4 Dynamique du statut social du Ngwazla chez les Mafa du Cameroun

Juvintus Guimaye

Résumé

La communauté mafa du Cameroun, de par sa répartition des rôles sociaux, a institué une discrimination entre les Ngwazla et les Vavi. Le Ngwazla est un officiant des rites d’inhumation, de guérison, etc., d’où l’appellation Mbeuh Souky – « devins » en langue mafa – qu’on leur attribue. C’est dire, dans ce contexte, que le ou la Ngwazla exerce des activités « impures ». Seulement, son statut d’antan a évolué au point qu’il ou elle mène de nos jours des activités dites nobles. Une telle mutation questionne par ailleurs les facteurs ayant contribué à la construction de ce nouveau statut social du ou de la Ngwazla. Le présent article propose une analyse anthropologique des raisons de cette dynamique statutaire selon l’approche de la dynamique sociale de Georges Balandier. Il s’appuie ainsi sur les données numériques (film ethnographique) recueillies au moyen de la caméra pour montrer comment les religions révélées, la stigmatisation, l’école occidentale, l’insécurité, l’économie du marché mondial, les médias de masse et la migration ont fortement contribué à cette dynamique évolutive du statut social du ou de la Ngwazla à Mokolo (Extrême-Nord, Cameroun).

Mots clés : dynamique, identité, Mafa, Ngwazla, statut social, anthropologie visuelle

Abstract         

The Mafa community in Cameroon, through its distribution of social roles, has instituted a discrimination between the Ngwazla and the Vavi. The Ngwazla is an officiant of burial rites, healing, etc., hence the name Mbeuh Souky – ‘diviners’ in the Mafa language – attributed to them. In this context, the Ngwazla performs ‘impure’ activities. However, his or her former status has evolved to the point where he or she now carries out so-called noble activities. Such a change also raises questions about the factors that have contributed to the construction of the Ngwazla’s new social status. This article proposes an anthropological analysis of the reasons for this status dynamic according to Georges Balandier’s approach to social dynamics. It uses digital data (ethnographic film) collected with the camera to show how revealed religions, stigmatisation, Western schooling, insecurity, the global market economy, mass media and migration have strongly contributed to this evolving dynamic of the social status of the Ngwazla in Mokolo (Far North, Cameroon).

Keywords: Identity dynamics, Mafa, Ngwazla, Social status, Visual anthropology

Introduction

Les sciences humaines et sociales s’intéressent aux grands changements constatés au sein des groupes sociaux. Ces transformations s’imposent aux individus et modifient les comportements, l’organisation et le système de fonctionnement social dans sa globalité. A. de Tocqueville (2011, p. 43) soutenait déjà à son époque que c’est la possibilité offerte à chaque individu d’accéder à n’importe quel statut qui permet à une société de se transformer. Ainsi, dans le cas de la présente étude, la dichotomie Ngwazla et Vavi[1] relève d’une institution « traditionnelle » discriminatoire dont l’origine remonte aux mythes de création de la communauté mafa. Ce système traditionnel a ainsi reparti, pour chaque groupe, un statut et un rôle particulier : les Ngwazla étaient des officiants des rites chez les Mafa « Mbeuh Souky » (devins) et astreints à l’endogamie. Les Vavi, quant à eux et elles, étaient des cultivateurs et cultivatrices. Ils et elles décidaient des règles et des lois traditionnelles qui régissaient et s’imposaient à tou-te-s les Mafa, qu’ils et elles soient de la caste ngwazla ou non.

Mais de nos jours, la croyance en la « Ditsuma » (tradition) prend progressivement une autre forme. Les activités dédiées aux Ngwazla sont de plus en plus délaissées et ces dernier-e-s, puisqu’ils et elles sont dans la quête d’un nouveau statut socioprofessionnel. La problématique de la mutation du statut social des Ngwazla n’est pas nouvelle. Quelques études y relatives ont déjà été réalisées. C’est le cas de « Les forgerons mafa : description et évolution d’un groupe endogame » (Podlewski, 1965); c’est également le cas de « Les Matakam du Cameroun : essai sur la dynamique d’une société préindustrielle » (Martin, 1970); nous avons aussi « Ngwazla et Vavi chez les Mafa du Cameroun : identités et dynamiques socioculturelles » (Guimaye, 2019a) et le film documentaire « Ngwazlazlihi » (Guimaye, 2019b) qui ont examiné bien avant la problématique de la dynamique identitaire du ou de la Ngwazla mafa à l’Extrême-Nord (Cameroun). C’est dans cette logique que s’inscrit la présente analyse, la différence résidant dans le fait que cette dernière s’intéresse non pas uniquement au processus de changement de statut du ou de la Ngwazla, mais aussi, et surtout aux facteurs les plus récents conditionnant ce changement. L’étude s’articulera ainsi autour de la présentation méthodologique, de la détermination de l’origine du ou de la Ngwazla, des facteurs de changement d’activités socio-économiques du ou de la Ngwazla et de leurs stratégies d’adaptation face au changement.

