Lysias Cossier, enseignant de mathématiques
Mon papa m’a toujours dit qu’il avait été scolarisé à l’âge de 15 ans seulement parce que son propre père ne s’occupait pas de lui. Mais il m’a donné la chance, à moi, de venir à l’école dès mon plus jeune âge. Depuis, moi, j’ai pris ça à cœur, j’ai pris ça à cœur. J’ai fait mes études ici, au Collège La Sainte-Famille.
L’expérience que j’ai faite à l’école qui m’a le plus marqué, c’est quand j’étais en quatrième année. D’habitude, lorsque j’arrivais à la maison, je regardais les chapitres de mathématiques, mais aussi de toutes les matières. Je faisais tous les exercices. Un jour, je ne sais pas ce qui m’est arrivé, mais j’ai négligé mon étude. Je n’ai pas étudié, pas travaillé. Le lendemain, l’institutrice nous a proposé un exercice qui demandait de résoudre un problème. Ah, c’était l’embarras. Pour toute la classe. À cette époque, il y avait ce qu’on appelait l’application du fouet. Dans certains établissements en Haïti, c’est encore en vigueur, mais pas au CSF. Du coup, j’ai donc reçu des coups et des coups, et je me suis dit : « Bon, je dois me donner comme objectif de travailler et d’étudier tous les jours. » Oui, c’est ça que je me suis fixé comme objectif. Et depuis, ça me suit. Et je le communique chaque jour à mes élèves : « Ne laissez pas fermés vos livres, les livres ne doivent pas rester fermés. Chaque fois que vous arrivez à la maison, il faut les ouvrir pour voir ce que vous avez appris, consulter les sites Internet pour voir ce qu’il y a à jour, pour pouvoir progresser dans le cadre de votre apprentissage. »
Une autre expérience dans cette classe m’a marqué. On avait l’habitude de donner des dictées en français. On arrivait sur un mot, par exemple le mot regrettable. Il fallait écrire ce mot. Avant de donner la dictée, l’institutrice soulignait les mots avec l’orthographe le plus difficile. Du coup, elle était tombée sur regrettable. Et c’était la peine pour nous d’écrire ce mot! C’est alors que je me suis tourné vers ce qu’on appelle les suffixes pour pouvoir bien écrire le mot regrettable. Voilà. Je me suis dit : « Regrettable doit venir du verbe regretter, quand même. » Je me suis dit qu’il faut ajouter able : mais comment ajouter able à regretter? J’ai pensé : « Bon, il faut qu’il y ait un truc pour faire cela ». Et du coup, j’ai vu qu’il existe les suffixes, tout comme il y a des préfixes. Les suffixes sont là pour créer de nouveaux mots à partir d’une base. C’est donc par moi-même que j’ai fait cette découverte.
Plus tard, je suis devenu professeur. J’enseigne les mathématiques au lycée et au collège. En Haïti, les lycées, ce sont les établissements secondaires de l’État, alors que les collèges sont les établissements secondaires du secteur privé. Par exemple, ici, c’est le Collège La Sainte-Famille. De l’autre côté, c’est le Lycée Fabre Nicholas Geffrard. J’ai reçu une formation à l’École normale supérieure (ENS) de Port-au-Prince en mathématiques et j’ai décroché une licence. J’enseigne depuis deux ans, j’ai terminé mes études universitaires à l’ENS en septembre 2015. Ce n’est pas un travail facile, mais c’est aussi le métier le plus noble. On forme les générations du futur, on prépare les cadres pour le pays parce que tout passe par là. Si l’enseignement se fait mal, c’est le squelette même du pays qui est en danger. En tant que professeur, je ne vais pas seulement enseigner les mathématiques, mais aussi apprendre à mes élèves ce que je pourrais appeler le devoir du citoyen ou de la citoyenne. J’enseigne à devenir un bon citoyen ou une bonne citoyenne. Aussi, être un·e bon·ne citoyen·ne, c’est cultiver l’amour de la patrie. Ce pays-là, c’est un pays que chaque haïtien·ne doit pouvoir aimer. Je véhicule ça comme message dans mon métier.
Ensuite, comme enseignant, je remarque qu’en Haïti, il y a plusieurs écoles. Il y a ce qu’on pourrait appeler « l’école de la ville », et « l’école en dehors ». L’école de la ville, c’est par exemple dans les grandes villes : on peut citer Port-au-Prince, Gonaïves, Saint-Marc, Cap-Haïtien peut-être. L’école en dehors, c’est par exemple dans les sections communales. Chez nous, il y a les dix départements qui ont un chef-lieu, la plus grande ville du département. Ensuite, il y a les communes, les villes les plus importantes, et ensuite il y a les sections communales. Par exemple, moi je travaille dans une commune qui se situe un peu à l’est de Gonaïves, à l’entrée de Gonaïves. Vous allez remarquer que ce n’est pas la même réalité que les élèves du Collège La Sainte-Famille. Les élèves n’ont pas les mêmes besoins.