Préface
Le présent ouvrage s’inscrit dans le cadre des réalisations du Projet VISCAM[1], un programme d’enseignement, de recherche et de mobilité académique en anthropologie visuelle impliquant l’Université de Tromsø en Norvège et les Universités de Maroua et Ngaoundéré au Cameroun. Ce programme, qui se situe en effet dans la continuité, plus d’une décennie plus tard, de la troisième phase du programme Ngaoundéré Anthropos[2] dont j’ai été moi-même l’une des artisanes, s’articule autour des recherches sur des thématiques innovantes et des pratiques cinématographiques émergentes dans la recherche en sciences sociales et particulièrement en anthropologie visuelle au Nord-Cameroun et au Nord de la Norvège.
Débuté en 2017 par une convention liant les trois universités citées plus haut, ce projet, dont le champ d’intérêt porte sur l’usage des outils et données audiovisuelles dans la recherche anthropologique, a pour objectifs de développer un programme d’éducation et de formation durable en anthropologie visuelle, tout en recherchant l’excellence académique sur les questions et les problèmes liés à la paix et à la recherche du bien-être. Pour les atteindre, il a soutenu la production d’une multitude de travaux de recherche (masters et doctorats) et de films ethnographiques portant sur des questions sociales, économiques, ethnologiques et ethnographiques diverses dans des pays en voie de développement.
La somme des premiers travaux, dont les analyses sont prioritairement portées vers des questions de méthode et d’épistémologie encadrant la pratique anthropologique lors des enquêtes de terrain, est à la base de la publication du numéro hors-thématique de la revue Rhumsiki paru en 2021 dans le cadre du Projet VISCAM. Intitulée Anthropologie visuelle au Cameroun, de 1992 à 2021 et éditée par Clément Dili Palaï et Trond Waage, cette publication propose une analyse des techniques d’enquête et de la place de la caméra dans les pratiques de recherche d’anthropologues visuel-le-s, plus spécifiquement, mais également dans celles de chercheurs et chercheuses en sciences sociales, au sens large. Ce faisant, le collectif insiste sur l’impact des données audiovisuelles dans la saisie des faits ethnographiques. Un numéro spécial de Journal of Anthropological Films, ainsi que dix films d’étudiant-e-s boursier-e-s du projet, seront édités et réalisés dans la même veine.
Deux ans après l’édition de cet ouvrage pionnier en Afrique consacré à l’anthropologie visuelle, une seconde publication, coordonnée par une équipe transdisciplinaire (Mouadjamou Ahmadou, Bjørn Arntsen et Warayanssa Mawoune), se propose de présenter les résultats des travaux menés dans le cadre du Projet VISCAM. Les analyses qui y sont menées s’appuient non seulement sur du matériau audiovisuel et des films ethnographiques réalisés par les étudiants et étudiantes, les chercheuses et chercheurs impliqué-e-s dans le projet, mais elles s’intéressent aussi et surtout aux nouvelles problématiques et nouveaux défis liés aux différentes crises (sanitaires, sécuritaires) qui rythment le quotidien des populations et ébranlent le Nord-Cameroun depuis près d’une décennie déjà. Vivre au Nord-Cameroun : enjeux, défis et stratégies revient ainsi sur les facteurs, les acteurs et les conséquences des crises, les mutations sociales et les dynamiques socioéconomiques des populations de la partie septentrionale du Cameroun. Il expose également les stratégies de résiliences (sociales, économiques, politiques, culturelles) d’une zone cosmopolite où les traditions et actions quotidiennes des populations s’adaptent aux aléas environnementaux de leur temps.
La contribution de cet ouvrage dans le champ épistémologique de l’anthropologie visuelle en Afrique et au Cameroun est donc inestimable au regard des données recueillies et analysées par les différents contributeurs et contributrices qui s’adossent, pour la plupart, sur des pratiques méthodologiques anthropologiques mettant à contribution le rôle du visuel et de l’image, au sens large, dans la phénoménologie et la compréhension des faits culturels et ethnographiques propres au Nord-Cameroun. Sa plus-value réside par ailleurs dans le fait d’aborder des problématiques actuelles, de mettre en exergue des systèmes de hiérarchie et de valeur en pleine mutation et de permettre le questionnement continuel d’une discipline en pleine construction dans les universités du Sud.
Lisbet Holtedahl, Professeure émérite d’anthropologie visuelle
UiT – The Arctic University of Norway, Tromsø (Norvège)