Méthodologie

Le présent article, qui est une recherche qualitative basée sur un fait socioculturel, examine les données filmiques et les informations collectées sur le terrain en prenant appui sur la théorie de la dynamique sociale de Georges Balandier (1970). Le processus de recueil des données s’est principalement fait à l’aide d’une caméra. À cet effet, nous avons préalablement procédé aux choix des informateurs et informatrices et avons négocié avec eux et elles les conditions de tournage.

Les informateurs et informatrices

Le choix des acteurs-informateurs et actrices-informatrices dépendait d’un certain nombre de critères : leur appartenance au clan des Ngwazla; la spécialité de leurs activités socioprofessionnelles (forge, poterie, médecine traditionnelle, inhumation, célébration des rites[2], etc.); leur résidence dans le département du Mayo-Tsanaga. Les enquêté-e-s que nous avons suivi-e-s sont des hommes, des femmes, des vieillards, des adultes ou des adolescent-e-s. À Djingliya, une localité non loin de Mokolo, nous avons enquêté auprès de trois principales familles, en raison de leur notoriété dans ledit village.

Parmi ces acteurs-informateurs et acteurs-informatrices, nous avons Ltikof et son neveu Haïgama qui sont une illustration parfaite de la dichotomie tradition-modernité du statut ngwazla, une preuve du changement social qui s’opère dans la communauté mafa depuis plusieurs décennies déjà. Aussi avons-nous enquêté auprès de Nguizaye Rose, une habitante de la même bourgade, une femme ngwazla qui refuse d’assumer son identité.

Après le choix des informateurs et informatrices, nous avons procédé aux négociations des modalités d’enregistrement, car la peur de l’outil technologique que représente la caméra peut induire des réticences lors des prises de vue. Ainsi, pendant la pré-enquête et l’enquête proprement dite, il est toujours nécessaire de négocier les termes du tournage avec l’informateur ou l’informatrice, étant donné que celui-ci ou celle-ci peut changer d’humeur ou réagir de manière imprévisible d’une situation à une autre. Nous avons donc obtenu leur consentement dont la matérialisation s’est faite par la signature d’une fiche dite de consentement.

Techniques et outils de collecte de données

L’observation directe, l’observation participante – à travers la caméra, les entretiens et les récits de vie – sont les principaux outils et techniques de collecte de données utilisés dans le cadre de ce travail. Sachant que cet article est une description anthropologique, l’observation directe des comportements sociaux particuliers doit se faire, comme le soutien Laplantine (2005), à partir d’une relation humaine, mais également de la familiarité avec des groupes que l’on cherche à connaître, en partageant leur existence. Nous avons ainsi observé sur le terrain les modes de changement de statut social des Ngwazla suite à l’avènement de certains facteurs exogènes. N’étant plus un simple outil d’enregistrement, nous avons utilisé la caméra comme objet et l’avons placée au cœur de l’action dont elle devient partie prenante. C’est à ce moment que l’observation participante est intervenue. En effet, pour bien comprendre le phénomène des dynamiques du statut des Ngwazla chez les Mafa, il était nécessaire pour nous d’intégrer directement quelques familles. C’est ainsi que nous nous sommes imprégnée des réalités du terrain et des rapports entre différentes classes d’individus au sein de cette communauté.

Nous avons également collecté des informations auprès de certaines personnes-ressources (patriarches ngwazla et vavi, etc.). Les types d’entretiens utilisés pendant nos recherches ont été des entretiens libres et semi-directifs basés sur des récits de vie. Ces entretiens nous ont notamment permis de comprendre la complexité de la question ngwazla au sein de la communauté mafa.

Ethnographie des Ngwazla

La société mafa est subdivisée en clans au rang desquels les Ngwazla et les Vavi qui ont chacun des caractéristiques socioculturelles et professionnelles spécifiques. Cette distinction résulte d’une pure construction de l’imaginaire culturel mafa. Elle est expliquée par des mythes cosmogoniques de cette communauté. Bien qu’appartenant tou-te-s à la tribu mafa, les Vavi et Ngwazla jouissent de statuts distincts. Ainsi, l’ethnographie des Ngwazla se perçoit à travers la double dimension de son origine et de ses activités socioprofessionnelles.

Origine des Ngwazla

Ngwazla est un nom mafa pour désigner une caste appelée de façon triviale « des forgerons », même si elle n’est pas que constituée de ceux-ci. Il est différent d’un-e Vavi qui n’exerce pas les activités socioprofessionnelles réservées aux Ngwazla. En langue mafa, Ngwazla signifie celui qui est « courageux », « puissant », « savant », « impure », « sale ». Pour Ltikof Ganava, chef des Ngwazla mafa, Ngwazla signifie « Ndoh mbeuh souki » (entretien, 2018), c’est-à-dire celui qui fait des consécrations, qui a le pouvoir de voir et de chasser les mauvais esprits. D’après Nguizaye Rose « est Ngwazla celui qui n’a pas peur du cadavre, celui qui accepte porter un corps décomposé (pourri) pour bénéficier de la viande de chèvre en retour » (entretien, 2018).

