Barbara Hébert, enseignante de foresterie
Mon apprentissage est en lien avec la reconnaissance, avec l’importance de la reconnaissance. Quand j’étais en première année, l’enseignante a dit : « Pour la prochaine semaine, on va apprendre un poème qui s’appelle “La Poupée malade” ». Moi j’étais sur ma chaise et j’ai dit : « Oh, j’ai déjà commencé à l’apprendre, je le connais! » J’étais excitée, j’avais pris de l’avance dans mon livre de lecture… La professeure a dit : « Bon, Barbara, viens donc nous réciter le poème en avant, d’abord[1] ». Je me suis dit « OK », j’ai pris mon courage pour y aller, j’ai récité le poème d’un bout à l’autre et je me suis excusée en disant : « Eh bien, je pourrais mettre plus d’intonation, et oui, il me reste du travail à faire… » La professeure avait voulu m’humilier devant la classe. Je suis retournée à ma place et je me suis dit : « Les grandes personnes, il ne faut pas toujours les croire, elles n’ont pas toujours une parole juste. » Je pense que cet événement m’a amenée à trouver ma propre vérité, à avoir toujours une zone grise, un espace de doute, à dire : « Peut-être que oui, peut-être que non ». J’ai appris à savoir quand c’est juste ou pas, la réaction de l’autre, pour ne pas me laisser démolir, pour me détacher de son regard, mais pas complètement, pas en m’isolant. J’ai appris à prendre ce qui m’appartient et à laisser à l’autre ce qui lui appartient. Je savais que la professeure n’était pas gentille avec moi, je savais que je ne méritais pas ce qu’elle venait de faire, alors je n’étais pas fâchée contre elle.
Je repense à la petite fille que j’étais et je vois qu’elle avait su pardonner à sa professeure. Je lui ai pardonné de ne pas avoir reconnu la joie que j’avais, le plaisir que j’avais à aller à l’école, jusqu’à prendre de l’avance dans mon livre. Je sais que j’ai touché une blessure parce que ce n’était vraiment pas méchant et je n’étais vraiment pas tannante[2], c’était la joie seulement d’être rendue à ce poème-là que j’aimais depuis longtemps. Ce qui m’aurait donné des ailes au moment où je portais la joie, ça aurait été d’entendre : « Barbara, qu’est-ce qui te donne de la joie comme ça? », puis si elle avait soufflé sur ça, si elle avait soufflé sur le fait que j’aimais la littérature. C’était mon livre de première année, mais quand même, c’était d’encourager ça, ce qu’elle n’a pas fait. Cette professeure, elle a manqué son coup avec moi à ce moment-là, mais d’autres personnes ont soufflé sur moi après et j’ai pu goûter la reconnaissance.
Je pense que c’est ça qui m’a guidée dans la vérité, l’intégrité. Avec les étudiant·e·s, c’est sûr que quand je me trompe, je fais un mea culpa, je m’excuse. Il y a pour moi une notion de respect qui est importante. J’ai appris qu’on peut permettre aux autres d’ouvrir leurs ailes. Pour moi, dans ma posture d’enseignante au collège, je reconnais qu’on a un rôle majeur à jouer par rapport aux étudiant·e·s qui passent, c’est vraiment un moment de passage pour les jeunes, à dix-sept, vingt ans. Ils et elles sont en train de construire leur identité. À partir du moment où moi je les reconnais, où moi je souffle sur eux et elles, ils et elles se reconnaissent eux-mêmes ou elles-mêmes. Ça ne se fait pas juste de l’extérieur! C’est une invitation à se reconnaître. Dans mon approche, je ne veux pas juste qu’ils ou elles attendent que les autres leur disent : « Hey, tu es bon·ne! » Mais je veux plutôt leur dire : « Regarde, j’ai observé ça… Et toi, as-tu vu que tu es capable de le faire? » Je les amène à voir, à se voir, comme si je jouais le rôle de miroir. Je les aide à voir leurs apprentissages, mais plus encore. Avec mes collègues, chaque année, on prend notre quarantaine d’étudiant·e·s en foresterie, et pour chacun·e, on sort une, deux, trois qualités. Puis on leur écrit des petits cartons avec ces qualités-là et on leur remet ça. Chaque année, on fait ça. C’est vraiment touchant, il y a des étudiant·e·s qui disent, au bout de trois ans : « Moi je les ai, mes trois cartons, dans mon coffre à crayons ». Ce sont des cartons de couleur, alors ils ont une couleur différente chaque année. La racine de ce rituel est dans l’anecdote que j’ai racontée.