demi là-bas —, et je voulais me faire envoyer des documents par ma mère, des documents dont j’avais besoin pour rédiger. C’est Renée-Jeanne qui a mis la main sur toutes sortes de documents en fouillant à la bibliothèque, ma mère avait communiqué avec elle parce qu’elles viennent du même coin. Il n’y a pas de fin à sa mission auprès de moi! En général, elle a toujours eu le cœur sur la main. Elle fait partie de ces êtres passionnés qui donnent le goût de faire ce métier-là. Je retiens de ces profs l’importance de nouer des liens avec ses étudiant·e·s, et de toujours se rappeler qu’ils et elles sont là avant que nous, on y soit. Quelques fois, on peut oublier ce rapport-là, ne pas considérer le fait que ce sont les étudiant·e·s qui donnent le sens à notre existence de profs, même si c’est difficile par moments.
Ces profs de mon adolescence ont eu des classes pas faciles, je me rappelle une de ces classes pas nécessairement évidentes dans le petit milieu où on était, un peu défavorisé, où vivaient des familles avec lesquelles le travail était plus ardu, pour qui l’école n’était pas nécessairement une priorité. Donc les enseignant·e·s avaient à faire face à toutes sortes de défis. Je me dis, bon, aujourd’hui — ça fait déjà 25 ans, même plus —, ça change, mais pas tant que ça au sens où encore là, on rencontre des étudiant·e·s pour qui la priorité n’est pas forcément les études, parce qu’on est un peu dans une société de surconsommation. Les étudiant·e·s ne sont pas toujours disponibles pour leurs études, pour des raisons qu’il faut essayer de contrer. Ce n’est pas toujours simple d’aller chercher la personne là où elle est, de la prendre là où elle est et d’essayer de l’amener plus loin, mais ça demeure un défi stimulant.