Image 1. Page Facebook de Guimaye Juvintus, consultée en mai 2018

Martin Reta considère l’individu ngwazla comme « celui qui forge, qui invente : c’est un artiste » (capture Facebook, 2018). Raphael Yaouké pense que « c’est celui qui fabrique à base du feu, celui qui enterre les mort … » (capture Facebook, 2018). Jean Vogo et Bernard Hacheked appréhendent respectivement le Ngwazla comme « un féticheur, un guérisseur » (capture Facebook, 2018). Ainsi, l’origine des Ngwazla s’explique à travers les témoignages, des entretiens, des légendes et des contes que nous avons recueillis de nos informateurs et informatrices.

D’après Manastad Mbokom (autochtone de Djingliya montagne), Ldouwed Ganava (chef ngwazla du village Woulad) et Goudeigued (chef du village Guid-Ngwazla), l’origine du nom Ngwazla remonte à des temps immémoriaux où l’on effectuait des expériences sur le Zekaɗ, un fruit du « vitex doniana » issu d’une espèce d’arbre de la famille des verbénacées, comme le montrent Barreteau et Le Bleis :

À l’époque, il existait trois personnes qui constituaient une famille mafa et qui étaient tous des Vavi (non-forgerons). Un jour, l’un des frères mourut. Les deux, ayant peur du cadavre de leur frère, le laissèrent non inhumé pendant plus de trois jours jusqu’à ce que le corps se décompose. À ce stade, l’odeur était très forte et indisposait les deux frères dans la maison. C’est ainsi que ceux-ci décidèrent de celui d’entre eux qui allait l’enterrer. Ils procédèrent par une stratégie : faire mûrir le fruit Zekaɗ (vitex doniana) pendant deux nuits pour le choix du courageux. Ils cueillirent donc trois de ces fruits et les enfouirent chacun dans une poterie contenant de la cendre devant accélérer le processus de mûrissement, en les faisant passer de la couleur verte au noir. Ils décidèrent ainsi que « celui qui aura des fruits mûrs et bien noirs dans sa poterie sera obligatoirement élu « Ngwazla » et celui dont les fruits resteront encore verts n’en sera jamais un, mais plutôt un « Vavi ». Le naïf des deux frères étant endormi, le cadet se leva au plus fort de la nuit et alla déterrer les deux pots contenant les fruits. Il trouva ainsi que les deux récipients contenaient quelques fruits noirs. Il tria alors tous les noirs et les mit dans le pot de son frère. Le lendemain, tôt le matin, il réveilla ce dernier pour aller voir qui allait enfin enterrer leur défunt frère. Arrivé sur les lieux, chacun ouvrit sa poterie et fit sortir les fruits. « Ḱe Ngwazla nga! » exclama son [sic] frère (ce qui veut dire : « tu es notre forgeron! ») il ajouta ainsi : « à partir d’aujourd’hui, c’est toi qui seras chargé de fabriquer tous les objets en fer, de recouvrir et d’enterrer les morts, de t’occuper des maladies et des phénomènes dangereux et ta femme doit façonner et faire cuire les poteries (Barreteau et Le Bleis, 1990, p. 390).

Planche 1. Arbre et fruits Zekad (Vitex doniana) ou prunier noir (Guimaye Juvintus, 2019)

L’un des premiers mythes sur l’origine des Ngwazla par Podlewski raconte :

Il était une fois un chef de famille dont le frère était décédé depuis quelques jours. Le cadavre, décomposé, sentait tellement qu’il n’osait le toucher. Après avoir pris un bœuf et une chèvre, il invita tous les gens du voisinage et leur dit : « Je donnerai ces deux animaux à celui qui enterrera mon frère ». Un homme, qui se nommait Boumagaï s’avança, car il aimait le goût de la viande. Il tua les deux bêtes, détacha leur peau et en recouvrit le cadavre. Puis il creusa un trou, y descendit le corps ainsi apprêté et, après avoir recouvert la fosse de terre, il la protégea d’une grande et lourde pierre pour la préserver des bêtes féroces. De retour au village, il se mit à faire griller un peu de la viande qu’il venait de gagner. Et on le regardait sans rien lui dire. Dès qu’il eut avalé le premier morceau tous se mirent à crier qu’il était « Forgeron » car il venait de manger après avoir enterré un mort, sans s’être lavé (purifié) les mains. Et depuis ce, jour il fut obligé par les autres à enterrer leur [sic] morts (Podlewski, 1965, p. 5).

Tout compte fait, les récits des patriarches, des fils et filles mafa, illustrent à suffisance le contexte d’émergence des Ngwazla en pays mafa. Les Ngwazla sont donc déterminés par un statut paradoxal : puissant d’un côté et impur de l’autre, tout ceci à cause de leurs activités socioprofessionnelles.

Activités socioprofessionnelles des Ngwazla

D’après le mythe sur l’origine du feu, telle que décrit par Marcel Mauss (1926, p. 29), « le forgeron dans de nombreuses sociétés joue le rôle du héros civilisateur ». Pour lui, les forgerons sont des hommes qui possèdent le secret du feu, celui de la transmutation des métaux. Ils sont très souvent sorciers, magiciens et occupent de ce fait une position à part dans la société. L’activité la plus pratiquée des Ngwazla est la forge pour les hommes et la poterie pour les femmes. Ils ou elles sont aussi des tradithérapeutes, des magiciens et magiciennes, quelquefois des guérisseurs et guérisseuses. Ils et elles sont perçu-e-s comme des savant-e-s traditionnel-le-s. En fabriquant et en vendant des objets utilitaires tels que les houes, les haches, les couteaux, les machettes, les armes (lances, sagaies, couteaux de jet, flèches, etc.) et des objets d’esthétique à l’instar des lames de rasoir, des bracelets des femmes, des bracelets d’apparat, etc., les hommes ngwazla exercent un rôle non négligeable dans l’économie de la société mafa. Aujourd’hui, ils et elles continuent certes à pourvoir aux besoins de cette société, mais en menant d’autres activités qu’un-e Vavi ferait.

Pour les femmes, l’activité principale est la poterie. Pour cela, elles utilisent de l’argile pour la sculpture et font ressortir des objets de décoration tels que les masques. Elles peuvent aussi être soit des accoucheuses traditionnelles, soit des guérisseuses. Leur apport dans l’économie des sociétés est également non négligeable. Les activités qu’elles exercent ont favorisé le développement du tourisme à Djingliya depuis 1980, car l’artisanat occupe une place prépondérante dans la vie économique des Mafa. En plus de ces activités socio-économiques, les métiers des Ngwazla étaient associés à la puissance divine, même si son statut de fossoyeur stigmatise toute la caste comme des personnes impures. Seulement, avec l’avènement de la crise Boko Haram et de l’insécurité en 2014, ces activités ne génèrent plus de revenus. Les touristes ne visitant plus la localité à cause des marchés fermés, les Ngwazla ont abandonné leur village et leur atelier pour se livrer à d’autres activités professionnelles ailleurs.

Facteurs du changement du statut socio-économique des Ngwazla

La mondialisation, qui a favorisé les échanges entre humains sur les plans économique, psychologique et communicationnel, apparaît à première vue comme l’une des causes du changement de statut social. C’est dans cette logique qu’interviennent les forces influentes, encore appelées facteurs exogènes, présentées par Balandier (1970) comme un système de relations extérieures avec d’autres cultures et des civilisations. Les systèmes sociaux ne cessent d’évoluer et les personnes qui vivent cette évolution peuvent réfuter aisément l’idéologie d’un passé glorieux et le mythe de la modernité qui détruit tout l’ordre établi. Car l’ordre social ne cesse de se construire au fil des générations à travers des luttes incessantes. Nous constatons ainsi avec Balandier (1988, p. 227) que la société entière « est à des degrés variables selon les types, le produit des interactions de l’ordre et du désordre, du déterminisme et de l’aléatoire ». C’est le cas des Ngwazla qui ont vu leur statut évoluer d’une situation « précaire » et stigmatisante à une identité similaire à celle de tou-te-s les membres de la communauté mafa. Plusieurs facteurs extérieurs justifient ce changement de statut.

Les religions révélées

Les religions importées telles que le christianisme et l’islam ont entraîné un grand changement dans la structure des croyances traditionnelles mafa en général et Ngwazla en particulier.

Le christianisme

Pour les Mafa chrétien-ne-s, l’Église catholique a développé une idéologie d’égalité et de fraternité entre tou-te-s les croyant-e-s qui ne peuvent se distinguer que par leur degré de piété. Il ne saurait y avoir de différenciation basée sur d’autres critères tels que le droit d’aînesse en particulier. Ainsi, la distinction de castes et de tous les systèmes qui la sous-tendent est donc remise en cause par la religion chrétienne. À cet effet, Kaldaoussa, un de nos informateurs, affirme que c’est la modernité et la religion qui ont conduit les individus à ne plus respecter la culture : « Avant, soutient-il, on ne pouvait pas manger dans le même plat qu’un Ngwazla. Mais, aujourd’hui, avec l’avènement du christianisme, on nous enseigne qu’il n’y a pas de différence entre les hommes, nous sommes tous égaux devant Dieu. Quand vous fréquentez la même église avec un Ngwazla, vous êtes obligé de manger ensemble ». Aussi, après un long débat avec son interlocuteur Ltikof, Haigama, l’acteur principal de notre film intitulé Ngwazlazlihi, déclare :

Lorsque je serai amoureux d’une fille, et si elle m’est véritablement destinée, je l’épouserai, car d’un je ne suis pas intégré dans la tradition; de deux, je suis chrétien et membre de la chorale. Je reçois régulièrement la communion. Donc je peux épouser n’importe quelle femme… Nous avons été enseignés par les mêmes pasteurs et les prêtres qui nous ont prêché qu’il n’y a pas de différence entre les clans lorsqu’il s’agit de mariage. Il faut éviter des discriminations claniques au point d’imposer à tous l’endogamie (Haigama dans Ngwazlazlihi de Juvintus Guimaye, 2019).

Image 2. Haigama (Ngwazlazlihi de Guimaye Juvintus, 2019, 19’30)
L’islam

Les forces qui mettent à l’épreuve la stratification de la communauté mafa à l’instar de l’islam sont similaires à celles dont parle Abdoulaye Bara Diop (2012) dans La Société wolof, tradition et changement. L’auteur y montre comment l’islamisation et la modernisation ont bouleversé sans la dompter la structuration en castes dans la société wolof. Il introduit selon lui une révolution égalitaire dirigée contre ces sociétés à castes.

Certains villages mafa, ayant été en contact avec la culture islamo-peule, ont adopté l’islam comme religion. Cette religion, caractérisée par des principes de générosité, de solidarité entre musulman-e-s, de partage et d’entraide, a su trouver des adeptes parmi les paysan-ne-s ngwazla. Seulement, ces dernier-e-s ont été contraint-e-s, dans la pratique de leur religion, à l’abandon total des pratiques traditionnelles qui leur sont propres telles qu’une certaine façon d’inhumer des cadavres, les fétiches, etc., considérés comme « impures », comme « chirk » (l’association des idoles et autres divinités dans l’adoration d’Allah) ou encore « haram » (acte interdit, péché). Dès lors, certain-e-s Ngwazla s’adaptent à la culture peule voisine afin de s’intégrer à la communauté musulmane, majoritairement peule. Ainsi, ils et elles exercent de plus en plus dans le commerce. Notons que ce commerce ne se réduit plus seulement à la vente des outils issus de la forge ou de la poterie comme ils et elles le faisaient auparavant. Il s’agit d’un commerce général, beaucoup plus noble et enrichissant tel que la vente et la gestion des boutiques.

De même, cette islamisation est, pour les Ngwazla, une opportunité de s’anoblir en étant continuellement près des chefferies à système d’organisation islamo-peule. Les hommes ngwazla préfèrent être au service du « Lawane » et passer du temps à la cour « fada », etc. Le lawanat ou la chefferie traditionnelle de 3e degré créé dans certains villages s’étend sur un espace géographique bien défini et exerce un pouvoir local centralisé et hiérarchisé sous le commandement ou la direction d’un chef appelé lawane. Ce dernier est assisté, dans l’exercice de ses fonctions, de plusieurs notables notamment l’imam, le wakili, le kaïgama, le galdima, le sarkifaada et le sarkisaanou. Les Ngwazla qui rejoignent ce groupe ont la plupart de temps un poste au service du chef et de la communauté. Notons cependant qu’à la suite d’une enquête menée en 2019 dans les villages Bourha et Mokolo, il ressort que les populations musulmanes sont aujourd’hui celles qui vivent la plus forte croissance démographique, car elles sont actuellement présentes dans la totalité des villages qui jadis n’étaient dominés que par des païen-ne-s. Les religions importées chez les Mafa ont fortement contribué au changement du statut socioprofessionnel des Ngwazla qui sont également confrontés à des difficultés liées à l’insécurité.

L’insécurité

Depuis près d’une décennie, l’Extrême-Nord du Cameroun fait face à la crise sécuritaire Boko Haram qui a occasionné le déplacement de plusieurs personnes vers les grands centres urbains. Une observation particulière des monts Mandara permet de se rendre compte que Boko Haram en a fait son sanctuaire (Seignobos, 2015), provoquant des psychoses, des perturbations, des déséquilibres les plus extrêmes et rarement vécus par le passé. Cette partie du pays a enregistré des pertes importantes en vie humaine et en dégâts matériels. Des villages ont été détruits, des populations obligées de se déplacer, car perturbées et traumatisées par les horreurs de la guerre. Ainsi, Boko Haram a été et est encore l’un des épisodes les plus sanglants dans l’histoire du Mayo-Tsanaga. Il a laissé une marque indélébile sur le quotidien des populations, sur la vie sociale, culturelle et économique locale dans nombre de villages et localités.

Comme conséquence, cette insécurité a particulièrement freiné les activités professionnelles des Ngwazla; ce qui les a poussé-e-s à fuir les villages à la quête d’autres activités. Depuis lors, certain-e-s jeunes Ngwazla trouvent qu’il devient en effet difficile de rester au village, car il n’y a plus de travail. Ils et elles s’adonnent alors à d’autres activités. C’est le cas du transport des marchandises dans les grands marchés des centres urbains du Cameroun, de la vente d’eau, du petit commerce et bien d’autres, etc. Après leur intégration dans une nouvelle ville, les femmes ngwazla, quant à elles, exercent dans la restauration et la vente de la bière traditionnelle locale appelée bilbil ou zum. D’autres se limitent à faire le ménage dans les familles aisées.

Systèmes scolaires occidentaux et médias de masse

L’instruction à l’école occidentale est un facteur de nivellement des couches sociales, surtout dans des sociétés à castes comme celles des Mafa. En effet, l’éducation formelle et moderne a induit un changement dans le système de hiérarchie formelle entre les classes sociales de ce groupe ethnique. Elle a ainsi donné à chacun-e une nouvelle identité et une nouvelle vision du monde qui rompt avec les conceptions traditionnelles et discriminatives instaurées. En pays mafa particulièrement, la plupart des Ngwazla qui sont allé-e-s à l’école renient leur identité[3].

Les différences de classe sociale tendent à se dissoudre devant la dichotomie Ngwazla et Vavi. Les professions organisées par le système des castes sont certes héréditaires, mais la dissolution provoquée par l’école occidentale a conduit à des changements profonds qui ont affecté cette subdivision de la société mafa. Kaldaoussa, l’un de nos informateurs, en parle en ces termes :

Quand un Ngwazla a déjà été à l’école, il est professeur de lycée, il ne peut plus porter un mort, c’est bizarre. Or, ceux du village qui n’ont pas été à l’école le font bien. De même, si quelqu’un a été à l’ENAM, il est un administrateur, vous lui demandez de faire les choses que ses parents font telles que porter les morts et faire la forge, vraiment, il ne pourra pas le faire (Kaldaoussa lors d’un entretien conduit par Guimaye, 2019).

Par ailleurs, l’éducation occidentale influence désormais le choix matrimonial de l’homme ngwazla. Ceci est perceptible à travers le mariage interethnique qui constitue une marque de rejet de l’identité ngwazla. Aujourd’hui, les hommes ngwazla scolarisés n’épousent jamais les filles ngwazla. Ils sont pour la plupart exogames de deux manières : soit ils épousent une Vavi (chose jadis interdite), soit ils épousent des filles d’autres ethnies. Le cas d’un Ngwazla qui, travaillant en France après ses études et conscient de son identité, décide d’épouser une fille vavi, malgré le refus catégorique des parents de celle-ci, en est une illustration tirée du film Ngwazlalihi de Guimaye (2019). Pour lui, c’est un non-sens au vu de son bagage intellectuel, de sa position sociale, de sa connaissance de la culture européenne, ainsi que ses multiples voyages.

En outre, le non-respect des principes traditionnels par les jeunes ngwazla scolarisé-e-s est également dû à l’influence des médias de masse. De nos jours, les principaux moyens de communication de masse que sont la télévision, la presse, l’internet, la radio et le cinéma, etc. poussent les jeunes à avoir un esprit plus ouvert et une réflexion plus dilatée sur les droits et l’égalité des êtres humains et des races. À travers leur pouvoir, les médias ont donc une influence certaine sur la vie socioculturelle et professionnelle des jeunes ngwazla. Ces dernier-e-s, dans l’optique de s’émanciper, se mettent à la quête d’un nouveau statut, d’une nouvelle identité. À cela s’ajoute le fait que les produits locaux, fabriqués très souvent par les Ngwazla, ne se vendent plus au profit des produits importés. Du coup, l’économie du marché local subit des chutes drastiques.

Régression de l’économie du marché local au détriment du marché mondial

L’extraversion des consommatrices et consommateurs locaux porte un sérieux préjudice aux artisans ngwazla qui peine à exercer, d’où la disparition sur le marché des objets de la forge tels que les houes, les couteaux, les bijoux, les bracelets et les objets de poterie (canaris à tous types d’usages, pots de fleurs, etc.). Les marchés du Cameroun et particulièrement ceux du Cameroun septentrional sont de plus en plus ravitaillés par des produits du Nigéria et de la Chine. Depuis que la Chine est devenue membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en décembre 2001 (Lemoine, 2011), elle s’est engagée à explorer les marchés extérieurs en libéralisant ses importations partout dans le monde à des prix défiant toute concurrence. À l’Extrême-Nord du Cameroun en l’occurrence, où les populations majoritairement pauvres ont un faible pouvoir d’achat, la plupart préfèrent se tourner vers les produits chinois ou du Nigéria au détriment de ceux localement fabriqués. Ces objets artisanaux, autrefois prisés par la population locale, sont devenus désuets et sans valeur. Ils sont substitués par des produits venus d’ailleurs dits modernes et de bonne qualité. Du coup, même le plus conservateur des artisans ngwazla se voit obligé d’abandonner l’exercice de cette profession inhérente à son identité.

La stigmatisation

À la page 108 de son livre intitulé Les Mafa, un peuple une culture, Perevet (2008) reprend les propos de Jean-Yves Martin qui pense que les « Vavay » représenteraient la noblesse et les Ngwazla, le tiers état à qui incombent toutes les tâches quotidiennes. Cette classe s’assure ainsi, non pas de son propre bien-être, mais de celui de la classe dirigeante, la noblesse. C’est grâce à ce statut que les Vavi s’estiment supérieur-e-s et pensent avoir un dessus sur les Ngwazla perçu-e-s comme des êtres inférieurs. Certaines personnes ne peuvent pas s’asseoir sur le même siège que les Ngwazla, car les considérant comme des esclaves. Ces stigmatisations entraînent régulièrement des conflits interclaniques et poussent les Ngwazla à s’affranchir de ce statut. Ce changement n’est que le résultat des frustrations cumulées, de divers conflits exacerbés par la différence et la division des classes sociales.

Les informateurs Ltikof et Haigama pensent en effet que « les forgerons cachent leur identité parce qu’on leur colle une mauvaise étiquette. On les considère comme des parias de la société ». C’est donc à cause de cette mauvaise étiquette qu’ils et elles cherchent à se fondre dans d’autres ethnies. Grâce à l’éducation occidentale reçue et à la religion, ils et elles savent désormais que tous les êtres humains sont égaux devant la loi et devant Dieu et que la division en classes sociales n’est qu’une injustice. Ils et elles s’attachent à ces nouvelles idéologies qui leur redonnent un peu de leur humanité en prônant l’égalité entre les humains et entre les races. Les propos de Haigama, l’un des acteurs du film Ngwazlazlihi, illustrent bien cette stigmatisation dont les Ngwazla sont victimes. La migration des jeunes vers d’autres villes est entre autres l’une des stratégies de résilience développées par les jeunes de la caste pour fuir les stigmatisations dont ils et elles sont victimes.

La migration

De nos jours, les jeunes mafa émigrent de plus en plus vers d’autres parties du pays et même du continent. Cette migration est surtout favorisée par la recherche de conditions de vie meilleures. En effet, l’économie du marché mondial, les médias ventant des conditions de vie ailleurs et l’insécurité ambiante depuis le début de la crise Boko Haram ont développé chez les jeunes ngwazla une volonté de quitter le village. À cela s’ajoute leur stigmatisation par les Vavi du village qui leur donne de plus en plus une envie de partir.

Même les Ngwazla rompu-e-s à la tâche de leur profession habituelle trouvent une raison de partir du fait de manque de la matière première pour leur forge. En effet, c’est un facteur de changement de statut professionnel qui se traduit par le passage d’un milieu naturel (où l’humain réagit à des interactions naturelles et où l’artisanat domine) à un milieu technique. À ce propos, Welémé, un de nos informateurs et informatrices, dira :

De nos jours, il est de plus en plus difficile d’avoir du fer ici sur nos montagnes, surtout avec la peur de se faire tuer par les Boko Haram. En ville, on trouve du fer partout, on achète même des pièces détachées déjà endommagées moins chères et revient les transformer en toutes sortes d’objets. De nouvelles techniques de forge sont alors fabriquées. C’est plus facile et rapide. Ce qui est décevant au village, c’est que nous les forgerons, lorsque nous fabriquons souvent des objets pour les travaux champêtres, les Vavi viennent les prendre gratuitement, parfois ils nous promettent les vivres tels que du mil, du haricot, du sésame à la récolte. Mais, on ne voit jamais rien. C’est de l’exploitation pure et simple! Par contre lorsque nous allons nous installer en ville, à Maroua ou Garoua, on nous respecte. On achète beaucoup de nos produits et nous les vendons très cher. On a beaucoup d’argent. C’est pourquoi nous préférons nous installer en ville (entretien à Mokolo, 2019).

Seulement, ce changement de lieu ne s’effectue pas sans conséquence. En effet, les conservateurs et conservatrices de la tradition, Ngwazla ou non, considèrent les Ngwazla qui ont opté pour l’émancipation comme des traîtres, des ennemies de la tradition. Face à cette nouvelle hostilité, les Ngwazla mettent en place des stratégies pour s’adapter.

Stratégies d’adaptation des Ngwazla face au changement

Les Ngwazla ont recours à plusieurs stratégies pour faire face au changement induit par leurs nouveaux statuts identitaires et socioprofessionnels. Il s’agit entre autres du recours à la justice, de l’abandon des pratiques et des lois traditionnelles inhérentes aux Ngwazla.

Recours à la justice moderne

Nous entendons par justice moderne, toute juridiction formelle ou institutionnelle gouvernementale représentée par la magistrature et accompagnée par les forces de maintien de l’ordre telles que la police et la gendarmerie. Face à la réglementation coutumière qui prévoit les châtiments corporels pour les Ngwazla coupables de transgression, ceux-ci et celles-ci ont de nos jours le réflexe d’aller porter plainte à la police ou à la gendarmerie pour revendiquer leur droit à la liberté. Nguizayé, une de nos informatrices Ngwazla du village Djingliya montagne, a eu des problèmes avec les dignitaires ngwazla, après le décès de son mari ngwazla, pour avoir entretenu une relation amoureuse avec un Vavi. Les aventures de la veuve Nguizayé sont une parfaite illustration de cette résilience ngwazla face au changement. En effet, les chefs traditionnels Bii, n’étant pas d’accord avec les aventures amoureuses de celle-ci avec un Vavi, ont décidé de l’expulser immédiatement du village en confisquant les cinq enfants qu’elle a eus avec son défunt mari Ngwazla. C’est face à cette injustice qu’elle a décidé d’aller porter plainte au commissariat de Koza. Suite à cela, le commissaire convoqua le représentant des chefs locaux pour le sermonner et lui interdire de chasser cette dame du village. Dès lors, Nguizayé a pu rester au village et vivre en paix auprès de ses enfants tout en gardant des liens avec son amant vavi (film Ngwazlazlihi de Guimaye, 2019, 4e minute).

Image 3. Nguizayé dans le film Ngwazlazlihi (Guimaye Juvintus, 2019, 4e minute)

Les Ngwazla, qui autrefois étaient astreints à l’endogamie par la tradition, se marient aujourd’hui avec d’autres clans ou ethnies. Contrairement à cette confrontation directe avec les gardiens de la tradition, certain-e-s Ngwazla préfèrent plutôt partir ailleurs pour se défaire de leur identité.

L’abandon des pratiques et lois des Ngwazla

Chez les Mafa de façon générale, les Ngwazla sont en perpétuelle reconstruction de leur statut identitaire. Ils et elles pensent à des stratégies pour se libérer de la domination des Vavi. Aujourd’hui, le constat est que si un-e Ngwazla a été scolarisé-e, s’il ou elle s’est christianisé-e ou islamisé-e, il ou elle cesse d’être Ngwazla, car son statut de « personne moderne » lui confère les droits d’outrepasser certains interdits culturels liés au statut des Ngwazla. Avec la scolarisation, les hommes se sentent désormais légitimes d’épouser les filles vavi, de manger avec tout le monde, etc. Pourtant, le statut ngwazla est héréditaire dans la tradition. Pour Ldoued Ganava, « on naît Ngwazla et le fils du Ngwazla sait qu’il est né Ngwazla. Il sait par conséquent quelle attitude adopter, quel type de partenaire conjugal choisir » (entretien, 2019). Chaque individu, qu’il soit vavi ou ngwazla, sait à quelle morale collective il doit obéir. Pour un-e Ngwazla aspirant au changement, partir c’est naître de nouveau avec une nouvelle identité et une nouvelle profession.

Image 4. Ltikof dans le film Ngwazlazlihi (Guimaye, 2019, 7e minute)

Conclusion

La présente étude s’est donné pour objectif de présenter le contexte socioculturel de l’évolution du statut des Ngwazla chez les Mafa. Il ressort des analyses que plusieurs forces telles que les religions, la stigmatisation, l’école occidentale, l’insécurité, l’économie du marché mondial, les médias de masse et la migration ont favorisé cette évolution des statuts socioculturel et professionnel des Ngwazla à Mokolo. Rappelons que les Ngwazla assistent à la cérémonie de consécration des moments de la naissance des jumeaux, de la bénédiction des nouvelles cases, du lancement de la fête du taureau « Maray », etc. Bref, ce sont les Ngwazla qui officient la plupart des rites chez les Mafa « Mbeuh Souky » (devin). Ils ou elles sont également en charge de la forge et de la poterie. Seulement, le statut ngwazla a évolué, suite à l’avènement de plusieurs facteurs qui l’ont poussé à la pratique d’autres activités plus « nobles » de nos jours. Leur adhésion aux religions révélées, leur inscription à l’école moderne leur ont permis de jouir d’un nouveau statut tant identitaire que professionnel.

Pourtant, ce changement de statut n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. C’est pourquoi les Ngwazla ont souvent eu recours à la justice, à l’abandon des pratiques et lois coutumières inhérentes à leur identité, etc. comme stratégies d’adaptation à ce changement. Il en découle une double vision chez les Ngwazla que nous avons rencontré-e-s. D’un côté, l’ancienne génération qui s’inscrit dans une logique de conservation des pratiques et coutumes comme patrimoine immatériel des valeurs et de l’identité culturelle non seulement du clan ngwazla, mais surtout de l’ethnie mafa en général. Seulement cette idée est contraire à celle de la nouvelle génération qui souhaite changer et faire évoluer la tradition. La jeune génération, qui s’engage à ne plus perpétuer ces pratiques anciennes marginalisantes des Vavi telles que l’inhumation des morts, la forge, la poterie, la médecine traditionnelle, etc., rompt avec ces traditions discriminatoires. Elle ne veut plus qu’on l’identifie à travers son clan. Désormais, les Ngwazla sont décidé-e-s à trouver un sens à leur vie face à la multiplicité des chemins possibles offerts par l’évolution de leur culture et celle du monde.

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  1. Entendus de façon triviale comme respectivement « forgeron » et « non-forgeron », Ngwazla et Vavi sont des clans appartenant à la tribu mafa. Le premier est une caste marginalisée de par les considérations sociales qui lui sont réservées; et le second est un clan dit de « noblesse ».
  2. Rappelons que ce sont les différentes activités socioprofessionnelles généralement pratiquées par les Ngwazla.
  3. C’est le résultat de l’enquête ethnographique que nous avons menée au moyen de la caméra à Djingliya-Koza (département du Mayo-Tsanaga, région de l’Extrême-Nord Cameroun).

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